La science khaldûnienne de la société

La science khaldûnienne de la société

Mises au point préliminaires

Le titre Le titre de l’ouvrage complet d’Ibn Khaldûn – dont la Muqaddima constitue l’introduction – est le suivant : Kitāb al-‘ibar wa-diwān al-mubtada’ wa-l-khabar fī ayyām al-‘arab wa-l-‘ajam wa-l-barbar wa-man ‘āşarahum min dhawi al-sulţān al-akbar2. La traduction française qui nous semble la plus adéquate serait : Le Livre des Liaisons, le Registre des Sujets et des Prédicats des Jours des Arabes, Persans et Berbères, et de ceux de leurs Contemporains Possesseurs d’un Grand Pouvoir. Dans ce préambule, nous centrerons notre attention sur le premier segment du titre sans faire l’économie d’une justification de la traduction entière. L’objectif est ici de clarifier la position épistémologique et logico-discursive occupée par le projet scientifique d’Ibn Khaldûn, telle qu’il la comprenait lui-même. Dans la section qui suivra, nous pourrons alors plus facilement aborder le regard porté par Ibn Khaldûn sur les historiens l’ayant précédé et sur ses propres contemporains, en nous appuyant sur les informations les plus immédiates que peut nous fournir tout ouvrage historique de ce type.3 Clarifions d’abord ce titre; Le Livre des Liaisons.Voilà une formulation bien moins fluide et romantique que celle préconisée par Cheddadi dans sa traduction aux éditions Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade) et qui se lit comme suit; Le Livre des Exemples, et le Registre des Commencements et de l’Histoire des Arabes, des non-Arabes et des Berbères, ainsi que des Peuples les plus Puissants parmi leurs Contemporains4. Il nous semble que cette dernière traduction pose une série de problèmes constituant des obstacles à la compréhension du texte original. C’est pourquoi il nous apparaît primordial de débuter par la justification de notre propre traduction du titre entier au regard de celle de Cheddadi. Gardons en tête que notre but est d’exemplifier les problèmes philosophiques soulevés par l’approche préconisée par les auteurs contemporains dans leur étude d’Ibn Khaldûn et de son ouvrage central, Al-Muqaddima. En cela nous nous contentons de suivre l’auteur lui-même, pour qui « c’est au critique rigoureux de redresser ces fautes »5, dans l’espoir que les nôtres puissent être redressées à leur tour. Commençons donc par noter les différences les plus importantes entre les deux traductions proposées. Trois termes divergents attireront notre attention ; ‘ibar, mubtada’ et khabar.

En somme, la notion d’exemple, ici, n’est pas seulement dite correspondre à celle de ‘ibar (pluriel de « ‘ibra »). Elle est remodelée, non pas pour donner sens au terme arabe, mais pour en ajouter à la notion française. Cette démarche ne poserait pas problème, si Cheddadi ne s’arrêtait pas à cette précision. Or, c’est ce qu’il fait. Nous en sommes donc réduit à considérer que nous avons affaire à un livre traitant « d’exemples », ces derniers étant compris comme des modèles de conduites tant pour les individus particuliers, que pour les souverains, des sociétés entières et au-delà pour l’humanité en entier. Cela dit, l’ajout d’une portée politique liée à l’ordre humain en général n’est pas explicité, si bien qu’on ne comprend pas très bien ce que Cheddadi veut dire par là. À l’inverse de ce qui semble être son intention, l’ajout d’une portée politique a toutes les apparences d’un rétrécissement de la portée sémantique du terme exemple plutôt que d’un élargissement. Ainsi il semble limiter le texte à un certain cadre spécifique dont la morale serait un premier niveau, la politique un second et « l’ordre humain » un dernier. Mais sans plus de précisions, le lecteur se trouve dans l’incapacité de savoir de quoi il est question. Plus encore, on ne voit pas en quoi la notion d’exemple, en français, aurait une portée strictement morale sans même entrer dans la discussion concernant la pertinence d’un tel terme dans un contexte arabo-musulman ou même sa signification littérale – qui elle-même n’est pas clarifiée par le commentateur. On finit par comprendre que la distinction qu’il semble introduire renvoie plutôt à la distance entre éthique, politique et humanité. Il prendrait donc la notion d’exemple, en français, comme une notion liée intrinsèquement à l’individu plutôt qu’à une communauté. Si tel est son propos, force est de constater qu’il n’en est que plus confus puisqu’alors on n’est plus en mesure de comprendre, en raison de la tournure de la phrase, si le ‘ibar est ou non lié à la « morale », tout comme l’est l’exemple, en plus d’être un concept à portée politique.

La science nouvelle et son contexte arabe ; de la science de l’historiographie à la science de l’histoire On pourrait dire que l’histoire est une discipline visant à consigner les événements passés pour qu’ils ne soient pas oubliés par la postérité. En cela, elle est affaire de mémoire. Mais sitôt qu’on tente de traduire la notion de mémoire en arabe, on arrive à une croisée des chemins, car deux traductions sont possibles à ce stade : dhakira et ḩafidha. Ces deux notions se trouvent à être des notions clés de la terminologie khaldûnienne qui renvoient à une opposition fondamentale entre deux méthodes historiques. D’une part celle de la tradition avec laquelle Ibn Khaldûn rompt, et d’autre part sa propre méthode historique telle qu’il la théorise dans la Muqaddima. Par-delà cette opposition entre deux méthodes historiques, les deux manières de concevoir la mémoire dans la tradition arabe renvoient à une division plus ancienne de celle-ci qu’on peut retracer chez les auteurs grecs.

dhakira c’est la mémoire active ou performative en tant que faculté de l’homme. Il s’agit là d’une faculté de l’esprit humain qui lui permet de rendre présente une chose qui est passée. Cette notion est utilisée pour traduire le terme grec anamnesis. Le dhikr, en tant que pratique de cette faculté est à la jonction de trois éléments : la mémoire ou le souvenir, la narration ou le récit et le discours ou la parole. Le dhikr est une pratique discursive qui produit un récit sur le passé visant à produire un impact sur le présent. À l’inverse, la ḩafidha est une mémoire passive ou constative. Il s’agit également d’une faculté de l’esprit humain qui permet plutôt de consigner des éléments du passé sans pour autant les actualiser par un usage de la réflexion liant celle-ci au présent. Ce second terme est, quant à lui, utilisé pour rendre la notion grecque de mneme. Lorsqu’il énonce ses critiques à l’endroit de ses prédécesseurs, c’est sur cette distinction que s’appuie systématiquement Ibn Khaldûn. Ce qu’il leur reproche c’est d’avoir réduit la pratique de l’histoire à la remémoration de récits qu’ils ont « rangés parmi les choses qu’on apprend par coeur », « sans recherche ni réflexion »47. C’est même sur ce point qu’il critiquera la pratique de l’enseignement en général dans le Maghreb de son époque48. Maintenant que cet élément est explicité, nous pouvons entrer dans le détail des critiques qu’adresse Ibn Khaldûn à tous ceux qui l’ont précédé.

Le rejet de l’approche des juristes Après avoir rejeté l’approche des historiens du passé pour des raisons méthodologiques, il se trouve forcé d’aborder celle des juristes qui inspirèrent ces historiens pour fonder leur discipline. Si les deux pratiques partagent une même méthode, celle de la critique des transmetteurs, c’est pour une raison simple : toutes deux s’intéressent à des récits portant sur le passé. C’est à partir de ce constat que s’engage la discussion du traitement, par les juristes, des questions liées à la validation des récits historiques rapportés. Ce traitement est divisé en deux parties, l’une est adressée aux juristes faisant un usage excessif de la critique des transmetteurs, comme dans les cas où il est question d’informations relatives aux événements77, l’autre est adressée aux juristes en général, qui « expliquent les motifs des dispositions légales sur la base des visées de celles-ci »78 et qui peuvent confondre les problèmes de cette science avec ceux d’une autre science. En effet, l’histoire des « jours des Arabes » (ayyām al-‘arab), le genre auquel appartient le Kitāb al-’ibar, est issue d’une tradition orale transmise de génération en génération et posée, par écrit, par les figures canoniques citées dans la section précédente.

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Table des matières

Résumé
Remerciements
Index de translittération
Introduction
Chapitre 1 : Mises au point préliminaires
Le titre
Exemple ou ‘ibar?
Commencements ou Sujets? Histoire ou Prédicats?
Le plan
Chapitre 2 : La science de la société humaine en tant qu’elle a effectivement existé
2.1. La science nouvelle et son contexte arabe ; de la science de l’historiographie à la science de l’histoire
2.1.1. Quelle méthode adopter pour rédiger l’histoire
2.1.2. Le rejet de l’approche des juristes
2.1.3. L’opposition au Kalam
2.2. Aristote et la « science nouvelle » d’Ibn Khaldûn
2.2.1. La logique scientifique aristotélicienne d’Ibn Khaldûn
2.2.2. La logique comme fondement d’une science naturelle (physique) de la société humaine
TABLEAU I
2.3. La politique aristotélicienne d’Ibn Khaldûn, sans « Les Politiques » d’Aristote
Les références
Le « Cercle d’Aristote »
Conclusion partielle : concernant le cadre épistémologique d’Ibn Khaldûn
politique; l’histoire naturelle et ses concepts
3.1. La ‘aşabiyya : comment nommer la solidarité?
3.1.1. La ‘aşabiyya comme moteur social
3.1.2. La ‘aşabiyya, pierre de touche de la réflexion khaldûnienne
3.2. La da’wa ou le discours religieux comme outils de construction du pouvoir par la persuasion.
3.2.1. Un concept plurivoque
3.2.2. Da’wa et typologie des régimes politiques
3.3. Al-’umran : la civilisation, un concept pluriel, objet de la discipline historique et de la science de la société humaine
TABLEAU II
Conclusion partielle
Considérations conclusives : La science khaldûnienne de la société, l’autre face de la science sociale moderne
TABLEAU III
Bibliographie

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