La satire dans la poésie lyrique

Les limites de la poésie pour la satire

La poésie satirique est d’abord contrainte par la forme en langue d’oc puisqu’elle est emprisonnée dans les cadres de la cansó. Elle est tenue à une certaine brièveté. Avec cette condition de taille, elle est forcée d’utiliser des topoï et ne peut pas traiter de l’événement présent comme d’un fait particulier. Le sirventés est rapidement confronté à ses limites puisqu’il doit être inscrit dans le contexte mais les méthodes de compositions impliquent une dimension plus universelle. En effet, il semble dans un premier temps impensable de croire que toutes les actions politiques très contextuelles se ressemblent et peuvent être traitées de la même manière. Or, dans les sirventès, les barons ne semblent pas pouvoir être bons et seul le mécène du poète est sauvé du blâme puis, le clergé, quel qu’il soit, est vil et enfin le monde est source de maux.
De ce fait, même dans la satire contextuelle, une puissance supérieure (un seigneur, Dieu ou la peur du Jugement dernier) dicte les mots du poète. Il semble impossible de parler de création libre tant les codes formels et thématiques sont stricts dans les poésies satiriques alors que l’on aurait pu penser que, délivrées du joug courtois, elles auraient déstabilisé voire annihilé les règles. « Ce ne cuit nus que je pour mal le die De mon seigneur, se Deus me face lié ! Mes j’ai poor que s’ame s’en fust perie, Et si aim bien saisine de mon fié. »
Le trouvère, qui vient de faire une critique de son seigneur, détourne la dernière strophe de son poème en un conseil plus qu’en une remontrance. Le seigneur inspire la crainte et modèle de ce fait la poésie car le trouvère n’assume pas ses dires. La fin du chant est d’ailleurs une louange en faveur du souverain : «Quant ce savra, tost l’avra adrecié ; Son gentil cuer ne le sousfreroit mie.»

Une satire contextuelle

Sirventés politique et satire historique

Les pièces satiriques, et surtout les satires politiques, nous introduisent dans la réalité du temps. Ainsi, en langue d’oc, nous pouvons lire des sirventés sur la Reconquista espagnole, sur les conflits d’intérêts avec les souverains de France et d’Aragon, sur les Croisades vers l’Orient et sur la croisade albigeoise. Cette implication de l’Histoire dans la poésie participe à la dénomination chanson historique donnée à quelques pièces en langue d’oïl puisque toutes les pièces satiriques sont regroupées sous la dénomination sirventés en langue d’oc. Il y a, dans la dimension contextuelle de la poésie, une relation forte entre le sirventés et la chanson à résonance historique. Le trouvère Hue de la Ferté a par exemple le désir d’exprimer ce qui lui est venu à l’esprit.
« En talent ai ke je die Çou dont me sui apensés. Cil ki tient Campaigne et Brie N’est mie drois avöés, (…) » Le trouvère critique la difficile régence de Blanche de Castille et remet en question la légitimité du comte Thibaut sur ses terres. Il le traite d’imposteur et sous-entend que le jeune comte est une enfant illégitime. Hue de la Ferté affirme dès lors son opposition à la famille seigneuriale et semble en refuser l’autorité. Le poète apparaît comme un blasphémateur mais demande aux barons d’entendre son chant, ce qui prouve l’autorité et la justice du poète mais aussi celle du thème qu’il développe. La chanson dite historique prend une dimension politique.

La réception uniforme des motifs poétiques

Le fils d’Henri II Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine a reçu un enseignement poétique à la cour royale de son enfance. Sa mère, petite-fille du premier troubadour Guillaume IX, lui fit très certainement inculquer l’art de trobar. Surnommé en premier lieu le Poitevin, il est couronné en 1189 à la mort de son père. Il lui succède sur le trône d’Angleterre dirigeant le Poitou et l’Aquitaine (offerts par sa mère), ainsi que la Normandie, l’Anjou et le Maine. Ses terres se trouvaient de part et d’autres de la frontière linguistique mais pour le roi élevé dans « lo creissent » rien n’est impossible. Il connaît les deux traditions poétiques présentes sur son territoire. Ainsi, alors qu’il est fait prisonnier en Autriche par Henri VI (empereur d’Allemagne) le « roi-poète bilingue » écrit une rotrouenge en deux langues pour réclamer sa libération. «Malgré les doutes de quelques critiques, il est en effet permis de penser que les deux versions sont bien du même Richard.»

Une satire universelle

La satire contextuelle à recours à des topoï, soit par souci de brièveté, soit pour s’assurer une protection, ce qui prouve les limites de la valeur de témoignage des œuvres satiriques. Les topoï utilisés sont intelligibles rapidement et par un grand nombre d’auditeurs et reprennent souvent des motifs des satires antiques ou des évènements bibliques. La satire est en constante réactualisation et ne nécessite plus forcément de situation déictique ni de contextualisation car elle présente en réalité plus des stéréotypes que des évènements réels.

Le déclin du monde

Juvénal avait déjà remarqué que la ville de Rome devenait vile. Nous remarquons qu’au Moyen âge, Adam de la Halle semble faire écho à la satire de l’aède dans sa pièce sur Arras : « Arras, Arras! vile de plait Et de haïne et de detrait, Qui soliés estre si nobile, On va disant c’on vous refait! Mais se Diex le bien n’i ratrait, Je ne voi qui vous reconcile. On i aime trop crois et pile, Chascuns fu Berte en ceste vile Au point c’on estoit a le mait. Adieu de fois plus de .c. mile! Ailleurs vois oïr l’Evangile, Car chi fors mentir on ne fait. »
Le trouvère utilise dans cette complainte l’opposition entre jadis et maintenant. En effet, la ville d’Arras était belle mais aujourd’hui elle choit dans le vice. Ce que nous pourrions nommer le genre des congés d’Arras a également été utilisé par Baude Fastoul et Jean Bodel. Cependant, Adam de la Halle semble avoir ajouté une dimension plus satirique à son congé et le trouvère, qui fit des études, dépeint la ville comme aurait pu le faire Juvénal. Le déclin ou du monde fait également écho à la chute de Babylone décrite dans l’Apocalypse.

Jadis et Maintenant

En effet, le temps passé était faste mais le monde a sombré à présent, il est dirigé par les vices. Les poètes de tous les horizons tentent, par leurs chants et par leurs vies, d’être des exemples d’éthique. Bertran de Born chante « Al segle truan » et Rutebeuf, dans sa complainte sur les plaies du monde, porte un regard qui semble véridique sur un monde rempli d’amertume.
« Rimeir me covient de cest monde Qui de touz biens ce wide et monde. » Mais, si cette pièce semble exprimer une réalité, c’est peut-être surtout parce que la vision que nous avons aujourd’hui du Moyen âge est biaisée. Dans la poésie lyrique satirique en langue d’oc et d’oïl, jadis semble toujours être mieux que maintenant et ce passé perdu pour toujours s’apparente à s’y méprendre à l’Eden. La vie était lumineuse, le luxe dirigeait la société, mais pas l’avarice. Jeunesse combattait et surpassait vieillesse.
« Mais tout aussi com draperie Vaut miex que ne fait fraperie, Valurent miex cil qui ja furent De seux qu’or sont, et il si durent, Car ciz siecles est si changiez Que uns leux blans a toz mangiez Les chevaliers loiaux et preux. Por ce n’est mais ciz siecles preuz. »
Pour le troubadour pessimiste Marcabru il ne semble pas non plus y avoir d’espoir pour ce monde qui décline. Cependant, il faut bien prendre en compte que la déchéance est topique et qu’elle ne doit pas être comprise comme un témoignage. La satire est hors du temps.

L’affirmation de l’autorité poétique

Le poète satirique n’est pas concerné par la désincarnation absolue du « je » lyrique comme c’est le cas dans la poésie courtoise. Sa voix, puisque déictique dans les pièces contextuelles, ne peut pas prétendre à une disparition complète. Certes, le trouveur se protège souvent par la dimension morale de ses pièces mais la satire est intrinsèquement liée à une volonté de changement et une subjectivité. En conséquence, bien qu’ils usent de motifs topiques pour voir le monde et ne traitent pas obligatoirement de matière contextuelle, la place du poète satirique s’accomplit dans l’autorité. Le trouveur fait poids afin d’indiquer une manière de voir.
Il faut tout de même préciser l’impact de notre postérité sur la réception des pièces satiriques. En effet, il est impossible de croire que nous ayons gardé trace de tous les chants lyriques satiriques du Moyen âge, et notre étude est dès l’entrée restreinte. Or, nous remarquons une tendance à l’utilisation de motifs topiques dans les témoignages qui nous restent. Cela n’est pas sans lien avec le caractère oral et évènementiel de la poésie satirique. En effet, le trouveur, en situation déictique chante sur un fait connu de tous et qu’il n’a pas besoin de nommer pour être actualisé. Donc, si la chanson est plaisante, elle se transmet au-delà des frontières mais aussi et surtout dans le temps. Or, l’impact contextuel diminue à chaque réactualisation du chant. La poésie satirique, qui fut peut être crée pour l’évènement, tend ostensiblement vers une visée universelle. Ainsi, plus le trouveur est déictique face à la situation qu’il commente, plus son chant peut se lier avec un évènement et son autorité va naître naturellement de la complicité entre lui et son public. Cependant, quand un thème satirique dit universel est réactualisé par un trouveur, la satire s’insère dans la visée morale grâce à laquelle elle est protégée. La satire est le fruit d’un constat puis d’une réactualisation infinie. Mais, pour faire poids dans la réactualisation la voix poétique doit être autoritaire. Pour ce faire, elle utilise de nombreux procédés pour asseoir sa légitimité.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1 : Panorama d’une France divisée
I/ Langues, genres et registre
a. Le sirventès occitan
b. Du sirventès au serventois
c. Du genre au registre
II/ La source du déséquilibre numérique 
III/ Les limites de la poésie pour la satire
a. Renart le Bestourné
b. La satire contre les ordres
Chapitre 2 : Une satire contextuelle et une satire universelle
I/ Une satire contextuelle 
a. Sirventés politique et satire historique
1. Le topos et la satire politique
2. De Bertran à Conon
b. La réception uniforme des motifs poétiques
c. Les chansons de croisades
1. Les croisades vers l’Orient
2. La croisade albigeoise
II/ Une satire universelle
a. Le déclin du monde
b. Jadis et Maintenant
c. L’anti féminisme
1. Entre Marie et Eve
2. Marcabru le misogyne
III/ Une voie vers la lumière 
a. L’interprétation et la connaissance
b. La voie vers le paradis
c. Le chemin de la vie
Chapitre 3 : Une voix satirique
I/ L’affirmation de l’autorité poétique
a. Le sermon
1. Des exempla satiriques
2. Le poète prophète
b. Le sén
1. Voir, savoir et pouvoir
2. Vérité et autorité
3. L’allégorie de vérité dans la satire : le bonheur perdu ?
II/ La réflexion satirique
a. Les voiles plaisants de la satire populaire
b. Les sottes-chansons et la fatrasie
Conclusion
Bibliographie

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