La résistance aux maladies : par quelles opérations techniques ?

 La résistance aux maladies : par quelles opérations techniques ? 

J’explore dans cette thèse le domaine de l’innovation variétale en France, à partir du cas de la viticulture. La recherche scientifique sur l’innovation variétale a été révolutionnée par les avancées majeures réalisées en génétique à partir de la fin du XXesiècle. Mais ce progrès génétique a pu aussi créer une défiance d’une partie de la population scientifique et civile, notamment avec la multiplication des controverses sur les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM). Or, dans chacune de mes interventions au sein d’un public familiarisé avec les sciences sociales, la question revenait inlassablement : « a-t-on affaire à des OGM ? ». Car les controverses sur les OGM ont sensibilisé les personnes qui s’intéressent au sujet, à des questions aussi variées que celles qui concernent l’éthique des manipulations du vivant pour la production agricole, mais également celles qui sont liées à la gouvernance des ressources génétiques, au problème du lobbying des grandes entreprises phytopharmaceutiques, ou encore aux risques pour l’environnement. Surtout, les incertitudes juridiques et techniques se multiplient à la fin des années 2000, comme Céline Granjou et Egizio Valceschini le montrent concernant la certification des produits permettant de prouver l’absence d’OGM (Granjou et Valceschini, 2004). Dans ce brouillard ambiant autour de la nature des innovations variétales, je suis repartie d’une question très basique : mais qu’est-ce au juste, les cépages résistants? Par quels procédés techniques sontils créés et sélectionnés ?

Pour répondre à cet enjeu théorique et méthodologique, je me suis intéressée à la succession des opérations minutieuses nécessaires à l’obtention de cet objet particulier, le cépage résistant. Le sélectionneur choisit les parents, permet la rencontre entre deux gamètes, sélectionne parmi les pépins obtenus et entre-temps devenus plantules, ceux qui sont résistants. Puis il met en place un dispositif d’expérimentation et de sélection par rapport à des critères qu’il a hiérarchisés auparavant ou sur le tas. Bien sûr, toutes ces opérations ne sont pas réalisées par une seule personne, elles impliquent des traductions et elles engagent des dispositifs techniques précis. Les obtenteurs mobilisent des outils et des dispositifs scientifiques liés à la génétique, ne serait-ce que la sélection assistée par marqueur (SAM), qui permet de repérer la présence ou l’absence de certains gènes d’intérêt, elle-même s’appuyant notamment sur la PCR (polymerase chain reaction), c’est-à dire un procédé de biologie moléculaire qui permet de repérer la présence d’une séquence d’ADN particulière. Les dispositifs techniques sont eux-mêmes parfois enchâssés les uns dans les autres.

Les procédés utilisés pour créer des innovations techniques sont au cœur de l’attention portée par des travaux en sociologie de l’innovation. Ces recherches s’intéressent aux innovations par les mondes (socio-économiques, parfois culturels, politiques, etc.) qu’elles embarquent, mais en partant toujours des détails les plus techniques et précis du travail des techniciens et scientifiques impliqués (Winner 1980; Akrich 1987; Shapin et Schaffer 1993; Latour 1993). Bruno Latour suit minutieusement les différentes étapes du travail de botanistes et de pédologues autour de la question de l’évolution de la forêt amazonienne en un point précis. Les prélèvements, de plantes ou de sols sur le site, deviennent des outils de production de connaissance seulement une fois que le chercheur rentré dans son laboratoire peut les comparer avec les prélèvements obtenus lors des missions antérieures. Madeleine Akrich, en décrivant le dispositif technique d’un kit d’éclairage photovoltaïque, observe les usages et montre comment cela reconfigure simultanément les kits et leurs usages. Un argument majeur défendu par de nombreux travaux dès le début des STS est que les éléments techniques ne sont pas déconnectés de raisons économiques et politiques. Parfois une volonté politique claire implique des choix techniques : Langdon Winner a montré au début des années 1980 que les ponts qui permettent d’accéder aux parcs de loisir de Long Island à New York ont été dimensionnés à l’origine pour les voitures, afin de limiter le passage de bus, moyens de déplacement privilégiés des populations noires (Winner, 1980). D’autres fois, cette distinction n’est pas aussi claire, comme nous l’ont montré un certain nombre de travaux, et notamment ceux de Gay Hawkins, Emily Potter et Kane Race sur un objet d’usage courant : la bouteille d’eau (Hawkins, Potter, et Race 2015).

Mais la résistance n’est pas une caractéristique comme les autres, c’est une caractéristique dynamique, qui existe seulement dans l’interaction entre la vigne et son pathogène. Et le premier problème partagé par plusieurs acteurs, dont on m’a aussitôt parlé lors de l’enquête, est le risque de perdre cette caractéristique, qu’elle devienne inopérante en quelque sorte. Au-delà de l’analyse des opérations techniques à réaliser pour obtenir des cépages résistants, je me suis intéressée à celles qui permettent de maintenir, voire de consolider la résistance. Cela rejoint dans un certain sens un courant plus récent de la sociologie de l’innovation qui se structure non plus sur la création de nouveaux objets techniques, mais sur la maintenance des objets techniques déjà existants. La maintenance est alors à comprendre comme l’ensemble des actions nécessaires pour stabiliser l’état d’un objet soumis à l’usure, et anticiper ses pannes. David Pontille et Jérôme Denis parlent du « soin des choses » (Denis et Pontille 2020). Ces recherches permettent de penser la qualification des choses en continu, dans un rapport et une attention aux choses sans cesse renouvelés : si la résistance évolue, change de qualité, comment les acteurs se rendent-ils sensibles à ces modifications de la plante ? Est ce que ce sont les mêmes acteurs que ceux impliqués dans la création variétale ?

Lier matériel végétal et terroirs, ou comment faire tenir ensemble la qualité œnologique et la résistance aux maladies ? 

La filière vitivinicole française a, notamment dans certaines régions où la vigne est cultivée depuis de nombreux siècles, construit une partie de sa reconnaissance sur des terroirs, eux-mêmes reconnus pour la qualité des vins produits. Dans ces terroirs, quelques cépages emblématiques sont majoritairement cultivés et influencent également les goûts et les typicités des vins. Comment faire alors une place aux cépages résistants, dont les qualités sont encore incertaines ? À partir du milieu des années 2010, l’INRA s’organise en partenariat avec l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) pour créer des cépages résistants adaptés aux terroirs vitivinicoles. L’idée est d’alimenter la démarche de création variétale avec des problématiques et atouts propres aux terroirs. Comment les acteurs des terroirs font ils le lien avec les questions de matériel végétal ? Comment les sélectionneurs s’emparent-ils des problématiques propres à chaque terroir ? Comment faire tenir ensemble des exigences vis-à-vis de la résistance aux maladies et de la qualité œnologique ?

La question du matériel végétal est abordée dans la littérature en sciences humaines et sociales par deux types de travaux. Un premier type a comme objet d’étude la filière agro-alimentaire et la question du matériel génétique et des variétés utilisées y est abordée au détour d’un chapitre (Dupré 2002; Garçon 2015; Congretel 2017; Guthman 2019). L’innovation variétale est alors une composante d’un assemblage, pour reprendre le terme choisi par Julie Guthman (2019), c’est-àdire qu’elle est intimement liée à l’ensemble des entités interdépendantes qui composent la filière. Mélanie Congretel montre que l’usage de variétés hybrides de guarana est associé à l’usage de différents intrants chimiques qui permettent d’assurer sa forte productivité (Congretel 2017). Julie Guthman développe l’exemple de la fraise produite en Californie, distribuée dans l’ensemble du pays, qui nécessite des variétés qui ne sont pas fragiles au transport quitte à ce qu’elles soient plus sensibles aux maladies, car cela peut être compensé par l’usage de produits phytosanitaires (Guthman 2019). Dans le cas d’étude développé par Lucile Garçon sur les pommes de terre en Ligurie, elle suit un collectif de producteurs qui s’intéressent à l’innovation variétale pour reproduire une variété ancienne, associée à des recettes de spécialités locales (Garçon 2015). La question des espèces et des variétés qui doivent être utilisées se pose à un moment donné dans tous ces travaux, bien que ce ne soit pas le cœur de l’enquête. Ces recherches ont le mérite de développer une réflexion proche des problèmes des acteurs, et où les éléments qui constituent un environnement ne doivent plus être pensés comme des entités passives, mais comme des entités complètement intriquées dans la vie sociale, au sens où elles influencent les décisions prises. Le terroir est alors totalement nié car la variété doit pouvoir être utilisable partout (cf. le cas du travail de Julie Guthman sur les fraises), ou magnifié si l’on cherche à obtenir une variété spécifique à une production locale (cf. le cas du travail de Lucile Garçon sur la mise en valeur d’une cuisine de terroir).

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Table des matières

Remerciements
Table des illustrations
Table des annexes
Abréviations et acronymes
Introduction générale
1. Problématique de la thèse
2. Les questions de recherche
2.1. La résistance aux maladies : par quelles opérations techniques ?
2.2. Vivre avec les pathogènes : accepter leur capacité d’action ?
2.3. Lier matériel végétal et terroirs, ou comment faire tenir ensemble la qualité œnologique et la résistance aux maladies ?
2.4. Décentraliser la création variétale pour l’agroécologie ?
3. A l’épreuve du terrain : suivre les cépages résistants dans leur pluralité
3.1. Faire une thèse à l’INRA, sur l’INRA
3.2. Suivre l’ébullition en Languedoc
3.3. Enrichir l’enquête par la singularité du cas Pugibet
3.4. Enquêter sur l’évaluation des variétés dans les archives de la section vigne du CTPS
3.5. Suivre un projet de création variétale en cours : EDGARR
4. Arguments par chapitre
Chapitre 1 Résister ! Une aptitude commune aux vignes, aux scientifiques, aux acteurs de la production viticole mais aussi aux agents pathogènes
1. L’innovation variétale pour une résistance durable
1.1. Une décision officielle qui s’appuie sur une définition généticienne de la résistance et le risque de contournement
Le premier contournement d’un gène de résistance au mildiou en 2010
Le risque de contournement
Penser la résistance comme bien commun ?
1.2. Faire entrer les gènes en politique : pyramidage et durabilité
Une architecture génétique qui lie le programme ResDur et la sélection d’Alain Bouquet
Enrôler la génétique pour la ségrégation des individus
ResDur embarqué dans un double mouvement de concentration de la recherche : vers la vigne et vers les gènes
1.3 Les variétés Bouquet attendues en Languedoc-Roussillon
2. Des incertitudes grandissantes face à de nouveaux cas de contournement
2.1. Le gène de résistance totale Run1 contourné
2.2. Différencier « monogénique » et « monolocus »
Articles dans Vitisphère : l’association d’éléments hétérogènes
2.3. Pyramidage avec un gène contourné
2.4. La pression des professionnels
3. La dé-scription des variétés résistantes
3.1. La menace du Super Mildiou : les cépages et leur environnement sociotechnique
3.2. L’absence du viticulteur dans le script de la résistance durable
3.3. Le viticulteur, un partenaire pour stabiliser le vivant ?
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2 – L’hybride comme catégorie ? Interroger le lien entre la qualité œnologique et l’appartenance à Vitis vinifera
1. Inscrire les cépages résistants en tant que Vitis vinifera ?
1.1. A l’origine de la controverse, l’expérience allemande
1.2. Une qualification de l’espèce lors de l’inscription : la DHS, un examen « purement technique » ?
2. Considérer les enjeux politiques et économiques des catégories botaniques
3. L’ampélographie au cœur du débat
3.1. « Appeler un chat un chat » : la force des métaphores
3.2. Le « cépage résistant » : un abus de langage ?
4. La qualité intimement liée à l’appartenance Vitis vinifera
4.1. Le spectre des « vrais hybrides » ou hybrides producteurs directs
4.2. Communiquer sur la proximité des variétés avec les Vitis vinifera : l’indice d’introgression
4.3. Proposer un nouveau partenariat avec les hybrides
Conclusion du chapitre 2
Chapitre 3 – Enquête(s) sur les cépages résistants en Languedoc
Première épreuve : les cépages résistants issus de la sélection française ne sont pas prêts Remise en démocratie de la sélection variétale
1. Epreuve n°1 : les variétés françaises ne sont pas « prêtes »
1.1 Pas prêtes, mais expérimentées par différents instituts techniques en Languedoc
Un programme de recherche sur les vins à teneur réduite en alcool
L’aventure industrielle du jus de raisin
L’expérimentation en Chambres d’Agriculture
1.2 La quête des cépages résistants tout azimut : le cas Pugibet (2009)
La découverte des cépages résistants
Une aversion renforcée pour les administrations
1.3 La prise de conscience d’une innovation à faire connaître : le rôle moteur de l’ICV (2009- 2010)
Les voyages d’étude (2010-2011)
Guide de cépages résistants (2013)
2. Epreuve n°2 : le problème de la réglementation
2.1 Inscrire les variétés pour les connaître en Chambres d’Agriculture
2.2 Réinterroger la position française sur l’expérimentation des cépages
Se jouer des failles de la réglementation (et ne pas s’accorder sur ce qu’expérimenter signifie)
Inscrire une variété au catalogue officiel pour expérimenter l’administration
Création du syndicat Piwi France
3. Epreuve n°3 : Les cépages Bouquet stoppés
3.1 En Chambres d’Agriculture : la tentative de faire changer d’avis l’obtenteur
3.2 Collaborations multipl(ié)es à l’INRA de Pech Rouge
3.3 Enrôlements autour des cépages Bouquet à partir de 2016
« Une pression insupportable »
L’enrôlement des producteurs, éprouver les cépages par leurs individualités
La mobilisation des élus – l’implication de l’OPECST
Conclusion générale

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