La rencontre entre Orient et Occident

La rencontre entre Orient et Occident

J’ai décidé de commencer mon propos en analysant la rencontre entre Orient et Occident car celle-ci constitue le point de départ fondamental de l’histoire des opéras choisis.
Cette rencontre, qui est physique, est possible car l’Orient et l’Occident sont deux mondes distincts et que les Occidentaux cherchent à découvrir cet autre monde. Sans cette rencontre il n’y aurait pas la création de représentations stigmatisantes et stéréotypées de l’autre, en l’occurrence de l’Orient. Ainsi, la notion de rencontre me permet de situer tout mon propos dans l’orientalisme d’Edward Saïd et également d’aborder le concept géographique de lieu (« Portion déterminé de l’espace » selon le dictionnaire le Robert Plus de 2007).
En effet, ce sont dans les lieux que se déroulent et se localisent des phénomènes géographiques. La notion de « rencontre » (fait que deux personnes se trouvent être en contact) se situant dans la géographie sociale nous permet d’analyser la rencontre à partir du lieu, d’autant plus que ce lieu est déterminant pour l’action et permet de poser certaines questions.
Si l’histoire de l’opéra se déroulait en Occident, nous n’aurions, tout d’abord, pas la découverte d’une culture étrangère à la nôtre, mais surtout nous questionnerions sûrement de manière différente l’issue de l’opéra. Les enjeux ne seraient pas les mêmes et bien que certaines questions resteraient identiques (par exemple : les amants arriveront-ils à s’enfuir ? etc.), le fait d’être dans un lieu totalement étranger au nôtre ferait évoluer les questions. C’est d’ailleurs ce que j’ai pu constater : l’Occidental va-t-il dominer dans un pays qui n’est pas le sien ? L’homme oriental peut-il être meilleur que l’occidental ? La femme occidentale est-elle identique à la femme orientale ? Ainsi, la question du lieu amène de nombreuses et nouvelles questions et, parce que le lieu se trouve être différent, l’Homme en vient à interroger l’altérité. L’altérité est un concept souvent utilisé au sens philosophique pour désigner la découverte d’un « autre » qui se trouve être totalement différent de nous. Mais, pour approfondir cette question de l’altérité, il faut comprendre que celle-ci vient d’une volonté de comprendre l’autre, ce qui permet la relation entre les protagonistes. Si l’altérité n’a pas lieu alors les deux mondes se trouvent être en confrontation et ils ne peuvent par conséquent pas se comprendre.
L’opéra étant une culture de masse à ses débuts (comme je l’ai expliqué dans l’introduction), il constitue un excellent moyen de faire voyager les spectateurs et de leur faire découvrir une culture différente de la leur. Il permet également de faire miroir ou écho à l’actualité.
Dans cette partie je cherche à démontrer comment la rencontre est possible, c’est-à dire quelles sont les modalités requises pour que la rencontre ait lieu. C’est pourquoi la première partie visera à problématiser les opéras afin de rendre compte du fait que l’histoire est basée sur la rencontre entre deux mondes et s’inscrit dans ce mouvement orientaliste.En ce qui concerne Les pêcheurs de perles,j’expliquerai qu’il n’y a pas de rencontres physiques.
Son but est de faire découvrir un peuple qui habite sur une île, qui paraît pourtant inhabitée, mais dont on parle car l’ethnologie se crée.
Il s’agit de faire découvrir aux spectateurs occidentaux des cultures différentes. Ensuite, je rendrai compte des références historiques et culturelles qui font que les opéras sont écrits sur ces thèmes précis. Enfin, j’analyserai le concept d’altérité à travers la représentation des lieux et la représentation de la femme comme objet de désirs et de fantasmes.

Présentation des trois opéras : une histoire « orientaliste »

Pour commencer mon travail d’analyse, il me faut tout d’abord présenter les trois opéras que j’ai sélectionné car, en effet, leur histoire se trouve être « orientaliste ». J’emploie ici le terme « orientaliste » dans le sens où les opéras traitent de sujets d’inspirations orientales et qu’ils ont été écrits par des Occidentaux ayant une certaine représentation de l’Orient. L’utilisation de ce terme me permet également d’évoquer l’orientalisme d’Edward Saïd, à ceci près que j’estime que l’orientalisme ne débute pas avec la conquête de l’Égypte que l’auteur analyse à travers les discours de Balfour. En effet, si l’on reprend cette citation disant que l’Orient « a presque été une invention de l’Europe » (Saïd, 2015, p.30) alors on peut l’utiliser pour dire que cette invention ne date pas seulement de la colonisation. Elle est, pour moi, bien plus ancienne, à en juger par la date de composition de certains opéras véhiculant des représentations stéréotypées de l’Orient et traitant de la rencontre entre Orient et Occident. J’ajoute que ces trois opéras sont des moyens de donner à voir l’Orient : ils participent à la création, à l’invention de l’Orient, puisqu’ils cherchent à reproduire sur scène un lieu étranger et exotique, afin de montrer au public qui ne voyage pas que l’Orient vient à eux pour être découverte.
Nous verrons également à travers ces résumés d’opéras de quelle manière nous nous trouvons dans la logique que François Hartog décrit dans son livre Le miroir d’Hérodote : Hérodote, en voyageant et en décrivant ce qu’il découvrait dans les autres sociétés, se décrivait lui-même par miroir. À la différence, dans les opéras présentés, il est possible que le protagoniste parle de ce qui est bien/bon chez lui et sous-entende ainsi que ces valeursexemplaires dont il dispose n’existent pas en Orient. Il s’agit de tout faire pour que le spectateur découvre l’autre, l’étranger, l’altérité.

Un contexte d’écriture marquant l’opéra

« Au siècle de Louis XIV, on était helléniste, maintenant, on est orientaliste. Il y a un pas de fait. Jamais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie… Le statu quo européen, déjà vermoulu et lézardé, craque du côté de Constantinople. Tout le continent penche à l’Orient. »

Victor Hugo, Les Orientales

L’opéra prend appui sur son époque et son histoire qui constituent un arrière-plan riche sur lequel il est possible de s’appuyer pour écrire les livrets. Comme le dit Hugo, le continent occidental a le regard tourné vers l’Orient car c’est cet endroit qu’ils cherchent à découvrir. De fait, les compositeurs et librettistes sont influencés par les évènements historiques marquants qu’ils vivent. En tant qu’artistes, ils s’en imprègnent forcément, au point de le faire ressentir dans leur opéra. Certains opéras font l’objet d’une commande pour un évènement particulier (comme nous le verrons ci-dessous pour L’enlèvement au sérail) ancrant ainsi l’opéra dans un contexte historique tout à fait particulier. Cette seconde souspartie me permet par conséquent de continuer ma démonstration en appliquant une dimension plus réelle en prenant en considération le contexte historique de la création de l’opéra, qui dépasse dès lors la simple histoire fictive. Cela renforce l’idée qu’il y a bien une rencontre, qu’elle n’est pas que fiction mais au contraire réelle. Il est intéressant de constater que cette rencontre n’est pas qu’historique : elle est également culturelle. En effet, la découverte de cet autre monde a permis à la culture de ce dernier de rayonner et de créer certaines modes en fonction de l’époque dans certains pays.
Puisque l’opéra était une culture de masse, il s’agissait de plaire au maximum de personnes, ce qui explique pourquoi les compositeurs suivaient les modes et inscrivaient dans leurs travaux des ornementations rappelant l’Orient.
Ceci permettait également de faire voyager les spectateurs et de leur donner un aperçu musical d’un monde qui leur était étranger.

Des références historiques : créations de « plusieurs » Orients

J’évoque ici l’idée qu’il y a plusieurs Orients, tout simplement parce qu’à l’époque où ont été écrits ces opéras, l’Orient est entendu comme le monde n’étant pas occidental. De fait, à partir du moment où l’on s’éloigne de l’Occident et que l’on trouve des peuples aux religions différentes et aux langues différentes, alors on est en Orient.
Dans les opéras que j’étudie, cette idée des Orients multiples est vraiment marquante car chaque opéra évoque un Orient différent. Comme je l’ai mentionné dans l’introduction, je me trouve en présence de L’Empire Ottoman, de l’Ile de Ceylan et du Japon. Tous sont des Orients. L’Orient viennois est donc particulier par exemple. Pour eux, l’Orient est là où l’on parle turc, arabe ou perse.
« A cela répond encore une incertitude spatiale, qui est propre aussi à l’orientalisme. Géographiquement parlant, l’Orient est fluctuant et incertain.»
L’Orient est là où on en parle. Il répond plus à des codes esthétiques et moraux qu’à une localisation formelle et définitive.
Finalement le terme Orient devient en quelque sorte un terme un peu « fourre-tout » où l’on peut insérer chaque destination qui représente une altérité, c’est-à-dire un monde étranger au monde occidental. Le contexte historique peut avoir un impact significatif sur la création de l’opéra puisque certaines parties du monde évoquent plus tardivement un intérêt pour l’Occident.
Bien que le livret de l’opéra puisse être tiré d’une histoire ancienne ou non, il reflète une vision actuelle de la société. Dans la mesure où il s’agit de plaire aux spectateurs afin de connaître le succès, l’opéra se doit de « coller » aux évènements qui ont lieu au moment de sa création tout en confortant les gens dans leurs opinions. C’est en ce sens que l’analyse géopolitique est importante car elle permet de comprendre que l’opéra est aussi un instrument politique, c’est-à-dire que l’opéra donne à voir sa position et sa décision dans certaines situations.

L’enlèvement au sérail

Cette histoire est écrite en 1782 par Johan Gottlieb Stephanie et mis en musique par W.A. Mozart. Cet opéra est écrit, au départ, pour répondre à une commande de l’Empereur Joseph II d’Autriche qui souhaite honorer la venue du duc Paul de Russie, futur tsar, à Vienne. L’opéra reflète donc une certaine réalité puisque, cette année-là, Catherine II de Russie propose à Joseph II de s’allier contre l’Empire Ottoman afin de gagner la guerre contre eux et de se partager ensuite, le territoire s’il y a victoire. Joseph, qui veut reprendre les hostilités envers les Turcs, s’allie à l’impératrice de Russie et déclare la guerre à l’Empire Ottoman. C’est d’ailleurs en 1782 que Catherine II envoie sa flotte en mer Égée et s’empare de la Crimée : l’Empire Ottoman subit donc de cuisantes défaites.
L’opéra aura été un bon moyen pour montrer son engagement dans cette alliance ainsi que son ressentiment face aux Turcs. Il faut rappeler que l’opéra fait partie de ce que l’on appelle le soft power. Bien que ce concept soit développé bien plus tard (XX ème siècle) par Joseph Nye, il traduit tout à fait l’utilisation que fait Joseph II de l’opéra en Allemagne puisque Joseph II va se servir de l’opéra pour faire rayonner la culture allemande et renforcer son identité nationale.
Finalement, cet opéra de Mozart n’est pas créé pour cette occasion précise, mais un peu plus tard, tout en gardant à l’esprit que l’Empire Ottoman est l’ennemi de l’époque. Mozart et son librettiste prennent le partie d’évoquer la rencontre entre Espagnols et Turcssans parler de l’Empire Ottoman.
Historiquement, les vassaux Ottomans, les Turcs, mènent tout au long du XVIème siècle des pillages contre les comptoirs espagnols : ils pillent en général les villes du littoral, enlèvent certains habitants pour en faire des esclaves et repartent rapidement dans leurs pays.
Mais ils attaquent aussi des bateaux, c’est d’ailleurs à cause de cette référence historique que l’histoire de L’enlèvement au sérail peut avoir lieu puisque Constance, Blonde et Pédrillo sont enlevés et enfermés dans le palais du Pacha Selim.Nom qui n’est pas inconnu puisqu’il réfère à Selim II qui régna sur l’Empire Ottoman du temps où de grandes expéditions sur mer et terre ont eu lieu contre les Russes et les Autrichiens, ces derniers ont été assiégés à Vienne en 1683. S’ajoute aussi la rivalité religieuse traditionnelle entre les chrétiens et les musulmans. Tout ceci permet de montrer que l’opéra traite de cette rencontre et s’en sert pour en faire une histoire, celle-ci s’inspirant de faits historiques. Également, cet opéra est l’un des premiers de son genre puisque c’est un Singspiel, c’est-à-dire un opéra caractérisé par une alternance de passages chantés et parlés.
En effet, Joseph II, couronné en 1776, veut favoriser l’émergence d’un opéra allemand au Burgtheater de Vienne. Il veut également promouvoir la langue allemande dans l’opéra lors de la création du Nationaltheater en 1776, c’est pour cela que l’opéra n’est pas composé sur un livret italien (langue qui domine pourtant l’opéra à cette époque), mais sur un livret en allemand. Joseph a déjà la conviction qu’il faut éveiller la conscience nationale.
Malheureusement, ce sera un échec puisque le Nationaltheater sera remplacé par une troupe d’opéra bouffe italien. La mode étant à l’italien, il est difficile d’aller à contre-courant bien que cette ambition s’inscrive dans une optique de développement et de rayonnement culturel.

Madame Butterfly

Cet opéra a été composé en 1903 à partir de plusieurs sources littéraires : le livre Madame Chrysanthèmede Pierre Loti paru en 1887, puis le feuilleton Madame Butterflyen 1989 de John Luther Long donnant par la suite la pièce de théâtre de David Belasco. C’est donc une histoire qui a été revisitée plusieurs fois. Comme je l’ai dit auparavant, c’est l’histoire d’un Américain qui arrive au Japon, se marie avec une Japonaise et découvre sa culture avant de l’abandonner, estimant que sa véritable épouse sera américaine. Du point de vue du contexte historique, il est intéressant de constater que les auteurs de cette histoire ce sont inspirés du contexte historique pour évoquer les relations entre le Japon et les États-Unis qui débutent en 1853 avec l’arrivée du commodore Perry dans l’Empire japonais.
Le Japon était un pays très fermé aux étrangers malgré les tentatives pour accéder à ce pays exotique. Après un certain temps de négociations, les Américains parviennent à contraindre les Japonais à s’ouvrir sur le monde extérieur et à les accueillir chez eux.
D’un point de vue historique, il y a déjà une certaine domination américaine, occidentale, sur le Japon qui représente un Orient. En 1854, le gouvernement autorise les bateaux américains à se réapprovisionner dans les ports japonais et un consul américain est même autorisé à s’établir sur le sol japonais. Par la suite les relations entre les États-Unis et le Japon s’améliorent avec la signature de divers traités. Le Japon apprend des Américains et décide de copier les modèles occidentaux, c’est pour cela que ce pays se lance dans l’industrialisation et la colonisation.
Il est possible de retrouver ces éléments dans l’opéra puisque l’histoire se déroule à Nagasaki qui est une ville portuaire où les navires américains peuvent s’arrêter pour se réapprovisionner. Pinkerton y rencontre le consul américain Sharpless ; la présence de ce dernier montre bien qu’il y a des relations diplomatiques entre les deux pays. On mentionne également dans le livret la présence de « la mission », c’est-à-dire la mission chrétienne pour ceux qui souhaiteraient se convertir au christianisme. Les Américains importent donc leur mode de vie au Japon.
De plus, à ce moment, en Italie, nous sommes en plein courant Vérisme qui est un terme provenant de l’italien verismo formé de vero qui veut dire « vrai ». C’est un mouvement littéraire né en 1890 qui est proche du naturalisme français. Son principe fondamental est d’ancrer ses sujets dans la réalité sociale du XIX ème siècle.
Les opéras véristes se déroulent donc dans un cadre réaliste avec des situations issues de la vie quotidienne. On fait place à l’homme du peuple qui, auparavant, n’avait pas sa place sur scène et n’était que très rarement cité. Dans le vérisme, cet homme du peuple est désigné comme étant le véritable héros de l’époque. C’est le cas du personnage de Madame Butterfly. C’est ce courant vériste qui permet à Puccini, dans son opéra, de montrer une Geisha épousant un homme américain plutôt riche ; Geisha qui devient rapidement l’héroïne de l’opéra. Puccini nous montre le quotidien et cherche à être le plus fidèle possible lorsqu’il évoque la culture japonaise, d’où les détails qui nous sont donnés sur la maison japonaise, sur les croyances et même sur la signification du nom des gens. Puccini s’appuie donc sur le contexte historique de l’époque et sur un contexte culturel particulier pour exploiter l’histoire et le monde étranger qu’il offre à découvrir à travers son œuvre.

Les pêcheurs de perles

En ce qui concerne cet opéra, le contexte historique peut se retrouver dans certains aspects mais de manière beaucoup moins frappante. En effet, Les pêcheurs de perles est en quelque sorte l’opéra qui me permet de nuancer mon propos, en disant que tous les opéras ne reposent pas toujours complétement sur le contexte historique. Contrairement à L’enlèvement au sérail qui fut une commande avant de devenir un opéra créé dans un but de faire rayonner la culture allemande ou à Madame Butterfly qui reposait exclusivement sur une première histoire prenant appui sur la rencontre entre Amérique et Japon, Les pêcheurs de perle ne traite en rien d’un sujet réellement actuel pour l’époque. En revanche, certains aspects de l’opéra rendent compte de la société dans laquelle il a été écrit. En effet, la présence de la religion comme étant un instrument de pouvoir reflète bien une société, à l’époque de Bizet, où la religion était liée au pouvoir du dirigeant. À tel point d’ailleurs que la religion avait tendance à primer sur le pouvoir du dirigeant puisque le peuple craignait d’avantage son/ses dieu(x).
Le XIXème siècle commence à étudier l’Orient à travers la naissance de l’ethnologie qui est une science humaine et sociale qui apparaît fin XVIII ème et qui prend de l’importance tout au long du XIX ème . Au départ, cette science relevait souvent de la « classification des races », c’est-à-dire qu’elle cherchait à étudier, à travers des documents pouvant être rapportés par des explorateurs les peuples étrangers pour les classer. Nous nous trouvons donc dans une époque qui cherche à accentuer son identité par le biais de la découverte d’autres peuples, ce qui offre un arrière-plan permettant de nourrir cet opéra.
Comme je l’ai dit auparavant en résumant Les pêcheurs de perles, nous avons dans cette œuvre un peuple nomade, sauvage, qui se retrouve sur un littoral de l’Ile de Ceylan, qui, en 1863, évoque une Ile colonisée par l’Empire britannique. Cette colonisation nous permet de découvrir ce peuple qui est différent du nôtre, et qui paraît être, en tous points, opposé à nos valeurs et à ce que nous sommes. Néanmoins, dans leur société, ils doivent élire un roi et se soumettre à leur religion, ce qui se rapproche énormément de nos sociétés de l’époque.
L’Ile de Ceylan est historiquement connue pour la culture de ses perles, on comprend donc pourquoi Bizet en a fait le titre de son opéra. La culture de la perle étant ce qui fonde la différence entre eux et nous. La culture de la perle les oblige à être nomade et c’est justement parce qu’ils sont nomades, l’ethnologue de l’époque classe ce peuple comme étant un peuple de bons sauvages un peu barbares, ayant une religion polythéiste et de nombreuses craintes face aux éléments naturels.
Le contexte ou du moins les références historiques impliquent également quelques références culturelles car l’histoire est marquée par les courants artistiques qui se déploient en Occident, notamment grâce à la découverte de l’Orient. Il s’agit à présent d’évoquer les deux courants principaux sur lesquels vont s’appuyer les opéras que j’ai choisi d’analyser.

Des références culturelles musicales : l’orientalisme dans l’opéra

L’orientalisme en musique n’est pas présent seulement grâce à la période historique dans laquelle il a été écrit.Ce n’est pas un courant ni une technique artistique, mais plutôt un thème ou même une mode qui se répand en Europe entre le XVIIe et le tout début du XXe siècle. C’est pourquoi il est aussi présent à travers le fait que, culturellement, on découvre par exemple des sonorités différentes, que l’on va chercher à transmettre. Également, on s’intéresse aux instruments orientaux qui ne ressemblent pas, ou parfois ressemblent étrangement à ceux que nous connaissons.
Dans la mesure où l’orientalisme est un courant qui se base sur ce qu’il découvre de l’Orient pour renforcer sa culture occidentale, alors les courants artistiques se développant autour des découvertes permettent de montrer les différences entre les deux mondes, tout en cherchant démontrer que la culture occidentale reste la meilleure.
Le fait de nommer ces courants « japonisme » ou « turqueries » montre bien qu’ils n’ont rien à voir avec la culture occidentale, qu’ils sont le propre d’une culture bien précise et qu’ils suscitent néanmoins un intérêt important.
En ce qui concerne Les pêcheurs de perles, il n’y a pas de courant artistique précis sur lequel s’est appuyé Bizet. Je pense que ceci vient du fait que la culture indienne n’avait pas encore rayonné suffisamment jusqu’en Occident pour qu’elle ait son propre courant. Et tout comme pour les références historiques, cet opéra me permet de nuancer mon propos et de montrer que chaque opéra ne relève pas d’un courant particulier. Il est le fruit d’un désir de faire découvrir à un public un peuple différent, étranger, une altérité que l’on cherche à comprendre. J’ai trouvé dans les didascalies du livret, le nom d’un instrument illyrien (peuple indo-européen) qu’est la guzla (sorte de violon possédant une seule corde qui se frotte) permettant d’accompagner le célèbre chant de Nadir « Je crois encore entendre… ». Également Bizet va signifier musicalement, par l’utilisation des percussions, le fait que c’est un peuple tribal et sauvage.
Ainsi, bien que la musique reste pourtant très occidentale, certains passages sont orientalisés afin de donner à écouter ce à quoi peut ressembler la musique orientale.

Le japonisme

Le japonisme est, comme son nom l’indique, un courant artistique se créant grâce à la  découverte du Japon, mais ce terme de japonisme représente surtout l’engouement de l’Occident pour le Japon. Ce terme ne fait pas référence à la culture du Japon au Japon, mais bien la culture du Japon telle qu’elle est réceptionnée Occident ainsi que son influence sur les artistes et écrivains. L’art résultant de cette influence est appelé « japonesque ».
En effet, « l’extraordinaire vogue en faveur du Japon qui se propage […] dans le dernier tiers du XIXème siècle apparaît comme un phénomène à rattacher sans aucun doute à un large orientalisme, […]. Mais elle doit aussi se concevoir comme une nouvelle donne, dans la mesure où l’exotisme des années 1800-1850 s’était surtout porté sur le Maghreb, la Palestine ou la Turquie au détriment des cultures chinoises indonésiennes ou japonaises, moins sollicitées parce que d’un accès encore malaisé.» (Sabatier, in Miroirs de la musique, p.313, T.II).
Dans cette citation, Sabatier dit bien que si la ferveur envers la découverte de la culture japonaise est si intense c’est bien parce que ce pays s’est ouvert au reste du monde, cette ouverture s’établissant grâce aux traités établis avec les Américains. Sans certains évènements historiques, le japonisme ne se serait peut-être pas créé ou du moins il ne serait apparu que bien plus tard.
Ce courant transmet également l’idée que les artistes européens qui sont influencés par l’art japonais tentent de le retransmettre à travers leurs œuvres. C’est en cela que Puccini est un exemple parfait avec Madame Butterfly, puisqu’il a cherché à retransmettre cette culture japonaise dans son opéra. Puisqu’il se situe dans un mouvement de vérisme, comme nous l’avons dit plus haut, il tente de présenter avec le plus de réalité possible la culture japonaise, à travers les personnages de la Geisha et de la servante Suzuki, mais surtout à travers la maison qui est décrite lors du premier dialogue qui débute l’opéra.
De ce fait, pour écrire cet opéra, Puccini se renseigne sur les caractéristiques de la musique traditionnelle japonaise. Il étudie cette dernière afin d’apporter des touches japonaises dans sa musique et se sert alors d’airs japonais existants ou utilise par exemple la gamme pentatonique (gamme composée de cinq sons) qui est à l’origine des musiques asiatiques et grâce à laquelle il va créer toute une écriture musicale reprenant des sonorités et des caractères asiatiques et, de ce fait, exotiques.
Ainsi, à chacune des interventions mélodiques japonaises de l’opéra, Puccini associe le timbre des bois (surtout le hautbois) ainsi que des cloches japonaises ou bien encore le gong afin de soutenir l’atmosphère japonaise qui doit régner dans cette histoire émouvante.
De plus, les notes sont égrainées de manière piquée pour se rapprocher des sonorités de l musique japonaise. Grâce à la musique, Puccini marque la différence en créant un thème occidental et militaire pour Pinkerton, l’homme américain, et un thème doux et japonisant pour Madame Butterfly.
C’est aussi cette musique qui entoure le personnage de Cio-Cio-San dans quelque chose de très doux et de féminin : la femme japonaise est très jeune, elle n’a que 15 ans et la musique l’accompagnant la rend encore plus frêle et douce. Le public ressent bien qu’il n’y a aucune violence en elle, c’est d’ailleurs ce qui la perdra puisqu’elle ne se révoltera jamais contre Pinkerton qui la voue dès le départ à la mort. La musique montre cette soumission de lafemme face à l’homme conquérant qu’est l’Américain.

Les turqueries

La mode des turqueries marque toute l’Europe du XVIIIème siècle. En effet, à cette époque, « la Turquie incarne dans l’imaginaire de l’Occident chrétien la figure d’un islam destructeur, violent et stérile». Ces valeurs négatives qu’il incarne sont bien ancrées, ainsi les représentations et idées qui sont véhiculées par les personnes qui voyagent dans ce pays sont directement assimilées comme étant une vérité immuable. Il y a donc de véritables représentations de l’Orient qui ont été véhiculées par des récits et que l’on a ancré dans notre vision comme si elles incarnaient la stricte vérité. C’est pour cela que dans l’opéra, le texte insiste sur toutes ces représentations puisque dans l’imaginaire du public de l’époque elles sont réelles : le compositeur a tendance à les conforter en les montrant dans son œuvre car il offre une histoire plausible qui prouve que les Turcs se comportent bien comme on le prétend.
Les turqueries sont donc des œuvres d’inspiration orientalisme qui cherchent à rendre compte de cette culture et notamment de l’Empire Ottoman à l’époque, bien que les œuvres soient souvent plus soumises à l’imaginaire européen qu’à la réalité. Si Mozart parle de l’Empire Ottoman, c’est à la fois car la mode des turqueries est importante mais aussi parce que cet Empire est bien connu des Autrichiens puisqu’il a été leur ennemi et qu’il a marqué la culture viennoise (les fameux croissants).
L’opéra L’Enlèvement au séra il donne quelques représentations erronées de l’Orient ; mais il s’agit de respecter avant tout les pensées, fantasmes et représentations des occidentaux. Cependant, je dois nuancer mon propos en rappelant que bien que Mozart et ses librettistes estiment l’Occident supérieur à l’Orient, et que la religion chrétienne est mise en avant par rapport à l’islam, ils restent néanmoins prudents sur certains points et ne montrent pas un monde manichéen dans lequel il y aurait d’un côté les bons Occidentaux et de l’autre les mauvais Orientaux. Par ailleurs l’on sent une certaine ironie dans l’opéra car certains personnages sont beaucoup trop caricaturés, notamment Osmin dont nous avons parlé auparavant.
De plus, « la turquerie demeure étroitement liée au registre comique, propice aux caricatures, et l’authenticité n’est pas de mise.» (Le Nabour, in Dossier pédagogique sur L’Enlèvement au sérail). Les turqueries rimeraient donc avec « moquerie » ? Je pense que dans son opéra, Mozart cherche aussi à démystifier les Turcs. Ils sont cruels mais font rire car tout est exagéré. Osmin est un personnage grotesque qui n’a aucune influence et n’est finalement pas effrayant puisqu’il se fait avoir par son pire ennemi dont il disait ouvertement se méfier à chaque instant. Dans les turqueries, on ne joue pas de la musique turque, puisque nous n’avons ni les instruments ni les musiques venant de Turquie, on parle alors d’une musique dite alla turca,c’est-à-dire une musique qui se conforme à l’idée que le public a de la musique turque.
Ainsi, d’un point de vue musical dans l’opéra, on entend bien que l’œuvre présente des éléments évocateurs de l’Orient, notamment durant l’ouverture qui offre de nombreux contrastes grâce aux percussions qui entrent à un moment donné et qui donnent une impression d’exotisme et qui évoquent l’univers militaire des janissaires grâce aux tambours, cymbales et au triangle. Elles ponctuent une mélodie triomphante que l’on retrouve dans le chœur final de l’opéra. L’utilisation des percussions est vraiment importante car elle dénote d’un certain exotisme et elles signalent la violence et la barbarie de l’Oriental, c’est pourquoi elles annoncent l’arrivée des janissaires ou du Pacha Selim qui est censé être un homme cruel.
La deuxième partie de l’ouverture contraste car elle est moins rapide et les tonalités changent. « Ces contrastes plus la présence des percussions contribuent à créer une atmosphère orientale typique des turqueries musicales de la fin du XVIIIème siècle.» (Le Nabour, in
Dossier pédagogique sur L’Enlèvement au sérail). La prouesse musicale principale de L’Enlèvement au sérail réside dans la possibilité de jouer une musique à l’orientale avec des instruments occidentaux. Mozart travaille donc sur les sonorités afin de montrer au public que c’est un monde différent du leur en tout point. Cette mode des turqueries permet donc à Mozart d’écrire une musique différente qui plaît à son public et de signifier l’Orient à travers la musique, en plus des personnages, et des décors et costumes.
Ces références historiques et culturelles sont donc un apport riche pour l’opéra qui s’en nourrit et en profite pour attirer toujours plus de public souhaitant découvrir et rêver d’un monde étranger. Les modes culturelles permettent également d’inscrire l’opéra dans un mouvement artistique se tournant vers l’Orient et cherchant à le transmettre en le représentant de diverses façons.
Enfin, si cet apport culturel est possible c’est parce que l’étranger a souvent rapport avec un exotisme qui attire et séduit énormément. C’est d’ailleurs pour cela que l’on cherche à fantasmer cet Orient, afin de faire voyager le spectateur qui a plaisir à découvrir des lieux exotiques aux multiples facettes ainsi que cet érotisme intense que l’on retrouve seulement chez la femme dont le corps devient objet de fantasmes.

L’exotisme de l’altérité ou l’Orient fantasmé

La création de l’identité passe par une altérité que l’on découvre et qui, parce qu’elle est différente, nous permet d’asseoir notre propre culture. C’est ce que Saïd critique quand il dit que les orientalistes offrent des représentations de l’Orient négatives pour permettre à l’Occident de créer son identité. Cette altérité est donc primordiale. Cela peut également fonctionner dans les deux sens : les Orientaux peuvent très bien créer leur identité par opposition à l’identité occidentale. Néanmoins, Saïd se place du côté de l’Orient victime, c’est pourquoi il estime que ce processus de création d’identité par opposition à autrui, à l’autre monde n’est possible que dans un sens. Je ne peux malheureusement pas plus développer cette question d’identité car c’est un sujet extrêmement vaste qui demande des recherches et des analyses beaucoup plus complètes. La façon dont je traite des représentations tout au long de mon mémoire me permet d’aborder un unique point de la construction identitaire. « L’expérience de l’Autre, ou encore le problème du moi d’autrui et des humanités qui nous sont étrangères a, presque toujours, posé des difficultés quasi insurmontables à la tradition politique et philosophique occidentale. » (Mbembe, 2000). Cette citation résume plutôt bien la pensée que je retrouve dans l’opéra, c’est parce que l’autre, l’altérité exotique pose des difficultés de compréhension que l’Homme occidental cherche à ce point à le saisir et à le représenter. Le fait de représenter permet d’apporter une certaine compréhension de l’autre tout en réconfortant l’identité occidentale dans son opposition à l’identité orientale. Malheureusement, cette représentation est souvent exagérée au point de devenir caricatural et de montrer un Orient erronée relevant plus du fantasme que de la réalité.
Cette partie me permet par conséquent de développer  après avoir analysé les références historiques et culturelles et expliqué en quoi l’opéra se trouve problématisé de manière orientaliste la question de l’altérité. Cette notion est fondamentale dans la question de la rencontre, car si rencontre il y a, c’est parce que l’altérité attire et fait rêver.
L’altérité, qui est à la base une notion philosophique, est au fond un concept assez géographique (géographie sociale notamment) car elle exprime la différence et montre de ce fait une binarité, non pas que le monde se trouve être manichéen, mais parce que l’altérité démontre ici dans le cadre de la rencontre entre Orient et Occident qu’il y a une personne Occidentale et que son autre est Oriental, c’est-à-dire différent, celle-ci devenant dès lors son altérité. Cela implique la découverte d’un lieu exotique. Ici, le terme « exotique » est à entendre dans le sens où ce sont des lieux « qui (dans une perception, notamment la perception occidentale) est perçu comme étrange et lointain et stimule l’imagination» (selon Le Robert Plus de 2007).
Dans un premier temps, je commencerai par développer l’altérité du lieu et la perception exotique qu’il offre. Le lieu est à la base de tout commencement car pour que l’histoire puisse se dérouler il faut un lieu ; c’est seulement après que la découverte du lieu que l’on peut avoir des protagonistes.
Dans un second temps, j’aborderai le fait que l’altérité de la femme dans l’opéra se situe entre exotisme et érotisme en précisant que si elle incarne une altérité fiévreuse et fantasmée c’est bien parce que ce sont les hommes, à l’époque comme aujourd’hui d’ailleurs, qui créent en général les fantasmes, d’autant plus quand nous nous trouvons dans une société soumise à l’homme.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

1. La rencontre entre Orient et Occident
1.1 Présentation des trois opéras : une histoire « orientaliste »
1.2 Un contexte d’écriture marquant l’opéra
1.3 L’exotisme de l’altérité ou l’Orient fantasmé
2. La représentation de la société grâce à la rencontre entre deux mondes étrangers
2.1 La représentation du pouvoir : quelle est sa place dans l’opéra ?
2.2 Les représentations stigmatisantes et stéréotypées de l’autre

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *