La renaissance des bibliothèques de prison

La renaissance des bibliothèques de prison

La lecture, une arme de moralisation

Si l’on trouve des traces de la présence de bibliothèques en milieu carcéral sous le Second Empire, ainsi que des textes témoignant des différentes politiques de lecture en prison, ce n’est vraisemblablement qu’à partir de 1963 que la lecture en milieu carcéral est pensée sur le plan professionnel. En effet, constatant le goût toujours plus grand des détenus pour la lecture, le Ministère de la Justice décide cette année là, d’uniformiser la politique de lecture en milieu pénitentiaire en créant un poste de bibliothécaire professionnel à temps plein, au sein du service des bibliothèques de la direction de l’administration pénitentiaire. Cette initiative était alors pour le ministère, un moyen de renouveler le fonctionnement du service de lecture en le mettant à la charge de personnes compétentes dans ce domaine, sans toutefois changer l’orientation donnée à ce service depuis 1864, à savoir : « faire sur le coeur et l’esprit des détenus une impression propre à concourir à leur amendement et à leur instruction »1.

Derrière cette formulation progressiste pour l’époque, se cache en réalité une pratique déjà très ancienne et qui perdurera encore longtemps après 1963, consistant en la moralisation des esprits par la prescription de lecture. En effet, le livre si apprécié par les détenus2, est alors utilisé, non seulement comme moyen pour pallier « l’oisiveté des détenus »3, mais aussi comme « objet de conquête de la vertu »4, cette vertu que possèdent les personnes allant dans le droit chemin, celui-là même que suit la société toute entière. Aussi, comme le formule Paul HENWOOD, premier bibliothécaire de la DAP – et il gardera ce poste vingt et un ans – la règle de tri des ouvrages accessibles aux détenus reste la même après sa nomination. Celle-ci repose sur une sélection inversée, on pourrait aussi dire sur une prescription implicite, c’est-à-dire qu’elle ne résulte pas d’un choix de livres pour leurs apports culturels, artistiques et intellectuels, mais plutôt de l’interdiction d’ouvrages n’amenant pas les détenus vers ce principe de vertu, vers ce travail moral salutaire.

En cela, le principe prohibant sur lequel est fondée la politique documentaire de la bibliothèque de la DAP, semble révéler la finalité première de cette réforme pénitentiaire, qui ne reposerait pas tant sur l’amélioration des bibliothèques que sur le renforcement de la politique de contrôle de la lecture. Autrement dit, la professionnalisation du service de lecture et les acquisitions faites par l’AP, reflètent moins la prise en compte des besoins culturels des détenus que la volonté de mieux influencer leur esprit par la lecture. Par conséquent, sont ainsi interdits jusque dans les années 1980, les livres politiques, policiers et polissons5. Néanmoins, il ne semble pas, à prime abord, y avoir d’opposition claire entre la lecture d’ouvrages politiques ou policiers et une lecture « instructrice. », concourant vers une prise de conscience de ses actes et rendant les hommes plus vertueux. Au contraire, les bibliothécaires d’aujourd’hui tendent à qualifier la portée des ouvrages policiers comme allant dans le sens de la morale : « Les oeuvres les plus empruntées en bibliothèque sont les histoires de crimes ou les biographies de criminels […] Aussi, ces ouvrages ont toujours une portée morale, on y dépeint les difficultés de la vie en cavale et en cellule et le héros est toujours perdant. »6. De la même manière, connaître la politique, n’est-ce pas le meilleur moyen de connaitre le fonctionnement de la république, de la démocratie et donc le fonctionnement de la société dans laquelle vivent les détenus ? En réalité, en excluant les ouvrages pornographiques, ce qui se profile derrière ces choix de censure se manifeste plus nettement dans les mouvements contestataires des années 1970, à savoir la crainte d’une prise de parole, éclairée, de la part des personnes incarcérées.

Des livres clandestins

Il nous faut insister sur la censure en milieu carcéral et notamment sur les conséquences réelles que génère celle-ci sur les « collections » dans les années 1970. L’usage qui est fait ici des guillemets traduit en réalité la distance qu’il nous faut prendre dans la terminologie à adopter. En effet, il n’est pas juste d’employer les termes courants et contemporains de la bibliothéconomie telle qu’on l’entend aujourd’hui, pour désigner la bibliothèque telle qu’elle existait dans les années 1970. Aussi, l’interdiction de lire les livres de son choix, représente parfois pour les détenus une entrave plus difficile à supporter que la privation de leur mobilité.

Certains d’entre eux entament des grèves de la faim de plusieurs dizaines de jours pour obtenir l’autorisation de lire des ouvrages qui parlent des conditions de vie en prison et des révoltes de prisonniers. Ironiquement, certains seraient alors, comme le rapporte Serge Livrozet, co-fondateurs avec Michel Foucault du Comité d’Action des Prisonniers, dans la rubrique « Le droit de lire » du n° 18 de ce journal, prêts à mettre leurs jours en danger pour des livres dont la finalité est de les améliorer. C’est dire l’importance que représente pour les pensionnaires de la Justice, le droit à l’information de manière générale, mais le droit à l’information sur les conditions de détention plus particulièrement. De la même façon, depuis la mise en place de cette centralisation de la bibliothèque en milieu carcéral, l’interdiction d’introduire en prison des documents qui ne seraient ni passés, ni validés par le service bibliothèque de la DAP est devenue encore plus forte. Dans son livre, intitulé Prisonniers en révolte, Anne Guérin7 retranscrit ses entretiens avec Henri LECLERC, avocat renommé et président de la ligue des droits de l’homme et du citoyen de 1995 à 2000. Ceux-ci, illustrent parfaitement notre propos et par conséquent il est utile d’en rapporter quelques lignes ici :

La censure carcérale

En Mai 1968, les détenus, y compris ceux qui sont au plus près des émeutes, n’ont pas connaissance de ce qui se passe dans les rues de Paris11. S’ils n’ignorent pas complètement que des événements d’importance ont lieu dans la capitale, aucun d’entre eux ne pourrait être au courant que là dehors, les nombreuses personnes qui se révoltent réussissent progressivement à affaiblir l’autorité exercée par l’Etat sur le peuple. Par conséquent, aucun d’entre eux ne pourrait, s’il le désirerait, saisir le moment pour faire entendre ses revendications contre le mauvais traitement des personnes mises sous main de justice. Cette ignorance de l’actualité, qui sans doute profita au maintien du calme dans les établissements pénitentiaires mais ne permit pas au détenus de bénéficier de l’élan populaire pour réclamer plus de dignité en prison, est due à l’interdiction de lire les journaux12 et d’être mis en contact, de près ou de loin, avec la politique.

Or les périodiques contiennent toujours ou presque des articles politiques ou à sensation. Ainsi, bien qu’officiellement autorisés en 1949 pour leur apports culturels et artistiques, les journaux sont interdits en prison depuis la rédaction de la circulaire de 1956, celle-ci affirmait que : « se trouvent écartés […]les magazines qui tolérés en dépit de leur intérêt discutable, tels, notamment, ceux contenant des articles à scandale ou à sensation… »13 De la même manière, l’actualité ne parvient que partiellement en prison par le biais des autres médias (radio et télévision) puisque ceux-ci sont très arbitrairement réglementés14. En somme, si l’actualité est introduite dans les prisons, c’est contre la volonté des pouvoirs publics et contre celle de l’administration pénitentiaire. Au contraire, le souhait de ces derniers semble plutôt être celui de l’isolement des prisonniers, surtout en ce qui concerne les prisonniers politiques d’après Mai 68.

Cependant, immobiliser ces derniers dans le temps de leur peine et ne surtout pas faire correspondre ce temps avec celui de l’extérieur, c’est les exclure du temps de la vie. Est-ce qu’interdire l’actualité en prison ne reflétait pas une volonté d’exclure la prison et ses locataires de ce qui évolue, en somme de ce qui vit ? Sans aller si loin dans l’interprétation, cette réglementation montre à quel point, l’écriture, et par conséquent la lecture, sont encore considérées par l’administration pénitentiaire (dans les années frontières avec les réformes des années 1970) comme des armes redoutables et contraires au maintient de l’ordre en prison. Dés lors, interdire certaines lectures et en prescrire d’autres, c’était sans doute une manière pour l’AP de maintenir son autorité en toute circonstance, notamment en cette période de désordre social. D’ailleurs, les événements qui surgissent dans les trois années qui suivent Mai 68 ont montré que l’AP n’avait pas tout à fait tort.

Libérer l’information sur les prisons

À la suite des révoltes menées en 1968 et après l’élection de Georges Pompidou, le gouvernement souhaite sanctionner sévèrement les auteurs des manifestations sociales pour dissoudre cette atmosphère contestatrice et reprendre la justice en main. Aussi, des centaines de ces jeunes militants gauchistes remplissent les prisons après le vote, en juin 1970, de la loi dite « anti-casseurs »15 initiée par le ministre de la Justice, René Pleven. Ce sont ces jeunes militants qui, entrainant les autres détenus dans leur mouvement, déclenchent de multiples révoltes à partir de 1970. Montant alors sur les toits des prisons comme lors de la révolte de Nancy le 15 janvier 1972, les détenus sont bel et bien décidés à faire entendre leurs revendications. Parmi celles-ci figure le droit de lire les journaux et les livres de leurs choix16. Aussi, ces événements n’auraient sans doute jamais eu lieu si les intellectuels tels que Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Claude Mauriac et bien d’autres, ne s’étaient pas emparés du sujet et de la presse.

D’un côté Jean Paul Sartre prend, avec le soutien de Simone de Beauvoir, la direction de plusieurs journaux dits « populaires » dont la Cause du peuple que le gouvernement a essayé de supprimer. La Cause du peuple est un des journaux utilisés pour porter la parole des détenus17. Parole recueillie par les membres actifs du Groupe d’Information sur les Prisons, fondé en 1971 par les trois philosophes Michel Foucault, Pierre Vidal-Naquet et Jean-Marie Domenach. Ainsi, ces figures éclairées exercent des pressions d’une grande importance sur le gouvernement, soit par de grands rassemblements, soit par l’écriture de textes divulguant des informations sur les conditions de détention mais toujours avec le pouvoir de la presse18. En outre, pour réussir à écrire des textes justes, rendant compte des conditions de détention, le GIP a mis en place des « enquêtes intolérances »19. Celles-ci sont réalisées à partir de questionnaires que les membres du GIP diffusent dans les prisons via l’assistance des familles notamment. Ces questionnaires, réalisés grâce aux témoignages d’anciens détenus, permettent à ceux qui se trouvent encore derrière les barreaux de s’exprimer depuis la prison et malgré la censure, sur leurs conditions de détention.

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Table des matières

LISTE DES ABREVIATIONS
INTRODUCTION
LE DEVELOPPEMENT DES BIBLIOTHEQUES DE PRISON
1.La culture en prison avant 1981
1.1. Quelle place pour la lecture en prison dans les années 1970 ?
1.1.1. La lecture, une arme de moralisation
1.1.2. Des livres clandestins
1.1.3. Compter sur le hasard
1.2. Militer pour le droit à l’information
1.2.1. La censure carcérale
1.2.2. Libérer l’information sur les prisons
1.2.3. Le recul de la censure ?
1.La renaissance des bibliothèques de prison
2.1. Le développement de la culture, une politique de rupture
2.1.1. Démocratiser la culture pour rassembler le peuple
2.1.2. Mettre fin aux inégalités territoriales.
2.1.3. La DLL et la DAP, une synergie pour l’exercice du droit culturel en prison.
2.2. Les réflexions autour de la bibliothèque de prison
2.2.1. « La misère culturelle du milieu carcéral », état des lieux de la bibliothèque de prison
a) Trois dysfonctionnements à résoudre
b) Des bibliothèques qui manquent de moyens
2.2.2. Pallier la désocialisation carcérale
a) Culture/justice, entre paradoxe et synergie.
b) Le livre objet de socialisation
2.2.3. l’alphabétisation et la formation des détenus.
2.3. L’institutionnalisation partielle des bibliothèques de prison
2.3.1. Le 1er protocole d’accord : la prison dans la cité, la cité dans la prison
2.3.2. Un second protocole d’accord ou le renouvellement du premier
2.3.3. Les détenus, des citoyens comme les autres ?
2.3.4. L’établissement du fonctionnement des bibliothèques de prison.
a) Du modèle international au modèle local
b) La rémunération des intervenants et l’hétérogénéité régionale
2.4. La fin d’une décennie de progrès.
2.4.1. Une nouvelle vague de réflexion
2.4.2. La création des SPIP et le développement du partenariatUn système efficace ?
3.1. Quel bilan après 20 ans de partenariat ?
3.1.1. Evaluer pour mieux progresser
3.1.2. Le mur de la sécurité
3.1.3. La crainte du numérique
3.1.4. Une offre encore insatisfaisante
a) Des collections à revitaliser à moderniser
b) L’ouverture des bibliothèques et le personnel pénitentiaire
3.2. Une nouvelle politique
3.2.1. Le ressassement des textes
3.2.2. Et les mineurs alors ?
3.2.3. Revoir la formation du personnel
3.3. Un sujet présent dans la RechercheConclusion générale
BIBLIOGRAPHIE
SOURCES
LA BIBLIOTHEQUE DE LA MAISON D’ARRET D’ANGERS
1.L’INSTITUTION
1.1. Présentation de l’institution
1.2. Le partenariat
1.2.1. La ligue de l’enseignement/ Le SPIP / La maison d’arrêt d’Angers 1.2.2. La bibliothèque municipale d’Angers
2.LE FONCTIONNEMENT DE LA BIBLIOTHEQUE
2.1. Le personnel
2.1.1. La bibliothécaire
2.1.2. La coordinatrice culturelle
2.1.3. L’auxiliaire de bibliothèque
2.1.4. Le pilotage du SPIP
2.1.5. Les relations entre professionnels
2.2. Le lieu
2.2.1. L’espace
2.2.2. Le matériel
2.3. L’accessibilité
2.3.1. Les horaires
2.3.2. L’accès
2.3.3. Les emprunts
2.4. Le fonds documentaire
2.4.1. Le budget
2.4.2. les acquisitions
2.4.3. Le traitement des collections
2.4.4. Les collections
2.4.5. La communication des collections
2.5. Les usages
2.5.1. la fréquentation
2.5.2. Les usages
2.6. Les animations
2.6.1. Ancrer la bibliothèque dans l’actualité
2.6.2. Livre et Lecture
2.6.3. Les papas
3.LES PERSPECTIVES
3.1. Combattre l’illettrisme
3.2. Rendre la bibliothèque plus sociale
TABLE DES ANNEXES
TABLE DES MATIERES

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