La réintégration des Tatars en Crimée : enjeux mémoriels et politiques 

Vers un engagement révolutionnaire, 1900 – 1918

L’échec de ces premiers mouvements conditionna l’engagement des jeunes Tatars vers une action plus radicale à partir de 1900. Voyant que la voie de la collaboration avec l’Etat tsariste ne produisait rien, les nouvelles générations prirent contact avec les groupuscules révolutionnaires et clandestins qui foisonnaient en Russie depuis la fin du XIXe siècle. Dès 1903 des jeunes Criméens commencèrent à échanger avec des partis secrets socialistes et marxistes. Ils ne s’organisèrent en groupe souterrain qu’à partir de 1905. Dénommés par la police du Tsar comme les « Jeunes Tatars » en référence aux Jeunes Turcs, ils s’engagèrent dans des insurrections parallèlement aux activités des groupes russes. Ailleurs dans la région de la Volga et en Asie Centrale de mêmes organes révolutionnaires et nationalistes prirent leur essor. Ils pensaient que seule la révolution permettrait de changer radicalementle régime en place pour ensuite améliorer en profondeur la société. Dans la péninsule de Crimée, l’élite tatare trouva ses leaders dans la figure d’Abdourechit Mediev et d’Appaz Tchirinski. Le premier, issu d’une famille de paysans, fit ses études à Simféropol, à l’école des enseignants tatars. C’est là qu’il rencontra Tchirinski, membre de l’aristocratie tatare et également maître d’école. A Karassoubazar, la ville-siège de leur mouvement, ils s’investirent dans une association caritative à travers laquelle ils promurent différentes activités de charité, la défense des écoles « nouvelle méthode », l’envoi d’étudiants à Saint-Pétersbourg ou à Istanbul, etc. Ils créèrent également une association chargée de promouvoir leurs idées à travers la publication de textes, de réunions et de manifestations publiques. En 1907, ils durent plonger dans la clandestinité pour échapper à la censure qui s’abattait dans tout l’Empire russe.
Si ces Jeunes Tatars reprenaient un discours marxiste et révolutionnaire, ils n’en étaient pas moins de profonds nationalistes. Tchirinski et Mediev entreprirent ensemble d’écrire l’histoire du peuple tatar de Crimée pour justifier ses droits sur la péninsule et ainsi donner toute légitimité à leur présence face à celle des Russes qui tentaient de les expulser de leur terres. Ils reprirent, par bien des aspects, la rhétorique défendue par Ismaïl Gaspirali pour qui l’école et la langue commune avec les Musulmans de Russie serviraient au mieux la cause tatare. « Le combat ne pouvait donc être que national, même si les Jeunes Tatars revendiquaient l’unité de tous les musulmans ».
La révolution de 1905 en Russie puis celle de 1908 à Constantinople qui permit le rétablissement de la Constitution encouragea le mouvement des Jeunes Tatars à poursuivre leurs efforts en faveur de la situation politique et sociale des Tatars de Crimée. En 1909, Nouman Tchelebi Djikhan et Djafer Seïdamet, fondèrent l’Association des étudiants criméens. Leurs objectifs étaient à la fois nationalistes, en faveur de la cause tatare, et dépassaient plus largement la Crimée car ils étaient prêts à aller jusqu’à renverser le régime tsariste comme ils le confièrent à Enver Pacha un jour, en 1909, lors d’un entretien privé.
Leur association était traversée par un débat identitaire et religieux sur leurs relations avec les communautés islamiques qui les environnaient. Devaient-ils s’allier avec les Musulmans turcs ou au contraire se fermer au cercle des Tatars au sein d’un espace spécifique ? Au final, le plus important était de déterminer quelle motion devait diriger l’autre mais sans forcément l’exclure. Cette association fut rapidement concurrencée par la Société caritative créée en 1908 par des Tatars exilés au XIXe siècle. Ils prônaient l’éducation et la solidarité entre tous les Tatars, au nom de leur histoire commune depuis la Horde d’Or –qui définissait ainsi entre eux des liens culturels, linguistiques et religieux. Selon eux cependant, le terme « tatar » était un dérivé de l’identité turque dont il faisait partie. Ils revendiquaient ainsi une forme d’interdépendance avec les Turcs. Les seuls à soutenir fermement l’idée d’une nation tatareindépendante et spécifique fut la Société patriotique, branche clandestine de l’Association des étudiants de Crimée. Son activité principale était de nourrir la contestation des étudiants criméens à Istanbul autour de deux points principaux : l’indépendance de la Crimée tatare et la chute du régime autocratique tsariste. La situation changea dans la péninsule lorsque les Bolcheviks prirent le pouvoir en octobre 1917 à Saint-Pétersbourg. La Société patriotique était alors l’organe principal du mouvement nationaliste tatar et fédérait différents réseaux clandestins à travers la péninsule.
Du 8 au 18 septembre 1917, la Rada ukrainienne provoqua un Congrès des peuples de Russie où 15 délégués musulmans se rendirent. Là-bas, il fut reconnu à la Crimée le droit de prendre en charge son propre destin. Sur l’instigation de ce Comité musulman, les différents responsables politiques et sociaux de Crimée convoquèrent le 26 novembre 1917 un kurultaï (assemblée criméo-tatare historique) afin de discuter de la « question de l’autonomie territoriale de la Crimée », de « ses lois fondamentales», et de « former un gouvernement ».
Le 13 décembre, ils adoptèrent la Loi fondamentale tatare qui instituait un parlement, le medjlis. Cette assemblée, au vu de la situation troublée, décida de la composition d’un Directoire dont faisait partie Seïdamet (directeur aux Affaires étrangères et militaires), Seïdamet Chokriou (Administration religieuse), Ozenbachly (Education), Khattatov (Finances) et Djikhan (Chef du Directoire et directeur de la Justice). Ce Directoire proclama à Simféropol le nouvel Etat après plus d’un siècle de dissolution de la nation tatare. Cependant les relations avec le Comité révolutionnaire, représentant de l’autorité des Bolcheviks en Crimée, se crispèrent rapidement avec la série d’initiatives prises par le Directoire tatar : désarmement de la garnison d’Evpatoria, réquisition du siège des Soviets à Simféropol au nom des besoins du nouveau gouvernement de Crimée. La réaction fut brutale et prévisible.
Les marins de la Flotte de Mer Noire reçurent l’ordre de marcher sur Simféropol pour destituer le Directoire. Le 27janvier 1918, la ville était aux mains des Soviets qui mirent fin au gouvernement libéral tatar. En un mois, le Comité révolutionnaire étendit son autorité sur l’ensemble de la péninsule.

Politique de soviétisation, 1921 – 1944

Suite à cette prise de pouvoir, les Bolcheviks instaurèrent un comité des Soviets dont les membres autochtones ne représentaient qu’une minorité. Les premières mesures imposèrent la nationalisation des grandes entreprises locales, la création d’un organe de presse bolchevik et la suppression de tous les journaux aux tendances nationalistes. Comme dans les autres territoires de l’Empire déstabilisés par la révolution des Bolcheviks, les premiers temps furent arbitraires et sanglants. Au nom de la préservation de la révolution, les soldats arrêtèrent en masse les intellectuels, les réformistes et les nationalistes. La plupart furent tués lors de pelotons d’exécutions collectives. Le leader tatar Nouman Djikan fut assassiné. Toutefois, cette affaire ne fut pas étouffée et le Comité musulman de Petrograd demanda justice directement au Sovnarkom, le Conseil des Commissaires du Peuple.La lumière fut faite sur les conditions de sa mort. Il fut démontré qu’il avait été fusillé en même temps que d’autres intellectuels. Les soldats ne furent pourtant pas punis. La Crimée était tombée dans le chaos et le désordre, souffrant de graves pénuries (vivres, matières premières, etc.). Les soldats des forces rouges assassinèrent ainsi des milliers de personnes sans qu’aucune autorité ne mette fin à ces actes. Parallèlement, si la Grande Guerre prenait fin en Europe de l’Ouest, elle ne faisait que commencer à l’Est, dans la région de la Volga et en Asie Centrale. De 1918 à 1922, les Bolcheviks furent constamment sur le pied de guerre afin de protéger leur révolution des Forces blanches et des puissances européennes (Allemagne, Autriche, France, GrandeBretagne). Comme rappelé précédemment, dès la fin janvier 1918, le nouveau gouvernement tatar fut fauché par les Bolcheviks. Ces derniers proclamèrent une République soviétique socialiste du Tauride au sein de laquelle l’intégration des Tatars était limitée aux questions religieuses. Suite au renversement du régime autocratique russe, les leaders Tatars espérèrent une amélioration de leur situation en faveur d’une autonomie politique et culturelle. Ces aspirations s’effondrèrent brutalement. La nouvelle République était assistée par un Comité central exécutif (TsIK), directement aux ordres des Soviets de Petrograd. Comme le souligne Gregory Dufaud, « en quelques mois, l’indépendance nationale s’était donc transformée en une autonomie soviétique» (2011 : p. 58). Devant les menaces d’invasions étrangères, le TsIK prononça la mobilisation générale à la fin de mars 1918. Ce fut une initiative trop tardive et trop hâtivement menée pour repousser une armée étrangère entraînée et armée. Les troupes allemandes prirent le contrôle de la Crimée en quelques semaines et liquidèrent les membres du Comité central exécutif. Les Tatars avaient alors dépêché des ambassades à Berlin et Istanbul pour essayer de protéger leur territoire d’une nouvelle annexion.
L’Allemagne accepta d’intégrer la Crimée dans son aire d’influence,comme elle l’avait fait pour l’Ukraine, mais refusa toute indépendance réelle. Les leaders politiques tatars avaient, sur ces entre faits, essayé de reconstituer une autorité souveraine. Les Allemands ne prirent jamais en compte ces initiatives. Le kurultaï devint une instance représentative et la nomination de Djafer Seïdamet comme Premier ministre quelques jours plus tôt fut annulée.

La déportation des Tatars de Crimée le 18 mai 1944

Cette seconde partie s’intéresse à la période de la déportation et de l’après-déportation.
Le peuple tatar a été emmené par la force vers les terres d’Asie central et du Caucase,répartis entre l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et le Kirghizstan. Les autorités ont justifié cette rafle-déportation à cause du comportement des Tatars pendant la Seconde Guerre mondiale. Les Tatars ont en effet combattu au côté des Allemands à l’instar de tous les peuples sous domination soviétique en 1941. L’arrivée en terre d’exil a été brutale. Les autorités locales n’ont été en aucune façon préparées et aidées par le pouvoir central pour accueillir les déportés.
En 1956, les premières réhabilitations des autres peuples déportés sous Staline sont ordonnées par Khrouchtchev, lors du XXVIe Congrès du PCUS. Fait étrange, les Tatars et deux autres peuples sont exclus de cette reconnaissance. N’obtenant pas le statut de victime du stalinisme, les représentants tatars initièrent alors un mouvement collectif de reconnaissance de leur déportation et de leur droit au retour. Ils ne gagnèrent leur combat contre les autorités soviétiques qu’en 1990, au moment où le Bloc de l’Est s’effondrait.
Dès lors, pour quelles raisons les Tatars ont-ils été déportés ? Que nous apprend cet évènement sur le système concentrationnaire construit sous Staline ? De quelle manière les Tatars ont-ils réussi à lever la décision qui leur imposait l’exil ? Comment s’est construite l’identité tatare dans l’éloignement avec la terre d’origine ? Comment cette identité a-t-elle créé parmi les nouvelles générations nées hors de Crimée un sentiment d’appartenance à la communauté tatare ?

Les Tatars : des victimes du système soviétique

La Seconde Guerre mondiale a permis l’amplification des politiques de remaniement ethnique des frontières. Les politiques de déplacement des populations situées dans les territoires périphériques de l’Union Soviétiques débutèrent à la fin des années 1920 à l’arrivée au pouvoir de Joseph Staline. Ces déportations collectives sont, plus largement, parties prenantes de la politique concentrationnaire soviétique. A travers ce chapitre, nous reviendrons sur les conditions du départ forcé des Tatars vers l’Asie centrale. Pourquoi et dans quelles conditions ont-ils quitté la Crimée ? Nous nous pencherons également sur le système pénitentiaire soviétique : quel but a permis la construction d’un tel ensemble concentrationnaire ? Quels furent ses rouages de fonctionnement ?

La Seconde Guerre mondiale en Crimée, 1941 – 1944

Parallèlement aux purges staliniennes au sein de l’Union soviétique et dans les territoires incorporés à son aire de domination, un autre système totalitaire était en train d’émerger en Allemagne. Suite à la prise de pouvoir du parti national-socialiste, ou parti nazi, en janvier 1933, le pays entraîne progressivement l’Europe dans une inéluctable marche à la guerre. L’idéologie nazie se fonde sur l’expérience guerrière et la violence pour régénérer les Allemands. L’expansion militaire doit permettre la conquête d’un Lebensraum(espace vital) qui assurera la croissance du pays. Les terres d’Europe de l’Est et de la Volga furent clairement désignées comme lieu d’expansion. Les démocraties d’Europe de l’Ouest ne furent pas capables d’empêcher cette montée des armes. A chaque exigence politique d’Hitler, les Français et les Anglais accédèrent sans résistance à ses requêtes. En mars 1938, le gouvernement nazi proclama l’Anschluss, c’est-à-dire la réunification de l’Allemagne et de l’Autriche, situation qui avait été interdite par le Traité de Versailles en juin 1919. Lors de la conférence de Munich en septembre 1938, le Reichführer réclama le droit de réintégrer le territoire des Sudètes à l’Allemagne. En mars 1939, la Bohème-Moravie fut annexée. En moins d’un an la souveraineté territoriale de la Tchécoslovaquie était brisée. Le Pacte germano-soviétique signé en août 1939 fut un coup de tonnerre dans le concert diplomatique européen, une alliance contre-nature entre deux totalitarismes aux idéologies opposées. En septembre 1939, l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes acheva de déclencher la guerre en Europe. En 1940, l’Allemagne s’étendit vers l’Ouest et vers l’Est. Son objectif était d’atteindre Moscou malgré l’accord quelques mois plus tôt. Le Reich lança son offensive sur l’Union Soviétique en juin 1941, lors de l’opération Barbarossa.
Dès avril-mai 1941, la Crimée était clairement désignée comme un objectif militaire des plans d’expansion territoriale nazie. L’offensive fut lancée en septembre 1941 et se termina à la fin du mois de novembre. Seule Sébastopol résista pendant près d’un an. Défendue par les marins de la Flotte de Mer Noire, la ville ne tomba entre les mains allemandes qu’en juillet 1942. Bien que l’attaque de la Crimée n’eu lieu que trois mois après celle de l’URSS, le Sovnarkom de Simféropol fut pris au dépourvu, sous équipé et dépassé en nombre par les troupes allemandes. L’évacuation de la péninsule par les Soviétiques ne fit qu’envenimer les relations et aggraver les griefs des Tatars à leur encontre. En effet, lors de cet épisode, les prisonniers politiques détenus dans toute la Crimée furent exécutés, faute de solution pour les transférer vers un autre pénitencier.
A leur arrivée en Crimée, les Allemands furent accueillis en libérateurs. Les sentiments germanophiles d’une partie des Tatars et des autres ethnies non russes s’expliquaient par l’attitude des Soviétiques qui, depuis les années 1930, avaient cessé toute politique de conciliation et de bienveillance pour privilégier la répression. En 1936, la Constitution de la République criméenne avait été révisée afin de réinsérer le gouvernement sous l’autorité de Moscou. Progressivement, la réalité politique de la RSSA avait été dissoute, comme une illusion d’indépendance qu’on avait voulue donnée aux Tatars. Il n’est, dès lors, plus difficile d’expliquer les réactions des peuples non-Russes sous domination de l’Union Soviétique à l’arrivée des troupes allemandes comme ce fut le cas en Ukraine et en Crimée. Les Tatars n’hésitèrent pas à s’engager aux côtés des forces germaniques pour lutter contre la résistance soviétique.Des comités nationaux tatars, grecs et bulgares furent formés en réaction d’autodéfense. Pour eux,l’occupant était l’Union Soviétique. Les civils eurent le même réflexe de défiance à l’égard des membres de la résistance soviétique.
Les partisans étaient au début de 1942 totalement désorganisés. Comme le souligne Grégory Dufaud (2011 : 243) ces hommes étaient des membres du Parti et du Komsomol, des urbains d’origine slave, ignorants des réalités géographiques de la Crimée. Ne parlant pas le tatar, mal ravitaillés, ils pratiquèrent le pillage et les réquisitions dans les villages tatars pour se nourrir pendant les premiers mois de 1942. Ce qui aggrava les tensions entre les deux communautés. Pour les Soviétiques, les Tatars en refusant leur aide à la résistance contre les Allemands, prouvaient qu’ils étaient des traîtres.
Pour les stratèges de Moscou, les défaites des partisans en Crimée étaient attribuables à l’espionnage et au sabotage des Tatars.
Ces accusations ne furent pas infondées car il est vrai que les Tatars prirent part à la guerre aux côtés des forces germaniques. Environ 20 000 Tatars furent incorporés dans les rangs de la Wehrmacht et des Einsatzgruppen.
D’autres comités d’auto-défense émergèrent parmi les autres communautés ethniques sous domination soviétique et s’engagèrent dans le conflit aux côtés des forces allemandes, comme les Ingouches, les Kalmouks, les Kurdes, etc.
Malgré un soutien actif de la part des autochtones, les Allemands ne firent jamais de concessions réelles sur les autonomies promises. Les territoires conquis furent directement administrés par Berlin. Les cadres locaux furent peu associés aux processus décisionnel malgré la présence à Berlin de délégués tatars. En 1941, plus de la moitié des intellectuels et représentants politiques tatars avaient été éliminés lors d’arrestations massives puis de déportations vers les camps de prisonniers ou d’exécutions sommaires. Trois d’entre eux, exilés en Turquie et en Roumanie, Cafer Seidahmet, Mustecip Ülküsal et Edige Kirimal, tentèrent une action auprès des autorités nazies. Les deux derniers habitaient en Roumanie.
Là-bas, ils y dirigeaient le journal nationaliste tatar Emel. Seidahmet, lui, s’était installé en Turquie. C’est là-bas qu’il prit contact avec l’ambassadeur allemand, Von Papen et obtint de lui qu’Ülküsal et Kirimal soient conviés à Berlin afin de négocier les conditions que l’Allemagne imposerait à leur peuple. Les deux prirent la route de Berlin en novembre 1941 pour participer aux conférences sur la politique allemande à l’égard des peuples turciques de l’Union Soviétique. Ils se firent là-bas les porte-paroles du lobby tatar. Leur action, si elle ne joua pas en faveur de l’autonomie politique des Tatars durant la Seconde Guerre mondiale, permit dans les premiers temps de la guerre d’améliorer les conditions des soldats tatars capturés dans les rangs des forces soviétiques. Dès le départ des autorités soviétiques en novembre 1941, un comité musulman avait été mis en place à Simféropol. Les Allemands acceptèrent de le reconnaître en tant qu’organe chargé de l’administration du territoire. Ses bureaux se multiplièrent dans les villes criméennes avant que leur marge de manœuvre ne soit progressivement spoliée par l’administration nazie.

La politique concentrationnaire soviétique

La déportation des Tatars s’est insérée dans une politique concentrationnaire plus vaste à l’échelon de l’Union Soviétique. Depuis l’arrivée au pouvoir de Staline, le régime a progressivement élaboré un système de répression totalitaire, chargé de broyer les individus et les communautés par la peur. Plusieurs vagues de purges contre le petit peuple sont venues balayer les années 1930. La première est provoquée par l’échec de la collectivisation.
Recherchant des coupables, Staline a accusé les koulaks de résister à la transformation des campagnes et de saboter les efforts engagés. Le 27 décembre 1929, l’ordre est donné de liquider « les koulaks en tant que classe ».
Les purges des années 1936-1938 ont été dominées par la volonté étatique de transformation et de purification de la société soviétique.
« La Grande Terreur fut d’abord et avant tout une vaste entreprise d’ingénierie et de purification sociale visant à éradiquer, par des opérations secrètes, décidées, planifiées au plus haut niveau par Staline et Nikolaï Iejov, le Commissaire du Peuple à l’Intérieur, tous les éléments socialement nuisibles et ethniquement suspects qui, aux yeux des dirigeants staliniens, apparaissent comme […] étrangers à la nouvelle société socialiste en cours d’édification ».
Les condamnations sont fixées avant même que les individus soient arrêtés. Ensuite, il s’agit plus de trouver des « victimes » que de réprimer des coupables. Le système soviétique est un vaste mécanisme de répression des « citoyens ordinaires ».
Avec son Commissaire à l’Intérieur, Iejov, Staline a établi un plan de déportation des éléments nuisibles selon deux catégories : celle des « koulaks » et celle des « nationaux ». Dans la première catégorie, les déportations ont eu lieu à titre individuelle. Les citoyens étaient déportés pour des actes personnels, sur la base d’une législation officielle. Même si le délire et l’absurde se côtoient dans les actes d’accusation, chaque citoyen déporté est d’abord arrêté puis interrogé par la police. Enfin il est déféré devant un tribunal. Ce dernier est généralement une troïka de juges,des membres de la Tcheka chargés d’instruire les dossiers. La condamnation est prononcée devant le coupable, en accord avec la législation officielle. Cette législation favorise la déportation et pousse au délit. La limite à ne pas transgresser étant si mince, les conditions de vie si difficiles que peu de citoyens n’écopent pas de peines de camps (généralement pour un ou trois ans) pour des délits mineurs.
Les raisons à la déportation des peuples se sont principalement basées sur la « menace intérieure ». Situés dans les marches de l’Union Soviétique, ces peuples ont été perçus comme des traîtres, la cinquième colonne qui provoquerait l’écroulement du régime. Lors de la Seconde Guerre mondiale, certains de ces peuples ont ouvertement collaboré avec les Allemands. Ils leur ont fourni une aide logistique, administrative et combattu dans les rangs de la Wehrmacht ou contre les Partisans soviétiques. Les Tatars ont accueillis les troupes nazies avec enthousiasme, pensant renverser le maître soviétique et gagner ainsi leur liberté. L’attaque soudaine de l’Allemagne en juin 1941 a contraint les Soviétiques à réagir sans aucune préparation militaire. Afin de galvaniser l’effort national de défense de la patrie, Staline a encouragé le développement du « bolchevisme national ».
Depuis les années 1930, le pouvoir soviétique tentait de construire la fiction d’une union multinationale idéale au sein de laquelle s’intégraient toutes les entités ethniques. Suite à la guerre civile (1918-1922) qui avait réveillé les désirs indépendantistes, le gouvernement bolchevik avait instauré la korenizatsiia.
Cette politique accordait aux peuples nationaux non-slaves les mêmes droits que ceux des citoyens russes. Ce qui signifiait l’attribution de la nationalité, la mise en place d’un cadre favorable à l’économie nationale et la préservation de leur culture. La politique des nationalités avait pour but de tisser une fiction de concorde nationale où les peuples s’unissaient au nom du progrès et du socialisme. En 1935, Staline décrétait que « l’amitié entre les peuples de l’URSS est une grande et sérieuse victoire.»
La Seconde Guerre mondiale venait briser ce rêve de communauté multinationale, déchainant les passions et les soulèvements. La plupart des peuples collaborèrent avec les Allemands. Cette collaboration satisfaisait des espoirs d’indépendance ou simplement une rébellion contre une domination trop longtemps exercée sur leur destin.
Dès les années 1930, la crainte de voir le pays trahi de l’intérieur avait encouragé le développement de la politique d’accommodement.
Le Politburo avait ainsi ordonné en 1935-1936 le nettoyage ethnique des pourtours frontaliers afin d’y écarter les éléments nationaux socialement dangereux. C’est ainsi que des milliers d’Estoniens, Lettons, Finnois et Allemands furent déplacés. Ces déportations s’accompagnèrent de politiques de destructions culturelles par la suppression d’écoles, d’organes institutionnels, d’églises, etc. En 1937, une première série d’opérations nationales frappa les peuples de la Volga, des pays Baltes et du sud-est européen. En 1938, les déplacements de populations se poursuivirent, s’attaquant aux restes des peuples encore non touchés comme les Coréens, les Bulgares et les Macédoniens. Grâce à l’éloignement, les membres du Comité centrale redessinait ainsi la structure sociale.
Les déportations qui suivirent entre 1943-1945 sont dans la continuité logique de ce projet d’ingénierie sociale. La politique d’indigénisation constitue un échec dont la collaboration des peuples non-slaves a été la preuve. Les Karatchaïs, les Balkars, les kalmouks et les Tatars ont tous commis des actes de sabotage, trahison et autres activités terroristes en collaboration avec les forces allemandes. Leurs objectifs pendant la guerre étaient de déstabiliser les lignes arrière de l’Armée Rouge. Dans le cas des Tatars, ce qui jouait en leur défaveur était le positionnement géostratégique de la Crimée dans l’accès aux mers chaudes qui empêchait Staline de négliger leur question.Dès 1941, la défiance vis-à-vis des soldats tatars émergea parmi les officiers et les administrateurs soviétiques selon lesquels les Tatars avaient massivement déserté les rangs de l’Armée Rouge devant l’invasion allemande. Le chiffre de 20 000 déserteurs fut avancé. C’était le chiffre exact de soldats tatars incorporés au début du conflit.
La police politique mena des enquêtes en 1944 sur les activités des comités nationaux tatars, grecs, bulgares et arméniens afin der cerner l’ampleur de leur participation contre les forces soviétiques. C’est principalement le groupe du résistant Abdyrechidev Djemilev qui attira le plus leur attention et fut considéré comme l’archétype du groupe de subversion. L’étendue et la complexité de son réseau lui permirent pendant le conflit d’enrôler et de mobiliser un grand nombre d’hommes ainsi que de conduire des activités de sabotage et d’espionnage sur tout le territoire criméen. Aucun autre groupe de partisans n’atteignit sa dimension. Par exemple, dans la ville de Kertch, une des filiales du réseau de Djemilev parvint à rassembler 700 hommes pour combattre les partisans soviétiques.

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Table des matières
Introduction 
1. Les Tatars : entre Orient et Monde russe, XIIIe –XXe siècles
1.1. Les débuts de l’Etat tatar en Crimée
1.2. Politique d’intégration russe et éveil nationaliste au XIXe siècle
2. La déportation des Tatars de Crimée le 18 mai 1944 
2.1. Les Tatars : des victimes du système soviétique
2.2. 1956 : la politisation du mouvement pour le retour
3. La réintégration des Tatars en Crimée : enjeux mémoriels et politiques 
3.1. Le retour en Crimée
3.2. La mémoire du traumatisme
Conclusion 
Annexes 
Bibliographie
Table des matières

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