LA RECOMPOSITION DU SECTEUR : DU DEMANTELEMENT DE OSN A L’HEURE NEO-LIBERALE

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LA CONSTRUCTION ET LA STABILISATION DU «MODELE OSN»

Le rôle prédominant joué par l’État fédéral dans l’organisation du secteur de l’eau et de l’assainissement en Argentine n’était pas établi d’avance. C’est le résultat d’une construction historique, « l’aboutissement d’un [double] processus de dessaisissement des communes, traditionnellement compétentes dans ce domaine, et d’exclusion du secteur privé. »1

De l’émergence de l’action fédérale au «modèle OSN»

Avant 1860, il n’existe pas en Argentine de réseaux de distribution d’eau courante à proprement parler. À Buenos Aires, la population se procure de l’eau, en ayant recours à des porteurs d’eau ou en l’extrayant directement de puits, les ressources naturelles étant abondantes2. Mais les conditions hygiéniques sont particulièrement mauvaises. « La cité créole est extrêmement malsaine. Sur les chaussées défoncées, transformées en mares d’eau stagnantes, pullulent les moustiques, porteurs de germes. Les rues sont encombrées d’ordures, de charognes, d’excréments puisque la voirie et les égouts n’existent pas. L’alimentation en eau défie toutes les règles d’hygiène. »3 Ce manque d’hygiène va être à l’origine de l’intervention de l’acteur public en matière de desserte d’eau potable.
Deux épidémies se révèlent particulièrement dévastatrices. Le choléra fait 8.000 morts en 1867. Quatre années plus tard, la fièvre jaune ajoute 20.000 victimes. Après avoir autorisé la réalisation d’une adduction d’eau en 1868, le gouvernement de la province de Buenos Aires, soumis de nouveau à de violentes réactions populaires, décrète en 1871 que celui-ci doit être redéfini et complété par un réseau d’assainissement : c’est le projet Bateman4. Cependant, « la classe politique, très conservatrice, vivant essentiellement des revenus agricoles, rechigne à développer des équipements urbains dont elle n’entrevoit pas les bénéfices. Les travaux (…) s’effectuent de manière chaotique : (…) ils ne commencent qu’en 1874 et s’interrompent faute de moyens en 1877″5. Lorsque, suite à la fédéralisation de Buenos Aires en 1880, l’État fédéral hérite de la situation, tout ou presque reste à faire. « Seules 6.085 maisons étaient alors desservies. »1 Ainsi, même si la province de Buenos Aires aura été le premier acteur public à agir dans le domaine2, son empreinte sur la genèse des réseaux d’eau et d’assainissement de la capitale sera restée faible.
Les premiers pas de l’État fédéral dans le domaine ne sont guère convaincants. En 1880, celui-ci crée, au sein du ministère de l’intérieur, la Commission Nationale des Ouvrages de Salubrité (Comisión Nacional de Obras de Salubridad) pour gérer les installations existantes et, afin de relancer les travaux, met en place un impôt de 5% portant sur les loyers des propriétés immobilières, commerciales et industrielles. Mais les travaux, repris en 1883, s’interrompent à nouveau en 1886, faute de financement. Afin de sortir de cette impasse, l’État fédéral décide alors de procéder à la concession de la construction et de l’exploitation des ouvrages à une compagnie privée. « Le montage est classique : une compagnie financière ad hoc, établie à Londres, achète à l’État l’octroi pour 39 ans de la concession et s’engage à achever le projet Bateman dans un délai de trois ans. En contrepartie elle peut se rémunérer sur l’usager en percevant une taxe mensuelle de branchement. »3 Mais cette tentative se révèle un échec. D’une part, la compagnie, dans une logique de profit, fait porter l’intégralité de son effort sur les réseaux de distribution et néglige totalement l’ossature du réseau. D’autre part, les abonnés refusent de s’acquitter de la taxe mensuelle qu’ils jugent trop onéreuse. Le contrat, signé en 1888, est résilié dès 1891. Suite à ce dernier échec, la politique de l’État fédéral va se modifier radicalement. Alors que la construction et la gestion d’autres infrastructures urbaines de Buenos Aires telles que les lignes de chemin de fer et de métro sont confiées au secteur privé (au travers de concessions effectuées par la Nation dont une faible fraction des bénéfices est reversée à la municipalité), seul l’État fédéral joue désormais un rôle dans la fourniture des services d’eau potable et d’assainissement de la ville. À cet effet, une nouvelle Commission des Ouvrages de Salubrité est constituée au sein du ministère des travaux publics.

L’EMERGENCE DES COOPERATIVES : LE PLAN NACIONAL DE AGUA POTABLE

L’affirmation forte de l’État fédéral au travers du «modèle OSN» ne laisse a priori pas de place à d’autres acteurs dans l’organisation du secteur de l’eau et de l’assainissement. Cependant, dans la pratique, il en va autrement, puisque ledit modèle, concentré en priorité sur les grandes villes du pays, laisse des espaces vacants. Ce sont dans ces espaces, à commencer par le milieu rural, que le phénomène coopératif va émerger dans le secteur.
Afin de saisir son émergence dans ses spécificités, il convient de replacer le phénomène coopératif dans le secteur de l’eau et de l’assainissement dans une perspective plus large : celle de l’histoire du mouvement coopératiste dans ce pays en général, et, plus particulièrement, dans les activités de services publics.

L’émergence tardive et spécifique des coopératives d’eau

L’histoire du mouvement coopératiste en Argentine commence avec l’immigration en provenance d’Europe au cours de la seconde moitié du 19ème siècle. Les émigrants ont emmenés avec eux cette idée, dont les premières réalisations concrètes avaient vu le jour à peine quelques décennies auparavant en Europe1. À la différence d’autres pays du continent latino-américain où l’idée coopérative s’est entremêlée aux modes d’organisation communautaires déjà existants, le mouvement coopératiste apparaît en Argentine comme une greffe européenne. Cette genèse exogène lui confère trois caractéristiques remarquables2. Premièrement, ce mouvement naît et se développe indépendamment de la construction de l’État. Les coopératives apparaissent en fonction de nécessités rencontrées localement et non dans le cadre de programmes émanant des pouvoirs publics. En second lieu, ce mouvement embrasse la majorité des activités économiques existantes et décline tous les types possibles de coopératives. Des coopératives vont se créer non seulement dans les activités agricoles, mais également dans l’artisanat, l’industrie et les services. Si l’on se réfère à la catégorisation des coopératives élaborée par Claude VIENNEY, les quatre catégories de coopératives sont présentes en Argentine : coopératives d’entrepreneurs individuels, coopératives de production, coopératives de consommateurs et coopératives de crédit3. Enfin, en troisième lieu, le mouvement coopératif argentin se structure rapidement. Les premières coopératives apparaissent à partir des années 1880. Dès les années 1920 commencent à se constituer des fédérations, les deux confédérations existantes CONINAGRO et COOPERA voyant le jour respectivement en 1956 et 19621.
Dès le début de son histoire, le mouvement coopératiste argentin investit le champ des services publics sous la forme de coopératives de consommateurs (lesquels sont en l’occurrence les usagers du service). En effet, 1887 voit la création à Buenos Aires de la Sociedad Cooperativa Telefónica. L’objet de cette première « coopérative de services publics »2, est d’assurer « la prestation du service téléphonique dans des conditions convenables pour les usagers, en s’opposant à cet effet au monopole détenu par la Unión Telefónica [une entreprise privée]. »3 Il s’agit néanmoins d’une expérience isolée. Il faut attendre 1926 et la création à Punta Alta, localité située dans le sud de la province de Buenos Aires, de la Sociedad Cooperativa de Luz y Fuerza Eléctrica e Industrias Afines Ltda. – première coopérative d’électricité en Argentine – pour que s’amorce un mouvement durable des coopératives en matière de services publics. Suivant une logique comparable à la Sociedad Cooperativa Telefónica, la coopérative de Punta Alta naît de la réaction de la population locale excédée par la médiocre qualité et le prix élevé du service assuré alors par une entreprise privée. Au-delà de son propre succès1, cette expérience va rapidement être érigée en référence pour de nombreuses localités de l’intérieur du pays où le service électrique est assuré « dans des conditions abusives par des compagnies privées particulières ; ces compagnies avaient remplacé les diverses entreprises nationales existantes et étaient liées à cinq groupes principaux (CADE, Italo, ANSEC, SUDAM y Suizo). »2 Les efforts déployés par ces compagnies pour discréditer le projet coopératif (pratiques de tarifs de « dumping », corruption politique,…), ne vont pas empêcher la création de nouvelles coopératives électriques dans un grand nombre de localités de taille moyenne du pays. De quatre en 1930, leur nombre s’élève à vingt-sept en 1934, pour atteindre la cinquantaine à la fin de la décennie3. Elles décident alors de se regrouper au sein d’une entité commune et créent la FACE, la Federación Argentina de Cooperativas Eléctricas Ltda. À partir des années 1960, un changement technologique majeur dans le domaine de l’électricité va entraîner une double mutation de ces coopératives : il s’agit du développement des centrales thermiques et hydroélectriques. Celles-ci produisent de l’énergie à un coût nettement moins élevé que les moteurs diesels utilisés jusque là par les coopératives. L’interconnexion à des systèmes de transport régionaux est inévitable et les coopératives perdent ainsi une grande partie de leur autonomie, voire de leur objet initial. Se repliant sur l’activité de distribution, elles développent alors une autre vocation : répondre à de nouveaux besoins collectifs exprimés par la population locale. Le mouvement de diversification des coopératives électriques, déjà amorcé depuis quelques années, prend alors tout son essor. Vont être associées à leur activité première, pour certaines la distribution de gaz (en bouteille ou en réseau), pour d’autres le téléphone4, et, plus tard, des services médicaux, pharmaceutiques, de pompes funèbres.

LE MONOPOLE D’ETAT EN CRISE

LA CRISE DU «MODELE OSN»

La crise du «modèle OSN» découle de la conjonction de deux facteurs : une croissance urbaine rapide et diffuse d’une part, une forte réduction des investissements d’autre part. Les conséquences de cette crise ne se manifestent pas immédiatement. Au cours des vingt premières années (1950-1970), elle est en quelque sorte « souterraine ». À partir des années 1970 et, sous l’impulsion de gouvernements autoritaires désireux de se défaire de OSN, ses manifestations deviennent de plus en plus patentes.

La crise « souterraine » (1950-1970)

Avant d’être technique et d’avoir des répercussions sur les usagers, la crise est financière. Tandis qu’au cours des vingt-cinq premières années de son existence, OSN est en mesure de dégager des bénéfices, dès 1937, les années déficitaires prennent le pas. À partir de ce moment, la viabilité à terme du modèle va dépendre de la prise en charge de ces déficits par le budget de l’État fédéral. Par conséquent le maintien du modèle dépend d’un choix politique, lequel va être remis en question suivant les conjonctures économiques et les gouvernements en place. À ce titre plusieurs sous-périodes doivent être distinguées1.
Au cours des années 1940, les objectifs de OSN s’inscrivent tout à fait dans la logique d’une politique « justicialiste » telle que la définit Perón une fois au pouvoir en 1946. Il s’agit : tout d’abord, d’assurer l’extension des services aux populations de faibles ressources de l’ensemble du pays, afin de garantir le développement et la reproduction de la force de travail au travers de l’amélioration des conditions de vie ; ensuite, et dans une visée comparable, d’abaisser le prix des services et d’en développer sa fonction redistributive au travers du système tarifaire de la cuota fija ; enfin, d’ériger OSN en entreprise publique vitrine d’une politique sociale servant de modèle pour les entreprises privées, afin que ces dernières – selon les propos même du président Perón – « imitent l’État dans son élévation de la culture sociale de celles-ci, dans la progression de la dignité du travail et de l’humanisation du capital. »1 Du point de vue technique, l’accent est alors mis en priorité sur l’extension du réseau de distribution, au détriment déjà de la restructuration d’ouvrages de base relatifs à la production et au traitement des eaux.
La première moitié des années 1950 est marquée par un contexte économique de forte récession. Cela se répercute sur OSN dont le niveau de subvention par le budget fédéral se voit sensiblement réduit. Face à ce manque de moyens de plus en plus manifeste, l’entreprise est contrainte de réviser ses objectifs à la baisse. L’extension des services est limitée et commence une inexorable ségrégation spatiale. Des instruments légaux sont élaborés pour éliminer l’uniformité tarifaire jugée trop pesante. La prétention de OSN d’ériger un monopole sur le secteur s’effrite, l’entreprise planifiant d’attribuer la responsabilité des services en zones non rentables aux administrations provinciales ou aux municipalités. Enfin, le financement public des connexions est abandonné à partir de 1952. Du point de vue des réalisations techniques, la priorité porte davantage sur les ouvrages de base, afin de compenser les effets de la politique menée en ce domaine durant la période précédente.
Au cours de la seconde moitié des années 1950 et de la décennie suivante, la dégradation ne cesse de s’amplifier. Le contexte politique national est très instable depuis le renversement de Perón en 1955. Cette instabilité rejaillit sur le secteur de l’eau et de l’assainissement pour lequel il n’existe plus de politique clairement définie. La tendance est au désengagement de l’État du secteur, et au « pourrissement » de la situation de OSN. Celui-ci est amplifié par les premiers effets des mesures préconisées par le FMI (Fonds Monétaire International) qui plaide déjà pour une réduction de la dette publique, à laquelle contribuent justement les déficits de l’entreprise publique. Émerge un véritable phénomène de « redistribution négative » : les subventions accordées au secteur en vue d’aider les populations défavorisées profitent aux classes moyennes, les seules à être déjà dotées du service. La recherche de financements extérieurs pour le secteur débute. Dès 1960, la BID (Banque Américaine de Développement) accorde des prêts pour des projets d’assainissement. En 1964, cette même institution sera la cheville financière sur laquelle reposera le Plan Nacional de Agua Potable Rural, qui, comme cela a été montré ci-dessus, est essentiel dans l’émergence et le développement du phénomène coopératif dans le secteur. Du point de vue institutionnel, un premier projet de décentralisation est formulé, mais celui-ci est rejeté.

L’évolution du Plan Nacional de Agua Potable (2ème et 3ème étapes)

Le développement de coopératives d’eau dans des bourgs et des petites villes est dû à l’évolution du Plan Nacional de Agua Potable. Au cours des premières années de ce programme, seules les localités de moins de 3.000 habitants étaient potentiellement concernées. En février 1971, alors que la première étape du Plan Nacional touche à sa fin, ce seuil est porté à 8.000 habitants1. Cette modification, appliquée à partir de la seconde étape, répond à un besoin formulé par les provinces. En effet, « plusieurs provinces demandèrent l’augmentation de ce seuil [de 3.000 habitants] afin de pouvoir inclure dans le Plan Nacional, un nombre considérable de localités dotées d’une population plus importante, lesquelles, pour diverses raisons, ne pouvaient pas bénéficier de l’action de OSN, ni participer aux programmes du Plan Nacional, en raison de la limitation signalée »2. Un tel changement écorne quelque peu la partition claire du territoire national entre le monde urbain, sphère de compétence de OSN (et, à défaut des municipalités), et le monde rural, champ d’application du Plan Nacional de Agua Potable. Cette « dilution des frontières » se trouve confirmée quelques années plus tard lorsque le seuil est à nouveau augmenté pour être porté à 10.000 habitants.
L’évolution évoquée ci-dessus s’inscrit dans une mutation plus générale du Plan Nacional de Agua Potable. À partir de novembre 1970, l’organisme en charge de ce programme au niveau national, le SNAP, change de tutelle. Rattaché jusqu’alors au ministère d’Assistance Sociale et de Santé Publique, il dépend désormais du SRH (Secrétariat des Ressources Hydriques) au sein du ministère des Travaux et Services Publics (Ministerio de Obras y Servicios Públicos). Ce changement de tutelle entraîne un certain infléchissement des objectifs du programme. Sa vocation proprement sociale (sensibilisation des populations aux problèmes de santé publique et développement communautaire) perd progressivement de l’importance. Concrètement, cela se traduit par le fait que le suivi des structures communautaires créé n’est plus véritablement assuré. De plus en plus, le travail social d’accompagnement s’achève avec la remise à la communauté des installations. La priorité est mise sur la construction (au détriment parfois de l’accompagnement social). De fait, au cours des années 1970, le nombre de projets aboutissant est impressionnant comme en témoigne le tableau ci-dessous.

Le surgissement de coopératives en périphérie des grandes villes

Au cours des années 1970, le décalage entre le développement urbain des grandes agglomérations du pays et celui des réseaux de services d’eau et d’assainissement s’accroît de plus en plus. En crise et privé de moyens, OSN ne réalise que très peu de projets, de sorte que des pans entiers des périphéries s’urbanisent sans que la desserte en eau par les réseaux de l’entreprise ne soit assurée.
Une telle situation est particulièrement notable dans le cas de l’agglomération de Buenos Aires, où au manque de moyens de l’entreprise s’ajoutent les conséquences d’une mauvaise planification du développement des réseaux opérée dans les années 1940. Cette dernière résulte d’une appréciation erronée de la nature du développement de l’agglomération. Les planificateurs s’attendent à ce que le mode d’urbanisation d’alors, concentré le long des axes ferroviaires se trouve confirmé. La réalité se révèle différente. Sous l’effet de la construction d’un réseau routier en anneau autour de Buenos Aires et du recours massif à des pratiques d’autoconstruction, l’urbanisation de la zone est plus intense que prévue et investit les espaces entre les différents axes ferroviaires. Dès lors le décalage entre l’urbanisation et le projet de développement des réseaux de OSN est manifeste. « Le projet auquel OSN se prépare consiste donc à desservir une aire de 200 km2, où la densité moyenne de la population sera de 20 habitants à l’hectare, et à réaliser des extensions suivant quelques axes privilégiés. L’agglomération telle qu’elle se développe [réellement] s’étend, en un tissu urbain continu, sur 2.000 km2, avec des densités souvent inférieures à 50 hab./ha. »1
Dans les larges zones non desservies par le réseau, la réponse apportée à la fourniture d’eau potable est de plus souvent de nature individuelle. Connue sous le nom de bombeador, cette solution consiste en une perforation en direction de la nappe souterraine et surmontée d’une pompe, le tout alimentant un réservoir situé sur le toit de l’habitation desservie. Les caractéristiques techniques des différents éléments de cette solution ne répondent à aucune norme particulière : elles dépendent principalement de la profondeur de la nappe à atteindre et des moyens financiers des habitants concernés. Cette solution rencontre une limite d’importance : l’évacuation des eaux usées s’effectue au travers d’un simple ouverture opérée dans le sol, appelé pozo negro (puits noir), de sorte que les risques de contamination de la nappe dans lequel le bombeador s’alimente ne sont pas négligeables. Aussi, la solution de type bombeador ne convient-elle plus lorsque la densification devient trop importante et que la nappe souterraine la plus accessible se trouve contaminée. Dans ce contexte, d’autres solutions, collectives, se mettent en place. Comme cela a déjà été expliqué, des expériences coopératives ont vu le jour dans le cadre de nouveaux lotissements au cours des années 50 dans les zones situées hors du territoire d’action de OSN. À partir de la fin des années 1960, des structures communautaires vont également apparaître dans des quartiers déjà existants, parfois même à l’intérieur du territoire de compétence de OSN. En effet, l’entreprise publique en crise n’a pas réalisé un certain nombre de projets d’extension de ses réseaux et les populations sont privées de service. Or, en raison de la contamination de plus en plus marquée des nappes souterraines les plus accessibles, l’approvisionnement de ces zones ne peut plus être assuré de manière individuelle. La construction d’un système collectif allant puiser l’eau dans une nappe plus profonde à partir d’un ou plusieurs points de captage, apparaît à leurs populations comme une nécessité. Face au refus ou à l’impossibilité de l’entreprise publique et de la municipalité de prendre en charge ce problème1, les populations de ces espaces oubliés arrivent parfois à se débrouiller pour construire un réseau local. Pour en assurer la gestion, ils constituent alors une structure communautaire, qui prend comme forme juridique le statut de coopératives de services publics ou d’associations à base territoriale locale (asociación vecinal, sociedad de fomento2), comme l’a montré l’étude réalisée par le CEUR sous la direction de Fernando BRUNSTEIN3. Tolérées par OSN incapable d’assurer le service dans ces zones, ces expériences ne sont cependant pas reconnues par l’entreprise publique. Aux yeux des responsables de OSN, elles ne constituent qu’un pis-aller en attendant l’extension de leur propre réseau. Ces solutions sont cantonnées à un rôle palliatif.

La progressive autonomisation des organismes provinciaux

Le processus de recomposition du secteur de l’eau et de l’assainissement en Argentine ne débute  véritablement qu’avec l’avènement du COFES (Consejo Federal de Entes de Saneamiento) en 1982. Sous l’impulsion de la province de Mendoza, le COFES est créé par les entités des différentes provinces qui, pour pallier leur manque de compétences – et, notamment de savoir-faire en matière de normes -, ressentent la nécessité de se regrouper au sein d’un structure commune. Il accueille également en son sein OSN (en tant que prestataire des services de l’aire métropolitaine de Buenos Aires) et plusieurs fédérations de coopératives impliquées dans le secteur. Le COFES ne saurait constituer une réponse par lui-même à la nécessaire réorganisation institutionnelle du secteur. En effet, il ne s’agit pas d’une émanation de l’État fédéral mais d’un regroupement sous la forme d’une association d’entités relevant principalement des provinces. Il ne reçoit aucun financement de la part de l’État fédéral autre que la contribution de OSN dont le rayon d’action est désormais limité à l’aire métropolitaine de Buenos Aires1. Néanmoins, il va offrir – au même titre que la section argentine de l’AIDIS (Asociación Argentina de Ingeniería Sanitaria y Ciencias del Ambiente) – un espace de débat dans lequel les ingénieurs et les responsables d’entités de différentes provinces vont se rencontrer et réfléchir ensemble à la réorganisation des institutions provinciales.
Deux questions se posent alors : d’une part, l’opportunité d’opérer une décentralisation des services aux municipalités, et, d’autre part, la recherche d’un statut juridique permettant une meilleure efficacité de l’action de l’organisme provincial.
De manière générale, la décentralisation vers les municipalités n’est que peu utilisée et l’organisme provincial, en assumant la gestion des services transférés par OSN, devient le prestataire le plus important sur son territoire1. Certaines provinces (Chubut, La Pampa) vont certes recourir à la décentralisation, mais dans une logique différente de celle mise en oeuvre lors du démantèlement de OSN. En effet, il n’est jamais question de désengager le niveau provincial de toute responsabilité dans le secteur. Ainsi, dans la province de Chubut, la quasi-totalité des services va être transférée aux municipalités, lesquelles vont les déléguer à des coopératives de services publics. Néanmoins, l’organisme provincial – la DOSyG – continue à assurer le service dans les localités rurales trop petites pour que puisse y exister une coopérative. Dans la province de La Pampa, l’APA (Administración Provincial del Agua) a en charge les aspects réglementaires du secteur (protection des ressources, supervision des prestataires) ainsi que la conduite et l’exécution de projets de construction de réseaux et d’installations, laissant la prestation des services eux-mêmes aux municipalités ou à des coopératives. Dans ce cas, la décentralisation est utilisée pour réorganiser le secteur par la formalisation d’une articulation entre niveaux provincial et municipal. Dans la grande majorité des cas, une tendance se dessine : les missions de planification et de contrôle sont assumées par l’échelon provincial. Aussi bien les services transférés par OSN – qu’ils soient par la suite municipalisés ou non -, que les services directement opérés par l’organisme provincial, ou encore les services gérés par des coopératives (SNAP ou autres) ou des municipalités, tous se trouvent désormais soumis au contrôle de l’autorité provinciale. L’organisme provincial cumule souvent la fonction de planification et de contrôle sur l’intégralité du territoire avec celle de prestataire d’un certain nombre de services locaux.

DEVELOPPEMENT ET RECONNAISSANCE DES COOPERATIVES URBAINES

Au cours de cette période, la place et le rôle occupés par les coopératives dans le secteur évolue de manière sensible, tant du point de vue quantitatif que qualitatif. Deux traits majeurs caractérisent cette évolution : d’une part, un nombre croissant de coopératives se développent en milieu urbain, et, d’autre part, le phénomène coopératif dans le secteur sort de la marginalité institutionnelle dans lequel il était cantonné jusqu’alors. Cependant, à l’instar de l’organisation générale du secteur, l’intensité de cette évolution varie notablement d’une province à l’autre.

La sortie progressive de la marginalisation institutionnelle

Au delà de leur développement numérique, les coopératives d’eau en ville connaissent une sortie progressive de la marginalité institutionnelle dans laquelle elles étaient cantonnées au temps de OSN. Ce début de reconnaissance « officielle », à l’instar de l’évolution des organismes provinciaux, est variable d’une province à l’autre.
Généralement, avec la décentralisation des services de OSN aux provinces, ces dernières ont unifié à l’intérieur de nouveaux organigrammes l’intégralité des services d’eau et d’assainissement présents sur leur territoire. Le plus souvent, les SPAR ou SPAP (Servicio Provincial de Agua Potable), organismes relais au niveau des provinces du Plan Nacional de Agua Potable, sont intégrés en tant que département (ou autre subdivision) de l’entité provinciale qui a ainsi compétence sur l’ensemble du territoire provincial. Ainsi, les coopératives ne sont plus reconnues comme les entités d’un programme spécifique destiné aux populations rurales, elles le sont en tant qu’un type de prestataires parmi d’autres, au même titre qu’une administration provinciale ou une municipalité. Cependant, dans bien des cas, cette reconnaissance n’est que formelle, tant perdure la séparation des pratiques et des savoir-faire entre les fonctionnaires ayant en charge les services auparavant gérés par OSN et ceux du SPAR. Un simple changement d’organigramme ne suffit pas à rapprocher deux philosophies d’action très éloignées.
Toutefois, dans certaines provinces, cette sortie de la marginalité institutionnelle va beaucoup plus loin. En effet, la coopérative d’usagers autogérée n’est plus le seul modèle observable. Une institutionnalisation d’articulation effective et non seulement formelle avec des organismes publics (administrations provinciales ou municipalités) voit le jour. Tel est le cas de la province de Chubut où l’on assiste à la prise en charge de la quasi-totalité des services d’eau et d’assainissement par des coopératives de services publics qui assuraient déjà les services électriques. Ces prises en charge font l’objet de textes de concession dont le contenu n’est pas simplement formel, comme nous aurons l’occasion de l’étudier dans l’étude de cas consacrée à cette province. Il faudra toutefois attendre l’époque suivante, à savoir l’heure néo-libérale, pour que la sortie de la marginalité institutionnelle du phénomène coopératif dans le secteur se généralise à l’ensemble du pays.

EAU ET ASSAINISSEMENT : UNE PORTEE DIFFERENTIELLE

Le repli des provinces sur le rôle de régulateur

Bien que ne constituant pas la première expérience en la matière dans l’Argentine des années 1990, la « privatisation »1 des services de l’aire métropolitaine de Buenos Aires va constituer l’événement déclencheur d’un changement radical dans l’évolution des organismes provinciaux caractérisant la période antérieure2. En opérant la mise en concession pour une durée de trente ans à un consortium privé (Aguas Argentinas), placé sous le contrôle d’un organisme de régulation (ETOSS), l’État fédéral met en place dans cette zone un «dispositif institutionnel» bi-acteurs qui va bientôt être érigé en une sorte de référence pour la redéfinition du rôle des entités provinciales. C’est en effet sous l’influence de l’organisation adoptée dans l’aire métropolitaine de Buenos Aires que les provinces de l’intérieur du pays vont repenser leur action dans le secteur.
Une telle influence peut surprendre compte tenu de la totale autonomie dont disposent les provinces dans ce secteur depuis la décentralisation de 1980. Trois facteurs l’expliquent. Tout d’abord, l’aire métropolitaine de Buenos Aires est la zone dotée des services les plus importants de tout le territoire national. Ensuite, l’adoption de ce nouveau dispositif signifie la rupture définitive avec le «modèle OSN» dont nous avons souligné la prégnance dans les provinces au travers du mimétisme qu’il y a suscité lors des réarrangements opérés en 1980. Enfin, cette privatisation s’insère dans un projet politique plus global de Réforme de l’État mené par le gouvernement MENEM, lequel consiste essentiellement en la privatisation d’un nombre considérable d’entreprises publiques (parmi lesquelles celles reposant sur des réseaux comme le gaz, l’électricité, le téléphone, les transports…). La conjonction de ces trois facteurs fait que, dans la majorité des provinces, le dispositif mis en place à Buenos Aires constitue une référence « incontournable » pour penser toute réforme dans le secteur3.

L’ORGANISATION DES SEJOURS DE RECHERCHE

Fin 1992 (date de commencement de la présente recherche), l’information à notre disposition sur les évolutions du secteur de l’eau et de l’assainissement en Argentine était très limitée. Des coupures de presse extraits de quotidiens argentins (La Nación, Clarín, Pagina 12) évoquaient le processus de mise en concession des services de l’aire métropolitaine de Buenos Aires. Par ailleurs, quelques uns des premiers numéros de la revue des ingénieurs sanitaires argentins (Ingeniería Sanitaria y Ambiental) ramenés d’un séjour effectué à Buenos Aires fin 19901, permettait d’avoir quelques idées sur la situation du secteur à l’intérieur du pays. Un document de travail élaboré sur la base de ces quelques matériaux1 a été l’occasion de mettre en lumière la grande diversité des situations existantes entre les différentes provinces du pays et ainsi de confirmer l’intérêt de la suggestion émise par Henri COING d’élargir le champ de la recherche de manière à y inclure l’intérieur du pays.
Dès lors, les séjours de recherche en Argentine avaient pour objet général de collecter le plus d’informations possibles quant au phénomène de recomposition du secteur de l’eau et de l’assainissement, avec le souci de ne pas se cantonner au seul cas de la situation de l’aire métropolitaine de Buenos Aires. Il convient de préciser ici que la préoccupation fut d’accumuler des données de nature qualitative, relatives au processus de changement. En effet, dès le début du travail, eu égard à l’ampleur des mutations en cours, toute prétention à un travail de nature statistique nous est apparu comme vain.

LES ENTRETIENS COMME SOURCE PRINCIPALE

Le secteur de l’eau et de l’assainissement en Argentine se trouvant actuellement dans une phase de redéfinition, le problème méthodologique qui s’est alors posé a consisté à déterminer le (ou les) moyen(s) de recherche les plus appropriés pour appréhender et saisir des processus en cours. La littérature antérieure sur le secteur était à ce titre obsolète. En revanche, l’entretien d’acteurs impliqués aujourd’hui dans ces processus est apparu comme tout à fait pertinent et s’est vite imposé comme l’outil privilégié utilisé dans cette recherche. D’autres sources d’informations sont toutefois venues compléter les éléments apportés par les entretiens.

Les sources d’information complémentaires

D’autres sources d’information sont venues compléter les entretiens, principalement au niveau local. Trois types de matériaux ont été recherchés de manière systématique : la documentation technique, des documents légaux et juridiques, des brochures administratives et autres littérature institutionnelle. Comme documents techniques, nous avons cherché à obtenir : les plans des réseaux, la description des caractéristiques des installations et du matériel utilisé par l’entité en charge des services. Parmi les documents légaux et juridiques, nous intéressaient : les comptes rendus d’activités et les bilans comptables des coopératives ; les textes de lois et de décrets nationaux ou provinciaux, ordonnances municipales en rapport avec le secteur ou ayant une influence sur celui-ci ; les contrats de concessions et réglementations sectorielles ; les statuts d’organismes provinciaux et des coopératives étudiées. Enfin, nous avons collecté les organigrammes des institutions ainsi que toutes les publications (brochure, journal de coopérative ou d’entreprise, comptes rendus divers,…) réalisées dans ces institutions pouvant être utiles à notre recherche. Ces divers documents ont constitué un complément très important aux entretiens. Ils ont souvent fourni des données ponctuelles utiles et permis de constituer une sorte de premier cadrage de l’analyse. C’est pourquoi, lorsque cela était possible, nous avons tâché de nous les procurer et de les lire avant les entretiens afin de gagner en pertinence dans ceux-ci.
À un niveau plus général, la presse spécialisée (plus particulièrement la revue Ingeniería Sanitaria y Ambiental, éditée par l’association des ingénieurs sanitaires argentins et dont nous avons continué à recevoir des exemplaires avec une certaine régularité) s’est révélée utile pour nous maintenir au courant des différentes privatisations dans le secteur. En revanche, nous n’avons eu que peu recours à la presse quotidienne. L’information que l’on y trouvait était la plupart du temps trop approximative pour y collecter des éléments détaillés ou fiables. Nous l’avons cependant utilisé une fois, dans le cadre de notre étude de cas consacrée la province de Chubut, afin de mettre en évidence les nombreux rebondissements et les contretemps répétés intervenus au cours d’une procédure d’appel d’offres concernant le projet de construction du nouvel aqueduc entre le Lago Musters et Comodoro Rivadavia1.
Enfin, un effort de recherche bibliographique a été mené concernant les processus de privatisation des entreprises publiques argentines, l’histoire du mouvement coopératif dans ce pays, ainsi que celle du secteur de l’eau et de l’assainissement.

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Table des matières

ABSTRACT
INTRODUCTION : LA RECOMPOSITION CONCRETE D’UN SERVICE PUBLIC EN PLEINE MUTATION : L’EAU ET L’ASSAINISSEMENT EN ARGENTINE
PREMIERE PARTIE: UNE HISTOIRE DU SECTEUR DE L’EAU ET DE L’ASSAINISSEMENT EN ARGENTINE
CHAPITRE 1 : LE SECTEUR DE L’EAU ET DE L’ASSAINISSEMENT COMME QUASI-MONOPOLE DE L’ACTION FEDERALE
CHAPITRE 2 : LA RECOMPOSITION DU SECTEUR : DU DEMANTELEMENT DE OSN A L’HEURE NEO-LIBERALE
DEUXIEME PARTIE : QUATRE «DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS» IMPLIQUANT DES COOPERATIVES
PROLEGOMENES METHODOLOGIQUES
ÉTUDE DE CAS N°1 : SANTA FE : LE «MODELE « SPAR »» A L’EPREUVE DE LA REGULATION
ÉTUDE DE CAS N°2 : L’AIRE METROPOLITAINE DE BUENOS AIRES ET LA QUESTION DE LA GESTION PLURALISTE DES SERVICES : L’EXEMPLE DE COMACO
ÉTUDE DE CAS N°3 : LES COOPERATIVES AU COEUR DU SECTEUR DE L’EAU ET DE L’ASSAINISSEMENT
ÉTUDE DE CAS N°4 : LA COOPERATIVE OUVRIERE DE VILLA MARIA : UN NOUVEAU MODE VIABLE DE GESTION DE SERVICES D’EAU ET D’ASSAINISSEMENT ?
TROISIEME PARTIE : LES CARACTERISTIQUES DE LA RECOMPOSITION CONCRETE DU SECTEUR AU NIVEAU LOCAL : DIVERSITE DES SOLUTIONS ET APPRENTISSAGES
CHAPITRE 1 : LA DIVERSITE DES FORMES CONCRETES DE LA RECOMPOSITION : MONDIALISATION DES MODELES VS IRREDUCTIBILITE DU LOCAL
CHAPITRE 2 : LA PERENNISATION DES «DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS» : PROCESSUS D’«APPRENTISSAGE PRODUCTIF» VS PROCEDURES DE REGULATION
CONCLUSION : LE PHENOMENE COOPERATIF COMME REVELATEUR D’ENJEUX DE LA RECOMPOSITION DU SECTEUR
BIBLIOGRAPHIE

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