LA QUESTION DU DROIT NATUREL CHEZ LEO STRAUSS

LE DROIT NATUREL A-T-IL UNE ORIGINE PHILOSOPHIQUE ?

   L’origine de la notion de droit naturel ne peut être appréhendée sans que l’idée de nature ne soit comprise. C’est le constat que fait Léo Strauss quand il montre que : « la notion de droit naturel est nécessairement absente tant que l’idée de nature reste ignorée. ». En effet, il faut souligner que le droit naturel est intrinsèquement lié à l’idée de nature humaine. L’étude de la notion suppose alors une bonne compréhension de la nature. Si tel est le cas, la philosophie est consubstantiellement liée au droit naturel dans la mesure où la découverte de la nature est l’affaire du philosophe. Strauss soutient à ce propos que « là où il n’y a pas de philosophie, le droit naturel est inconnu ». C’est avec la philosophie que l’étude du droit naturel a débuté. L’Ancien testament qui est une référence ignore la nature par conséquence, ne peut rien dire sur la question du droit naturel. Parler de droit naturel revient à découvrir l’idée de nature. Du point de vue philosophique, rechercher la nature revient à rechercher les causes premières, les « principes premiers de toutes choses. En effet les penseurs présocratiques qui donnent naissance à la philosophie ont une démarche radicalement opposée dans leur intention à celle d’Homère et d’Hésiode, de grands mythologues de l’histoire de la Grèce. Insatisfaits des explications mythiques pour rendre compte de l’ordre cosmique et des phénomènes, ces penseurs vont entreprendre une critique des mythes en faisant appel à des éléments de la nature ou à des principes abstraits. Ainsi, la question fondamentale qui préoccupait les anciens philosophes, était la recherche de l’arche des choses ou le principe de toute chose. Ces premiers philosophes discouraient donc de la nature alors que leurs prédécesseurs faisaient des dieux leurs principaux centres d’intérêt. Strauss conforte le rôle joué en ce sens par les premiers philosophes en soulignant que « l’histoire de la philosophie n’est autre chose que l’histoire des efforts incessants de l’homme pour arriver à saisir toutes les implications de l’homme pour arriver à saisir toutes les implications de cette découverte fondamentale que nous devons à quelque Grec obscur, il y a deux mille six cents ans ou plus. On ne peut en comprendre le sens, même de façon provisoire, sans remonter de l’idée de nature à son équivalent pré-philosophique. » Cependant il convient de rappeler qu’une distinction doit être faite entre ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas. En réalité, les phénomènes ne sont pas tous naturels car il existe des phénomènes non naturels. La coutume ou manière d’être reflète la nature des individus. La coutume est comme le soutient Strauss « l’équivalent pré-philosophique de la nature ». La coutume ou manière de vivre est partagée presque par toutes les communautés. Avant la philosophie la bonne manière était considérée comme une coutume ancestrale. Cette coutume ancestrale avait une autorité dans la mesure où elle relevait de lois divines. Cette coutume qui avait été établie par les dieux ou les demi-dieux avaient cette détermination d’être un code divin. Elle était donc bonne par nature, bonne par voie d’autorité. Or il est établi que « la notion de droit naturel ne peut pas apparaitre tant que l’autorité n’est pas contestée. » C’est pour cette raison donc que Platon dans la République trouve nécessaire de contester l’autorité pour découvrir le droit naturel. Le droit naturel est né après un besoin naturel de l’homme de contester l’autorité, de contester le code divin. C’est dans ce sens que Strauss soutient : Si nous considérons Socrate comme le symbole de cette quête du droit naturel,nous pouvons illustrer les rapports qu’entretient une telle démarche avec l’autorité de la façon suivante : dans une communauté gouvernée par des lois divines, il est strictement interdit de soumettre ces lois à une discussion sérieuse, donc à un examen critique, en la présence de jeunes gens ; or Socrate discute du droit naturel- ce qui suppose qu’il a auparavant mis en doute le code ancestral et divin .

LE REJET DU DROIT NATUREL AU NOM DE L’HISTOIRE

   Il faut dire que la question du droit naturel a demeuré au centre d’une controverse. En effet si certains clament son existence car dérivant de la nature humaine, d’autres par contre le rejettent purement et simplement. Son rejet est manifeste par l’école historique. Pour les tenants de cette école, « le droit naturel prétend être accessible à la raison humaine et universellement reconnu. Or l’histoire et l’ethnologie nous apprennent qu’il n’en est rien ; au lieu d’une prétention uniformité, nous rencontrons une diversité de notions de droit et de la justice. »  Voilà donc pourquoi l’école historique rejette le droit naturel au nom de l’histoire. Il faut ainsi dire que le droit naturel présuppose l’existence de principes immuables de justice ; en conséquence puisque l’histoire nous montre que les principes de droit sont variables, alors on peut aisément conclure que le droit naturel n’existe pas. En effet, pour eux, la pluralité des conceptions de droit permet de conclure à l’inexistence du droit naturel. Par conséquent il doit y avoir un fondement conventionnel à tout droit. Ainsi le concept « conventionalisme » suppose que tout droit est fondé sur des conventions. La convention signifie un accord entre les humains pour créer des principes de droit. Strauss le soutien dans ces lignes : la thèse d’après laquelle le droit et la justice sont conventionnels signifient, que leur fondement n’est pas dans la nature, qu’ils sont en dernière analyse contre la nature, sans autre raison d’être que l’assentiment arbitraire des communautés humaines explicites ou non : ils n’ont d’autre fondement que le commun accord. Cela signifie que dans le conventionalisme, les principes de justice et de droit sont le fruit d’un commun accord entre les hommes. Dans ce cas, les principes de droit et de justice ne sont pas fondés dans la nature. Vu sous cet angle, « les partisans du point de vue historique moderne par contre se hâtent de rejeter au rang des mythes les prémisses selon lesquelles la nature est la norme ; ils refusent à la nature une dignité plus haute que celle d’aucune œuvre humaine. » Donc le droit obtenu à partir d’une convention est supérieure et plus valide que le droit naturel. Etant donné que la convention est une œuvre humaine à partir d’un commun accord, alors la convention est supérieure à la nature et doit par conséquent être érigée en norme. Ainsi, le droit conventionnel est supérieur au droit naturel. Voilà pourquoi l’école historique rejette la notion de droit naturel. Ainsi, « il implique que le monde de l’homme, de la créativité humaine, domine de loin celui de la nature. »1 Strauss ajoute que le postulat fondamental du conventionalisme ne diffère donc en rien de l’idée de la philosophie conçue comme une tentative d’appréhension de l’éternel. C’est précisément cette idée que rejettent aujourd’hui les adversaires du droit naturel. Selon eux toute pensée humaine est historique et par là, incapable d’appréhender quoi que ce soit d’éternel.  La différence entre le conventionalisme et l’historicisme réside dans l’acte même de philosopher. La philosophie consiste à rompre avec l’obscurité de la caverne. La caverne étant selon Platon un monde d’illusion car tout ce qui se reflète n’est qu’une apparence. L’homme doit pouvoir rompre avec ces apparences, ses illusions de la caverne. La philosophie c’est donc cette tentative de s’extirper du monde sensible, de l’obscurité de la caverne. La remarque principale qu’on peut faire est que si chez les anciens, philosopher consiste à sortir de la caverne, « chez nos contemporains toute démarche philosophique appartient principalement à un « monde historique », à une « culture », à une « civilisation » ou à une weltanschauung, en somme précisément à ce que Platon appelait la caverne. Nous appelons cette théorie l’historicisme. »

WEBER ET LES FAITS ET VALEURS

   L’historicisme prétend l’inexistence de la philosophie et puisque la philosophie n’existe pas donc il ne peut y avoir de droit naturel. L’historicisme fonde ses motifs sur le caractère changeant des problèmes fondamentaux qui se posent aux hommes comme il le soutient : « Pour pouvoir philosopher, il suffit que les problèmes fondamentaux restent toujours les mêmes.» En effet l’analyse de l’histoire de la philosophie a montré que les différents philosophes politiques ont tenté d’apporter des solutions aux problèmes récurrents qui se posent aux hommes. La préoccupation majeure des philosophes était de trouver des solutions à la question : « comment l’homme doit-il vivre ? » Cette énigme et cette tentative de solutionner ce vieux débat qui suscite réflexion a apporté des réponses contradictoires au niveau des penseurs de l’époque. Si pour les classiques l’homme doit vivre conformément à la sagesse, pour Aristote la sagesse n’est pas la chose indispensable Les spécialistes des sciences sociales comme Max Weber ont une autre lecture de la problématique du droit naturel. En effet « si la notion de droit naturel est rejetée, ce n’est donc pas seulement que l’on considère toute pensée humaine comme historique, c’est aussi que parce que l’on estime qu’il y a une pluralité des principes invariables du droit et du bien qui s’opposent entre eux sans que l’on puisse prouver la supériorité d’aucun. Telle est en substance la position adoptée par Max Weber. » Bien qu’il se considère comme un disciple de l’école historique, Weber a posé des réserves sur les pensées de cette école. Le fait qu’il soit disciple de l’école historique ne lui donne pas l’opportunité de confirmer ses idées. Weber rejette complétement la notion de droit naturel. Ce qu’il reproche à l’école historique c’est d’essayer de maintenir le droit naturel sous un « travesti historique » au lieu de le rejeter complétement. Il faut rappeler que l’école historique avait donné au droit naturel un caractère historique. Pour Weber le droit naturel doit être purement et simplement rejeté. Weber rejette le droit naturel aux dépens des sciences naturelles et des sciences sociales. Il attache plus d’importance aux sciences qu’à l’histoire. Les sciences sont empiriques et objectives et diffèrent pour une large part d’une weltanschauung. Les sciences sont objectives et universelles. Elles sont valables en tout temps et en tout lieu. Pour Weber les sciences sociales sont certes objectives parce qu’elles partent toujours de propositions vraies. Mais aussi Weber poursuit sa démonstration en montrant que même si ces sciences sociales partent sur des propositions vraies et objectives, il faut reconnaitre que les conclusions sont le résultat de l’orientation de notre intérêt, de nos points de vue, qui sont eux-mêmes fonctions de nos jugements de valeur. Ces jugements de valeur sont historiques et relatifs ; par conséquent, la science sociale est essentiellement historique, car ce sont nos valeurs et l’orientation de notre intérêt qui déterminent tout le cadre conceptuel des sciences sociales.1 Pour Weber, faits et valeurs sont irréductibles. Pour lui il faut distinguer les « jugements de valeurs » et le « rapport aux valeurs ». En ce qui concerne les jugements de valeurs, il y a des aspects personnels qui apparaissent : notre point de vue, notre intérêt. L’objet des sciences sociales est déterminé par le « rapport aux valeurs ». La sociologie s’appuie sur des causes pour expliquer des faits. Weber, dont la pensée est tiraillée entre la conception de l’école historique et la conception de Kant sur la morale, tente de les concilier pour aboutir à la distinction entre obligations morales et valeurs culturelles : « les obligations morales relèvent de notre conscience tandis que les valeurs culturelles s’adressent à nos sentiments : l’individu a l’obligation de remplir ses devoirs moraux, mais son libre-arbitre est seul à décider de son désir ou de son indifférence devant les idéaux culturels. » En effet pou Weber, les obligations éthiques sont subjectives. Weber relativise l’éthique fondée sur la justice et l’ordre social. Et, c’est de ce relativisme moral à une conception d’une éthique indifférente à la justice de l’ordre social que repose sa conception de la personnalité et de la dignité humaine. Ainsi « la vraie signification de la « personnalité » dépend de la vraie signification de la liberté. ». Pour Strauss, « la vraie liberté réside dans les fins et ces fins trouvent leur fondement dans les valeurs essentielles.» Weber poursuit en ajoutant que la dignité de l’homme, ce qui l’élève au-dessus de la simple nature, au-dessus de la brute, réside dans son autonomie : l’homme établit en toute indépendance ses valeurs essentielles, il fait de ses valeurs ses fins constantes et choisit rationnellement les moyens adaptés à ces fins. Donc Weber tente de montrer que la dignité de l’homme réside dans ses fins et ses fins sont naturellement ses valeurs. La dignité de l’homme se trouve dans ses valeurs, les idéaux auxquels il aspire. L’action est individuelle et c’est un choix opéré par l’individu. Weber l’annonce ainsi à un impératif catégorique : « Ecoute Dieu ou Diable, comme tu veux ; mais, quel que soit ton choix, que ce soit de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces. » Ainsi selon Weber, Choisir Dieu ou le démon, l’essentiel est de se consacrer à une cause, d’agir conformément à la raison. Dans le choix des valeurs culturelles et des obligations morales, Weber ajoute que quelles que soient ses préférences pour des valeurs vitales comme valeurs suprêmes, l’homme doit être au moins honnête vis-à-vis de lui-même. Weber rejette les normes objectives car pour lui c’est une entrave à la liberté de l’homme. « Deviens qui tu es », « choisis ton destin », comme il le souligne, sont des principes de liberté qui sont incompatibles avec les normes objectives.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER : ORIGINE DU DROIT NATUREL
1. LE DROIT NATUREL A-T-IL UNE ORIGINE PHILOSOPHIQUE ?
2. DISTINCTION ENTRE NATURE ET CONVENTION
CHAPITRE II : LE REJET DU DROIT NATUREL AU NOM DE L’HISTORICISME ET DES FAITS ET VALEURS
1- LE REJET DU DROIT NATUREL AU NOM DE L’HISTOIRE
2- WEBER ET LES FAITS ET VALEURS
CHAPITRE IV: LA DOCTRINE DU MEILLEUR REGIME OU DE L’ORDRE SOCIAL JUSTE COMME FONDEMENT DU DROIT NATUREL CHEZ LES CLASSIQUES
1. LA JUSTICE COMME CONFORMITE A LA NATURE CHEZ SOCRATE
2-L’HOMME, ANIMAL POLITIQUE PAR NATURE CHEZ ARISTOTE
3- LE DROIT NATUREL COMME PARTIE INTEGRANTE DU DROIT DIVIN CHEZ SAINT-THOMAS
CHAPITRE V : LE DROIT NATUREL MODERNE
1- HOBBES : L’HOMME A L’ETAT DE NATURE, UN NECESSAIRE BESOIN DE CONSERVATION
2- LE DROIT DE LA PROPRIETE, UN PRINCIPE  FONDEMMENTAL DU DROIT NATUREL CHEZ JOHN LOCKE
3. L’EXISTENCE DU DROIT NATUREL A L’ETAT DE NATURE ET SA SUBSISTANCE A L’ETAT CIVIL CHEZ ROUSSEAU
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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