La question de la démocratie dans la pensée politique de Rousseau

L’état de nature

   L’état de nature est un supposé moment dans lequel se trouvait l’homme avant toute institution sociale. De ce fait, il s’oppose à l’état social en ce sens que dans cet état, l’homme vivait isolé n’ayant aucune relation avec ses semblables. En effet, il est important de préciser que l’état de nature est un prétexte pouvant servir de principe pour éclaircir notre état actuel. Il est « une hypothèse de travail » utilisée par la philosophie politique moderne, plus précisément par les théoriciens du contrat. Cet état de conjecture est commun aux philosophes politiques modernes soucieux d’expliquer l’origine, mais aussi le fondement de la société. C’est pourquoi Rousseau dit, dans Deuxième Discours : « Les philosophes qui ont examiné les fondements de la société ont tous senti la nécessité de remonter jusqu’à l’état de nature ». Il est donc nécessaire, voire obligatoire de remonter à l’état primitif pour saisir l’essence de la société, mais aussi pour distinguer ce qui est naturel en l’homme d’avec tout ajout social, même si cela s’avère une chose moins aisée. C’est dans ce sens que Rousseau s’exprime ainsi : « Car ce n’est pas une légère entreprise de démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme ». Autrement dit, il n’est pas facile de distinguer chez l’homme, le naturel et l’acquis, car la société l’a transformé à telle enseigne qu’il est devenu méconnaissable. C’est pourquoi le Deuxième Discours le compare à la statue de Glaucos, le dieu marin qui, sous l’effet des intempéries, se métamorphose et s’apparente plus à une bête qu’à un dieu. En effet, pour saisir l’essence de l’homme naturel, Rousseau juge nécessaire de faire recours à un état hypothétique. L’hypothèse de l’état de nature permet à Rousseau de saisir la condition primitive de l’homme qui doit être le soubassement de toute institution sociale. C’est dans cette perspective que Rousseau précise que l’état de nature est : « […] un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent. » L’état de nature rousseauiste consiste à mieux éclairer la nature de société même s’il ne fait pas l’histoire de celle-ci. Cet état de nature est une simple conjecture comparable à celle des physiciens. C’est ainsi que Rousseau précise : « Il ne faut pas prendre les recherches, dans lesquelles on peut entrer sur ce sujet, pour des vérités historiques, mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et conditionnels ; plus propres à éclaircir la nature des choses, qu’à en montrer la véritable origine, et semblables à ceux que font tous les jours nos physiciens sur la formation du monde. » Cela signifie que l’état de nature est, pour Rousseau, une supposition pouvant servir de référence pour mieux appréhender l’état civil. C’est un prétexte permettant de saisir l’état social. C’est par le concept d’état de nature qu’il est possible d’appréhender la différence qui existe entre l’homme devenu social, c’est-à-dire l’homme dépravé, et l’homme naturel. A ce stade d’état de nature, Goldschmidt nous dit qu’ « Il ne s’agit pas, dans le Discours, d’histoire, mais de la nature des choses ». Dans l’état de nature, Rousseau ne cherche pas à légitimer les faits comme l’a fait Grotius, mais il examine ceux-ci par le droit. Il adopte une nouvelle méthode non régressive et change de postulats. C’est ainsi qu’il ne se limite pas aux faits, mais il s’intéresse à la source de ceux-ci. Conscient du fait que l’origine ne se confond pas nécessairement avec le fondement, Rousseau décide de procéder par des hypothèses afin de saisir la constitution première de l’humanité. C’est pourquoi il ne fait pas référence à des vérités historiques, mais procède par des postulats. Ainsi, pour saisir l’état de nature, Rousseau ne suit pas les « développements successifs » de l’homme dans son organisation ; il se propose d’examiner l’homme « dans le premier embryon de l’espèce ». Voilà pourquoi il est en porte-à-faux avec Grotius qui, légitimant les faits, donne raison aux tyrans. Dans l’état de nature, Rousseau étudie l’homme « tel qu’il a dû sortir des mains de la nature », c’est-à-dire, l’homme avant tout acquis social. Cette investigation nécessite, à son égard, de « creuser jusqu’à la racine » pour connaître l’homme primitif. Rousseau, quand il parle de l’homme naturel, se réfère à sa constitution psychologique. En effet, la description de l’homme naturel consiste à mettre en évidence la vie de l’homme et sa constitution physique ainsi que celle psychologique avant tous « les acquêts de la civilisation »  ou toute dépravation sociale. Ainsi Rousseau dit : « L’homme naturel, c’est tout simplement l’homme, abstraction faite de tout ce qu’il doit à la vie sociale, réduit à ce qu’il serait s’il avait toujours vécu isolé. » L’homme naturel n’a que des besoins naturels et modiques, il vit dans la paix et dans l’harmonie. Parlant de cet homme, Rousseau dit qu’il le voit « se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas, et voilà ses besoins satisfaits. »  L’abondance de la nature est donc, ce qui favorise l’indépendance naturelle, le primitif qui satisfait ses besoins n’éprouve pas la nécessité d’être secouru. En outre, l’homme primitif ne désire que ce qui est à sa portée. Il vit dans la tranquillité et dans l’harmonie ; il est en accord avec la nature et avec lui-même. Dans ce sens Durkheim pense que:«L’harmonie se réalise d’elle-même ; l’homme a tout ce qu’il désire parce qu’il ne désire que ce qu’il a. »Cela veut dire que les besoins naturels du primitif sont proportionnels à leurs satisfactions. L’homme, à l’état de nature, a des besoins simples, nécessaires et limités, ce qui fait dire à Rousseau que :« Les seuls biens qu’il connaisse sont la nourriture, une femelle, le repos ; les seuls maux qu’il craigne sont la douleur et non la mort ; car jamais l’animal ne saura ce que c’est que mourir, et la connaissance de la mort, et de ses terreurs, est l’une des premières acquisitions que l’homme ait faites, en s’éloignant de la condition animale. » La nature est assez fertile pour lui offrir ce dont il a besoin. C’est ainsi que l’auteur du Deuxième Discours affirme : « La terre abandonnée à sa fertilité naturelle et couverte de forêts immenses […] offre à chaque pas des magasins et des retraites aux animaux de toute espèce. » Selon Rousseau, l’homme à l’état de nature est comparable à un animal solitaire et instinctif. Il évolue hors de la temporalité, il n’est pas préventif, par conséquent, il vit au jour le jour et n’a pas de projet, si ce n’est l’instant pur d’un désir pacifique. Durkheim, en montrant l’absence de prévoyance du primitif dit ceci : « Il ne se préoccupe même pas d’assurer par avance, dans l’avenir, la satisfaction de ses appétits. Sa connaissance purement sensible ne lui permet pas d’anticiper l’avenir ; il ne pense rien au-delà du présent ». Par son imprévoyance, le primitif est comparé, dans le Deuxième discours au Caraïbe qui, après avoir monnayé son lit de coton le matin, revient pleurer le soir afin de le racheter, car il n’avait pas conscience qu’il en aurait besoin de nouveau. Voilà pourquoi en parlant des primitifs Rousseau dit que « la prévoyance n’était rien pour eux, et loin de s’occuper d’un avenir éloigné, ils ne songeaient pas même au lendemain. » Ainsi, la satisfaction du désir immédiat qu’il éprouve fait que le primitif sombre dans un état tranquille et paisible. Ceci justifie la bonté naturelle de l’homme. En effet, l’homme sauvage est naturellement bon, il est un être isolé, sans industrie, n’ayant pas des instincts particuliers comme l’égoïsme ou l’orgueil. C’est pour cette raison que Rousseau objecte à Hobbes le fait d’attribuer au primitif des caractéristiques qui lui sont étrangères. Ces caractéristiques sont, entre autres, la méchanceté, la cupidité, l’orgueil, l’égoïsme qui sont, pour Rousseau, le propre de l’homme social devenu dépravé. De ce fait, il a accordé à l’homme naturel des traits de l’homme social métamorphosé par « mille causes ». Rousseau, mettant en exergue l’erreur de ses prédécesseurs, plus précisément celle de Hobbes, dit à propos : « […] tous parlant sans cesse de besoin, d’avidité, d’oppression, de désirs et d’orgueil ont transporté à l’état de nature des idées qu’ils avaient prises dans la société : ils parlaient de l’homme sauvage, et ils peignaient l’homme civil. » Rousseau ne rejette pas l’aspect psychologique de la théorie hobbesienne, mais il lui reproche d’avoir accordé cette psychologie à l’homme naturel, car, selon lui, elle n’appartient qu’à l’homme évoluant dans la société. Les conditions pouvant rendre effective la dépravation de l’homme ne sont pas réunies dans l’état primitif où les hommes vivent dispersés, n’ayant aucun rapport encore moins d’obligations entre eux. Cela signifie que les primitifs ne dépendent que des choses et que « les hommes, dans cet état, n’ayant entre eux aucune sorte de relation morale ni de devoirs connus ne pouvaient être ni bons ni méchants et n’avaient ni vices ni vertus » Dans cet état, l’homme libre et indépendant vit seul, dans la forêt primitive, sans impulsion naturelle à l’invention des instruments. Il n’a qu’un seul instrument, c’est son corps et sa conservation est « presque son unique soin, ses facultés les plus exercées doivent être celles qui ont pour objet principal l’attaque et la défense ». L’amour de soi et la pitié sont les deux passions de l’homme sauvage. Ces dernières, antérieures à la raison, favorisent le bien-être et la conservation de soi qui n’est « ni proliférante ni agressive ». L’amour de soi est un penchant naturel qui veille à l’unité immédiate, plus précisément à la conservation de soi. Il est un sentiment primitif et inné qui permet à l’homme d’être en accord avec lui-même et veille à ses besoins nécessaires. C’est lui qui justifie l’attachement à soi et à sa vie. Rousseau le définit ainsi dans le Deuxième Discours : « L’amour de soi-même est un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation ».Il poursuit, dans Emile, en disant : « L’amour de soi-même est toujours bon, et toujours conforme à l’ordre. Chacun étant chargé spécialement de sa propre conservation, le premier et le plus important de ses soins est et doit être d’y veiller sans cesse. » L’amour de soi est une passion liée à l’attachement de son individualité. Il est soustendu par une indifférence totale liée au stade d’isolement et d’indépendance de l’homme naturel. L’égalité et la liberté naturelle font que l’homme sauvage ne connait pas l’inégalité et la contrainte sociale, engendrées par l’amour propre. C’est dans ce sens que Goldschmidt dit : « L’égalité instituée par la nature a donc lieu entre des hommes isolés et indépendants, et c’est cet état qui assure, avec la vigueur qu’il leur fait acquérir, leur conservation. » La vie du primitif se résume au sentiment de sa propre existence, autrement, son unique souci est la conservation de soi qui est inoffensive et consiste à pourvoir à ses besoins simples ainsi qu’à la défense de soi-même. Quant à la pitié, elle est définie dans le Deuxième Discours en ces termes : « […] un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. Et c’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir : c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de mœurs, et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenter de désobéir à sa douce voix ».

L’état de dépravation : le début de la socialisation

   L’homme sauvage, s’éloignant de sa nature originelle, devient un animal dépravé. En effet, la dépravation de l’homme ne peut relever que d’une cause extérieure, car il est naturellement bon même si cette bonté, nous dit Goldschmidt, est en deçà du Bien et du Mal. Cela signifie que la bonté du primitif n’est pas raisonnée, mais elle est naturelle, instinctive et antérieure à la morale. L’homme naturel, innocent et heureux, est victime de dépravation qui advient avec l’avènement de la société. L’homme est né bon, mais l’hostilité de nature et la découverte des rapports qu’il entretient avec ses semblables est la conséquence qui le rend mauvais et vicieux. Si l’homme est naturellement bon, donc sa perversion ne peut être causée que du dehors, c’est-à-dire du milieu extérieur. Quelle est cette cause extérieure qui est parvenue à pervertir l’homme en le mettant dans une situation relationnelle ? Si l’on en croit Rousseau, « la perfectibilité, les vertus sociales et les autres facultés que l’homme naturel avait reçues en puissance ne pouvaient jamais se développer d’elles-mêmes, qu’elles avaient besoin pour cela du concours fortuit de plusieurs causes étrangères qui pouvaient ne jamais naître, et sans lesquelles il fut demeuré éternellement dans sa condition primitive ». Le milieu extérieur, devenu hostile, ne répond plus aux besoins des hommes. C’est ainsi qu’il cause un désaccord entre l’homme et la nature, mais plus encore entre l’homme et sa nature. C’est ainsi que l’homme ne vit plus en harmonie avec la nature, car pour survivre il se met à transformer le milieu physique et en le transformant, il se transforme lui-même. Il a fallu donc une situation inhospitalière pour que l’homme change sa manière d’être. La mutabilité de l’homme lui permet de s’adapter à cette nouvelle situation causée par le « concours fortuit » des changements survenus au fil du temps. Ces derniers sont essentiellement climatiques, démographiques et géographiques. C’est dans cette même veine que Durkheim soutient l’argument selon lequel le seul milieu extérieur qui pousse l’homme à développer ses facultés naturelles est le milieu physique. C’est ainsi qu’il avance que : « les résistances que les hommes rencontrèrent dans la nature stimulèrent toutes leurs facultés. » En parlant de ces résistances, il fait allusion aux « années stériles », aux « hivers longs et rudes », aux « étés brulants » qui ont rendu la situation délicate. Selon Rousseau, cette dernière est la cause externe qui expulsa le primitif de son indolence. L’homme est un animal perfectible c’est pourquoi, devant de nouvelles circonstances, il éprouve « tour à tour diverses manières d’exister » afin de vaincre les difficultés causées par le « funeste hasard ». C’est ainsi que le primitif commence à développer son intelligence pour s’adapter à cette nouvelle situation incommode. Cette incommodité modifie« la marche uniforme de la nature » qui exige du primitif un nouveau mode de vie et une nouvelle industrie afin de pourvoir à ses besoins vitaux. En effet, il invente la technique pour assurer sa survie. C’est pourquoi Rousseau décrit cette situation en ces termes : « Telle fut la condition de l’homme naissant ; telle fut la vie d’un animal borné d’abord aux pures sensations et profitant à peine des dons que lui offrait la nature, loin de songer à lui rien arracher ». Les difficultés, s’accumulant sans cesse, installent l’homme dans une situation incommode causée par un manque inattendu. Dès lors, survient le besoin de s’associer et de communiquer avec ses semblables afin de juguler celles-ci. Dans cette association naissante, les hommes vivent ensemble sans se soumettre à une autorité ou à des lois ; ils construisent des cabanes et des huttes servant d’habitations. A ce stade, l’homme n’a que des penchants naturels, c’est pourquoi il ignore, nous dit Terrel, « les passions belliqueuses des civilisés ». Cela signifie qu’au commencement, c’est-à-dire à l’enfance du monde, l’homme n’était pas mu par les passions nocives, mais il se souciait de sa survie. Ce fut la période du commencement social où le progrès est peu sensible et l’humanité caractérisée par l’apparition de la famille naturelle puis des nations particulières. Cette époque est, selon Rousseau, la plus heureuse de l’humanité caractérisée par l’apparition de la famille naturelle « L’accroissement de la population met fin à la solitude des hommes et à l’abondance de la nature ».  «Ainsi, une première extension des besoins physiques détermine une légère tendance aux groupements ; ces groupements, une fois constitués, suscitent à leur tour des penchants sociaux. » Les changements successifs causés par l’hostilité du monde extérieur et la perfectibilité qui en est la conséquence principale sont à l’origine du besoin de s’associer afin de vaincre l’hostilité et les obstacles de la nature. De ce besoin d’association et d’assistance réciproque, est naît la dépendance mutuelle. Contrairement au premier stade d’état de nature où l’homme se suffit à lui-même. L’homme devenu avide, éprouve la nécessité de s’unir avec ses semblables. De cette association naissent la vanité, la jalousie, la haine, la cupidité et « l’inégalité parmi les hommes » (inerte, insensible à l’état asocial). C’est dans ce sens que Hichem Ghorbel, dans son ouvrage intitulé L’idée de guerre chez Rousseau plus précisément dans le Volume I, dit ceci : «Si de l’œuvre simple de la nature naissent les passions aimantes et douces, de l’abus de nos facultés naissent les passions fougueuses et terribles ». Au fur et à mesure que l’homme se perfectionne, les goûts et les appétits se multiplient et engendrent la concurrence, la jalousie, la haine et la honte. C’est ainsi que Rousseau dit, dans la deuxième partie du Second Discours, que « Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même, et l’estime eut un prix. » Les hommes commencent à se comparer les uns, les autres. En se comparant à autrui, l’homme se soucie moins de son être que de son apparence. C’est pourquoi, au fil du temps, « On n’ose plus paraître ce qu’on est », et l’homme commence à utiliser des astuces et des masques pour tromper autrui par l’apparence. Cela signifie que l’être et le paraître sont scindés, et le mérite est sanctionné par des récompenses. En faisant apparaître les privilèges accordés aux méritants, Rousseau montre :« Celui qui chantait ou dansait le mieux ; le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le plus éloquent devint le plus considéré, et ce fut là le premier pas vers l’inégalité, et vers le vice en même temps : de ces préférences naquirent d’un côté la vanité et le mépris, de l’autre la honte et l’envie ». Voilà ce qui donne naissance aux passions belliqueuses dont parle Terrel dans Les Théories du pacte social. Ces passions factices, étrangères à l’homme primitif, adviennent avec la société, car la rusticité de la nature première ne peut en aucun cas engendrer des penchants qui stimulent à la longue tous les maux de la société. C’est ainsi que l’amour de soi dégénère en amour propre qui, à son tour, engendre l’égoïsme. Cet amour exclusif, selon Rousseau, est à l’origine de tous les maux que les hommes s’infligent mutuellement. Les passions et les désirs s’accumulant de plus en plus, les intérêts se croisent et s’entrechoquent. La pitié commence à souffrir des vues égoïstes. En effet, selon Rousseau, les hommes les plus forts emploient leur force et, à la limite, la considèrent comme un droit le plus absolu. Par conséquent, « l’égalité rompue fut suivie du plus affreux désordre : c’est ainsi que les usurpations des riches, les brigandages des pauvres, les passions effrénées de tous étouffant la pitié naturelle, et la voix encore faible de la justice, rendirent les hommes avares, ambitieux et méchants. […]La société naissante fit place au plus horrible état de guerre ». Pour vaincre l’hostilité de la nature, l’homme invente la technique et découvre ainsi la métallurgique et l’agriculture. C’est ainsi qu’apparaissent la division du travail et les notions du tien et du mien. En effet, « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. »Cela signifie que la cause principale du désordre stimulée par l’inégalité est la propriété. Celle-ci résulte non pas de la jouissance du nécessaire, mais de la possession qui fait que l’homme, au-delà même de ses besoins vitaux, cherche à accumuler des richesses pour assouvir son « fol orgueil ». Ainsi, l’’agriculture entraîne le partage des terres et de ce dernier vient s’ajouter l’idée de propriété qui n’est qu’accumulation des biens. Voilà pourquoi l’homme sort de son indolence et gagne sa vie à la sueur de son front. Par conséquent, le travail devient une nécessité faisant progressivement de la possession une propriété. C’est ainsi que de l’essentiel, l’homme passe à la possession et à l’accumulation qui, à la longue, engendre la richesse et le luxe. Pour mettre en exergue la cause de l’inégalité sociale et le cortège qui l’accompagne, Rousseau affirme là : « Où il n’y a nul effet, il n’y a point de cause à chercher : mais ici l’effet est certain, la dépravation réelle, et nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection.»

L’état social

   La recherche des solutions pour mettre fin à cette situation conflictuelle constitue le moment décisif du véritable passage de l’état de nature à l’état social. Les hommes, ne pouvant plus retourner à l’état paradisiaque, sont tenus d’unir leurs forces pour faire taire les conflits permanents qui les assiègent. Sur ce, Dérathé dit : « Sur l’initiative des riches, les hommes décidèrent de s’unir par des conventions et d’obéir tous à une autorité commune. » C’est ainsi que commencent la société et les conventions qui la rendent possible. Cette idée écarte celle d’une sociabilité naturelle. En effet, l’homme n’est pas naturellement sociable comme le pensent certains philosophes notamment Aristote, Barbeyrac, Pufendorf. Selon Rousseau, ce sont les besoins qui rapprochent les uns des autres. C’est ainsi qu’il rejette l’idée de Pufendorf qui consiste à dire que « la bienveillance universelle » n’a pour fondement que la conformité d’une même nature, car si les hommes sont devenus sociables c’est uniquement pour leurs propres intérêts qui sont, entre autres, le besoin d’une assistance mutuelle et de conservation. Tous les penseurs qui soutiennent que l’homme a une sociabilité naturelle confondent le primitif de l’homme devenu social ou civilisé, car l’homme à l’état de nature vit isolé, ignorant l’existence de ses semblables au point qu’un penchant social lui est étranger. Tout compte fait, tous les penseurs qui font de la sociabilité naturelle un principe de leur philosophie politique se trompent largement sur l’origine de la société civile. C’est dans ce sens que Rousseau dit dans l’Emile ou De l’éducation, plus précisément dans le livre IV: « […] confondant toujours nos vains désirs avec nos besoins physiques, ceux qui ont fait de ces derniers les fondements de la société humaine ont toujours pris les effets pour les causes, ils n’ont fait que s’égarer dans tous leurs raisonnements. » Cela signifie que ceux qui se sont basés sur les besoins primitifs pour valider la sociabilité naturelle ont fait une confusion énorme. Car, les besoins naturels de l’homme, au lieu de rapprocher les primitifs, les éloignent les uns des autres, étant donné que ces besoins n’étant que physiques ne génèrent aucunement une sociabilité naturelle qui sert de fondement à la société politique. Les besoins physiques ou vitaux dispersent les hommes et, par conséquent, ils ne favorisent pas une sociabilité naturelle comme le pense Pufendorf. Le développement de la sociabilité ne surgit qu’avec les besoins communs stimulés par des intérêts personnels qui vont engendrer, au fil du temps, la misère des hommes. Etant un penchant social, la sociabilité ne devient effective qu’après l’institution des sociétés civiles. Selon Robert Dérathé, les théoriciens qui pensent que la sociabilité est naturelle à l’homme prennent l’effet pour la cause parce que le primitif,« tant qu’il vit dans l’isolement, il n’aspire pas à la vie sociale, il n’en sent nullement le besoin. » Après avoir réfuté l’idée d’une sociabilité qui serait naturelle, Rousseau pose les conditions dans lesquelles l’homme peut devenir sociable. La nature est devenue hostile, la subsistance pose problème et, par conséquent, la conservation de soi demeure une préoccupation majeure pour tous. Ceci étant, Rousseau dit : « C’est la faiblesse de l’homme qui le rend sociable, ce sont nos misères communes qui portent nos cœurs à l’humanité ». Voilà ce qui poussa les hommes à quitter leur indépendance naturelle afin d’entamer le commerce avec les autres. De ce commerce des hommes, se développent la raison et tout le cortège de malheur qui s’en suit. La réflexion et la sociabilité « ne se trouvent réunies que dans le milieu social.» Même si la sociabilité n’est pas naturelle à l’homme, celui-ci n’est pas un être insociable, mais il est à l’origine un animal asocial. La reconnaissance, par Rousseau, de la pitié à l’homme naturel dans le Deuxième Discours ne fait pas de lui un être naturellement sociable. La pitié n’a pour principe que la sensibilité naturelle commune à la fois à l’homme et à l’animal, tandis que la sociabilité repose sur des intérêts égoïstes. Ces derniers, engendrant la dépendance mutuelle, stimulent toutes les passions qui étouffent la liberté de l’homme en le conduisant dans une guerre générale dont les conséquences sont senties par tous. Ceci fait dire à Ghorbel que : « L’état de guerre apporte ses méfaits à tous les hommes certes, mais plus particulièrement aux fortunés. » Cet état de guerre et les conséquences qui en découlent ne profitent pas au pauvre encore moins au riche. Car ce dernier risque de perdre, à la fois, sa vie et ses biens. Conscient de ce fait, le riche proposa au pauvre de s’unir afin de garantir leurs propriétés. Ainsi, le riche, s’adressant au pauvre afin de le convaincre, s’exprime en ces termes : «Unissons-nous, leur dit-il, pour garantir de l’oppression les faibles, contenir les ambitieux, et assurer à chacun la possession de ce qui lui appartient. Instituons des règlements de justice et de paix auxquels tous soient obligés de se conformer, qui ne fassent acception de personne ; et qui préparent en quelque sorte les caprices de la fortune en soumettant également le puissant et le faible à des devoirs mutuels. En un mot, au lieu de tourner nos forces contre nous mêmes, rassemblons- les en un pouvoir suprême qui nous gouverne selon de sages lois, qui protège et défende tous les membres de l’association, repousse les ennemis communs et nous maintienne dans une concorde éternelle. » Le riche, l’initiateur du pacte d’association, séduisant le pauvre par des discours vraisemblables, l’amène à signer le contrat. Dans ce sens, le riche établit son projet très réfléchi qui persuade le pauvre et par ce moyen il parvient à utiliser les forces qui pouvaient éventuellement l’anéantir en une défense légale. Cela signifie que le pacte d’association conclu par le riche et le pauvre est un contrat illégitime sous-tendu par la ruse du riche. De la liberté naturelle, l’homme passe à la servitude. Le droit institué par le pacte d’association, pacte inique, est un droit d’usurpation, en ce sens qu’il renforce l’inégalité qui en retour engendre la domination et la servitude. Les pauvres obnubilés par un souci de conservation, ont accepté le contrat sans se rendre compte des conséquences qui pouvaient en découler. Mais ils ignoraient, qu’en consentant au pacte, ils compromettaient en même temps leur vie et leur liberté, ils vont devenir esclaves parce que pour survivre il leur faudra de quoi se nourrir, et n’ayant aucune propriété, ils sont obligés de se soumettre aux riches et par conséquent deviennent leurs esclaves. « Si l’initiative vient des riches, ceux que l’état de guerre menace dans leurs biens, et non seulement dans leur vie et leur liberté, elle est acceptée par tous, y compris par les sages, pourtant capables de comprendre que les riches visent leurs propres intérêts quand ils invoquent l’intérêt général : la société civile ne naît pas du désir de servitude volontaire mais du désir de sauver, autant qu’il est possible, la liberté de chacun. »

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : ORIGINE DE LA SOCIETE POLITIQUE
CHAPITRE I : L’ETAT DE NATURE
CHAPITRE II : L’ETAT DE DEPRAVATION : LE DEBUT DE LA SOCIALISATION
CHAPITRE III : L’ETAT SOCIAL
DEUXIEME PARTIE : LES PRINCIPES DE L’ETAT DEMOCRATIQUE
CHAPITRE I : LE CONTRAT SOCIAL
CHAPITRE II : SOUVERAINETE ET REPRESENTATION
CHAPITRE III : OBEISSANCE ET LIBERTE
TROISIEME PARTIE : L’APPLICABILITE DES PRINCIPES DEMOCRATIQUES
CHAPITRE I : LA LEGISLATION
CHAPITRE II : L’EDUCATION DES CITOYENS
CHAPITRE III : L’ETHIQUE
CONCLUSION GENERALE

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