La prairie comme indicateur des transformations agricoles

La prairie comme indicateur des transformations agricoles 

Les formes (taille, orientation de production, niveau d’intensification) qu’ont les EA dans les années 2010 résultent d’une dynamique initiée dans les années 1950 par la modernisation agricole. A partir de cette date, les transformations de l’agriculture ont été rapides, en rupture avec l’agriculture existante et ensuite sans précédent en termes d’intensité des changements engagés. Par conséquent, en supposant que la place de la prairie dans les EA résulte des transformations de l’agriculture, nous considérons que son maintien relatif au cours de la dernière décennie ne peut s’appréhender sans une perspective historique qui dépasse la période concernée. Cette partie documentaire a ainsi pour objectif d’analyser les transformations agricoles et les différents statuts de la praire qui leur correspondent.

Les systèmes de production paysans dans les années d’après-guerre 1945 : autonomes et diversifiés

A cette période d’après-guerre, les systèmes de production se caractérisent en grande majorité par des tailles foncières modestes, au parcellaire souvent éclaté, la majorité correspondant à moins de 20ha de SAU. Les EA sont principalement orientées vers la polyculture-élevage : elles sont très autonomes, tant vis-à-vis des achats extérieurs qu’en termes de conseil. Les cultures et les prairies servent en grande partie à alimenter des animaux qui sont utilisés pour la traction et la fertilisation des sols. La main d’œuvre est nombreuse et principalement d’origine familiale. Les machines agricoles sont limitées, les travaux étant à base de traction animale. (Canevet, 1992; Gervais, 1975; Jussiau et al., 1999).

Dans ce fonctionnement, la prairie tient une place importante dans l’assolement ; elle est intégrée aux rotations culturales selon le concept de ley-farming développé en Angleterre au milieu du XIXème siècle (Salette, 2006). Elles sont associées à un paysage bocager particulièrement développé dans l’Ouest et le centre de la France (Watteaux, 2005) qui permet de contenir les animaux et fournit une production de bois de chauffe ou de construction. Bien entendu, ces prairies servent aussi de ressources fourragères au troupeau herbivore (Huyghe, 2007). Elles sont pour beaucoup naturelles, peu productives, récoltées en foin ou pâturées par les animaux (Houé, 1972; Jussiau et al., 1999). L’utilisation de légumineuses fourragères pérennes (luzerne, trèfles, sainfoin) est encouragée par le progrès des connaissances engagé à la fin du XVIIème -début du XVIII ème siècle avec l’émergence, chez des agronomes et botanistes, de l’idée de faire temporairement du labour dans les prairies naturelles et de pratiquer le pâturage tournant : c’est la 1ère révolution fourragère (Bloch et Toubert, 2006; Huyghe, 2007). Dans les rations des animaux, les fourrages issus des prairies sont associés à des racines et tubercules fourragers (navettes, betteraves) dont la culture nécessite une main d’œuvre importante pour l’implantation et la récolte.

Les systèmes laitiers sont ancrés dans les histoires locales qui se traduisent par des races locales, du pâturage et du foin. Quelques régions se démarquent déjà par un processus de spécialisation laitière plus avancé avec un début de sélection de races, c’est le cas de la Normandie mais aussi de certaines régions d’altitude comme le Jura (Ricard, 2014).

La modernisation agricole pour produire plus 

La 2ème révolution fourragère : « l’herbe ça se cultive »

Après la 2nde guerre mondiale, la France et l’Europe appuyées par les USA (plan Marshall) ont voulu moderniser leur agriculture pour répondre aux besoins alimentaires de la société. C’est dans ce contexte que la PAC a été créée en 1957 et mise en place en 1962 avec la priorité de garantir la sécurité alimentaire européenne. Cette politique de modernisation a été rendue possible par la mise en place d’une dynamique de développement combinant un dispositif de recherche et de transfert à des jeunes agriculteurs organisés en mouvement de jeunesse (la JAC: Jeunesse Agricole Catholique), rassemblés pour certains en groupes de progrès (CETA : Centres d’Etudes Techniques Agricoles) (Müller, 1978). L’objectif principal de ce dispositif soutenu par l’Etat français était de favoriser le « progrès » par l’innovation et pour cela de vulgariser et de décliner en pratique des connaissances théoriques afin d’augmenter la production agricole et d’améliorer le revenu l’agricole. La modernisation de l’agriculture s’est traduite par le début d’une restructuration profonde de ce secteur, avec une concentration de la production, des EA se spécialisant et une amélioration continue de la productivité du travail (Desriers, 2007). Le nombre total d’EA passe de 2,3 millions en 1955 à 1,5 million en 1970 (Figure 4). Cette tendance est encouragée par les pouvoirs publics (cf. notamment l’indemnité viagère de départ (IVD) mise en place en 1962). Ces processus se traduisent par une augmentation des dimensions économiques des EA, sans pour autant être marqués par une concentration démesurée de la production (Butault et Delame, 2005). La constitution d’EA de plus en plus grandes, associée à un processus de remembrement parcellaire particulièrement intense et rapide, se répercute sur le paysage agricole. La concentration s’accompagne d’une simplification de l’organisation du travail en conservant les tâches les plus rentables aux dépends de l’entretien du bocage (Deléage et Sabin, 2012; Perichon, 2004; Preux et al., 2014) ; celui-ci tend à disparaitre, en particulier dans les zones agricoles où son maillage serré pénalisait la mécanisation des travaux agricoles.

En élevages bovin, la spécialisation s’appuie sur la sélection de races adaptées. Les races croisées mixtes lait / viande laissent place à des races pures spécialisées aussi bien en production laitière qu’en production allaitante (Pfimlin et al., 2009). Face à cette spécialisation, de nombreux systèmes d’élevage traditionnels locaux vont persister car ils restent mieux adaptés aux contraintes spécifiques des milieux et des contextes socioéconomiques (Pfimlin et al., 2009).

Dans ce contexte propice, la révolution fourragère a traduit la volonté d’augmenter les productions en élevage d’herbivores par l’amélioration la production de fourrage. L’idée maîtresse de ce mouvement peut être résumée dans cette phrase de l’agronome René Dumont : « l’herbe ça se cultive, ce n’est pas un don du ciel », qui en induisait une autre : diminuer les prairies naturelles au profit des prairies en rotation. Pourtant, la prairie naturelle avait ses défenseurs, avec André Voisin et Louis Hédin, qui développaient une approche agro-écologique : optimiser l’utilisation des PP par de bonnes pratiques de gestion (fumure, pâturage en rotation, fauche, drainage) à même de valoriser le complexe sol-floremicroflore-microfaune (Béranger et Lacombe, 2014). C’est la première conception des prairies, plus axée sur les temporaires qui finira par l’emporter face aux permanentes jugées trop difficiles à appréhender au regard des interactions botaniques complexes qu’elles sous entendent. Or, pour la plupart des acteurs du développement agricole, la révolution de l’herbe, qui ne peut attendre, doit être simple à mettre en œuvre (Salette, 2006). Les surfaces de prairie temporaire vont doubler entre 1960 et 1980   au détriment des PP. Un « paquet technologique », accessible et fiable, est ainsi mis à disposition des éleveurs : nouveaux itinéraires techniques, combinaison de formes de récoltes, nouveaux outils de gestion du pâturage, alliant ainsi intérêt agronomique pour la fertilité des sols et hausse de la productivité des prairies. Les prairies sont semées et la valorisation rationnalisée par des alternances de fauches et de pâturages réfléchies pour tirer au maximum profit des ressources fourragères. Les espèces et variétés sont sélectionnées, la fertilisation à l’azote devient fractionnée (Béranger et Lacombe, 2014). Ce sont les éleveurs laitiers des zones aux sols pauvres et séchants (Bretagne, Pays de la Loire, Aveyron, Auvergne) qui bénéficient le plus des progrès réalisés sur la culture des prairies, couplés au développement de la motorisation et de la modernisation des machines agricoles (Béranger et Liénard, 2006). A l’inverse, les éleveurs laitiers des zones herbagères et des zones de montagnes où l’herbe pousse naturellement ont de fait peu adhéré à cette révolution fourragère.

La « révolution blonde », facteur d’intensification des élevages de ruminants

Dans les années 1970, la spécialisation des systèmes de production aux dépends des systèmes de polyculture-élevage se traduit à l’échelle nationale par l’émergence de grands bassins de production spécialisés (Chatellier et Caigné, 2012). Ainsi, alors que les grandes régions de cultures du Nord et du Bassin parisien voient leur élevage fortement diminuer, des régions animalières s’affirment dans le grand Ouest, le Massif Central et sa périphérie, la Lorraine, l’ensemble jurassien, les Alpes du Nord et les Pyrénées (Jussiau et al., 1999). Dans les régions d’élevage de ruminants, la taille moyenne des EA augmente (surfaces et cheptels) conjuguée aux volumes de production appuyés par les progrès réalisés en sélection génétique animale et végétale. Le processus de spécialisation et d’intensification de la production agricole est couplé à une standardisation progressive de la consommation alimentaire humaine. Ces évolutions se traduisent par une demande d’étalement de la production du lait et donc de l’étalement des vêlages durant l’année (Jussiau et al., 1999). Du fait d’une demande croissante de produits agricoles et d’une diminution globale de la SAU à cette période, la demande faite aux agriculteurs était de produire plus d’aliments par hectare de surface et de constituer des stocks de plus en plus conséquents pour assurerl’alimentation hivernale et de  répondre aux besoins des animaux aux potentiels de production et donc aux besoins alimentaires grandissant.

Au cours des années 1970, la révolution fourragère commence à montrer des limites liées aux difficultés de récolte précoce de grandes quantités de fourrages humides dont la conservation est difficile. Celle-ci entraîne une perte de qualité et de quantité et pénalise la production en réduisant l’ingestion des animaux. Le développement des variétés de maïs hybride, plus précoces et dont la maturité coïncide avec les dates de récolte sous forme d’ensilage, lève ces points de blocage et ouvre de nouvelles perspectives à l’élevage de ruminants et bovins laitiers en particuliers (Carpentier et Cabon, 2011; Caudéron, 1980; Gallais, 2009; Lubet et Juste, 1985). En effet, les variétés hybrides de maïs fourrage permettent des rendements élevés par hectare tout en présentant des facilités de récolte grâce à une mécanisation aisée, une bonne conservation, une valeur alimentaire élevée liée à leur forte concentration en énergie propice à l’intensification laitière (Béranger et Liénard, 2006). Ces atouts vont faire du maïs le fourrage principal pour alimenter les bovins laitiers et ce malgré sa faible teneur en azote. Pour pallier cette carence, va se développer à partir de cette période, l’importation d’une source d’apport protéique bon marché qui permet de complémenter la ration alimentaire : le tourteau de soja. Le développement massif de la culture de maïs (les surfaces en France vont tripler entre 1969 et 1975) marquera une accélération de la diminution des PP, en particulier en région de plaine, et des plantes sarclées, qu’il remplace avantageusement tant en termes de qualité alimentaire que de facilité d’implantation et de récolte. Ainsi en France entre 1970 et 1994, on observe une diminution de 4,7 Mha de surface de prairie, soit près d’un quart de la surface initiale alors que la SAU totale des EA ne diminue que de 6 % sur cette même période. Les PP sont les plus touchées (pertes de 3 Mha sur la même période). A l’inverse, les cultures fourragères annuelles, dont le maïs représente la grande majorité, vont augmenter de 72 % (860000 ha) (Béraud et Bouhaddi, 1996) expliquant la baisse des STH dans les régions de plaine (Figure 5). Ces mutations des assolements concernent particulièrement des régions agricoles de plaine (Bretagne, Pays de la Loire) (Figure 6). Les régions de montagne ou de piémont, défavorisées au regard des conditions pédoclimatiques et du relief limitant souvent la mécanisation du travail du sol maintiennent des surfaces en prairies, les permanentes en particulier. Notons que ces zones agricoles sont soutenues par la PAC, à travers l’ICHN (Indemnité Compensatoire de Handicaps Naturels) créée en 1975 pour compenser des coûts de production plus élevés et maintenir des élevages en montagne.

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Table des matières

INDEX DES ABREVIATIONS
LISTE DES PUBLICATIONS ET VALORISATIONS
INDEX DES FIGURES
INDEX DES TABLEAUX
INDEX DES ANNEXES
INTRODUCTION GENERALE
ORGANISATION DU DOCUMENT DE THESE
CHAPITRE 1 : D’UN CONSTAT DE L’EVOLUTION DES SURFACES ET DES USAGES DES PRAIRIES SUR LE TEMPS LONG A L’EMERGENCE D’UNE QUESTION DE RECHERCHE
1.DEFINITIONS
2.LA PRAIRIE COMME INDICATEUR DES TRANSFORMATIONS AGRICOLES
2.1. LES SYSTEMES DE PRODUCTION PAYSANS DANS LES ANNEES D’APRES-GUERRE 1945 : AUTONOMES ET DIVERSIFIES
2.2. LA MODERNISATION AGRICOLE POUR PRODUIRE PLUS
2.3. QUAND PRODUIRE MIEUX PRIME SUR PRODUIRE PLUS
2.4. CONCLUSION
3.LA PRAIRIE, CULTURE A ENJEUX FORTS POUR LES EXPLOITATIONS ET DANS LES TERRITOIRES
3.1. QUAND LES PRAIRIES ALLIENT BENEFICES AGRONOMIQUES ET ZOOTECHNIQUES DANS LES EXPLOITATIONS
3.2. QUAND LES PRAIRIES REPONDENT A DES ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX
3.3. QUAND LES PRAIRIES SERVENT LES PERFORMANCES ECONOMIQUES
3.4. CONCLUSION : LES ENJEUX DES PRAIRIES DANS LES EXPLOITATIONS ET POUR LES TERRITOIRES
4.LES PRAIRIES AU CŒUR DE DYNAMIQUES D’ACTEURS A PLUSIEURS ECHELLES
4.1. LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE
4.2. LES ACTEURS DE L’AMENAGEMENT TERRITORIAL
4.3. LES ACTEURS ECONOMIQUES DES TERRITOIRES
4.4. L’ENVIRONNEMENT SOCIETAL
5.L’EXPLOITATION AGRICOLE ET SON MILIEU NATUREL COMME ECHELLE DE DECISION PRINCIPALE
DE LA PLACE DONNEE AUX PRAIRIES DANS UN SYSTEME FOURRAGER
5.1. LE CONTEXTE PEDOCLIMATIQUE
5.2. LA STRUCTURE DU PARCELLAIRE ET LA TAILLE DU CHEPTEL
5.3. LES OBJECTIFS DE PRODUCTION, L’ORGANISATION ET LE TEMPS DE TRAVAIL
6.CONCLUSION
CHAPITRE 2 : COMPRENDRE L’USAGE DES PRAIRIES DANS LES EXPLOITATIONS AGRICOLES SUR LE TEMPS LONG : CADRES THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES
1.COMMENT ETUDIER LES EXPLOITATIONS AGRICOLES ?
1.1. D’UNE APPROCHE ANALYTIQUE A UNE APPROCHE SYSTEMIQUE
1.2. LES SYSTEMES FAMILLE-EXPLOITATION OU LES RELATIONS ENTRE STRATEGIES ET PRATIQUES D’AGRICULTEURS
1.3. LES SYSTEMES SOCIO-ECOLOGIQUE POUR UNE GESTION INTEGREE DES TERRITOIRES
1.4. LES SYSTEMES SOCIOTECHNIQUES
1.5. L’ETUDE DE LA PLACE DES PRAIRIES UN TRAVAIL MOBILISANT PLUSIEURS CADRES D’ANALYSE
2.CADRES METHODOLOGIQUES POUR L’ETUDE DES TRAJECTOIRES D’EXPLOITATIONS ?
2.1. APPROCHES LINEAIRES
2.2. LES TRAJECTOIRES VUES COMME DES PROCESSUS
3.LE SYSTEME FOURRAGER, UN OBJET D’ANALYSE POUR COMPRENDRE LA PLACE DE LA PRAIRIE
3.1. LE SYSTEME FOURRAGER, UN OBJET D’ANALYSE GERE DE MANIERE DYNAMIQUE
3.2. LE SYSTEME FOURRAGER IDEAL EST SECURISANT, SOUPLE ET SIMPLE DANS SA CONDUITE
CHAPITRE 3 : LES APPORTS DE LA SOCIOLOGIE A L’ANALYSE DES PRATIQUES EN AGRICULTURE
1.QUELLE SOCIOLOGIE POUR L’ETUDE DES PRATIQUES AGRICOLES
2.LA SOCIOLOGIE DE J.-P. DARRE ET LA RECHERCHE EN AGRONOMIE
3.LES BASES DE LA SOCIOLOGIE COMPREHENSIVE
4.LA PENSEE DE LA PRATIQUE
4.1. LE SENS DES MOTS DANS LE DISCOURS
4.2. LES FORMES DE CONNAISSANCE ET LEURS TRANSFORMATIONS
5.LES PRAIRIES ET LEURS UTILISATIONS A L’EPREUVE DE LA SOCIOLOGIE
CHAPITRE 4 : PROBLEMATIQUE, OBJECTIFS ET METHODE
1.LECTURE TERRITORIALE DU MAINTIEN DES PRAIRIES
2.LECTURES TECHNIQUE ET SOCIOLOGIQUE DU MAINTIEN DES PRAIRIES
2.1. UNE LECTURE TECHNIQUE DE L’EVOLUTION DES PRAIRIES DANS LE TEMPS
2.2. UNE LECTURE SOCIOLOGIQUE DE L’USAGE DES PRAIRIES
3.ARTICULATION POUR LES TROIS PARTIES DE LA RECHERCHE ET DEMARCHE DE TRAVAIL
3.1. ARTICULATION DES DIFFERENTES PARTIES DE LA RECHERCHE
3.2. METHODOLOGIE GENERALE DE LA RECHERCHE
CONCLUSION GENERALE

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