La popularisation de la photographie assure sa propre crédibilité

La popularisation de la photographie assure sa propre crédibilité

La photographie a été inventée par un scientifique qui cherchait à imprimer l’image du réel. Cette recherche a sous tendu les débuts balbutiants de la photographie. Dans sa recherche d’amélioration technique pour un rendu plus détaillé, les améliorations survenues au cours du XIXème ont pleinement satisfait ces envies de réalité.
Ce rendu si réaliste questionne les disciplines qui sont explorées par la photographie, mais aussi la photographie elle-même. Initiée par la science (chimie et optique), la photographie est un mode de représentation du réel et se rapproche donc de certaines disciplines artistiques (peinture, notamment).
Dépourvue d’histoire, il est difficile d’arbitrer sa véritable position. Au cours du XIXème, la question va rester en suspens, cependant, la façon qu’à la photographie de regarder les autres arts va les influencer.
« Tout en falsifiant une oeuvre d’art dans la mesure où ses dimensions ne sont plus clairement reconnaissables, la photographie lui a rendu l’immense service de la sortir de son isolement. »
L’apparition du Réalisme en 1848, courant de la peinture qui s’attèle à représenter la vie de tous les jours le plus fidèlement possible, atteste de cette influence.
« On exige une exactitude scientifique, une reproduction fidèle de la réalité dans l’oeuvre d’art.
L’expression de Taine : « Je veux reproduire les choses comme elles sont ou comme elles seraient, même si moi je n’existais pas », devient le leitmotiv d’une nouvelle esthétique. »
De la même façon, en 1885, se développe le Pictorialisme, courant de la photographie selon lequel la photographie doit se rapprocher de la peinture et des eaux fortes. La photographie peine à se séparer de la peinture et à s’imposer comme une discipline à part entière. Pressenti comme étant un outil formidable,
elle a tendance à rester un outil et à se considérer comme tel.
« Le pictorialisme n’est qu’une exagération de ce que la photo pense d’elle- même. »
Dans cette réciprocité étrange, réalisme et réalité se mêlent. L’apparition massive, à la fin du XIXème, de photographes amateurs, puis début XXème, du photojournalisme rend obsolète ce débat.
Par la presse, la photographie rentre dans les ménages comme une image du monde, une image qui se veut donc vraie, par essence. Au cours du XXème siècle, la photographie envahit les modes de communication. Presse quotidienne, magazines de tous sujets, publicités de toutes sortes, la photographie s’impose.
À partir des années 1930, des magazines font de la photographie leur matière première, du texte vient parsemer le tout, mais il n’est plus matière principale. Le magazine LIFE (créé en 1936) en est un parfait exemple. Des photoreportages de partout dans le monde viennent remplir les pages du magazines.
Ce ne sont pas des équipes de journalistes, mais bien des équipes de photographes qui sont envoyés pour préparer les articles. LIFE et les magazines de ce genre popularisent la photographie comme une image véridique de la réalité.
« Mais ce qui donnait tant de véracité à LIFE était l’utilisation massive de la photographie. Pour l’homme non prévenu, la photographie ne peut mentir, puisqu’elle est la reproduction exacte de la vie. »
La pratique amateur de la photographie s’est répandue à partir de 1888 pour toucher une majeure partie de la population. Cette pratique directe de l’image photographique a permis à chacun d’expérimenter le procédé et de constater l’apparition de l’image de la réalité sur le papier. Cette participation active a participé à ancrer dans la croyance collective la relation entre photographie et réalité.
« les centaines de millions de d’amateurs, de consommateurs et producteurs à la fois de l’image, qui ont vu la réalité en appuyant sur le bouton et qui la retrouvent dans leurs clichés, ne doutent pas de la véracité de la photo. Pour eux, une image photographique est une preuve irréfutable. »

Une volonté fondatrice

Au delà de l’Histoire et de la pratique, c’est l’essence même de la photographie de traduire la réalité, par opposition aux autres arts de la représentation.
« L’artiste ne dessine pas uniquement ce qu’il voit mais aussi ce qu’il connait du sujet. »
Dans le développement du procédé chimique et optique, la volonté fondatrice était de capturer l’image d’un paysage, d’une personne ou d’un objet. « Telle photo, en effet, ne se distingue jamais de son référent (de ce qu’elle représente). » Une photographie, quelque soit son sujet, son idée, le contexte dans lequel elle est montrée, est liée à jamais à ce qui était devant l’objectif pendant le temps de pose. Cette image d’un instant de réalité est imprimée, quelques soient les diverses altérations que pourra ensuite subir la photographie (volontaires ou involontaires).
« Je ne puis jamais nier que la chose a été là. »
Cette chose qui a été là, c’est ce que R. BARTHES nomme le référent photographique, par opposition au sujet de la photographie. Quelques soient les diverses manipulations que pourra subir la photographie (nous verrons qu’elles sont nombreuses) et ses différentes reproduction. Cette chose là est immortalisée à jamais par la photographie.
« J’appelle référent photographique, non pas la chose facultativement réelle à quoi renvoie une image ou un signe, mais la chose nécessairement réelle qui a été placée devant l’objectif, faute de quoi il n’y aurait pas de photographie. »
Cet objet, ce paysage, cette personne, qui s’est tenue devant l’objectif le temps d’une photographie et dont l’image a été capturée par la chimie photosensible est la condition sine qua none de l’existence de cette image. On retrouve cette notion dans la peinture et les autres arts de la représentation. Cependant, il s’agit là d’un support, plus que d’une base vitale. En effet, la peinture classique s’est attachée pendant plusieurs siècles à ne jamais représenter de scène de la vie quotidienne, jugée sujet banal. Scènes historiques, figures héroïques, égéries, sont parmi les thèmes principaux de la peinture classique, qui ne font appel à aucune réalité physique disponible, c’est l’artiste qui compose une image pour représenter une « Quoiqu’elle donne à voir et quelle que soit sa manière, une photo est toujours invisible, ce n’est pas elle qu’on voit. »
La photographie, elle, se base sur une image réelle qui a existé, et cette image en reste la base. Au
travers de ce rapport intime à la réalité originelle, se développe l’idée que la photographie reste liée à cette réalité et qu’elle ne peut s’en détacher, voir même s’en différencier. La photographie peut être vue comme une fenêtre sur un instant du passé. Elle donne à voir, dans un autre temps et un autre espace, un morceau de temps et d’espace qui a existé.

Un média manipulable

La photographie est un fragment (dans l’espace et le temps) de réalité

Au-delà de toute altération, il est important de noter qu’une photographie n’est pas la réalité, elle en reste une image. Certes, le rendu visuel est sans doute celui qui se rapproche le plus de la réalité parmi tous les moyens de représentation, cependant, il faut prendre en compte ce que la photographie montre, mais aussi ce qu’elle ne montre pas. Les notions de cadrage, de profondeur de champ, de lumière, permettent de filtrer la réalité. Qu’y a-t-il autour du photographe lorsqu’il prend une photographie ? Le Hors-champs d’une photographie contient une multitude d’éléments que le spectateur n’aura pas en sa possession lors de la lecture. Ces éléments peuvent être dénués d’intérêts, ce qui pousse le photographe a les délaisser plus ou moins volontairement, mais ils peuvent être aussi contradictoires avec le message que le photographe entend faire passer, et être ainsi volontairement hors-champ, ou s’ils sont dans le cadre, ils peuvent être flous ou sombres. Tous ces éléments constituent une réalité qui n’est pas montrée. « Peu de gens se rendent compte en effet qu’on peut en changer complètement le sens […]. À quoi s’ajoute la façon de photographier les personnages et les évènements. »
Cette réalité reste sur le terrain, là d’où la photographie est extraite, et n’est pas déplacée jusqu’au spectateur. Dès lors que l’image est imprimée sur la pellicule, avant tout développement, tirage ou exposition, l’image devient un morceau de réalité passée. Tout le contexte original est tributaire de la transmission que voudront bien en faire les différents acteurs de la diffusion de l’image.

L’image photographique peut subir des retouches

Il est important de considérer, de façon très pragmatique, que bien que la photographie soit un procédé optique et chimique, le processus de capture, développement, tirage peut être altéré pour modifier l’image.
Dès le XIXème siècle, le montage et la retouche sont monnaies courantes en photographie, et ce pour deux raisons différentes.
D’une part, le marché de la photographie de portrait, porteur de la rentabilité du métier de photographe est soumis à une clientèle très exigeante, et sous influence de la peinture, qui sait modifier la réalité pour donner une bonne image, par opposition à la photographie qui reproduit fidèlement les détails et les imperfections, promeut une tromperie. Pour flatter la clientèle soucieuse de son image, la retouche devient systématique. Le pictorialisme, en vogue à cette époque pousse également la photographie dans ce sens. À la fin du XIXème, on atteint un stade de dérive avancée de la photographie.
« Pour souligner encore ces effets de flous, on utilisait toutes sortes de retouches et de produits chimiques pour donner des tonalités différentes à ces épreuves qu’on appellerait aujourd’hui des nonphotographies. »
Il y a d’une tromperie parce qu’il s’agit de modifier la réalité pour la rendre pus agréable à l’oeil, ce que faisait la peinture par le passé. Après près un siècle d’innovations, les photographes eux mêmes s’attachent à falsifier la photographie, en opposition totale avec son principe même.
Il existe d’autres cas de montages photos. En effet, le format contraignant des daguerréotypes, et par la suite des plaques servant à faire des photographies peine à rivaliser avec les immenses tableaux que recèle le domaine de la photographie. Ajouté à cela, un matériel encore peu développé (les objectifs n’en sont qu’à leurs balbutiements, et les produits ne permettent pas encore tout), restreint les possibilités. Si les plans larges de ville, faits depuis des appartements bien orientés sont faciles et bien maitrisés, les plans en intérieurs sont déjà plus compliqués, voir impossibles. C’est le cas de la photographie du Cloître Saint- Trophime à Arles de Edouard Denis Baldus. Prise en 1851 [ill. n°2], cette photographie est irréalisable avec les moyens de l’époque. Luminosité, profondeur de champ, longueur focale, nombreux sont les paramètres qui ne permettent pas de réaliser cette photographie d’intérieur. Le photographe réalise donc une dizaine de photographie dont il découpe les négatifs pour reconstituer une image. Il retouche les raccords pour effacer le trucage. Il s’agit d’un faux, cependant son intention est louable.
« Il veut retrouver ce que son oeil peut voir et que son appareil n’arrive pas à capter. »
Il s’agit de montrer la réalité, même si le procédé est falsifié. Il n’a donc pas fallut attendre la photographie numérique voit le jour pour que la retouche se généralise.
Dans un but louable ou non, la maîtrise de l’image photographique a été au coeur de son amélioration mais aussi de son altération. Il incombe donc au spectateur, dans sa lecture de l’image, de prendre en compte la possibilité d’une altération, et des volontés qui sous-tendent cette altération.

L’image photographique est recontextualisée

Comme dit précédemment, toute photographie souffre d’une décontextualisation lors de sa prise.
Libre aux organes chargés de transmettre l’image, le photographe parfois, mais pas toujours, la presse au sens large la plupart du temps. Cette transmission se fait souvent dans une entente (le photographe est employé par une agence de presse), mais parfois dans le mépris des droits d’auteur, avec la reprise, à l’insu du propriétaire, d’une image par un organe de presse pour illustrer un article plus ou moins lié. Dans ce deuxième cas, la volonté première du photographe n’est pas forcément respectée.
Il faut considérer, au cours du XXème siècle (dans la première moitié c’est encore plus flagrant), la photographie comme LE moyen de communication visuelle. Elle est à ce titre utilisée par tous les médias, que ce soit en couleurs ou en noir et blanc. La presse en fait son outil principal. Il faut cependant considérer que la presse n’est pas objective. Tous les organes de presse sont liés de près ou de loin à des organes plus grands, qu’ils soient politiques ou commerciaux (l’un n’étant pas toujours si éloigné de l’autre). Ces organes ont donc des intérêts personnels qui régissent leurs actions et ont pour but de propager des idées.
« Elle devient en même temps un puissant moyen de propagande et de manipulation. Le monde en
image est façonné d’après les intérêts de ceux qui sont les propriétaires de la presse : l’industrie, la finance, les gouvernements. »
La publicité est un exemple courant parce qu’il est de notoriété publique qu’il s’agit là de vendre un produit et que par conséquent, l’image est pensée pour amener une idée et créer l’envie, voir le besoin.
Cette notion est connue de tous. Cependant, la différence faite avec les informations reléguées par la presse est importante alors qu’elle ne devrait pas l’être. Les informations sont certes issues de la réalité, cependant, elles sont relayées par des organes de presse qui sont fondés, ou orientés par des partis politiques ou des firmes.
La remise en contexte d’une photographie passe par plusieurs outils qui ont chacun leur influence sur sa lecture.
La légende de la photographie, devenue pratique courante dès le début de l’introduction des images photographiques dans la presse, souligne l’image pour expliquer rapidement, en quelques mots, ce qu’elle doit montrer, et par extension, ce que le spectateur doit y voir. Elle peut être extrêmement trompeuse. La légende peut aborder tout ce qui n’est pas dans le cadre pour recréer le contexte original, inaccessible au spectateur, qu’elle n’est pas obligée de respecter. Elle peut également prendre partie sur ce que contient la photographie pour définir comme bon ou mauvais tel ou tel point.
« Peu de gens se rendent compte en effet qu’on peut en changer complètement le sens par la légende qui l’accompagne ou par sa juxtaposition avec une autre image. À quoi s’ajoute la façon de photographier les personnages et les événements. »
L’article lui-même, dont découle la légende, et son titre détermine de façon presque complète le contexte de la photographie qui n’en est que l’illustration, elle est donc lue en lien direct avec le sujet traité.
Sans être intégrée à un article, la photographie souffre de son contexte de consultation. Tout élément amène à modifier le point de vue du spectateur. Dans le cadre du photojournalisme, qui n’utilise que très peu de texte, c’est la juxtaposition des images qui joue un grand rôle. Cet effet peut se retrouver dans une exposition de plusieurs photographies qui peuvent traiter plusieurs sujets liés ou non. La juxtaposition d’images, pour créer un contraste, une analogie, modifie la perception de chacune des images.
« Le livre permet tous les rapprochements : les différences d’échelle, de contexte, de matériau sont absorbées dans le noir et blanc photographique. »
La juxtaposition de plusieurs photographies permet de mélanger leurs échelles et de perturber les rapports que l’on a avec chacune. La mise en page pour des publications (livres, journaux, expositions), crée des liens entre les images et leur contexte de lecture, et la notion d’illustration (une image guide la compréhension d’un texte) peut se trouver inversée (un texte guide la compréhension d’une image).
Il convient de prendre en compte de façon très globale le contexte complet de contact entre le spectateur et la photographie. La page dans laquelle elle est insérée, l’article qu’elle illustre, le magazine qui le contient, et le contexte dans lequel il est lu. Tous ces éléments affectent la lecture de la photographie et la compréhension de ce qu’elle représente. Ils influencent directement la perception de l’image.

Atget & Le Corbusier, partis pris autour d’une réflexion

Atget, la recherche d’une neutralité photographique, analyse d’une méthode

Le personnage Atget

Le travail d’Eugène Atget est connu et reconnu pour sa neutralité. Son étude nous permet de poser une référence proche du documentaire et de définir les divers moyens pour parvenir à cette neutralité.
Cette base nous permet ensuite d’étudier de façon plus efficace le travail de le Corbusier, notamment dans la production d’images de son oeuvre architecturale.
Eugène Atget est né en 1857 et son oeuvre photographique prend place à l’articulation entre le XIXème et le XXème siècle. Il n’a pas toujours été photographe et l’on peut même parler de reconversion tardive. En effet, E. Atget pratique plusieurs métiers avant d’arriver à la photographie, notamment des disciplines artistiques. Il est d’abord comédien pendant quinze ans (il passe par le conservatoire d’arts dramatiques de Paris) puis s’essaie à la peinture. Il ne devient pas célèbre dans ces disciplines et y mène un parcours modeste.
Ce n’est qu’au début de la quarantaine qu’il se tourne vers la photographie. 80 ans après sa découverte, la photographie est alors entrée dans les moeurs depuis longtemps et fait notamment partie des outils communs des artistes (peintres, sculpteurs, etc.) au même titre les dessins, les gravures, les moulages, etc. Il y a donc là un marché que ne manquera pas d’approcher Atget.

Une volonté documentaire

À plusieurs reprises, et de façon indiscutable, Atget a toujours affirmé mener un travail documentaire et non artistique.
« Ce ne sont que des documents ! »
Au-delà de tout débat sur la nature de son travail, il se situe à l’extrême opposé de la mode photographique de l’époque. En effet, la fin du XIXème se caractérise par une production frénétique de portraits de petite taille pour la petite bourgeoisie. Ces portraits, pour singer les portraits peints de l’aristocratie et pour atténuer les défauts, sont retouchés de façon systématique à même les plaques. Ces images.
La façon dont Atget parle de son propre travail est révélatrice de cet état d’esprit. Plus que photographier, il parle de capturer. Il cherche à posséder ce qu’il photographie. Il ne s’agit nullement de mettre en valeur, ni même de révéler quoique ce soit.
« […] Je puis dire que je possède aujourd’hui tout le Vieux Paris. »
Atget ne se laisse pas aller au détail, ou à la photographie facile qui joue sur l’anecdote. Il cherche à capturer l’essence de son sujet et si une photographie ne suffit pas, il en fait plusieurs. « Il n’hésite pas, pour laisser une vision complète d’un marchant de moulage en plâtres, à le photographier de face et de dos, comme il l’aurait fait pour une statue ».
Il ne s’agit pas de questionner le sujet, mais simplement de le montrer entièrement, d’en avoir tous les éléments, et ce, de façon égalitaire. Il prend ainsi plusieurs clichés, en laissant varier la lumière, le moment de la journée, l’angle de vue, … À la manière d’une expérience scientifique, il fait varier un à un tous les paramètres de l’image, sauf le sujet lui-même. Il l’isole, en dehors de toute influence de la prise de vue en elle-même. Longtemps avant la théorisation du spectrum par Barthes et la notion des imaginaires entretenus avec l’operator, Atget élimine de façon systématique ces imaginaires.

Une technique particulière

La technique Atget repose sur plusieurs aspects de la pratique photographique, du matériel, à la composition d’image (les deux étant parfois liés).
Dans la technique pure de prise de vue, pour commencer, Atget utilise, à la toute fin du XIXème siècle, du matériel un peu dépassé. Il n’utilise qu’une chambre de format 24 x 18 cm et des plaques au bromure d’argent alors que des appareils plus légers, plus maniables et utilisant de la pellicule (ceux de Kodak, entres autres), sont disponibles sur le marché. Quand on sait qu’il parcourait tout Paris, on imagine aisément que le choix du poids du matériel aurait pu être une caractéristique essentielle du choix du matériel, ce n’est visiblement pas le cas. Il est difficile de tirer une conclusion de l’usage de ce type de matériel plutôt qu’un autre, on peut cependant supposer qu’il utilisait simplement du matériel dont il connaissait le fonctionnement, et ayant fait ses preuves. Néanmoins, connaissant le personnage, il est tout à fait possible que cette grosse chambre, montée sur un trépied à la manière des photographes de vingt années auparavant, ait pu faire partie du personnage.
Quoiqu’il en soit, il se déplaçait avec une vingtaine de plaques qu’il développait dès que possible et qu’il stockait directement dans son appartement, soigneusement numérotées. Sans que cela puisse être clairement défini comme un choix fort de pratique, cela révèle une rigueur de fonctionnement et la mise en place de systématismes proches d’une pratique scientifique.
L’usage d’un trépied, sans être fondamentalement révélateur (avec la chambre et les plaques qu’il utilise, les temps de pose nécessitent l’usage d’un trépied), traduit d’une volonté de neutralité. En effet, quelque soit l’endroit la hauteur de prise de vue est sensiblement la même, dans tout son travail, celle de son trépied, à hauteur d’homme. Il ne prend pas de vue du ciel et ne va guère chercher loin dans des plongées ou contre-plongées. Il utilise notamment des objectifs à décentrement, qui lui permettent d’ouvrir son champ vers le haut [ill. n°3], sans avoir à se servir de contre-plongées, qui déforment le sujet.
Au-delà de la technique, c’est dans l’image elle-même qu’Atget exprime toute sa force. Il verrouille systématiquement tous les paramètres pour ne donner à aucune photographie une valeur plus importante que l’autre, et il répète son fonctionnement, de façon intransigeante.
D’abord sur le point de vue, comme dit précédemment, il n’utilise qu’un trépied mais il l’utilise toujours. Il est donc toujours à hauteur d’homme, et retranscrit le point de vue d’un passant. Il ne cherche pas de point de vue particulier et s’installe de façon quasi systématique à même la rue, devant son sujet, que ce soit une rue [ill. n°4], une porte [ill. n°5], ou un bâtiment entier [ill. n°6]. S’il vient à être placé plus haut [ill. n°7] c’est qu’il se place sur un escalier public que les passants empruntent eux aussi, et s’il utilise parfois la plongée [ill. n°8] ou la contre-plongée [ill. n°9], ce n’est que pour suivre le regard du passant.
L’éclairage de ces scènes dénote également sa recherche de neutralité. Tous les endroits de sa photographie sont éclairés de la même façon. Peu d’ombre, pas de clair-obscur ne viennent habiter l’image, et ce, même dans ces photographies les plus complexes [ill. n°10]. Cela laisse supposer qu’il choisissait ses jours de prise de vue en fonction de la météo, pour maitriser pleinement la lumière de ces images. Le ciel apparaît notablement uniforme et clair, symptomatique d’un ciel couvert, sans être trop sombre. Si certaines photographies contiennent des ombres tranchées, les contrastes sont tels que ce qui est dans l’ombre reste visible, et intelligible.
La profondeur de champ est maximale, en toute circonstance. Tous les éléments de la photographie sont nets, excepté ceux qui sont en mouvement. Les différents plans sont tous complètement lisibles, même dans les images qui en contiennent beaucoup [ill. n°11]. Tous les éléments sont traités à égalité, et sont tous aussi détaillés.
Pour obtenir cette profondeur, il doit fermer au maximum son diaphragme, ce qui a pour effet d’allonger de façon importante le temps de pause (d’où la nécessité d’un trépied). Avec un diaphragme ouvert au minimum, et la sensibilité très faible des plaques qu’il utilise, on peut sans difficulté imaginer qu’il a des temps de pose de l’ordre de dizaines de secondes, d’où l’absence presque totale de personnages dans ses images. On obtient ainsi des rues vides [ill. n°12] où les seuls habitants visibles sont immobiles ou presque [ill. n°13], ils prennent la pose la plupart du temps [ill. n°14].
Il décide cependant parfois de montrer la vie et se plie aux nécessités de cette capture. Il ouvre alors son diaphragme, et sacrifie la netteté complète de son image à la présence effective d’individus et d’activités mouvantes dans son champ [ill. n°15]. Ces images sont cependant rares et révèlent un niveau de détail bien moindre.
Certaines images laissent cependant à penser que l’absence d’individus est volontaire. Les passants sont invisibles, cependant, certains outils, révélateurs d’une activité en cours sont présents et bien visibles, mais à l’arrêt de façon parfois étrange, ce qui laisse supposer qu’ils ont été volontairement laissés là. S’il fait poser les artisans dans sa série des petits métiers [ill. n°16], il vide, en revanche, les rues de ses habitants, tout en montrant les activités qui s’y déroulent [ill. n°6]. Il cherche sans doute à éviter les flous. Atget utilise tant le format horizontal que vertical.
« Le sujet doit être simple, débarrassé d’accessoires inutiles. Cela porte un nom, la recherche de l’unité. »
Les précautions qu’il prend, en terme de lumière, de netteté, de point de vue, de cardage etc. ont une conséquence principale forte qui est l’absence ou la faiblesse du punctum, seul demeure le studium. Atget propose ainsi des photographies unaires. « La photographie est unaire lorsqu’elle transforme emphatiquement la réalité sans la dédoubler. »

Le Corbusier, exemple du rapport à l’image d’un architecte moderne

La pratique de Le Corbusier

Avant toute chose, et sans rentrer dans le détail de sa biographie, il est important de bien comprendre la relation qu’entretient Le Corbusier avec la photographie. Ce rapport est multiple.
Tout d’abord, Le Corbusier pratique la photographie. Il est un infatigable photographe de tout ce qui l’entoure, et même s’il met un frein à cette pratique entre 1911 et 1936, il est toujours équipé, en dehors de cette période, d’un ou plusieurs appareils de prise de vue auxquels il accorde une importance significative. Lors de son voyage au Brésil en 1936, dans les croquis préparatifs de sa valise, il laisse une place non négligeable définie par le terme « cinéma » avec les dimensions de 140 x 90 x 200 cm.
Il est important de différencier ces différentes périodes, et leur position dans le processus théorique de Le Corbusier.
Il commence la photographie très tôt, dès 1907, et le matériel disponible sur le marché lui permet de pratiquer facilement, à l’instar du grand public visé par les fabricants. Il est alors équipé d’un Kodak bon marché de format carré avec lequel il photographie l’architecture classique, à la recherche de sa monumentalité, mais pas seulement. Les clichés se comptent par centaines, et certains seront gardés et réutilisés pendant des années [ill. n°17]. Il documente, de façon quasi systématique, l’architecture qui l’intéresse. Il s’agit là d’un processus proche de celui d’Atget, sans être toutefois aussi systématique et abouti. Il capture une base de référence et de réflexion qui l’accompagnera pour la suite.
« Son but principal était de documenter des œuvres d’art et des bâtiments, qu’ils soient classiques ou vernaculaires. Mais il découvrait l’intérêt des images un peu surprenantes, qui essayaient de saisir l’essentiel du sujet, en en cachant les parties « nobles ». »
En 1911, il se désintéresse subitement de la photographie. Il lui reproche alors ce qui fait sa qualité documentaire, sa neutralité.
« Je me suis acheté la petite caméra Kodak, que Kodak vendait six francs pour pouvoir vendre de la pellicule à tous les idiots qui emploient ça, et j’étais du nombre, et je me suis aperçu qu’en confiant mes émotions à un objectif j’oubliais à les faire passer par moi, ce qui était grave, alors j’ai laissé tomber la kodak et j’ai pris mon crayon et depuis, j’ai toujours dessiné tout et n’importe où. »
Il ressent le besoin d’interpréter ce qu’il voit avant de le représenter dans ses notes. Le dessin lui permet plus. Il décortique ainsi son environnement, par le croquis, mais aussi par le géométral. Plan, coupes, schémas habitent ses carnets. Il analyse, en plus de documenter. « Un large mouvement de l’entre deux guerres, voit les artistes se mettre au service d’une véritable révolution des arts graphiques et de la communication, dans laquelle la photographie jour un rôle de premier plan. » La communication massive par les journaux, les magazines, la radio, le cinéma, se développe de façon spectaculaire dans l’entre-deux guerre. L’image devient vectrice de communication, et de promotion. De façon générale, l’entre-deux guerre voit se développer l’usage massif de la photographie dans les milieux créatifs. Déjà utilisée auparavant, c’est le mélange des divers supports (dessin, peinture, photographie, etc.) qui s’affirme comme la modernité.
Le Corbusier ne renie cependant pas définitivement l’image photographique en 1911 et y revient doucement, par le cinéma notamment pendant les années 1930. Il est alors pleinement conscient de la popularité de ce média et de l’impact qu’il a sur le grand public. Désireux d’utiliser ce qu’il perçoit déjà comme un formidable moyen de faire connaître ses idées, il en vient à s’équiper d’une caméra. Il est cependant très mauvais. Ses épreuves montrent un balayage systématique de la scène à toute vitesse, des panoramiques sans fin, à l’opposé de tous les conseils pratiques de l’époque. On retrouve dans ce balayage frénétique, les plans larges de ses photographies d’avant 1911, une envie de contenir le sujet dans l’image.
Etant de nouveau en possession d’un objet capable ce produire des images, Le Corbusier revient naturellement à la photographie à partir de 1936. Il adopte cependant une approche radicalement différente.
Il utilise alors sa caméra, en mode image par image, pour photographier. Il produit ainsi faire une quantité formidable de prises de vue au cours de ses nombreux voyages. « En contraste avec les photographies de 1907-1911, les photographies architecturales de la collection 1936-38 sont peu nombreuses. […] La grande majorité de ses photographies de 1936-38 ont pour sujet la nature, perçue en détails assez abstraits. »
Son travail photographique se porte alors sur des gros plans assez décontextualisés. Il capture des formes variées, organiques, minérales, artificielles. Là encore, il crée une base de documentation dans laquelle il peut ensuite venir puiser. Il expérimente la morphologie d’objets visuels issus de son environnement proche en les décontextualisant pour en faire perdre l’échelle. Des séries complètes portant sur le même sujet montrent des variations d’angles, de lumière, d’orientation, dans le but d’appréhender ses formes et d’en faire une base de travail [ill. n°18].
« Découvrir des images et des objets marquants de tous les temps et dans tous les ordres de grandeur, les analyser d’abord intuitivement, puis sur la base d’une approche théorique, les classer et les réutiliser dans un autre contexte – telle fut tôt déjà l’une des vraies passions de Le Corbusier. ».
Ces images sont finalement assez proches, esthétiquement et dans son processus de réflexion, des croquis rapides qui remplissent ses carnets. « en 1936, la caméra est donc pour l’artiste une machine à voir, permettant d’expérimenter des cadrages et d’isoler des fragments du réel. »
Il est important de noter qu’en plus d’être un architecte, Le Corbusier est aussi un artiste. Il pratique le dessin, la peinture, la musique, etc. Sans s’illustrer particulièrement dans ces disciplines, il produit quand même nombre de peintures, croquis [ill. n°19]. Il s’intéresse également au design et produit du mobilier, mais aussi des papiers peints. Ces domaines participent d’une attitude de création et de réflexion complète et transdisciplinaire. Défenseur de ce qu’il nomme la « recherche patiente », Le Corbusier est en effet en permanente recherche créative, et il utilise pour cela tous les moyens dont il dispose et l’applique à de multiples champs de création. Aucun d’ailleurs ne revêt d’importance supérieure à l’autre. La photographie est, à partir de 1936, parfaitement intégrée à ce processus de réflexion. Les pistes de réflexion qu’il met à jour, se retrouvent dans toutes ses productions, quelque soit le support, sans ordre temporel défini. Toujours en recherche d’inspiration, Le Corbusier se forme ainsi une base de données dans laquelle il verse toutes les images qui l’intéressent, parmi lesquelles ses propres photographies, mais pas seulement. On retrouve ainsi, de production en production, des images qui reviennent, tant et si bien qu’il finit par être incapable d’en citer la source.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
1 La photographie, média réaliste et manipulable
1.1 Les raisons d’une crédibilité reconnue
1.1.1 Un media qui s’est imposé par son histoire
1.1.2 La popularisation de la photographie assure sa propre crédibilité
1.1.3 Une volonté fondatrice
1.2 Un média manipulable
1.2.1 Une photographie est un fragment (dans l’espace et le temps) de réalité
1.2.2 L’image photographique peut subir des retouches
1.2.3 Le contexte de publication
2 Atget & Le Corbusier, partis pris autour d’une réflexion
2.1 Atget, la recherche d’une neutralité photographique, analyse d’une méthode
2.1.1 Le personnage Atget
2.1.2 Des prises de vue limitées par la technique
2.1.3 Une volonté documentaire
2.2 Le Corbusier, exemple du rapport à l’image d’un architecte moderne
2.2.1 La pratique de Le Corbusier
2.2.2 Une démarche complète
2.2.3 Le Corbusier et les photographes
Conclusion
Bibliographie
Annexe

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *