La police spéciale des chemins de fer dans la Marne (1870-1914)

Si elle fut et fait toujours l’objet de critiques et de peurs dans la société, tous groupes sociaux confondus, la police dite politique ou de renseignement est celle dont les mythes, fantasmes et légendes noires -pensons à Joseph Fouché, Vidocq ou, outre-atlantique, Edgar Hoover- résistent le plus au temps. L’utilisation de ce terreau fertile par les médias de divertissement – littérature, séries télévisées, cinéma – montre la permanence de ces représentations dans le temps et l’attrait fictionnel et imaginatif qu’elles continuent d’exercer dans les mentalités collectives. Cette situation peut s’expliquer par la logique du secret caractérisant spécifiquement ces corps de police et qui laisse le champ libre à tous les possibles. Ainsi derrière chaque évènement d’envergure – un crime politique, une révolte, une révolution, ou une élection-, des personnes de toutes conditions sociales, généralement opposées au gouvernement ou au régime en place, pensent y déceler la main d’une police perçue comme toute puissante et omnisciente, utilisant tous les moyens possibles pour servir les intérêts de la classe dirigeante.

Pourtant, alors qu’écrivains, mais aussi anciens policiers, militants politiques et journalistes s’emparèrent du sujet pour fournir enquêtes, romans, témoignages et mémoires au public, la police générale comme sujet d’étude historique fut délaissée par la recherche historique en France jusqu’aux années 1980. Situation paradoxale, alors que les archives produites par les polices furent abondamment utilisées par les historiens pour des travaux sur la criminalité, les marginaux ou les ouvriers. Deux raisons expliquent ce désintérêt : premièrement, la police fut longtemps perçue comme un objet « sale », lié à la répression et au maintien de l’ordre bourgeois, par une université longtemps marquée à gauche. Mais les institutions policières elles mêmes furent opposées à toute analyse scientifique, car jalouses de leurs secrets et réticentes devant l’idée d’une critique émise par des personnes extérieures au métier. Jusque dans les années 1990 le ministère de l’Intérieur et la Préfecture de Police étaient peu enclins à ouvrir leurs archives. Il faut ainsi attendre 1989 pour que, sous l’impulsion de l’historien Jean-Marc Berlière et du ministre de l’Intérieur de l’époque Pierre Joxe, soit créée l’Institution des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure (IHESI) qui contribua à la production et la diffusion des travaux universitaires sur la police.

Le métier de policier spécial 

Un corps en voie de professionnalisation

A l’inverse de leurs collègues municipaux qui travaillaient pour le maire, les commissaires et inspecteurs spéciaux des chemins de fer étaient des fonctionnaires, salariés et au service de l’Etat. Comme tout autre corps d’Etat, il était régi par des règles en matière de recrutement, de déontologie, de carrière, d’évaluation du travail qui devaient encadrer et permettre une stricte équité. Une partie des développements ci-après n’est pas spécifique à la Marne mais applicable sur l’ensemble du territoire français, car les conclusions qui y sont apportées auraient pu être formulées pour d’autres départements.

Un recrutement plus encadré 

Ainsi que l’explique Stephanie Sauget, « avant 1879, aucun diplôme ni aucun enseignement n’était exigé au recrutement. Ils se formaient à leur nouveau métier sur le tas. » . Ce recrutement par cooptation après avoir déposé un acte de candidature a continué après cette date pour les militaires : Jean-Marc Berlière explique que 4/5e à 5/6e des postes de la Sûreté générale et de la Préfecture de Police étaient réservés aux sous-officiers ou aux anciens soldats ayant accompli cinq années de service. Mais ce type de recrutement ne garantissait pas que la personne possèdait les qualités requises pour exercer correctement son poste, ce que déplorait le directeur de la Sûreté BoucherCadart dans une lettre du 9 mai 1879 : « Il tend à détourner de certaines professions, de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, auxquelles ils seraient plus propres, un certain nombre d’individus […] qui, ne remplissant pas toutes les conditions de succès necessaires, ne deviennent jamais que des fonctionnaires médiocres […] « .

Afin de choisir des candidats mieux qualifiés, la Sûreté générale va, à partir de 1879, mettre en place un recrutement sur concours des commissaires et inspecteurs spéciaux pour les candidats civils et militaires. Le texte précisant les modalités du concours sera régulièrement réactualisé, sans changer fondamentalement la structure de l’épreuve. La principale modification eut lieu en 1886, quand les candidats militaires qui, jusqu’à cette date subissaient un examen simplifié par rapport aux candidats civils, furent interrogés sur le même programme. La première étape consistait à être sélectionné sur dossier, Etaient vérifiés l’âge les opinions politiques, les qualités physiques morales et intellecturelles afin d’en connaître la fiabilité, notamment par rapport au régime républicain et aux valeurs qu’il entendait protéger.

Ce premier écueil passé, les candidats subissaient une première série d’épreuves écrites. La première consistait en une composition obligatoire dont le contenu changea au cours des années : de 1879 à 1896, ils devaient rédiger un procès-verbal ou un rapport d’enquête sur une affaire fictive. Deux changements furent ensuite être apportés : au tournant des années 1900, les concours de commissaire spécial et d’inspecteur spécial étaient distincts. Puis les épreuves écrites furent modifiées : en 1911, les candidats au concours d’inspecteur spécial eurent pour épreuves une dictée d’une demi-heure, un rapport à rédiger en deux heures et une question portant sur la géographie de la France à traiter en une heure (cf.annexe 6). Pour le concours de commissaire spécial ou de commissaire spécial adjoint, l’épreuve écrite à partir de 1908 consistait en la rédaction d’un procèsverbal en trois heures, et celle d’un rapport en deux heures trente. Ceux qui déclarèrent parler une des quatre principales langues étrangères (anglais, allemand, espagnol, italien) avaient une épreuve supplémentaire consistant à vérifier leurs connaissances et leur maîtrise de cette langue. Quatre notes étaient attribuées sur l’ensemble de ces épreuves : le niveau de langue, l’écriture, l’orthographe et la rédaction.

Ceux qui réussirent leurs écrits etaient admis aux épreuves orales, consistant en une conversation évaluant les connaissances du candidat : connaissances scolaires – arithmétique, histoire et géographie- , de droit – droit pénal, et connaissance des lois organisant la police – et techniques liées à la profession – l’instruction criminelle. S’ajoutait une épreuve orale en langue étrangère pour ceux ayant déclaré en parler une. A chacune des épreuves citées était attribuée une note sur 20. C’était donc moins les compétences liées au métier de policier que les connaissances théoriques, la maîtrise du français écrit et des critères moraux et physiques qui servaient à sélectionner les candidats. Si ce dernier avait un nombre suffisant de points, il était alors inscrit sur une liste d’admissibilité correspondant au nombre de postes vacants et était nommé quand l’un  d’entre eux se libèrait.

Si le recrutement se codifie, il n’existait en revanche aucune école de formation postrecrutement pour les policiers – spéciaux comme municipaux – malgré le projet de création d’une école professionnelle en 1910 sur l’initiative du directeur de la Sûreté générale Celestin Hennion . La formation se faissait alors par la pratique quotidienne, et par les conseils donnés par les collègues plus anciens, dans une relation directe, ce qui pouvait avoir comme conséquence des disparités entre les commissariats.

Normer les comportements

Les dossiers de sélection pour se présenter au concours d’inspecteur ou de commissaire spécial comportaient des questions liées à la moralité et au comportement du candidat, le but étant de savoir si le profil correspond aux caractéristiques attendues chez un policier spécial. Mais une fois qu’un individu était admis et titularisé sur un poste, son comportement continuait à faire l’objet d’une attention particulière. Le but recherché par la Sûreté était de construire des normes, c’est à dire des modèles de conformité. Ici le modèle en question était celui du comportement que le policier devait adopter dans le cadre de son travail et la manière dont le travail attendu devaitt être effectué. Il s’agissait donc de contrôler non seulement les compétences que les autorités espèraient d’un bon policier spécial, mais aussi si en tant que représentant de l’Etat, il se comportait correctement en société. Ces éléments peuvaient ensuite être utilisés pour déterminer la suite de la carrière du policier inspecté : de l’avancement plus rapide si les renseignements étaient positifs ou une mutation ou dégradation dans le cas contraire. Quelles étaient ces normes ? Pour le savoir trois types de sources vont être mobilisés : les rapports d’inspections des commissariats (au nombre de quatre), les notices de renseignements sur les policiers spéciaux (six en tout furent conservées (Cf annexe 5), et plusieurs rapports de commissaires spéciaux sur des incidents impliquant leurs inspecteurs.

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Table des matières

Table des abréviations
Introduction
I- Le métier de policier spécial
A/Un corps en voie de professionnalisation
1- Un recrutement plus encadré
2- Normer les comportements
3- Réglementer l’organisation des archives
4- La question des salaires et du niveau de vie
5- Une importante mobilité
B/Des conditions de travail difficiles
1- Les créations et suppressions de postes et de commissariats
2-Les conditions matérielles : la situation des locaux
3- Quels étaient leurs outils de travail ?
4- Les frais de Sûreté ou la question du financement des missions
C/Une surveillance exercée dans le cadre d’un dispositif policier national
1- Les relations avec la hiérarchie
2- Une collaboration avec autres polices de terrain
-Avec la gendarmerie
-Avec les polices municipales
3-Relations avec les policiers spéciaux des autres départements
II-Oeuvrer à la régulation de l’ordre républicain
A/Le renseignement politique. Observer l’opinion marnaise
1- Les réactions à l’actualité internationale
2- Les opinions sur la politique intérieure
3- Surveiller les élections
4-Observer les réunions politiques
B/Les ouvriers, un groupe social jugé dangereux
1-Les différentes sources à disposition
2-Des ouvriers concentrés à Reims et dans la vallée de la Suippe
3- Une condition ouvrière marquée par la crise économique
4- Connaître l’opinion politique des ouvriers
5-De l’auto-organisaton des ouvriers : les chambres syndicales
C/Un service uniquement politique ? Des missions judiciaires et administratives variées
1-La police ferroviaire
2- La police des jeux
3- Surveiller le monde militaire
III-Défendre l’Etat, défendre la République
A/ La lutte contre l’espionnage
1- Comment était organisé le contre-espionnage ?
2- Une crainte de l’espion liée aux tensions européennes
3- Des éléments de suspicion nombreux et hétéroclites
4- Les pratiques de surveillance des suspects
B/Les mouvements révolutionnaires
1- Une chronologie marqué
2- Des méthodes diversifiées au service d’une surveillance constante et étroite des mouvements
C/ La question de la partialité des policiers spéciaux
1- Quelle méthode et corpus furent utilisés ?
2- Catégorisation des biais recensés dans les rapports
3- Des biais qui s’expliquent par le parcours professionnel des policiers spéciaux
Conclusion
Sources
Bibliographie

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