La place du corps à l’école élémentaire : vers une pédagogie du lien

Le constat :
Mon corps, en fait, il est toujours ailleurs. Il est lié à tous les ailleurs du monde […], il est ailleurs que dans le monde, car c’est autour de lui que les choses sont disposées, c’est par rapport à lui […] comme par rapport à un souverain qu’il y a un dessus, un dessous, une droite, une gauche, un avant, un arrière, un proche, un lointain. Le corps, il est le point zéro du monde, là où les chemins, les espaces viennent se croiser. Le corps, il n’est nulle part, il est au cœur du monde, ce petit noyau utopique à partir duquel je rêve, je parle, j’avance, j’imagine, je perçois les choses en leur place […].

Avec ces mots, Michel Foucault pose l’idée d’un corps réel et échappant paradoxalement à toute réalité, lieu d’où tout se construit, et capable de transporter avec lui fiction, possibles, et utopies. Il est un lieu d’action, de rêverie et de perception. Il est l’endroit premier de notre relation au monde ; l’endroit où s’articulent le faire, le sentir et le dire. Il est donc le lieu premier de tous les apprentissages, le socle à partir duquel le monde s’organise, se construit et s’échappe.

A l’école maternelle, l’élève apprend énormément au travers de l’expérience corporelle. Son corps est sans cesse mis en jeu, et tous ses sens sont sollicités, il accède aux savoirs en touchant, en écoutant, en manipulant, et en appréhendant corporellement le monde qui l’entoure. Il développe ses compétences en incorporant le monde qui l’environne. Rien ne se fait sans l’engagement du corps, en relation étroite au langage. De fait, l’élève est amené à se mouvoir au sein de la classe, à se déplacer et à expérimenter. Lorsqu’il arrive à l’école élémentaire, il en va tout autrement. Une place lui est assignée, les déplacements sont contrôlés, et la voix, la parole, si sollicitée auparavant doit se taire en-dehors de temps régulés par le professeur. Le corps est tu au sein de l’espace restreint qui lui est assigné. Force est de constater que cette main mise sur le corps à l’école élémentaire est difficile à vivre pour des élèves qui ont du mal de fait à ne plus bouger, à ne plus parler.

Contexte et émergence de mes questions : 

De par ma formation initiale, danseuse et professeur de danse contemporaine, la question du corps a toujours été centrale dans mon enseignement. Le corps était le premier vecteur de ma pédagogie, l’objet de ma transmission, et l’outil par lequel je tentais de poétiser le monde, et de rendre ce monde incarné pour mes élèves. Lorsque j’envisage une reconversion professionnelle en 2015, et que je prépare le Concours de recrutement de professeur des écoles (CRPE) au sein du master 1 « Métier de l’enseignement, de l’éducation et de la formation », la question du corps, et surtout à l’école élémentaire disparaît dans les enseignements qui me sont alors dispensés, à l’exception des unités d’enseignement d’Education physique et sportive (EPS), mais même là encore, et de façon assez surprenante, j’ai la sensation qu’elle n’est pas centrale. Soit, je change de métier, il ne s’agit plus de former des danseurs, mais de futurs citoyens, de développer des compétences et de transmettre des savoirs s’adressant au cerveau de mes élèves (le cerveau m’apparait alors paradoxalement comme étant hors du corps, sorte de pensée dématérialisée), savoirs organisés par les programmes en disciplines. Je suis lauréate du CRPE en 2016, et je me prépare donc à prendre ma classe à la rentrée qui suit. L’école où j’effectue mon stage se situe dans une commune proche d’Aix-en-Provence, dans une zone périurbaine assez favorisée. J’aurai en charge à mi-temps une classe de CE1 composée de 23 élèves dont une grande majorité est à priori familière des normes scolaires. Enfin, l’école où je vais enseigner est une petite école (cinq classes au total, une par niveau), et les élèves connaissent bien les lieux. Leur corps n’est pas perdu dans cette école à échelle humaine, et ils se sont appropriés les espaces, que ce soit l’espace de l’école, mais aussi celui de la classe, puisque toutes les classes sont identiques dans leur organisation spatiale, à quelques détails près. Ce sont donc des élèves familiers : des normes scolaires, de l’espace dans lequel ils évoluent, et entre eux puisqu’ils se connaissent depuis la petite section de l’école maternelle. Il me faut alors envisager mon action pédagogique et transmettre à mes élèves les savoirs requis. Penser mon enseignement pour des élèves plutôt immobiles, et non plus pour des élèves en mouvement. J’ai quelques grandes idées quant à l’enseignante que j’aimerais être et à la classe que je souhaiterais mettre en place. Au regard de la théorie socioconstructiviste (Vygotsky) et des classes que j’ai pu observer lors de mes stages en Master 1, je veux que mes élèves soient acteurs de leurs apprentissages, travaillent en coopération les uns avec les autres, et je pense que l’autonomie est une vertu fondatrice de la construction individuelle  de l’élève. En découle une organisation de ma classe en ilots, je laisse les élèves choisir leurs places le jour de la rentrée, et souhaite constituer rapidement des ateliers d’autonomie. Les élèves auront le droit de se déplacer, de prendre part à la vie de la classe par le biais de conseils d’élèves, etc. Et puis je passe de la théorie à la pratique. Deux semaines après la rentrée, j’ai démantelé les ilots les uns après les autres, j’enseigne de façon frontale, tout déplacement est prohibé, l’autonomie, nous verrons plus tard, si déjà je pouvais obtenir le silence quand je donne la consigne… Les élèves « ne tiennent pas en place » selon l’expression consacrée et ils ne peuvent s’empêcher de prendre la parole dans l’espace classe. Paradoxe d’une situation de classe subie par mes élèves mais aussi subie par le professeur qui l’a pourtant instaurée.

Traitement de la question au niveau scientifique et enjeux institutionnels

La place du corps à l’école

Le corps de l’élève n’existe pas indépendamment du système scolaire dans lequel il s’inscrit. C’est « un corps socialement construit » , construction tributaire d’une part de l’Histoire au sens large et de l’histoire des institutions de chaque pays, mais aussi tributaire de choix politiques, de priorités éducatives et d’un projet de société. L’école française, école républicaine avant tout, porte en son sein d’autres héritages, tant philosophiques que politiques.

Un corps, un esprit
Nos représentations du monde sont forcément fonction de la langue qui nous traverse, et les mots sont des pièges à pensées. Ainsi, selon les cultures, le mot corps ne renvoie pas aux mêmes choses, ne véhicule pas la même histoire. Dans notre société occidentale, la question du corps a, depuis de nombreux siècles, été soumise à une dichotomie première, celle du corps et de l’âme, dichotomie qui s’est transformée en distinction entre le corps et l’esprit avec la laïcisation, les avancées scientifiques et la pensée philosophique. De cette séparation fondamentale induite par notre langue (l’existence de deux termes distincts vient la créer et l’acter) émerge l’idée d’un corps corporel d’une part, et d’une pensée décorporéisée d’autre part. La pensée n’est pas ou plus dans le corps, sorte d’électron autonome désincarné qui une fois construit s’émancipe de ce corps dont il émerge au travers du langage, pour presque s’en séparer. Parallèlement à cette séparation, l’on assiste à une survalorisation de l’âme, puis de l’esprit au détriment du corps, corps empreint de siècles d’un christianisme vouant les pulsions du corps, ses élans et sa vie propre aux enfers. L’esprit des élèves est alors valorisé, cible privilégiée des apprentissages plus l’on avance dans la scolarité. Et le corps est quant à lui étouffé, occulté et dressé par les institutions, notamment au travers des institutions scolaires.

Un corps soumis

Car le corps doit se soumettre à des normes précises au sein du système scolaire français contemporain. A l’école élémentaire, il se doit d’être immobile dans la plus grande majorité des classes, redressé au travers d’une posture considérée comme physiologiquement propice aux apprentissages (notamment pour l’apprentissage de l’écriture), posture qui trouve sa justification dans la médecine, la rectitude de la posture dorsale serait thérapeutique par anticipation. Force est de constater qu’il nous est extrêmement difficile de remettre en question des principes ancrés dans notre inconscient collectif. Il est intéressant d’observer toutefois qu’il ne s’agit là encore que de normes sociales : dans son ouvrage, De l’enfant au citoyen : la construction de la citoyenneté à l’école en France et en Angleterre (2015), Maroussia Raveaud souligne le fait que les écoliers anglais peuvent s’avachir sur leur table, bouger, adopter différentes positions lors de l’apprentissage de l’écriture, et que la contrainte sur la posture des élèves en lien avec les apprentissages, inexistante dans ce pays n’a pas d’incidence sur la qualité de leur geste graphique. Comment alors se sont construites en France ces normes, qui s’établissent en vérités ? Dans Surveiller et punir, en 1975, dans le chapitre « Les corps dociles », le philosophe Michel Foucault observe comment le pouvoir s’exerce au travers du corps, qui devient alors, et spécifiquement au XVIIIème siècle, à l’âge classique, la cible de celui-ci jusque dans sa mécanique (mouvements, attitude, rapidité) au travers des disciplines. Ces processus se développent à grande échelle dans les collèges, mais aussi dans les écoles élémentaires, dans les espaces hospitaliers et structurent l’organisation militaire. Plusieurs corps émergent de son analyse. Corpsmachine, corps-objet, corps actif mais agi dans le moindre détail, corps individuel mais aussi collectif, corps temporel, corps naturel-organique, corps exercé, efficace, dressé, redressé, utile : des « corps dociles ». En effet, une multitude de corps sont à l’œuvre, lorsque les techniques disciplinaires – mise en ordre et assujettissement des corps par le biais d’organisations spatiales, temporelles et gestuelles des individus – se mettent en place et s’affinent. Et parce que ces contraintes se basent sur la relation du corps aux éléments du monde qui l’entourent (et notamment l’espace, le temps), elles modifient dans le même mouvement l’inscription même du corps et du geste face à ces éléments et donc face à lui-même. Toutes ces contraintes visent à appréhender, à surveiller un corps qui doit se soumettre en vue d’un rendement, et notamment au travers de l’école. Le corps est alors un « corps qu’on manipule, qu’on façonne, qu’on dresse, qui obéit et qui répond, qui devient habile […] ». Cette coercition s’exerce de façon constante et ininterrompue, selon une codification qui quadrille le temps, l’espace et les mouvements.

Un corps quadrillé dans l’espace et le temps

Se met alors en place « l’art des répartitions » , art extrêmement prégnant dans l’école française actuelle. « Cette discipline procède d’abord à la répartition des individus dans l’espace » . Chaque individu aura alors une place assignée, «l’espace disciplinaire tend à diviser en autant de parcelles qu’il y a de corps à répartir» . Il ne s’agit pas seulement d’assigner des places, mais aussi de noter les présences et les absences, de distribuer les circulations, d’organiser le rang, figure emblématique de l’organisation spatiale scolaire actuelle. Des rangées au sein de la classe au rang que le professeur se doit de tenir lors de la montée en classe, le corps de l’élève évolue au sein d’un « espace sériel » qui astreint son corps jusque dans ses moindres déplacements.

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Table des matières

INTRODUCTION
§ Constat
§ Contexte professionnel et émergence de mes questions
Formulation de la problématique : en quoi le travail sur le corps, sur la place du corps dans la classe peut-il permettre aux élèves d’entrer au mieux dans les apprentissages, d’accéder à l’autonomie et participer d’une pédagogie du lien ?
PREMIERE PARTIE Traitement de la question au niveau scientifique et enjeux institutionnels
1 La place du corps à l’école
1.1 Un corps, un esprit
1.2 Un corps soumis
1.3 Un corps quadrillé dans l’espace et le temps
2 Quels corps pour quels apprentissages ?
2.1 Un corps, des corps
2.2 Les Instructions Officielles
Ø A l’école maternelle
Ø A l’école élémentaire
DEUXIEME PARTIE Hypothèses et protocole de recherche
1. Protocole de recherche
1.1 Dispositif
1.2 Modalités du recueil de mes données
2. Présentation des données
2.1 Les pratiques corporelles en classe
2.2 Corps et apprentissages cognitifs
2.3 Corps, perceptions et art
3. Solliciter le corps, vecteur d’apprentissage cognitif ?
3.1 Percevoir son corps pour mieux travailler
3.2 Engager son corps pour mieux comprendre, pour mieux apprendre
3.3 Percevoir son corps pour mieux s’échapper
CONCLUSIONS PROVISOIRES
Bibliographie

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