La place des petites villes dans la constitution des armatures nationales

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L’hétérogénéité des petites villes

Grands contrastes régionaux et familles de petites villes

La cartographie systématique du semis de petites villes -tous les cinq ans de 1955 à 1985- et sa mise en rapport avec des phénomènes géographiques, nous permettent d’analyser les modalités de la densification du semis. Certains faits de localisation peuvent être isolés et certains héritages soulignés. Ainsi émergent des générations et des familles de petites villes.

Les regroupements, les axes

La simple observation de l’évolution du semis laisse apparaître des regroupements et des différences structurelles entre pays ou régions :
un semis dense dès le début des années 60, dans les parties méridionales du Togo et du Ghana notamment (Fig. 9), des regroupements sur des axes qui perdurent (Littoral ghanéen et togolais, fleuve Sénégal et Niger) ou qui s’effacent (Du nord ivoirien à Tombouctou et du centre-est ghanéen au centre-nord togolais : Fig. 9), au profit d’autres (route nord-sud au Togo, route ouest-est au sud de la Mauritanie : Fig. 10), des nébuleuses qui apparaissent et se renforcent durant la période, au Burkina Faso, en pays mossi et dans le sud-ouest autour de Bobo Dioulasso, et au centre ouest ghanéen (Fig. 10), des trames plus ou moins denses qui se mettent en place sur la quasi totalité des espaces ouest africains.
Il faut bien sûr invoquer :
les héritages précoloniaux : formations politiques et économiques (pays ashanti, mossi…), axes commerciaux (Fig. 10) (« routes de la cola » notamment, et « ports » du Sahel) ; les héritages coloniaux : avec notamment le développement des plantations et le privilège accordé aux axes littoraux et ferroviaires ; la tendance postcoloniale au renforcement de la trame administrative, et au développement du trafic routier.

Milieux et petites villes

Les grands contrastes de milieux et de mise en valeur agricole jouent également un rôle : à petite échelle l’opposition désert/Sahel et l’opposition savane/milieu forestier. Cette dernière est d’ailleurs bien nette en Côte-d’Ivoire (Chaléard et Dubresson, 1989) où le contact entre ces domaines est également souligné par une série de petites villes qui redessinent un « V » baoulé.
Cependant, au sein d’une même entité écologique, les différences de milieu ne peuvent expliquer des évolutions divergentes. C’est le cas pour la partie sahélienne du Mali où J. Gallais (1988), lorsqu’il s’intéresse aux conséquences migratoires de la sécheresse, note des évolutions urbaines contrastées. La plupart des grandes et moyennes villes (Segou, Mopti, Gao, Tombouctou, mais pas Kayes) ont fonctionné comme refuge avec une croissance soutenue au cours des années 70 et 80. Les petits centres urbains ont pu jouer le même rôle (Nioro) voire même, pour de tout petits centres, fonctionner comme « niche de repli » et émerger comme petite ville, c’est le cas notamment de plusieurs localités du Gourma sinistré autour de Gao : Gossi, Tonka, Gourma Rharous, Badji Gourma, Bourem, Ansongo et Ménaka ; dans le même temps, le Moyen-Niger, voit la plupart des petites villes, solidaires de leur environnement, stagner ou perdre une partie de leurs effectifs (Djenné), même si quelques-unes émergent (Konna, Sofara…).
L’exploitation du milieu tropical humide sous forme de plantations, ou celle des richesses naturelles locales sous la forme de mines, peut également générer des agglomérations. Le semis urbain du Liberia, avec d’une part les plantations d’hévéa de Firestone et de la bourgeoisie américano-libérienne, et d’autre part les mines, dont la plus importante est celle de la LAMCO (Liberian-American Minerals C° Joint Venture) sur les flancs du mont Nimba, est celui qui fait la part la plus belle à des organismes qui s’apparentent davantage à des camps qu’à des villes (Salles, 1979 ; Marguerat, 1985). Ainsi mis à part les centres principaux (Harbel pour les plantations Firestone ; Yekepa et Camp IV pour la LAMCO), les autres sites voient leur population fluctuer et surtout relever de différentes entités selon les recensements34 ; des plantations de plusieurs milliers d’habitants disparaissent (« Firestone Div. 10, 44, 45″35 ; « Goodrich Plantation ») tandis que d’autres apparaissent (« Cocopa plantation »), de même pour des concessions minières sur les sites de Mano River, Bongo Mine et Bomi Hill. Ce phénomène reste marginal dans les Voir à ce sujet l’analyse du recensement de 1984 et le tableau récapitulatif (p. 9) réalisé par K.-H. Hasselmann en 1989, sous le titre :Urbanization in Liberia. An analysis of the 1984 Census Data. « L’habitat-camps de travailleurs, ports, centres industriels et urbains vit et meurt en fonction des calculs économiques de la firme d’Akron » (Bruneau et Courade, 1983, p. 79).
La petite ville, un milieu adapté aux paradoxes de l’Afrique de l’Ouest : étude sur le semis, et comparaison du système spatial et social de sept localités (Togo, Ghana, Niger) / Frédéric Giraut/ Thèse Université Panthéon-Sorbonne, 1994 autres pays d’Afrique de l’ouest, tandis qu’il est fondamental dans la constitution de l’armature urbaine libérienne, pays forestier sous-peuplé, où les centres secondaires liés à une fonction d’encadrement des campagnes (des plantations36) sont rares. Ils doivent plutôt leur fortune à une position frontalière (Zorzor, Kolahun, Voinjama, Saniquellie, Ganta) ou de carrefour (Zwedru, Tappita, Kakata, Gbarnga).
Mais quelles que soient leurs origines -écologique, historique ou économique-, de grandes différences structurelles se maintiennent, notamment dans l’architecture des armatures urbaines. Depuis 1970, le nombre des petites villes ivoiriennes ne constitue que 73 à 80 % des centres urbains du pays, alors que celles du Ghana représentent plus de 85 %, celles du Togo et du Burkina, plus de 90 %, enfin celles du Niger, du Mali et du Liberia se situent autour de 80%.

Une génération fonctionnelle spécifique

Nous avons vu que la catégorie des petites villes est traversée par des localités en pleine expansion, tandis que d’autres s’y attardent ou s’y installent. En fait, il est possible de distinguer des générations de petites villes. Ces générations sont constituées de différents types selon les localisations relatives aux éléments structurants de l’espace. Cette typologie n’est évidemment qu’un moyen d’isoler des facteurs dominants, mais elle n’exclut pas les combinaisons qui sont bien souvent la règle, notamment avec la nature du milieu rural environnant qui sera abordé dans la partie suivante. Rappelons la mise en garde de Catherine Coquery-Vidrovitch (1993) lorsqu’elle tente d’établir une typologie historique des villes africaines précoloniales : « il est bien évident que toutes les villes africaines sont des hybrides et que ces hybrides se sont parfois constitués sur une très longue durée. Plus qu’une typologie, tout au plus pourrait-on proposer une chronologie de l’urbanisation africaine, tout en gardant bien en l’esprit qu’un tel schéma est nécessairement réducteur. » (p. 45)

Les étapes routières

Il semble bien qu’au cours des années 1960 et 1970, la localisation sur un axe routier devient un facteur majeur d’émergence d’une nouvelle génération de centres (Fig. 10). Les routes Abidjan-Yamoussoukro et Abidjan-Man via Gagnoa sont ainsi redessinées par le semis des petites villes de 1980.
A partir du cas camerounais, Bruneau et Courade remarquent que « la ville fait figure de parasite pour les plantations mais de nécessité sociale pour leurs salariés » (1983, p. 84).
Si nombre de nouvelles petites villes profitent de l’existence de la route, toutes ne sont pas des étapes ou des carrefours. Par exemple, le long de la nouvelle route de l’Unité au sud de la Mauritanie, s’égrènent nombre de petits centres commerciaux qui fonctionnent comme refuges pour populations sinistrées (D’hont, 1986). Qui plus est, les routes principales sont bien souvent greffées sur un ou plusieurs autres éléments structurants de l’espace qui peuvent aussi engendrer des fonctions urbaines contemporaines (frontière), ou qui constituent des héritages non négligeables (chemin-de-fer, littoral, fleuve).
Une étude systématique (F.W. Young, 1989) réalisée sur les pays côtiers d’Afrique de l’ouest (Bénin, Togo, Ghana, Côte-d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, Guinée, Guinée Bissau) confirme ce qui pour nous est une évidence cartographique et géographique, que nous approfondirons pour les trois cas nationaux traités dans la seconde partie de ce livre premier. Cette étude, basée sur l’exploitation des données portées sur la carte Michelin sur l’Afrique du nord et de l’ouest, montre que la densité du réseau routier et son taux de revêtement, sont des variables qui jouent positivement pour expliquer la densité du semis de petites villes, ainsi que celui des villes moyennes (Tab. 7). Ces variables sont d’ailleurs étroitement corrélées à la densité de population, et le taux de revêtement est utilisé par l’auteur comme un indicateur de développement des régions subnationales qui servent de cadre à l’étude (43 pour 8 pays).

Vers une génération spontanée de centres ruraux ?

Comment isoler le phénomène ?

Le constat de la multiplication des petites villes, basée en partie sur des créations spontanées qui répondent à de nouveaux besoins locaux, n’est pas nouveau ; il figure en bonne place dans l’ouvrage sur les villes du Tiers Monde de M. Santos publié en 1971. Déjà, il s’accompagnait de la définition des «villes locales» : « organismes urbains répondant aux nécessités primaires et immédiates des populations locales » (p. 352). La même année, l’auteur, dans son ouvrage sur Le métier de géographe en pays sous-développés, utilisait également le qualificatif d’«embryonnaire» pour définir le bas des armatures urbaines dans le cadre d’une classification en quatre groupes. Ces villes embryonnaires regroupaient aussi bien des centres coloniaux externes que des « villes naissantes » et des « embryons urbains ». Autrement dit le type fonctionnel des villes locales est hétérogène, s’il peut relever d’une création spontanée liée à la satisfaction du bassin demandeur environnant, il peut aussi correspondre à un ancrage local de centres externes ou de centres qui exploitent par ailleurs une position d’échelle régionale ou interrégionale.
Au Burkina Faso, nombre de petites agglomérations dépassent le seuil des 5 000 habitants au dernier recensement de 1985. Derrière les 13 villes officielles, 120 centres ont en fait acquis une taille urbaine minimale, contre 63 en 197539. A l’ouest de Tenkodogo, en pays bissa, à la limite du pays mossi, deux localités voisines font partie des nouvelles petites villes. Il s’agit d’un petit centre rural, Niaogho, et d’une place commerciale située sur l’ancienne route de la cola, Beghedo (Faure, 1993). L’élite commerçante de cette dernière est aujourd’hui reconvertie dans le négoce d’une production locale recherchée, l’oignon. Mais les commerçants de Beghedo tendent à intégrer toute la filière de production de cette culture spéculative, ils se font producteurs et entrent en conflit avec la cité voisine de Niaogho et ses élites, détentrices du terroir, mais dépendantes économiquement des commerçants, usuriers à l’occasion. Le conflit s’est étendu à la question politique avec l’enjeu du statut de chef-lieu d’arrondissement que les centres se disputaient, et que chacun a fini par obtenir. On voit avec cet exemple que des genèses différentes n’empêchent pas deux localités d’émerger simultanément et d’être concurrentes en tant que centres locaux dans un contexte agricole dynamique.
Le milieu rural peut donc générer des centres locaux, soit par réappropriation de centres externes soit par l’émergence de petites villes à partir du réseau de bourgs. Madagascar, par son histoire urbaine, offre un bon observatoire extérieur à notre aire d’étude. La plupart des centres, y compris à l’échelle locale, sont d’origine extérieure, créés par la monarchie Hova ou plus tard par l’administration coloniale. Cependant dès les années 60, les observateurs notent un enracinement de ce semis de base. R. Gendarme, cité par Santos (1971, p.34), voit se développer « une quarantaine de petites villes très bien adaptées à l’économie rurale prédominante ». P. Le Bourdiec précise en 1971 que les 48 chefs-lieux de district qui n’ont pas été élevés au rang de commune urbaine « prennent racine ». Dans une discussion concernant l’évolution de la fin des années 7040, il estime que le mouvement d’enracinement se poursuit dans le cadre du recul de l’État et que l’on assiste en fait à la mutation de nombreux centres en «villes authentiques». Le phénomène est interprété différemment par G. Rossi (cité par Y. Marguerat, 1982, p. 22) qui parle de désurbanisation en constatant la mort lente de nombreux centres urbains qui redeviennent de «gros villages».
Avec ces exemples, on voit les difficultés à isoler le phénomène du développement des petites villes sur fond de mutation de la demande rurale. En effet, il peut procéder de l’émergence de gros bourgs dans lesquels les observateurs ne perçoivent pas l’urbanité, ou de la «naturalisation» de centres exogènes.

Des germes urbains potentiels dans le semis régulier des marchés

Partant d’une interrogation sur le dynamisme rural et l’urbanisation, nous nous sommes orientés vers les dynamismes commerciaux locaux et régionaux. L’imbrication entre ces deux termes -dynamisme rural et dynamisme commercial- semble permanente, malgré les différentes tentatives étatiques de contrôle des échanges agricoles. Le développement actuel des cultures vivrières commerciales, particulièrement spectaculaire en Côte-d’Ivoire, offre une illustration des relations systèmiques qu’entretiennent les dispositifs commerciaux avec les dynamiques urbaines et agricoles. Ainsi J.-L. Chaléard remarque « Dans les régions éloignées des grands centres urbains, le développement des ventes [de produits vivriers] a été rendu possible par la mise en place rapide d’un système de commercialisation fondé, entre autres, sur l’existence de gros marchés de collecte, nés spontanément, et sur la présence de transporteurs, héritages de traditions anciennes, dans les villes du Nord, ou résultat de multiplicité des flux dans le Sud » (1996, p. 611).
Avec l’imbrication des dynamismes ruraux et commerciaux, nous touchons en fait un trait particulier des « régions d’économie primaire44 » dont parle M. Rochefort (1990), et qui « possèdent chacune un réseau de ville particulier, dont les caractéristiques sont issues de celles de la base économique. » (p. 226).
Concernant la forme de ces réseaux urbains régionaux en « économie primaire », différents auteurs s’accordent pour estimer que « dans un monde à prédominance rurale : il faut une trame serrée de lieux centraux pour que tous puissent y avoir accès, mais leur hiérarchisation n’est pas nécessaire » (Claval, 1981). Dans le cadre du Tiers-Monde, M. Santos (1971, p. 183 et 184) estime que c’est dans les petites villes que la population pauvre trouve les services urbains qui lui sont accessibles, il n’y a donc pas pour elle de réseau urbain hiérarchisé, seule la bourgeoisie, peu nombreuse, a accès à une hiérarchie de services. Une telle analyse se focalise sur les notions de services et de polarisation, négligeant momentanément les dynamiques productives internes à la sphère urbaine. Elle permet d’isoler la question des fonctions, et pour les petites villes, celle des relations avec l’arrière pays.
Une étude récente sur «les villages-centres» du bassin arachidier sénégalais (Galaup, 1991), révèle les ressorts contemporains de l’émergence de nombreuses petites villes. Une réorganisation administrative (introduite en 1972) et commerciale promeut de nombreux villages en « villages-centres » de « communautés rurales » (317 pour l’ensemble du Sénégal). Cela se traduit par la diffusion d’équipements, d’infrastructures et d’antennes de services publics d’encadrement du développement. Un réseau de micro places centrales se met donc en place qui va bénéficier de la systématisation du marché hebdomadaire qui remplace définitivement le système de traite. Il faut noter que quelques localités étaient déjà héritières d’une certaine centralité, en marge du système colonial. Il s’agit des bourgs du Sine Saloum qui rassemblaient quelques milliers d’habitants au début du siècle, et qui servirent de centres de collecte élémentaire de l’arachide. Situés à l’amont des compagnies de traite basées le long de la voie ferrée, ces petits centres étaient tenus par le commerce libanais.
Parmi les villages-centres, et donc au sein du réseau de bourgs-marchés d’essence rurale, émergent de nombreuses petites villes, qui rattrapent d’anciennes communes voisines («escales» et centres administratifs coloniaux)45. Cela correspond d’ailleurs à l’accomplissement du projet initial qui souhaitait lier, centralité, développement urbain de base et développement local, et qui projetait l’émergence de quelques dizaines de villages-centres dans une catégorie urbaine élémentaire jusqu’alors occupée par quelques communes.
Les facteurs qui expliquent ces émergences sont nombreux, mais ils n’opèrent pas tous au même niveau de sélection. Il semble que la nature même des villages-centres en fait des organismes particulièrement adaptés aux besoins du monde rural du Bassin arachidier, cela par l’offre de services et d’infrastructures commerciales qu’ils proposent et qui sont en partie réappropriés par ce monde rural. En effet, l’économie agricole du Bassin arachidier connaît une crise profonde qui se traduit par une mutation et une diversification des productions, l’arachide ne disparaît pas, mais sa culture est plus systématiquement complétée par celle du mil, par le maraîchage et par l’élevage. Ce sont ces productions qui ont permis de rétablir à la campagne le double flux des échanges que la suppression de la traite avait tari46. C’est par le réseau des villages-centres que s’effectue l’encadrement technique, commercial et organisationnel de cette économie en mutation. Cependant, une sélection s’opère au sein de ce réseau de villages-centres et de marchés ; une partie seulement connaît une croissance importante, qui lui permet de s’élever dans la catégorie des petites villes. C’est là qu’intervient une seconde série de facteurs, qui ne relèvent plus seulement des évolutions économiques locales. Il s’agit notamment, selon A. Galaup, de la position relative aux axes routiers. Le fait d’être au bord d’une route, et plus particulièrement en position de carrefour, est un facteur de dynamisme. Une telle position facilite l’insertion de la localité dans les réseaux d’échanges, et elle correspond souvent à un meilleur équipement en infrastructures et en services urbains, qui sont des éléments attractifs pour les populations rurales. L’auteur relève aussi comme facteur stimulant : la proximité de la frontière gambienne, celle de la frontière économico-écologique entre la zone sylvo-pastorale et le bassin arachidier, et enfin le dynamisme des commerçants locaux qui peut venir s’ajouter comme facteur secondaire. Les différents facteurs évoqués viennent tous jouer sur l’importance du marché, en lui offrant de plus ou moins grandes possibilités d’accroître son ou ses bassins ; et c’est bien sur le marché, principal pilier de la vie économique de ces localités, que repose la hiérarchisation des «villages-centres» (p. 205).
Le cas du pays marka, déjà évoqué, nous permet de retracer une forme d’urbanisation par le bas, également liée aux dynamismes ruralo-commerçants des marchés. En effet, le Moyen-Niger, fécond en petites villes, est d’abord marqué par un réseau dense de marchés ruraux qui sont les « antennes tendues par le commerce urbain pour capter, à son profit et au profit de l’économie continentale qu’il représente, l’économie locale. » (Gallais, 1984, p. 160). Nombre de ces marchés, développés au début du siècle, ont été entravés ou même supprimés par le pouvoir colonial, jusque dans les années 30, avant d’être encouragés et parfois relayés par des fonctions administratives. Parallèlement, la révolution contemporaine des transports, en facilitant la circulation des biens et des vendeurs, a participé à la diffusion du fait commercial sous la forme du gros marché hebdomadaire, dont l’armature s’est renforcée. Ce mouvement s’est accompagné de l’émergence de petites villes au sein de cette armature. Petites villes aux potentialités de croissance somme toute limitées, et dont la fonction de marché rural est la base économique, éventuellement renforcée par un rôle administratif.
Dans un tout autre contexte, les marchés ruraux du sud-est togolais, étudiés par E. Le Bris (1984), nous montrent comment la fonction commerciale peut être à la base d’un réseau dense de petites villes et de bourgs peu hiérarchisés. Ces places, comme les filières qui les animent, sont en fait dominées par la métropole voisine et ses acteurs économiques. L’auteur analyse comment la réorganisation du commerce dans cette région a modifié la hiérarchie des nombreuses places de marchés, dont les principes de localisation sont davantage en rapport avec les axes routiers que pendant la période de traite (p. 70) durant laquelle les voies d’eau dominaient. Cependant, il remarque que la hiérarchie des marchés périodiques ne se décalque pas exactement sur la hiérarchie démographique des localités (p. 71). Il faut donc conclure à l’intervention de facteurs secondaires pour différencier les dynamismes urbains de base à partir du réseau de marchés ruraux périodiques.

Une image de l’armature urbaine contemporaine

La répartition actuelle des villes au sein de l’espace nigérien exprime d’emblée un total déséquilibre, qui est aussi celui des potentialités bioclimatiques, de la répartition des hommes et des activités agro-pastorales. C’est en effet au sud de la limite des cultures sous pluie (soit à peu près l’isohyète de 350 mm) que se cantonne la bande de territoire « utile » du pays : soit 1 200 km de long, des confins du Burkina au lac Tchad (en suivant la frontière du Bénin, et surtout celle du Nigeria), et en moyenne 250 km de profondeur. En 1988, cette bande méridionale sahélienne rassemble 96 % de la population rurale, sur 20 % du territoire national ; sa densité rurale moyenne est de 24 hab/km2, contre 0,25 hab/km2 pour la zone saharienne du nord. Quoi d’étonnant, à priori, à ce que ce Sahel nigérien possède la même année 90 % de tous les citadins ? On y trouve la capitale Niamey (près de 400 000 hab.), cinq villes moyennes sur sept (dont Zinder et Maradi, qui toutes deux dépassent 100 000 hab.), et 47 petites villes sur 52. A y regarder de plus près, certes, on constate que le taux d’urbanisation est deux fois plus élevé au nord qu’au sud : 33 % (et même 52 % pour le seul département d’Agadez) contre 16 %, cette proportion étant assez proche de la moyenne nationale puisque, globalement, un Nigérien sur six vit en milieu urbain. La sururbanisation du nord n’est un paradoxe qu’en apparence, puisque dans le désert la population rurale est par définition presque absente, et qu’elle se concentre de plus en plus autour des points d’eau. Cela ne change rien de toute façon à la prééminence écrasante des villes du sud.
Sur la carte modélisée (Fig. 19), la localisation des villes paraît obéir à plusieurs principes. Globalement, elle est plutôt linéaire : on reconnaît au sud-ouest l’axe du fleuve Niger, au sud et au sud-est celui de la grand-route qui relie Niamey à N’guigmi (sur le lac Tchad), au centre et au nord celui de la « route de l’uranium » qui relie la précédente à Arlit. Cette dernière (comme sa jumelle Akokane) a une localisation atypique, liée à son activité minière. Ce cas mis à part, la capitale et toutes les villes moyennes font figure d’étapes sur un des axes précités : Niamey et Dosso sur le fleuve ; Birni N’Konni, Maradi et Zinder sur la route du sud ; Tahoua et Agadez sur la route du Sahara. C’est aussi le cas d’un certain nombre de petites villes, marchés ruraux jalonnant les itinéraires, tandis que d’autres se disposent plutôt en nébuleuses, sur une profondeur de 100 à 150 km à partir des axes principaux. Une variante de ce système est représentée par les petites villes satellites, que l’on trouve notamment autour de Niamey, de Maradi, de Zinder, de Tahoua et même d’Agadez.

Trois phases pour une genèse complexe

A l’aube de l’indépendance : sur fond de villes très anciennes, le paradoxe d’une armature urbaine embryonnaire

En 1956, à la fin du temps colonial, le Niger est un pays très peu urbanisé : les citadins, au nombre de 100 000, n’y représentent que 3,6 % de la population totale. La carte de l’armature urbaine (Fig. 21) se résume à onze localités, d’ailleurs fort discrètes : la capitale, Niamey, n’a que 23 000 âmes, et seulement trois autres villes, Zinder, Tahoua et Maradi, dépassent les 10 000 habitants. A l’exception d’Agadez, toutes sont situées dans la frange agricole méridionale ; huit sont en pays haoussa, au long ou à proximité (sauf Tahoua et Filingué) de la route qui suit la frontière du Nigeria, alors sous domination britannique.
Si l’on considère l’histoire, une telle situation peut sembler paradoxale. La colonie française du Niger est en effet située au coeur même des contrées sahéliennes, où la tradition urbaine est une des plus anciennes de l’Afrique noire. Les villes sont nées ici du grand commerce qui reliait, à travers le Sahara, le Maghreb et l’Egypte aux grands États de la région : le Sonrhaï (le long du fleuve Niger) et le Kanem (autour du lac Tchad), attestés dès le VIIème siècle, et plus tard les cités-Etats haoussa, entre les deux empires en déclin. C’est peut-être au Xème siècle que fut fondée Agadez, dans l’Aïr, plaque tournante des routes transsahariennes bientôt placée sous la protection d’un puissant sultanat touareg. Au XVème siècle, alors que renaît l’État sonrhaï à Gao, que le Borno ressuscite l’ancien Kanem, et que les États haoussa sont au faîte de leur puissance, le fait urbain est ici à son apogée. Des caravanes relient Kano et les autres villes de la région au littoral méditerranéen, via Tombouctou, Agadez ou le Djado, et les relations se développent aussi avec les cités du pays yorouba et du littoral du Golfe de Guinée. Centres économiques, culturels et religieux, les villes du Sahel sont en plein essor démographique ; une architecture originale s’y développe et des structures politiques et sociales de plus en plus complexes s’y mettent en place. Agadez, par exemple, est au XVIème siècle une ville fortifiée incluant vingt quartiers et un faubourg extra-muros, avec de nombreuses maisons étage et peut-être 50 000 habitants, Haoussa du Gobir et du Katsina, Sonrhai, Touareg, Arabes, etc. Peu de villes en revanche en pays djerma, dans la vallée du fleuve Niger : des guerres locales incessantes en détournent le grand commerce, facteur essentiel de l’urbanisation.
Le XVllème et le XVlllème siècles vont voir le maintien de la riche civilisation urbaine du monde haoussa (qui prend le relais de l’empire de Gao détruit par les Marocains), mais dans le même temps l’activité des comptoirs européens du littoral atlantique détourne progressivement vers ce dernier les courants d’échanges internationaux, condamnant à terme la première génération des villes du Sahel. Un regain intervient pourtant au début du XIXème siècle, avec la guerre sainte d’Ousman dan Fodio et de Mohammed Bello : nouvelles fondations urbaines (dont Sokoto), mais aussi, par exemple, essor de Maradi où s’est réfugiée la dynastie haoussa chassée de Katsina. Dans le nord, Agadez a perdu son ancienne splendeur : en 1850, l’explorateur Barth y trouvera surtout des ruines et une impression d’abandon, jusque dans le palais du sultan. A l’époque, on note en revanche au centre-est l’essor de Zinder, capitale de l’État du Damagaram, dont le sultan opposera une vive résistance à la conquête française, à la fin du siècle. Citons aussi les villes de Tessaoua et de Birni N’Konni en pays haoussa, et dans l’ouest la ville de Say qui est, sur la rive droite du fleuve, un marché et un centre religieux fort important, mais dont le déclin sera spectaculaire et très rapide : de 30 000 habitants vers 1850, sa population sera tombée à quelques centaines en 1902.
Ce déclin relatif des villes anciennes, qu’il ait été lent ou rapide, va se trouver confirmé, par la structuration économique de l’espace nigérien, constitué aux marges des territoires des principales formations politiques précoloniales. La période coloniale voit en effet l’émergence d’une seconde génération de centres urbains, nés des impératifs militaires et confortés par la nouvelle organisation administrative du pays. Celle-ci est mise en place en 1910 : partition du territoire en seize cercles (dont quatre unitaires) et 27 subdivisions ayant chacun son chef-lieu, et création d’un certain nombre de postes administratifs (ils seront 13 à la fin de la période en 1961). Tantôt reprenants des villes précoloniales (comme à Zinder, à Maradi, à Tahoua ou à Agadez), tantôt implantés en des sites nouveaux (comme à Niamey, Tillaberi ou Filingué), ces chefs-lieux deviendront des centres d’échange dans le cadre d’une économie coloniale essentiellement agricole. La plupart sont situés dans la « bande utile » méridionale où se développe notamment la culture de l’arachide, et c’est ce que confirme a contrario le cas d’Agadez, la plus ancienne et la plus prestigieuse des villes d’autrefois : après l’écrasement de la révolte sénoussite de Kaocen, la vieille cité saharienne achève de se vider de ses habitants en 1921, et il lui faudra trente ans pour faire à nouveau figure de centre urbain. Zinder elle-même, malgré sa localisation méridionale, souffre déjà d’un problème aigu de ravitaillement en eau. Aux yeux du colonisateur, elle a de plus le désavantage d’être soumise à l’influence des villes et du réseau de communications du Nigeria britannique tout proche. Coupée de son avant pays, elle perdra donc assez vite son rôle de chef-lieu de la Colonie, même si l’économie arachidière lui garantit une certaine prospérité.
Le fait essentiel est l’ascension, d’ailleurs assez progressive, de Niamey, poste fondé par les Français en 1901 et devenu, après une brève éclipse, chef-lieu définitif du Territoire du Niger en 1926. La cité, riveraine du grand fleuve, est bien plus tournée que Zinder vers le reste de l’A.O.F., et notamment vers les ports d’Abidjan et de Cotonou, ce qui se traduira par des projets de liaisons ferroviaires jamais totalement abouties. Niamey ne compte encore que 2 500 habitants en 1932, mais elle va connaître un développement important après la Grande crise et plus encore après la Seconde guerre mondiale. C’est au début des années 50 qu’elle rattrape puis dépasse Tahoua et Zinder : au moment de l’indépendance, elle regroupera à elle seule plus du tiers de la modeste population citadine du Niger. Car à l’exception (somme toute tardive) de la capitale, la croissance démographique globale des centres urbains aura été ici assez faible (guère supérieure au solde naturel), et tous restent de petites villes en 1956. En fait, le système colonial aura tout à la fois anéanti les fondements politiques et économiques traditionnels de la puissance urbaine, et instauré une paix permettant aux populations de s’installer et de vivre en toute sécurité en milieu rural. L’enclavement du Niger, son faible peuplement, le caractère fort traditionnel de ses sociétés rurales (et citadines) ont évidemment entravé eux aussi le déclenchement du processus d’urbanisation « moderne » qui affectait, à la même époque, bien d’autres territoires africains. Le contexte allait beaucoup changer après 1960, comme on va le voir.

Au plus fort du boom de l’uranium : Niamey et le “désert nigérien »

Tibiri pour Maradi et Mirria pour Zinder). Un centre nouveau sur quatre, cependant, est né en plein milieu rural, et cela est vrai surtout dans l’aire ethnoculturelle haoussa. Une certaine diffusion spatiale du fait urbain paraît ainsi s’amorcer, même si, à considérer la carte (Fig. 21) et les chiffres, le contraste est frappant entre Niamey et ce qu’on est tenté d’appeler (sans jeu de mots) le désert nigérien.

Le Togo : derrière la macrocéphalie

Plusieurs éléments peuvent décourager une utilisation des données du recensement électoral de 1992 dans le cadre d’une analyse de l’armature urbaine togolaise. Tout d’abord les données que nous avons pu recueillir auprès du CENETI sont incomplètes, le nombre d’électeurs de toute une série de localités ne nous a pas été communiqué58. Ensuite les données concernent exclusivement les électeurs, autrement dit la population adulte, elles nécessitent donc une extrapolation pour obtenir une estimation sur le nombre de résidants. Cette estimation est obtenue par l’application d’un multiplicateur proche de 2,2 au nombre d’électeurs de la localité (sur les indications de Y. Marguerat) : 2,1 pour les localités dans lesquelles les hommes sont surreprésentés (Sex Ratio >102) ; 2,2 pour Lomé et lorsque le S.R. est proche de 100 ; et 2,3 si les femmes adultes sont surreprésentées (S.R. <95). Le cas de Lomé pose particulièrement problème, dans la mesure où le nombre d’électeurs y est certainement supérieur à celui des adultes effectivement résidants, compte tenu du nombre de fonctionnaires et d’étudiants qui peuvent être des résidants intermittents sans leur famille. Enfin les données de base sont elles-mêmes sujettes à caution dans la mesure où des doubles inscriptions sont possibles : nous avons personnellement rencontré un étudiant inscrit sur les listes électorales de la capitale ainsi que sur celles de sa localité d’origine dans le centre du pays.
Malgré toutes ces réserves sur la fiabilité des données déduites du recensement électoral, nous avons choisi de les exploiter. Il ne s’agit pas de prétendre dresser la carte exacte de l’armature urbaine togolaise du début des années 90, mais d’identifier les tendances qui l’affectent et d’émettre des hypothèses quant à leur interprétation.

Les enseignements du recensement électoral

Les premiers signes de la transition urbaine ?

Le caractère macrocéphalique de l’armature urbaine togolaise est flagrant. Il est d’ailleurs toujours souligné par les études urbaines qui s’intéressent à ce pays (Nyassogbo, 1990 a et b ; Marguerat, 1985). Quelques indicateurs expriment cette tendance :
Le poids écrasant de la capitale dans la population urbaine ne se dément pas : 41 ; 32 ; 39 et 44 % en 1959, 70, 81 et 92. De ce fait son poids dans la population totale est en constante augmentation, passant d’environ 6 % en 1959 à plus du cinquième en 1992.
L’indice de primatie (rapport de la population de la première ville sur celle de la seconde) s’accroît sur toute la période. Il est de 5,7 ; 5,7 ; 7,9 et 11,4 aux recensements successifs.
Outre la vraisemblable surestimation de la population métropolitaine en 1992, il faut prendre en compte simultanément d’autres éléments qui relativisent cette tendance :
Le taux de croissance de la catégorie des villes moyennes et grandes (population20 000 hab.) avoisine les 10 % par an depuis la décennie 60, il est ainsi toujours supérieur à celui de la capitale qui oscille entre 6,5 et 8 %.
Un indice de primatie calculé en faisant le rapport de la population métropolitaine sur celle des trois premières villes secondaires donne des résultats différents de la seule prise en compte de Sokodé. En effet de 1970 à 1992, cet indice ne double plus mais passe de 2,5 à 4,2. Si l’on fait le rapport entre la capitale et la catégorie des villes moyennes et grandes, l’indice diminue même, passant de 3,3 en 1970 à 2 en 1992. Cela traduit l’arrivée régulière de nouvelles cités dans cette catégorie.
Si la catégorie petite ville représente une part toujours plus faible de la population urbaine (Fig. 28), elle agrège toujours plus de localités (34 nouvelles petites villes entre 1981 et 1992, contre 15 pour la période équivalente précédente) et regroupe toujours plus de citadins (Fig. 27). Pourtant c’est elle qui nourrit la catégorie des villes moyennes par une hémorragie de ses composantes les plus dynamiques.
Le Togo est un petit pays : moins de quatre millions d’habitants pour une superficie inférieure à 60 000 km2. Cette caractéristique exacerbe la tendance normale à la macrocéphalie d’un système urbain en voie de constitution. En effet, nous avons vu qu’une loi régissait l’évolution des systèmes urbains (Moriconi-Ebrard, 1993) et que plus ils étaient petits, plus l’ensemble métropolitain était prépondérant (Fig. 17). Le Togo cumule les facteurs d’étroitesse de son système urbain : taille réduite du pays et jeunesse de l’urbanisation.
De plus, un petit pays se doit d’être ouvert sur l’extérieur, ne pouvant se contenter d’un étroit marché intérieur. Cette tendance est facilitée par le fait qu’un petit pays ne constitue pas une puissance et peut se présenter comme une nation médiatrice sur le plan géopolitique. Dans le contexte ouest-africain, le Togo a pendant deux décennies (70 et 80) joué le jeu d’une vocation supposée de “Suisse » du sous-continent et éventuellement de premier « dragon », à l’image des petits états industriels extrêmes orientaux. Cette ouverture sur l’extérieur et cette intégration internationale se traduit par une très forte connexité du système économique et politique national en général, et du système urbain en particulier, au système global. Cependant, cette ouverture s’est effectuée dans un contexte très centralisé, avec une porte officielle sur l’extérieur quasi unique : Lomé. Seule Kara a accueilli quelques investissements secondaires en rapport avec l’ouverture du pays au tourisme, à la diplomatie internationale et aux capitaux ; les petits centres frontaliers assurent pour leur part une ouverture non métropolitaine limitée, essentiellement commerciale et non officielle sur les pays voisins. On peut résumer cet état de fait par la formule suivante : le système urbain togolais apparaît comme fortement connexe mais peu connecté à l’ensemble des systèmes urbains. Dès lors la capitale cumule les facteurs de croissance.
F. Moriconi-Ebrard (1993, p. 498) montrait que l’écrasante primatie loméenne en 1980 (près de huit fois plus peuplée que la seconde ville du pays) était normale compte tenu de la taille du système urbain. Les estimations que nous proposons pour 1992, rendent cette fois la domination loméenne nettement supérieure à ce que la loi prédit59 : environ 500 000 hab. prédits et près de 900 000 estimés ! Le gonflement artificiel du nombre d’électeurs dans la capitale, et la sous-estimation de la population de certaines villes secondaires sont vraisemblables, mais ne peuvent expliquer à eux seuls cette distorsion. On peut penser que c’est au cours de la décennie 80 que les effets de la situation décrite ci-dessus (très forte connexité du système économique togolais au système continental et mondial, parallèle à une très faible connexion de son système urbain aux systèmes englobants) se sont fait sentir en exacerbant la croissance de la capitale.
Depuis 1990 la crise politique aiguë que traverse le pays, s’est transformée en crise économique et s’est traduite par une régression formidable de la présence, de la fréquentation, des investissements et des achats étrangers dans le pays. Il s’agit là d’un phénomène conjoncturel, que la fossilisation politique d’une part, et l’ouverture politique et économique du voisin béninois d’autre part, risque de rendre structurel. On peut donc penser que la fuite de la capitale de près de 300 000 personnes, consécutive au climat de terreur instauré par l’armée, avec comme point d’orgue la répression sanglante de janvier 1993, marquera définitivement son déclin relatif. D’ores et déjà, une partie des exilés est revenue dans la ville, mais le temps de la croissance effrénée semble révolu. Nombre de réfugiés pourraient envisager un retour au Togo sous la forme d’une installation dans une ville secondaire plus sûre et moins sinistrée que la capitale.
L’estimation reste cependant nettement inférieure à l’hypothèse haute envisagée par des experts d’«Architectes Sans Frontière» chargés en 1984 d’une étude prospective sur l’urbanisation intitulée Implications spatiales des scénarios économiques. R. Bouat et S. Plisson estimaient possible qu’une grande région métropolitaine agrège un peu moins de 2,5 millions d’habitants en l’an 2000 (p. 302).
La macrocéphalie est donc avérée et ne semblait pas en voie de régression jusqu’aux événements politiques les plus récents, cela n’empêchait pas le reste de l’armature urbaine de faire preuve de dynamisme. Nous pensons donc que le Togo est engagé dans la voie de la transition urbaine depuis les années 80. Cette phase est marquée par l’étoffement du groupe des villes secondaires et par sa hiérarchisation. En effet, de nombreuses petites villes émergent et renouvellent la catégorie par le bas. Par ailleurs, de nombreuses villes petites, moyennes et grandes poursuivent leur croissance à des rythmes annuels élevés, ainsi neuf des dix premières villes secondaires du pays en 1992 ont connu une croissance annuelle moyenne supérieure à 5 % au cours de la décennie précédente.

L’affirmation d’axes urbains

En 1970 et concernant la France, G. Veyret-Verner notait l’existence d’une catégorie de petites villes d’armature linéaire qui forment des rues de villes et qui regroupent des organismes de familles différentes, issus de tous les types qu’elle avait préalablement définis. Cependant, elle estimait que « les maillons urbains d’une armature linéaire souffrent de déséquilibre : outre la faiblesse du sentiment d’appartenance, aucun ne forme un tout, et l’ensemble linéaire ne constitue pas toujours un ensemble cohérent, complémentaire et complet », autrement dit, un réseau. « Les zones d’influence des villes plus grandes se recoupent et sont inorganiques. » (p. 61).
Une telle analyse peut s’appliquer en partie au cas togolais et aux sous-ensembles linéaires de son armature. Ces sous-ensembles paraissent hétérogènes et surtout fonctionnent comme une juxtaposition d’agglomérations souvent petites, non complémentaires et dominées par les places centrales régionales, situées à un bout de ces armatures linéaires. Mais ces caractéristiques ne sont-elles pas celles de la plupart des petites villes ? Il s’agirait bien en définitive d’une modalité de positionnement et d’émergence des centres urbains secondaires dans un contexte régional et national particulier.

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Table des matières

Livre premier : Le phénomène petite ville en expansion à travers l’Afrique de l’ouest
I. Des familles et des générations de petites villes
Introduction : Les recensements et leurs traitements statistiques et cartographiques
A. Loin du centre, l’émergence de nouveaux milieux urbains
1- Le poids croissant du groupe des petites villes
2- Les rythmes de croissance des petites villes
3- Le Bénin : vers un réseau pyramidal qui intègre toutes les générations de villes ?
B. L’hétérogénéité des petites villes
1- Grands contrastes régionaux et familles de petites villes
2- Une génération fonctionnelle spécifique
C. Vers une génération spontanée de centres ruraux ?
1- Comment isoler le phénomène ?
2- L’adéquation croissante entre le semis de petites villes et les densités rurales
3- Des germes urbains potentiels dans le semis régulier des marchés
Conclusion : Héritages et transition urbaine
II. La place des petites villes dans la constitution des armatures nationales
A. Le Niger : déséquilibres et hétérogénéité d’un réseau récent
1- Une image de l’armature urbaine contemporaine
2- Trois phases pour une genèse complexe
3- Le renouvellement par le bas : l’organisé et le spontané
B. Le Togo : derrière la macrocéphalie
1- Les enseignements du recensement électoral
2- L’administration et la dynamique des villes
3- Les milieux urbanisants
C. Le Ghana : la marque d’une urbanisation diffuse et ancienne
1- Un réseau ancien et stable
2- La dilution de la fonction administrative
Conclusion
III. Des conditions d’émergence variées pour sept petites villes
Introduction- Une illustration de la variété des cas
A. Les positions
1- Étape, rupture de charge
2- Frontière
3- Périphérie de capitale
B. Les dynamiques locales
1- Mise en valeur et évolution des économies régionales
2- Valorisation de potentialités locales et investissements externes
3- Concurrence des centres
Conclusion : La petite ville et son environnement, Quel bilan des relations ?
Livre second : Le milieu petite ville : un système à l’interface ville/campagne
I. L’espace
A. Centres et périphéries des petites villes
1- Du centre à la périphérie : gradient de densité et contraste d’activités
2- La centralité périphérique et les périphéries centrales ou la variété des configurations
B. Des problèmes de fonctionnement spécifiques
1- Un milieu davantage subi que maîtrisé
2- Vers des petites villes duales ?
Conclusion
II. La société
A. Le pouvoir local urbain ou la sphère des élites
1- L’affirmation des fonctions de chefs-lieux
2- Le pouvoir local urbain ou le ménage à trois
3- Les pouvoirs externes : prédateurs et défenseurs
4- Une gestion urbaine convoitée et paralysée
5- Le mode de reproduction économique des élites
Conclusion : existe-t-il des défenseurs de la petite ville ?
B. Entre le rural et l’urbain : Un profil du « citadin de petite ville »
1- Des structures démographiques singulières
2- A la croisée des itinéraires
3- Une pluriactivité généralisée
4- Une “petite bourgeoisie intellectuelle et marchande”
III. Un système social et spatial
A. La genèse des sociétés urbaines et la genèse du paysage
1- La complexification des sociétés locales
2- La migration des centres révélatrice des mutations fonctionnelles et sociales
B. Un modèle socio-spatial
1- Un modèle de l’organisation spatiale des petites villes et de son évolution
2- Un modèle du système social et politique de la petite ville
Conclusion Générale:
De la pertinence de l’objet “petite ville”
Les rôles affectés aux petites villes et l’autonomie de leurs acteurs

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