La philosophie africaine au lendemain de la publication de la philosophie bantu de Tempels

L’Homme pense, il est réfléchi. L’homme noir ne pense pas, il a une mentalité prélogique. Donc il peut être asservi ; réduit en esclave. Ainsi, s’énonce selon Marcien Towa le syllogisme raciste développé dans les nombreuses théories à travers lesquelles les blancs ont tenté de justifier l’odieuse traite négrière et la funeste entreprise coloniale. En réalité les peuples non occidentaux en général et africains en particulier ont fait l’objet de dénégations sévères servant de motifs à l’Occident pour asseoir sa domination. Et celles ci se feront voir à travers ses anthropologues, ethnologues, historiens, missionnaires, politiciens et ses philosophes. Dès lors on pourrait systématiser le mécanisme de la négation d’une attitude raciste dans un processus de trois étapes décrit par Albert Memmi : en premier lieu, il s’agissait de découvrir et de mettre en évidence les différences entre colonisateur et colonisé. En second lieu, de valoriser ces différences au profit du colonisateur et au détriment du colonisé. Et enfin les porter à l’absolu en affirmant qu’elles sont définitives et en agissant pour qu’elles le deviennent. A tout ce racisme,à tous ces préjugés relayés par une littérature exotique,à tout ce récit romancé aux pays des nègres, à tout cet ethnocentrisme conquérant, missionnaire colonialiste, va s’opposer tout un courant de réhabilitation de sociétés non européennes, et celles africaines singulièrement. De fait, l’horizon intellectuel africain a été pendant longtemps marqué par un débat portant sur l’existence ou non d’une pensée dans ce continent noir. Cette discussion résultait d’un faisceau de préoccupations souvent contradictoires par lesquelles s’installe la thèse selon laquelle la pensée est spécifiquement occidentale. Autrement dit, l’infériorité radicale des nègres relevait de l’opinion commune parmi les peuples d’occident. Et Heidegger dira à cet effet que l’Afrique s’identifie à la désolation, bref, au désert du Sahara C’était l’idée la mieux partagée en Europe. En effet, l’idéologie esclavagiste s’est longtemps appuyée sur un tel discours subsistant bien après l’abolition puisque nous la retrouverons dans les années « Trente » avec Lucien Lévy Bruhl qui soutenait l’idée d’une « mentalité prélogique » des africains, par conséquent, leur inaptitude à l’abstraction scientifique.

Et contre ces préjugés, les réactions n’ont pas tardé. Ainsi la négritude se donne à voir comme la première réponse systématique fournie par des noirs aux thèses racistes véhiculant l’idée d’une primitivité éternelle des africains. Autrement dit établir la vérité des faits et réhabiliter la dignité de l’homme noir telle sera la mission de haute portée intellectuelle que s’assigneront les penseurs de l’Afrique et de la Diaspora. Si donc sur les plans politique, littéraire et culturel, a été entamé un combat de restauration des valeurs africaines, paradoxalement, sur le plan philosophique, la première publication ne verra le jour qu’aux alentours de la deuxième guerre mondiale avec l’œuvre la Philosophie Bantu du célèbre missionnaire flamand belge le Révérant Père Placide Tempels. Cet ouvrage a été à l’origine d’un débat retentissant dont il faut saisir les contours et les enjeux à partir du moment où sa publication a suscité des interrogations. Et de tels questionnements ont tourné autour de la capacité des africains à produire de véritables œuvres philosophiques à l’instar des européens dont ils seraient les égaux. Mais également sur le fait qu’ils réclamaient une philosophie élaborée par les ancêtres et qui serait l’affirmation des valeurs culturelles africaines. En effet, après un accueil plus ou moins sympathique de cet ouvrage aussi bien par des occidentaux que par des africains, la préoccupation majeure des derniers nommés a été de chercher à consolider de telles interrogations soulignées plus haut. Et cela s’est traduit dans un courant de pensée apparu à la suite de la publication de la Philosophie Bantu : l’ethnophilosophie vue, selon ceux qui s’en réclament, comme un concept nouveau et typiquement africain, et, de ce fait, digne d’éloges. Toutefois, cette manière de procéder, qui s’éloigne considérablement de celle de la philosophie, s’est souvent appréhendée par et à travers des balbutiements, des réflexions non avenues causant ainsi des extrapolations à propos du sens même de la discipline. Pour eux, la philosophie s’assimile à la culture ou à la tradition et, de ce fait, elle apparaît comme l’apanage de tout peuple. Et ce point de vue a été soldé par des lacunes qui ont fini de mettre en place un horizon conceptuel très brumeux en tant qu’il n’a jamais été question d’une « libération théorique » comme le dit Hountondji. Dès lors cette façon de mener la lutte pour la revalorisation culturelle africaine, assimilable à une littérature identitaire, qui de surcroît réduit la philosophie non comme le concevait Hountondji à un « effort théorique du sujet individuel », mais à un système de pensée collectif, a fait l’objet de rejet. Retenons pour l’heure qu’il s’agit pour ceux qui ont fustigé l’ethnophilosophie, décrite plus haut, de s’écarter considérablement de ces pensées en bloc pour penser le complexe. Autrement dit, il faut, selon eux, renoncer à ce discours de l’affirmation de la différence parce que non seulement déjà gagné pour autant d’années qui y sont consenties mais révolu et partant moribond, et adopter un nouveau moins aberrant. Ainsi, et à bien y réfléchir, c’est une manière de leur dire que leur passé aussi lamentable soit- il et leur culture aussi riche soit-elle ne sauraient être conçus comme une excuse encore moins comme un droit absolu à la philosophie. Car celle ci est bien différente de tout cela puisqu’elle demeure un champ où seul la raison se déploie et non un quelconque cœur meurtri qui est plus approprié à la poésie

Dès lors l’urgence se trouve ailleurs c’est- à- dire en une nouvelle ère en tant que cette histoire retracée ci-dessus à savoir l’ethnophilosophie aussi bien Tempelsienne qu’africaine, sa critique, et tout ce qui en a découlé, demeure un terrain glissant pour l’émergence d’une philosophie du moment où elle reflète ce que Attolodé nommera dans « la philosophie africaine » cahier n°9 ,2OO5 2006, « une tension entre l’universel et le particulier ». Ainsi pour que cet air soit humé, des conditions sine qua non sont à constituer. En d’autres termes, pour que ce moment soit effectif, il faut impérativement payer un prix accompagné sans doute de nombreux sacrifices. Il s’agira en premier lieu de reconsidérer le sens de la philosophie qui a été fortement déguisé pour les besoins d’une réhabilitation. Cela dit, il n’est pas suggéré dans cette tâche de se focaliser sur les définitions qui posent elles aussi problème. Ensuite il adviendra toujours dans cette entreprise de « refondation » comme le suppose Mamoussé Diagne dans son ouvrage De la philosophie et des philosophes en Afrique noire ou encore Edmond Husserl dans sa quête de fondement absolu au savoir, de dépasser tous ces vieux paradigmes, qui ont eu comme support le discours du ressentiment employé essentiellement par les ethnophilosophes, et de les substituer à de nouveaux universellement concevables. Enfin, il s’agit de libérer nos pensées de ces préjugés hasardeux à la limite même tâtonnants, qui tuent tout espoir d’émergence d’une philosophie, pour les conduire vers le champ rationnel de la réflexion. Au total, le coût à payer pour que ce nouveau concept de philosophie africaine se conçoive, parce que possible, est, vraisemblablement, la rénovation du discours, afin qu’il soit l’image d’une authenticité véritable, d’un engagement individuel non corrompu et non le reflet de nos désirs mirés ou encore nostalgiques. En deuxième lieu, il conviendra de réviser la méthode jusque là adoptée, car sans cela, le travail accompli ne sera qu’illusoire et à la limite fantasmatique. En d’autres termes, il s’agira de travailler à ce que la méthode nouvellement requise ne soit pas uniquement une idéalisation de notre passé mais une occasion de mettre en exergue notre rationalité au vrai sens du mot. En dernier lieu, il sera question d’effectuer une réforme conceptuelle dans la mesure où la démarche utilisée antérieurement est appelée à être dépassée parce que vieillissante et vicieuse, et, de surplus elle présente une réelle carence conceptuelle.

LA PHILOSOPHIE AFRICAINE AU LENDEMAIN DE LA PUBLICATION DE LA PHILOSOPHIE BANTU DE TEMPELS

L’idée de philosophie africaine a suscité un débat non moins fructueux tant dans le milieu intellectuel africain qu’occidental. D’ailleurs, d’aucuns disent même que l’histoire d’une philosophie africaine n’est pas le fait des africains eux-mêmes mais des occidentaux. En réalité, beaucoup de penseurs ont eu à approuver cette idée.C’est le cas de Osongo Lukadi lorsqu’il affirme qu’ : « on peut difficilement parler de philosophie en Afrique noire avant le contact avec l’occident moderne ». Et par la suite, Attolodé dans la même lancée dira : « c’est en Europe qu’historiquement la question de l’existence ou non d’une philosophie africaine est née ».

Qu’importe l’origine de l’idée d’une philosophie africaine, ce qui est sûr, c’est qu’elle a d’abord été ethnique avec Baron Roger : philosophie wolof, Van Ouerbergh : la philosophie du Bangala et le Révérend Père Tempels : la philosophie Bantu publiée aux alentours de la fin de la 2ème guerre mondiale en 1945. De tous ces ouvrages, celui du missionnaire belge eut un immense retentissement dans les milieux les plus divers et il demeure véritablement le point de départ de toutes les investigations ethnophilosophiques .Tempels est le seul père fondateur de cette philosophie. C’est que la philosophie Bantu est incontournable dans la pensée philosophique actuelle par les prises de positions qu’elle suscite, par les passions qu’elle occasionne, par les critiques qu’elle appelle .On peut sans exagérer dire que Tempels, dans le sillage duquel l’on se détermine pour garder ces propositions, est à l’origine de toute expression philosophique actuelle en Afrique. Néanmoins ce livre n’a pas manqué de provoquer diverses réactions sur lesquelles nous reviendrons, mais auparavant nous nous contenterons de passer en revue les points essentiels de l’ouvrage du missionnaire belge.

Les grandes lignes de l’ouvrage de Tempels

C’est dans l’échec de sa mission d’évangélisation et de christianisation qu’il faut chercher l’origine et le contenu de son ouvrage. Ayant échoué à introduire la religion nouvelle du fait de la résistance bantoue, Tempels, par une subtile stratégie, décida d’adopter la pédagogie du renoncement et de la rencontre intime. Ayant intégré les bantous, il les a observés et écoutés. Ainsi il en est venu à leur trouver une triple aspiration : vie forte ; communion affective ; fécondité qui sont, selon lui, le message même du christ. Bantou parmi et avec les Bantous, Tempels s’est fait un Bantou particulier c’est-à-dire un Bantou plus Bantou que les bantous parce que lui comprend : « une meilleure compréhension du monde de la pensée des Bantu est tout aussi indispensable pour tous ceux qui vivent parmi les Bantu ». Bref, il faut se mettre à l’école bantoue pour connaître les bantous, mais la grande découverte de Tempels a été celle de la conception bantoue de la notion de l’être. Chez les bantous contrairement aux occidentaux, il y a une conception dynamique de l’être. L’être n’est pas une abstraction vide. L’être est une détermination objective, il est force, la force est l’être. La force n’est pas un simple attribut accidentel de l’être, elle en est une essence. Dans un tel contexte tout existe par une interaction des forces. Il y a une hiérarchisation des «êtres forces » dans l’univers bantou. En d’autres termes la philosophie bantoue se traduit comme une ontologie par la présence que manifeste la force vitale. Cette force existe en soi comme un principe indépendamment des philosophes qui ont pour tâche de la dévoiler, de l’identifier dans la culture, dans les relations sociales, dans les comportements, dans la mentalité des individus.

En un mot, cette conception de force vitale fonde tous les systèmes de relations qui se matérialisent à partir des comportements. Ce substrat ontologique de principe et d’action anime tout « si l’on ne connaît pas le fondement de leurs actes, il n’est pas possible de comprendre les Bantu ».

En réalité la philosophie des Bantous apparaît comme un vitalisme en tant que « la vie est force et la force est vie » dit-il. L’Ontologie Bantoue est dynamique alors que celle occidentale et aristotélicienne en particulière est statique. L’ontologie vitaliste bantoue se présente comme pour montrer aux occidentaux non seulement que les négroafricains ont une philosophie égale à la leur riche et fine, mais également pour servir les intérêts des missionnaires dans leurs tentatives de civiliser les nègres : Donc de là, on entrevoit un projet philosophique et un projet politique d’évangélisation théologique. A propos de la notion caractéristique de l’ouvrage, on peut dire que tout être possède une force plus ou moins grande car pouvant être diminuée ou augmentée et Tempels établit une primogéniture, une hiérarchisation des forces qui va de Dieu aux êtres inanimés. On peut dire que « de même qu’il y a des castes aux Indes, de même que les Israélites distinguaient le « pur » de l’ «impur» de même chez les Bantu, les êtres sont répartis par espèces et classes suivant leur rigueur de la vie (levenssterkte) ou leur rang de la vie (leveusraug). » Par dessus toute force est Dieu, Esprit et Créateur. De ce fait il est désigné comme le « le Vigoureux, celui qui possède la vigueur par lui même et celui qui raffermit toute créature .Dieu est le « Dijana dika tambe » : le grand nom, parce qu’il est la grande force, le « mukomo » comme disent les Bantu, celui qui est plus fort que tout autre » .

Après lui, viennent les « premiers pères des hommes, les ancêtres des divers clans». Retenons qu’ils ont une certaine spécificité puisque, comme disent les Baluba, ils sont « ba-vidye, des êtres spiritualisés » et, du même coup, ils assurent une certaine médiation entre Dieu et les hommes en tant qu’ils sont « le chaînon le plus élevé reliant les humains à Dieu ». Par la suite, il y a les défunts de la tribu suivant leur primogéniture, paradoxalement le défunt d’aujourd’hui a moins de force que celui d’hier. Après eux, suivent les hommes vivants sur terre. A noter que cette position occupée par l’être humain après les défunts n’explique nullement un manque de considération à son égard puisque, contrairement à ses précédents, l’homme est « muntu » c’est-à-dire une « force de vie déterminée, douée d’intelligence et de raison » . De ce fait, il demeure le moteur principal et incontournable qui veille à la bonne marche de cette hiérarchisation. À la dernière place figurent les « bintu » composés d’abord des animaux, des végétaux et des minéraux qui constituent « les êtres non raisonnables, ou des forces non vivantes ».

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Table des matières

Introduction
Chapitre I : La philosophie africaine au lendemain de la publication de la philosophie bantu de Tempels
Section 1 : les grandes lignes de l’ouvrage de Tempels
Section 2 : les diverses postures suite à la parution de la philosophie bantu
Chapitre II : Enjeux et Implications
Section 1 : Les Enjeux
Section 2 : Les Implications
2-1 : La critique de l’ethnophilosophie par Towa et Hountondji
2-1-1: par Towa
2-1-2: par Hountondji
2-2 : la contre critique de l’ethnophilosophie
2-3 : les paradoxes de l’ethnophilosophie
Chapitre III: Par delà l’ère des réhabilitations ou pour une nouvelle conception de la philosophie en Afrique
Section 1: Une nécessaire volonté de dépassement
Section 2 : La philosophie en Afrique : un projet réalisable
2-1 : un discours rénové et une réforme conceptuelle obligatoire
2-1 : une méthode révisée
CONCLUSION

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