La perte du conjoint chez la personne âgée

Le « Registre du Deuil » est un service gratuit créé pour arrêter l’envoi de courriers indésirables aux défunts. Lancé en 2004 en France, ce service a vu le jour en Angleterre en 2000 à l’initiative du REaD UK Group sous le nom « The Bereavement Project ». « Il répond à deux objectifs : éviter d’aggraver la douleur des proches du défunt qui reçoivent du courrier post-mortem, et éviter aux entreprises l’indélicatesse et les gaspillages que représentent des documents importuns envoyés à mauvais escient » . Si le journaliste reconnaît l’utilité de ce fichier tant il répond à un besoin, l’idée demeure « choquante ». En 2007, le GAN diffuse un film publicitaire montrant un père qui meurt brutalement, laissant derrière lui deux enfants en bas âge. « Le thème est un peu rude pour une publicité diffusée à une heure de grande écoute. Si le traité en animation permet de rendre acceptable un sujet dramatique, la campagne a tout de même fait son petit effet dans le landerneau publicitaire, peu habitué à une confrontation aussi brutale avec le tabou ultime de la mort » .

Appréhendé sous cet angle, le deuil, puisque c’est de lui dont il est question, serait donc choquant, pour ne pas dire tabou. Le deuil définit « la douleur, la profonde tristesse que l’on éprouve à la suite de la mort de quelqu’un » . L’étymologie du terme renvoie en effet au latin « dol », pour affliction ainsi qu’au bas latin « dolus » pour douleur . Dans le sens courant, le deuil fait référence à l’expérience de la mort d’autrui . Les personnes en deuil sont donc celles qui ont perdu un proche. Parmi elles, quatre millions ont perdu leur conjoint et sont ainsi veuves ou veufs. La situation matrimoniale du veuvage est fortement marquée selon l’âge et le sexe. 84% des individus veufs sont des femmes et parmi elles 88% ont plus de 60 ans . Les rares recherches dans notre discipline sur le deuil soulignent que cette expérience, parce qu’elle fragilise l’individu, le rend plus vulnérable lors de ses interactions avec le marché . Elles soulèvent également tant le rôle des pouvoirs publics que celui du secteur marchand. C’est alors moins le thème du deuil et de la mort qui est choquant dans notre discipline, que l’absence de recherche sur le deuil du conjoint en France en comportement du consommateur.

L’historique du sujet en sciences de gestion

Le thème de la mort en sciences de gestion

Dès lors que le sujet s’attache au deuil, que ce dernier est définit comme l’expérience de la mort d’autrui, notre recherche s’ancre dans la perspective des travaux menés en sciences de gestion sur la mort. Aborder ce thème dans notre champ académique n’est pas chose aisée. C’est en effet une thématique taboue qu’il serait alors impossible de représenter publiquement . En ce sens, la mort est une production culturelle, ancrée socialement et historiquement . La mort était autrefois une réalité coutumière, vécue en famille, encadrée et cadrée par des rituels. Si ce tabou n’est pas récent, il explique très certainement la rareté des recherches en sciences de gestion, a fortiori en marketing .

Il y a deux manières d’aborder la mort: parler de celle d’autrui ou parler de la mort de soi. Les travaux menés relatifs à la mort de soi ont trait à l’attitude que le consommateur entretient avec sa propre mort. L’anxiété face à la mort, qui définit les réactions affectives relatives à la disparition de soi, peut en effet se traduire par des comportements d’ajustement. Ces derniers peuvent trouver satisfaction dans le domaine de la consommation . Par ces mécanismes d’ajustement, l’individu cherche à gagner l’immortalité symbolique (par exemple à travers le legs) ou à augmenter l’estime de soi par l’adoption de comportements valorisés culturellement. La seconde manière d’aborder la mort est d’en parler à la troisième personne et de faire référence à la mort d’autrui. C’est alors de deuil dont il est question et c’est précisément dans ce courant historique que notre travail s’inscrit.

Le thème du deuil en sciences de gestion 

Si parler de la mort d’autrui peut paraître davantage pensable (par opposition à l’impensable de sa propre mort), elle n’en est pas moins délicate. L’étymologie du terme nous rappelle en effet ce qu’il charrie : la douleur, la souffrance, le chagrin. Par extension cependant, le deuil qualifie également « le sentiment de profonde tristesse liée à une cause occasionnelle (départ, rupture…) ». Dans cette acception le deuil est « à faire », il impose de renoncer et d’accepter une perte. C’est précisément dans cette première optique, que l’on peut qualifier d’élargie, que les sciences de gestion ont abordé le deuil. Se posant ainsi la question des conditions d’application de la théorie du deuil aux sciences de gestion . Le travail de deuil proposé par Freud constitue le cadre à ces investigations théoriques. Si l’on s’en tient à l’acception première du deuil, celui qui résulte de la mort d’autrui, il apparaît que certains chercheurs se sont penchés sur ce thème, résolument convaincus qu’il est de leur responsabilité d’engager de tels travaux. Que nous apprennent alors ces derniers ? Confrontés à la mort d’un proche, les personnes en deuil ne sont plus capables d’interagir avec le marché dans le respect de leur intérêt. Ce qui les expose à des pratiques frauduleuses ou illicites ainsi qu’à l’adoption de comportements compulsifs dommageables pour leur santé physique et mentale . Conjointement, le deuil se conçoit comme une expérience génératrice de stress ou de vulnérabilité qui va nécessiter la mise en œuvre de stratégies d’ajustement. Les mécaniques décisionnelles en constituent la première traduction. Confrontée à la mort du conjoint l’individu s’appuie sur des heuristiques décisionnelles spécifiques, qui soulignent par exemple, l’influence post-mortem du défunt sur les décisions. La consommation d’adaptation en constitue la seconde traduction. Dans cette perspective, la consommation apparaît comme une modalité possible pour se réajuster suite à la perte du conjoint et restaurer l’identité amputée. Ainsi en est-il de la chirurgie esthétique, des décisions relatives aux possessions, des produits et services funéraires . C’est dans cette dernière optique que notre recherche s’inscrit.

L’intérêt de la recherche

En s’attachant au sens que revêt la consommation de soutien social au cours du deuil du conjoint chez les seniors, notre recherche se situe au carrefour de trois intérêts conjoints : sociétal d’une part, économique et politique d’autre part, managérial enfin.

L’intérêt sociétal

Le détour historique permet de comprendre que le marketing peut, en pratique ou par absence de pratiques, fragiliser les endeuillés . Cependant, dans la sphère qui est la sienne, le marketing peut aider les individus en deuil à franchir cette transition douloureuse en s’attachant à l’étude de produits et services adaptés . « Le système marketing pourra étendre sa conscience éthique et légale pour incorporer les nouvelles réalités et responsabilités » de la mort et du deuil . Les responsabilités marketing sont donc soulevées dans le cadre du deuil et ce dans une optique résolument sociétale. Ce qui signifie que les travaux ont pour objectif « la recherche du bien-être à long terme de la collectivité au détriment, ou en complément, de la satisfaction des besoins immédiats des consommateurs et de la recherche des profits des entreprises ». Ce périmètre élargi du marketing est une réponse aux préoccupations éthiques, morales et sociétales qui va se traduire par des engagements forts des entreprises (mécénat ou pratiques commerciales responsables par exemple) .

Dans le cadre du deuil du conjoint, ces responsabilités sociétales couvrent en premier lieu la protection du consommateur. Dès lors que le deuil constitue une expérience traumatique, il s’agit de le protéger et de l’informer. Le domaine funéraire est au premier chef concerné , mais également les sociétés d’assurance, l’administration publique, les services d’ordre juridique. Si ce premier volet relève plus des pouvoirs publics, le secteur privé n’est pas en reste. Ses responsabilités sont multiples : former et informer son personnel pour qu’il soit à même de comprendre les réactions parfois vives des personnes endeuillées. Développer ou améliorer les services existants pour qu’ils soient plus adaptés aux personnes en deuil est une autre piste. Enfin, alors que le deuil constitue un bouleversement qui atteint l’ensemble de l’unité familiale, les prestations de services de soutien social sont mises sur le devant de la scène . On entend par soutien social l’aide de différente nature qu’une personne peut recevoir ou solliciter, au titre desquelles figurent les prestations de services à la personne (SAP). Le soutien social joue un rôle lors d’un évènement stressant, il fournit une aide effective et perçue et constitue en ce sens un mécanisme d’ajustement au deuil. Dans un contexte d’éclatement et d’éloignement géographique des familles, les personnes endeuillées se trouvent en effet privées de la source traditionnelle de soutien en provenance de leurs proches . Ce qui explique alors que la solitude devienne leur quotidien. Cette dernière a un impact sur la santé physique et mentale. Ceci est d’autant plus préoccupant que le deuil du conjoint concerne majoritairement des individus de plus de 60 ans. Ce qui ouvre alors la porte aux prestations de services de soutien dit formel (services d’aide à domicile, aide psychologique par exemple), qui suppléeraient ou complèteraient le soutien dit informel (famille, amis). C’est précisément à ce stade que l’engagement sociétal, éthique et moral des acteurs marketing est mobilisé. Et c’est également là que nous nous positionnons.

L’intérêt économique et politique

Le soutien social formel répond donc aux enjeux sociétaux de cette recherche. Ce faisant, la préoccupation économique et politique n’est pas étrangère à ce choix. En effet, ce secteur regroupe les prestations qui fournissent de l’aide, qu’elle soit matérielle, affective, informative, normative ou socialisante. Ce contour du secteur permet d’identifier les prestations qui sont rendues hors du domicile (par exemple l’assistance psychologique) de celles réalisées au domicile. Ces dernières relèvent d’un référentiel précis, celui des Services à la Personne (SAP) et font l’objet d’une attention toute particulière.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
1. L’objet de la recherche
2. L’historique du sujet en sciences de gestion
3. L’intérêt de la recherche
4. La population étudiée et la problématique de la recherche
5. Le paradigme épistémologique de la recherche
6. Les objectifs assignés à la recherche
7. Le plan de recherche
PREMIERE PARTIE DU DEUIL A LA CONSOMMATION DE SERVICES DE SOUTIEN SOCIAL : CADRE THEORIQUE LIMINAIRE, PROBLEMATISATION DE LA RECHERCHE ET CHOIX METHODOLOGIQUE
INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE
CHAPITRE 1 – L’APPROCHE DU DEUIL EN MARKETING
INTRODUCTION DU CHAPITRE
1-1- LES ANGLES D’ETUDE DU DEUIL EN COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR
1-1-1- Le deuil, un évènement stressant
1-1-2- Le deuil ou l’entrée dans l’état liminal
1-1-3- Le deuil, une situation de vulnérabilité face au marché
1-1-4- Synthèse
1-2- LES INCIDENCES DU DEUIL SUR LA CONSOMMATION
1-2-1- Les manques et désirs de la survivante solitaire
1-2-2- Le processus de décision durant le deuil
1-3- ENJEUX ET LIMITES DES RECHERCHES SUR LE DEUIL EN MARKETING
1-3-1- Enjeux de politique publique
1-3-2- Enjeux managériaux
1-3-3- Structuration de l’approche du deuil en comportement du consommateur
1-3-4- Deuil et marketing, des liens délicats
SYNTHESE ET CONCLUSION DU CHAPITRE 1
CHAPITRE 2 – LE DEUIL, CLARIFICATION CONCEPTUELLE
INTRODUCTION DU CHAPITRE 2
2 1- DE QUOI PARLE-T-ON ?
2–2- QU’EST CE QUE LA PERTE? : L’EVENEMENT
2-2-1- La perte de repères
2-2-2- La perte du monde admissible
2-2-3 La perte des relations
2-2-4- Synthèse
2-3- COMMENT L’INDIVIDU VIT-IL CETTE PERTE ? L’EXPERIENCE DU DEUIL
2-3-1- Les manifestations physiques
2-3-2- Les manifestations affectives
(a) Le registre affectif
(b) La solitude
2-3-3- Les manifestations cognitives et comportementales
2-3-3- Synthèse
2-4- COMMENT S’Y ADAPTE-T-ON? L’ADAPTATION AU DEUIL
2-4-1- Le deuil en psychanalyse : le travail de deuil
2-4-2- Le deuil en anthropologie : la liminalité
2-4-3- Le deuil en psychologie : état de deuil et processus d’affliction
2-4-4-Synthèse
2-5- Conclusion du chapitre 2
2-5-1- Vers une approche unifiée de l’expérience du deuil
2-5-2- L’expérience de la solitude comme point d’attention de l’expérience du deuil
SYNTHESE ET CONCLUSION DU CHAPITRE 2
CHAPITRE 3 – L’ADAPTATION AU DEUIL ET LA CONSOMMATION DE SOUTIEN SOCIAL. CADRE THEORIQUE LIMINAIRE ET PROBLEMATISATION DE LA RECHERCHE –
INTRODUCTION DU CHAPITRE 3
3-1- LE PROCESSUS D’AFFLICTION
3-1-1- Le deuil, un processus singulier de stress
3-1-2- Les apports de ce modèle pour notre recherche
3-1-2- Structuration de l’approche théorique du deuil
3-2- LES STRATEGIES D’AFFLICTION
3-2-1- Les stratégies d’adaptation orientées vers la perte
3-2-2- Les stratégies d’adaptation orientées restructuration
3-2-3- Le contexte du deuil et de l’affliction
3-3- LE SOUTIEN SOCIAL : UNE STRATEGIE ORIENTEE VERS LA RESTRUCTURATION
3-3-1 – Le soutien social, contours et déterminants
3-3-2- La servuction de soutien social formel
3-3-3- Problématique et questions de recherche associées
SYNTHESE ET CONCLUSION DU CHAPITRE 3
CHAPITRE 4 –CHOIX EPISTEMOLOGIQUE ET METHODOLOGIQUE
INTRODUCTION DU CHAPITRE 4
1- LE PARADIGME DE LA RECHERCHE
1-1-« La mort reste une question »
1-2- L’objet de recherche touche à l’identité
1-3- Le thème est façonné par la culture
2- LA COLLECTE DES DONNEES
2-1- Les critères d’échantillonnage
2-2- Modalités de recrutement des répondantes
2-3- Format de collecte
2-3-1- Les caractéristiques de la méthode
2-3-2- Le guide d’entretien
2-4- Matériau complémentaire
3- L’ANALYSE DES DONNEES
3-1- Fondements
3-2- Procédures d’analyse
3-2-1- Etape n°1 – Préparation des données
3-2-2- Etape n°2 – Pré-analyse
3-2-3- Etape n°3 – Analyse
3-2-4- Etape n°4 –Regroupement
CONCLUSION

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