La nouvelle mesure générale anti-abus 

Opposabilité au fisc des actes non simulés

L’article 170 de la Constitution consacre le principe de légalité de l’impôt, selon lequel seule une assemblée démocratiquement élue peut établir un impôt et en déterminer les éléments essentiels. Il en est déduit, à titre de corollaire, que le droit fiscal est d’interprétation stricte et que son application par analogie est prohibée. En effet, si seul le législateur peut prévoir un impôt, il n’appartient pas à l’administration de taxer des cas que la loi ne prévoit pas d’imposer.
En vertu du principe de « franchise générale des personnes et des biens » – découlant logiquement de celui de légalité de l’impôt – consacré par la Cour de cassation dans un arrêt du 9 décembre 1948, « toute personne, tout acte juridique ou toute chose qui n’est pas visé par une loi édictant un impôt n’est pas taxé».
Selon le principe de prééminence du droit civil sur le droit fiscal6, la seule condition requise pour l’exercice du choix de la voie la moins imposée est l’absence de simulation des actes accomplis par le contribuable. Les auteurs de droit civil considèrent qu’ « il y a simulation lorsque les parties font un acte apparent dont elles conviennent de modifier les effets par une autre convention, demeurée secrète. La simulation suppose donc deux conventions, contemporaines l’une de l’autre, mais dont l’une n’est destinée qu’à donner le change ».
La conséquence de la simulation établie par le fisc en droit fiscal est l’inopposabilité de l’acte ostensible et la taxation dans le chef du contribuable sur base de l’acte secret. Ceci constitue l’application du principe selon lequel le droit fiscal se fonde sur la réalité juridique pour l’établissement de l’impôt.
A l’inverse, il y a donc lieu de reconnaître un principe d’opposabilité au fisc des actes non simulés du contribuable10. Face à un phénomène croissant d’évitement de l’impôt, l’administration fiscale belge a d’abord tenté d’invoquer la théorie de la fraude à la loi, issue du droit privé, classiquement définie comme suit : « il y a fraude chaque fois que le sujet de droit parvient à se soustraire à l’exécution d’une règle obligatoire par l’emploi à des fins d’un moyen efficace, qui rend ce résultat inattaquable sur le terrain du droit positif ».

Première version de la mesure générale anti-abus

Alors que jusque-là, la législation fiscale ne contenait que des mesures spécifiques visant à annihiler ponctuellement les procédés d’évitement de l’impôt, le législateur se dota, pour la première fois, d’une mesure générale anti-évitement par une loi du 22 juillet 1993.
Contrairement aux mesures spécifiques qui ne s’appliquent que dans des cas particuliers, ce nouvel article 344, § 1er, C.I.R. avait vocation à s’appliquer à tout type d’acte juridique quelconque posé par le contribuable et était libellé en ces termes : « N’est pas opposable à l’administration des contributions directes, la qualification juridique donnée par les parties à un acte ainsi qu’à des actes distincts réalisant une même opération lorsque l’administration constate, par présomptions ou par d’autres moyens de preuve visés à l’article 340, que cette qualification a pour but d’éviter l’impôt, à moins que le contribuable ne prouve que cette qualification répond à des besoins légitimes de caractère financier ou économique ».
Cette disposition ne remettait pas en cause le principe du libre choix de la voie la moins imposée mais en constituait une limitation de portée générale. A la suite de l’adoption du texte, la portée et l’objet de l’inopposabilité ont fait débat dans la doctrine et la jurisprudence.
Une partie de la doctrine l’interprétait comme permettant à l’administration de « remplacer la qualification juridique choisie par les parties par la qualification qui lui est la plus proche et qui conduit à une imposition conforme au but et à la portée de la disposition légale concrète dont l’évitement est souhaité ».
Une autre doctrine a, quant à elle, soutenu qu’étant donné que seule la qualification juridique de l’acte donnée par les parties est inopposable à l’administration, le contenu de cet acte lui demeure opposable et que, dès lors, la nouvelle qualification doit respecter les effets juridiques non-fiscaux de l’acte.

Définition de l’abus fiscal et ses deux variantes

A la lecture du premier alinéa, on peut d’emblée remarquer que le législateur a voulu donner une pleine effectivité à la mesure en prévoyant que l’objet de l’inopposabilité portera sur l’acte ou les actes du contribuable et non plus uniquement sur leur qualification.
Nous verrons toutefois dans la partie consacrée au redressement de l’abus que la sanction n’est pas la seule inopposabilité des actes et que l’administration peut substituer aux actes à écarter de nouveaux actes afin d’imposer conformément aux objectifs de la disposition « abusée ».
Le premier alinéa prévoit également que la charge de la preuve de l’abus incombe à l’administration fiscale qui peut recourir aux moyens de preuve de droit commun visés à l’article 340 du C.I.R. Il est également prévu que l’administration pourra démontrer l’existence d’un abus « à la lumière de circonstances objectives ». Selon Th. Afschrift, cette référence, issue de la jurisprudence européenne, n’ajoute rien à la notion de droit belge de présomptions de l’homme et ne serait, en réalité, que des faits connus à la base du raisonnement qui sous-tend la présomption. La notion d’acte juridique doit être entendue dans son acception en droit civil et celle d’un «ensemble d’actes réalisant une même opération » doit être entendue dans le mêmes sens que celle d’ « actes distincts réalisant une même opération » utilisée dans la première version de l’article 344, § 1er, C.I.R. L’exposé des motifs précise qu’il faut entendre par là la «décomposition artificielle » d’une même opération en des actes successifs, même s’ils sont étalés ou répartis sur plusieurs périodes imposables, pourvu qu’ils relèvent bien d’une « unicité d’intention », en ce sens que ces actes soient « dès le départ conçus comme [les maillons d’] une chaîne indivisible » . Th. Afschrift précise, à propos de la notion d’indivisibilité des actes, qu’elle signifie qu’ «avant l’accomplissement du premier acte, il était déjà certain suivant la volonté des parties, et pas seulement envisagé, que tous les autres jusqu’au dernier, seraient également accomplis. Il faut qu’il s’agisse de l’expression d’une même volonté […], exécuté[e] par la réalisation concrète d’actes distincts successifs, et que l’ensemble réponde à un même but ». L’alinéa 2 définit l’abus fiscal en deux variantes : la première consiste pour le contribuable à se placer en dehors du champ d’application d’une disposition taxatrice en contrariant les objectifs de celle-ci, alors que la deuxième consiste à se placer dans le champ d’application d’une disposition du C.I.R. ou de ses arrêtés d’exécution qui prévoit un avantage fiscal.

La possibilité pour le contribuable de démontrer l’absence d’abus en l’espèce

Une fois que le fisc a démontré les éléments objectif et subjectif de l’abus sous l’une ou l’autre variante, le contribuable a la possibilité de prouver que les actes qu’il a posés l’ont été pour d’autres raisons que celle d’éviter l’impôt, auquel cas, l’acte ou l’opération en cause ne sera pas considéré comme abusif.
Contrairement à la version de 1993 de l’article 344, § 1er, C.I.R., la nouvelle version n’exige pas que les motifs aient une nature particulière : ils pourraient donc être tant économiques ou financiers que personnels ou patrimoniaux.
Il n’est pas non plus précisé si ces motifs non-fiscaux doivent « être d’une importance prépondérante par rapport aux motifs « fiscaux » […] ». Toutefois, selon la Cour constitutionnelle, « l’opération doit être exclusivement motivée par le souci d’éviter l’impôt ou l’être d’une manière à ce point essentielle que les éventuels autres objectifs de l’opération doivent être considérés comme négligeables ou purement artificiels ».
Dès lors, « des motifs trop généraux ou abstraits (au point qu’ils assortiraient nécessairement ou systématiquement tous les actes ou toutes les opérations du même type) ou bien qui seraient minimes, négligeables ou insignifiants (au point qu’ils n’auraient pas pu déterminer un sujet «raisonnable» à passer le ou les actes passés tels que mis en cause) » invoqués par le contribuable ne seraient pas suffisants à faire échouer l’application de la mesure générale anti-abus.
Autrement dit, la preuve à apporter par le contribuable ne doit pas porter « sur le caractère théoriquement plausible du motif recherché, mais bien sur le fait qu’il a réellement été poursuivi, par le contribuable concerné et dans le cadre de l’opération litigieuse ».

Le redressement de l’abus fiscal

La sanction de l’abus fiscal est l’inopposabilité des actes abusifs et le rétablissement de la situation fiscale du contribuable en conformité avec les objectifs de la disposition fiscale qui ont été contrariés.
Pour L. De Broe et A. Nollet notamment, une telle sanction implique le droit pour l’administration de remplacer les actes du contribuable par d’autres actes juridiques aux effets distincts ou bien de les ignorer purement et simplement afin de faire renaître une situation (« un complexe de faits ») permettant une imposition conforme aux objectifs de la disposition abusée« en s’écartant de la réalité contractée, mais en s’en rapprochant toujours le plus possible ».
Dès lors, dans le cas de la deuxième variante de l’abus, il conviendrait uniquement d’ignorer les actes du contribuable et de lui refuser le bénéfice de l’ « avantage fiscal » dont l’obtention serait contraire à l’objectif qu’il poursuit alors que pour la première variante de l’abus, il faudrait «convertir» ou «requalifier» les faits « afin de les revêtir d’une autre forme juridique que celle choisie par le contribuable, et rétablir ainsi son imposition sur la base d’actes ayant certains effets juridiques bien distincts » mais respectant les objectifs de la disposition abusée.
Th. Afschrift défend une autre thèse sur le redressement de l’abus qui serait « plus » conforme au prescrit de l’article 170 de la Constitution. Selon lui, abuser d’une disposition fiscale consiste à profiter de la différence qu’il existe entre son champ d’application effectif, résultant de la règle d’interprétation stricte du droit fiscal, et son champ d’application voulu, c’est-à-dire en donnant à la norme une portée conforme à ses objectifs.
Ainsi, pour redresser l’abus, il ne faudrait pas requalifier les actes du contribuable (« changer les faits ») mais appliquer la disposition dont les objectifs ont été contrariés en fonction de son champ d’application voulu (« changer le droit »). La nouvelle mesure générale anti-abus permettrait, en fin de compte, une interprétation téléologique, voire une application par analogie du droit fiscal .

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Table des matières

Introduction
A.- Bref historique du principe de la licéité du choix de la voie la moins imposée
1) Opposabilité au fisc des actes non simulés
2) Première version de la mesure générale anti-abus
B.- La nouvelle mesure générale anti-abus 
1) Définition de l’abus fiscal et ses deux variantes
2) Les éléments constitutifs de l’abus fiscal
a) L’élément objectif ou la contrariété avec les objectifs d’une disposition du C.I.R. ou de ses arrêtés d’exécution
b) L’élément intentionnel de l’abus ou le motif exclusif d’évitement de l’impôt
3) La possibilité pour le contribuable de démontrer l’absence d’abus en l’espèce
4) Le redressement de l’abus fiscal
C.- Commentaires de certains problèmes rencontrés en pratique dans l’application de la
nouvelle mesure générale anti-abus
1) Etape liminaire : la détermination des actes constitutifs d’abus et l’unité d’intention
a) Détermination des actes en vue du redressement de l’abus
b) Détermination des actes et champ d’application temporel de l’article 344, § 1er, C.I.R.
2) L’élément objectif : l’identification des objectifs de la disposition et la démonstration de
leur contrariété par les actes du contribuable
a) Les objectifs d’une disposition taxatrice à caractère général
b) Les objectifs d’une disposition spécifique prévoyant un avantage fiscal
c) Rigueur est mère de sécurité juridique
3) Objet de l’inopposabilité : les actes posés par le contribuable
a) Interprétation « extensive »
b) Interprétation « téléologique »
c) Interprétation « stricte »
d) Retour aux principes généraux du droit fiscal
4) Coexistence de l’article 344, § 1er, C.I.R. avec l’article 6 de la Directive ATAD dans l’ordre
juridique belge
Conclusion
Bibliographie

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