LA NOTION DE SENSIBILITE CHEZ EMMANUEL KANT

La Sensibilité comme sentiment moral

      Dans cette partie de notre raisonnement, la sensibilité est perçue non comme une intuition mais comme une sensation plus proche de la douleur que le plaisir. Dans ce sens, il s’agit d’un sentiment de respect de la loi qui devient une contrainte de cette dernière. Cela se résume à travers ces lignes de la Critique de la raison pure (philosophie critique de Gilles Deleuze) on ne s’en étonnera pas puisque la loi morale, dans son principe comme dans son application typique est indépendante de tout système et de toute condition de la sensibilité ; puisque les êtres et la causalité libres ne sont l’objet d’aucune intuition; puisque la nature suprasensible et la nature sensible sont séparées par un abîme. Il y a bien une action de la loi morale sur la sensibilité. Mais la sensibilité est ici considérée comme sentiment, non comme l’intuition et l’effet de la loi est lui-même un sentiment négatif plutôt que positif, plus proche de la douleur que du plaisir. Tel est le sentiment de respect de la loi, déterminable à priori comme le seul « mobile» moral, mais abaissant la sensibilité plus qu’il ne lui donne un rôle dans le rapport des facultés »13. Dans ce passage, la sensibilité est synonyme de sentiment plus proche de la douleur c’est-à-dire une soumission à la loi morale. Dès lors, nous savons que l’être humain appartient au monde sensible, mais en même temps au monde intelligible. Cette idée est perceptible dans les Fondements de la Métaphysique et des Mœurs « l’homme peut se considérer à deux points de vue ; comme un être appartenant au monde sensible, il est soumis aux lois de la nature, et sa volonté quand elle s’y renferme, ne peut être qu’une volonté hétéronome; comme être appartenant au monde intelligible, il relève des lois purement rationnelles, et sa volonté, qui loin de les subir, les promulgue par ses maximes, est une volonté autonome ». Ces paroles nous inspirent l’idée selon laquelle l’homme est à cheval entre le sentiment et la raison. En d’autres termes, il est à, la fois ange te bête, ce qui veut dire que quand il veut faire l’ange, obéir à la loi morale, il arrive que ses passions priment en guidant ses actions. C’est peut-être pourquoi Kant affirme que « la raison est boussole et les passions sont les vents »15. Cette formule nous recommande l’idée selon laquelle c’est la raison qui doit orienter, motiver l’acte du sujet car c’est la loi morale qui nous dicte de faire le bien et d’éviter le mal. La maxime kantienne en est une illustration plausible : « agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que celle de toute autre jamais comme un moyen mais simplement comme une fin » 16. De ce point de vue, la loi morale conseille le sujet d’aller dans le bon sens en considérant l’être humain comme une valeur c’est-à-dire une fin, ce qui nous permet de la sauvegarder pour ne pas détruire sa vie. L’obéissance à cette règle morale nous permet d’éviter les crimes qui détruisent l’espèce humaine car selon Kant, il faut au contraire la préserver en la multipliant. Au regard de cette approche, il est clair que la sensibilité définie comme la faculté de sentir par le biais des organes des sens. Notons que ces sensations peuvent être internes (sensus internus) dans ce cas, l’organe principal est le cœur. Pour cela, dans la Critique de la raison pure, l’auteur écrit que « le sentiment de plaisir et de peine comme réceptivité propre au sens interne et ainsi le concept de ce qui est immédiatement bon ne s’appliquerait qu’à ce avec quoi est immédiatement liée à la sensation du plaisir et le mauvais est la douleur »17. Il ressort de ces propos que la sensibilité au sens moral concerne essentiellement une réceptivité interne qui se manifeste par une sensation de plaisir et de peine correspond à ce que l’individu estime bon ou mauvais. Mais il est nécessaire de monter que le sentiment n’est pas uniquement moral ; il est aussi physique venant des organes de sens externes. C’est l’objet de notre prochaine sous-partie intitulée comme suit.

La théorie de la sensibilité

     Si on reconnaît avec Kant que les pensées sensibles sont les représentations des choses telles qu’elles apparaissent alors que nous pouvons dire que le phénomène est dès lors le principal objet du sensible. Dans ce sens, le phénomène peut être compris comme l’objet en tant qu’il nous apparaît, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de réel dans l’apparence. Sur ce plan précis, Kant utilise le mot « intuition » qui est d’abord une saisie de l’objet comme simplement réel et on parle à partir de ce moment d’une intuition sensible. Sous ce rapport, l’auteur soutient que « toute intuition vise forcément un objet ». Cela se comprend aisément que « si je veux m’en tenir dans l’impression tactile, à ce que donne le toucher, je suis ramené à des impressions qui sont des affections, mais en même temps effectivement vécues. Ce qui justifie, phénoménologiquement le terme de sensation ». Ici il convient de signaler que Kant refuse le vocabulaire cartésien qui pose que l’intuition est un mode parfait de connaissance : une contemplation qui serait en même temps une connaissance finie et achevée. Or, pour Kant, il n’est pas d’intuition intellectuelle car elle ne peut être que sensible. D’où la rupture entre la réalité et la vérité. C’est peut être dans cette dans cette mesure que Hegel affirmait que « tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel ». Par ailleurs cette idée kantienne sera renforcée par un de ses commentateurs nommé par Michel Alexandre dans son livre intitulé Lecture de Kant. Ce dernier affirme que « il n y a pas d’intuition possible sans le sensible, à l’occasion du sensible, le sens finit par signifier l’intelligence ». Ainsi, dans le livre de Roger Verneaux intitulé la Critique de la raison pure de Kant, il écrit que selon Kant « l’intuition se définit comme ce qui se rapporte immédiatement à l’objet et est singulière » Il convient de signaler que ce caractère de singularité vaut certainement pour l’intuition sensible et l’intégrer à la définition de l’intuition revient à restreindre celle-ci au plan sensible. Nous pouvons dire que sous l’influence des empiristes anglais, Kant a réhabilité contre Descartes cette notion d’intuition sensible. Aux yeux de Kant, la sensibilité donne les objets in concreto et peut en exclure l’imagination qui n’est certainement pas une pure réceptivité. Au regard de ce qui précède, nous pouvons affirmer avec Kant que « la sensibilité est le seul mode d’intuition : nous ne pouvons connaître que des objets sensibles, des phénomènes, les objets sont saisis tels qu’ils sont donnés à l’intuition selon les formes pures à priori de l’espace et le temps ».23 En nous inspirant de ces propos, faut-il s’interroger sur la nature de la connaissance sensible ? En d’autres termes, la connaissance sensible peut-elle prétendre à l’objectivité, c’est-à-dire à une donnée universelle ? Pour répondre à cette question, il nous semble important de souligner que la connaissance scientifique exige deux conditions à savoir la conscience empirique et la conscience intellectuelle qui seule peut reconnaître la réalité de l’existant. Or, avant Kant, on croyait que les sens non seulement nous procuraient des impressions mais encore les liaient et formaient des images d’objets. Dans ce cas, nous dirons que ce résultat implique, outre la réceptivité des impressions, quelque chose de plus, à savoir leur synthèse, sans doute, l’espace et le temps qui appartiennent à la sensibilité, sont-ils déjà des formes qui donnent une première unification ? Concevoir la sensibilité comme « fondement» de toute connaissance, c’est la libérer du préjugé intellectualiste qui ne pouvait que la dévaloriser et c’est du même coup montrer le sans de la tradition métaphysique. En effet sans ce fondement sensible, toute connaissance est « sans objet » et l’entendement ne peut fonctionner qu’à vide. Tel est, par exemple, le défaut du système leibnizien à l’intérieur duquel la pensée est, en bloc, intellectualisée c’est-à-dire située simplement au niveau de l’entendement. Dans ce sens, nous pouvons affirmer avec Kant que la réceptivité, réduite à sa propre sphère, l’intuition est aveuglée ; figé dans la sienne, le concept est vide. Ainsi dans la Critique de la raison pure, Kant dit « les pensées sans contenu sont vides, des intuitions sans concepts sont aveugles ». Il ressort de ces propos que la sensibilité considérée comme une pure réceptivité, un pouvoir de recevoir des représentations par la matière dont elles nous affectent, fournit la matière de la connaissance par ses intuitions. Ce qui signifie qu’il faut reconnaître dans la sensibilité une source propre de la connaissance, au lieu de me voir dans le sensible que de l’intellectuel confus comme le faisaient Leibniz et Wolff. Ainsi, la reconnaissance de l’idéalité de l’espace et du temps en tant qu’ils sont les formes à priori de la sensibilité introduit bien à un idéalisme transcendantal, c’est-à-dire appliqué au rapport de notre connaissance, non pas aux choses mais à la faculté de connaissance.

Le concept de « Bonheur » dans le champ moral

     C’est entendu s’il faut choisir entre la moralité et le bien-être, Kant n’hésite pas, il opte pour la moralité car elle seule accomplit notre destinée humaine. Pire encore s’il faut promouvoir la moralité contre le bonheur, le philosophe de Königsberg qui n’a pas pourtant choisi sans scrupule la moralité. Toutefois, un observateur lucide de l’humain a conscience que le fils d’Adam, de par une détermination propre à leur nature ont une remarquable attention à rechercher cet état de satisfaction durable des individus qu’il consent à appeler le bonheur. « Tout les hommes, écrit-il à ce sujet, ont déjà d’eux même l’inclination au bonheur la plus puissante, la plus intime parce que précisément dans cette idée du bonheur toutes les inclinations s’unissent en un total ». Ainsi donc, quel que soit ce que l’on en pense, il convient de prendre acte du fait que le bonheur est une fin subjective que les hommes se proposent en vertu d’une nécessité naturelle intérieure. En ce qui concerne Kant, il prend acte en conséquence du caractère humain du bonheur. Il va même plus loin en énonçant la possibilité de la conciliation du bonheur et de la moralité. « Assurer son propre bonheur est un devoir (au moins indirect) ; car le fait de ne pas être content de son état de vivre, pressé de nombreux soucis au milieu des besoins non satisfait pourrait devenir aisément une tentation d’en feindre ses devoirs »63. Le soucis, le malheur sont des terrains propices à l’immortalité, soyons donc heureux afin d’éviter les tentations d’en feindre la loi morale. Aussi bien, si le devoir des puissances publiques n’est pas de décider de ce qui fait le bonheur de chacun, elles sont au moins termes de garantir les conditions d’égalité juridiques formelles permettant à tous grâce à leur effort de satisfaire leur besoin. Ainsi, l’immortalité d’une société se mesure-t-elle à l’injustice dont les autorités font preuves de divers point de vue y compris économique. Elles se mesurent aussi, à l’état d’insatisfaction de la majorité des citoyens. L’individu doit être aussi l’individu heureux. L’on peut en effet concevoir à l’image des anciens que le prix de l’âme à laquelle accède l’homme vertueux représente un état de bonheur. Mieux que cela nous dit Kant, le sujet parce qu’il est moral s’élève à la dignité d’un être qui mérite le bonheur comme une juste récompense. Disons pour paraphraser Kant que l’homme agréable à Dieu par sa conduite y en rendra digne d’accéder au bonheur moral c’est-à-dire « à la conscience du progrès accompli dans le bien »64. Dans une autre perspective, nous pouvons dire que l’accomplissement de notre tâche morale semble être un accord entre la nature et la moralité. Pour Kant, pour accéder au bien, il faut joindre à l’idée de vertu, celle du bonheur. Or, le bonheur n’est possible que par un accord entre la nature et nous. Ainsi dans la Critique de la raison pratique, le maître de Königsberg laisse entendre l’idée selon laquelle « la vertu dépend de la seule loi morale et le bonheur du déterminisme de la nature »65. Cela nous permet d’affirmer avec Emmanuel Kant que « le Bien et le Mal se rapportent aux actions et non à l’état de sensibilité de la personne. En ce qui concerne notre nature en tant qu’êtres sensibles, tout dépend de notre bonheur dans cette vie »66. On peut supposer à priori que le bonheur est une fin réellement poursuivie par tous les hommes, parce que comme êtres finis, ils ont une sensibilité c’est-à-dire des inclinations qui demandent à se satisfaire « la raison en est que, tout les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c’est-àdire doivent être empruntés à l’expérience »67. Par ailleurs, G. Deleuze dans son œuvre la Philosophie critique de Kant écrit que « le concept de bonheur « maximum de bien-être» possible pour tout le temps , présent et futur, est authentiquement une Idée c’est-à-dire un concept propose de la raison et non de l’entendement qui l’aurait « abstrait des instincts et de l’animalité de l’homme »68. En effet, nous pouvons dire que tous les hommes se proposent effectivement, en vertu d’une nécessité naturelle, une même fin unique qu’ils nomment : bonheur, et la raison comme règle de prudence, c’est-à dire d’habileté dans le choix des moyens conduisant au plus grand bien-être. Ainsi nous dit Kant: « on ne peut pas agir pour être heureux, d’après des principes déterminés, mais seulement d’après des conseils empiriques, qui recommandent un régime sévère »69.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPORT ENTRE SENSIBILITE ET SAVOIR
I1- Définition de la sensibilité
I1a- La Sensibilité comme sentiment moral
I1b- La sensibilité comme sentiment physique
I2 – La théorie de la sensibilité
DEUXIEME PARTIE: LA SENSIBILITE AU PLAN ETHIQUE ET POLITIQUE
II1 – La sensibilité au plan Ethique
A- La problématique du « Désir » face à la loi morale
B- Le concept de « Bonheur » dans le champ moral
II2 – La sensibilité au plan politique
A- Le concept de « Besoin » comme facteur de l’égoïsme et du moi sensible
B- L’instinct de « conservation » comme élément fondateur de l’Etat
TROISIEME PARTIE: SENSIBILITE & ESTHETIQUE
III1- Le rôle de la sensibilité dans le jugement du Beau
III2- Le rapport entre la sensibilité et la création artistique
CONCLUSION

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