LA NOTION DE LOI DANS LES SCIENCES DE LA NATURE ET DANS LES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

L’ESPRIT DES LOIS EN PHYSIQUE CLASSIQUE

   Avant l’avènement de la physique galiléo-newtonnienne, l’idée d’un univers soumis à un déterminisme a été unanimement partagée par un certain nombre de philosophes. Pour ces derniers, c’était la seule condition pour l’esprit humain de produire de la connaissance et de dire ce qu’il en est du monde. Cependant, cette conception d’un univers déterministe n’a jamais fait l’assentiment des savants depuis la naissance de la pensée occidentale dans les iles ioniennes. La position de ceux qui récusent cette idée consiste à dire que la réalité de l’univers réside dans le mouvement et l’évolution. Il semble que c’est dans cet ordre d’idées que s’inscrit Jacques Monod, dans Le Hasard et La Nécessité, lorsqu’il dit : « Depuis sa naissance, dans les iles ioniennes, il y a près de trois mille ans, la pensée occidentale a été partagée entre deux attitudes en apparences opposées. Selon l’une de ces philosophies la réalité authentique et ultime de l’univers ne peut résider qu’en des formes parfaitement immuables, invariantes par essence. Selon l’autre, au contraire, c’est dans le mouvement et l’évolution que réside la seule réalité de l’univers. » C’est ainsi que Empédocle et Démocrite avaient montré que tous les phénomènes naturels étaient soumis au changement. Mais, il y avait malgré tout quelque chose d’essentiel qui ne changeait jamais : les « quatre éléments » pour Empédocle ou les « atomes » pour Démocrite. En effet selon Empédocle, ce qui forme le monde c’est l’équilibre changeant et cyclique des quatre éléments (eau, air, terre, feu), gouverné par deux principes à savoir l’amour et la haine : « Les quatre éléments, d’abord mêlés en une substance mixte, se dissocient sous l’action de la haine. Mais une fois séparés, ils tendent alors à se réunir sous l’effet de l’amour » , nous dit Laurence Hansen-Love. Quant à Démocrite, sa pensée peut être vue comme une réponse à Parménide pour qui, seul l’être est, le non-être n’est pas. Démocrite souligne alors la difficulté essentielle d’une telle position. Sa thèse est celle d’une composition de la matière, faite d’atomes et de vide. Dans ce sens, sa méthode peut être qualifiée de « préscientifique » car elle préfigure la pensée scientifique. En admettant la composition atomique de la matière, sa composition rend (théoriquement) possible le mouvement mixte d’être et de non-être. Pour Démocrite, nous dit Hansen-Love, « le monde matériel, alors déterminé par le seul principe de causalité, est désormais concevable par lui-même, sans aucune référence à Dieu ou surnaturel. De ce point de vue, Démocrite annonce non seulement Epicure et Lucrèce, mais également Descartes ». On le voit donc, l’idée d’un univers soumis à un déterminisme rigoureux apparait dans la pensée de ces auteurs. Platon était d’accord pour considérer le problème, mais en le posant autrement. En effet, contre le sophiste Protagoras qui professait que l’homme est la mesure de toutes choses, et qu’il y a donc autant de vérités que d’individus, Platon soutient le contraire. Il affirme l’universalité et l’intemporalité du savoir véritable. Or, cette vérité ne change pas selon les circonstances, les individus ou les moments. Pour Platon, savoir c’est dépasser la diversité et la versatilité des opinions humaines. Ceci en ramenant la multiplicité des choses à l’unité d’une définition universelle. A la limite, réduire le savoir à l’opinion, comme le fait Protagoras, implique la doctrine du mobilisme universel, défendue par le philosophe Héraclite. Car pour ce dernier, il n’existe aucune réalité stable ni permanente. Cependant selon Platon, pour que le savoir authentique soit possible, il faut par conséquent un autre monde. Un tel monde est fait d’êtres non-changeants, sans cesse identiques à eux-mêmes, éternels : il s’agit des Idées ou essences. C’est ce que montre Jostein Gaarder dans Le monde de Sophie en ces termes : « [Selon Platon], tout ce qui est sensible dans la nature est susceptible de se transformer(…) Platon soutenait qu’il existait une autre réalité derrière le monde des sens. Cette réalité, il l’a appelée le monde des idées. C’est dans ce monde que se trouvent les « modèles » éternels et immuables qui sont à l’origine des différents phénomènes présents dans la nature. » Mais selon Platon, les essences ne sont pas le fondement ultime des choses. Elles ont elles mêmes un principe. Car si chacune est identique à elle-même, elles sont néanmoins plusieurs. Alors que la réalité suprême doit être une, simple et inconditionnée, c’est-à-dire qu’elle doit être condition de toute chose sans être elle-même conditionnée par aucune autre. Ce principe inconditionné est selon Platon le Bien ou Un-Bien. Tous les objets connaissables, sensibles ou intelligibles, tiennent de lui à la fois leur être et leur possibilité d’être connus. C’est en ce sens que Platon s’intéressait beaucoup aux mathématiques, parce que les rapports mathématiques ne changent jamais. C’est pourquoi on peut prétendre à une vraie connaissance dans ce domaine. Pour résumer, on peut dire que Platon a divisé la réalité en deux parties. Une première partie dans laquelle réside une connaissance approximative et imparfaite que nous acquérons en nous servant de nos sens. Une seconde partie constituée par le monde des idées qui nous permet d’accéder à la vraie connaissance grâce à l’usage de la raison. D’après ce qui précédé, on peut dire et on doit même dire que l’idée d’un monde déterminé est ce qui fonde la connaissance chez Platon. Car, dans le monde des idées où se trouve la vraie connaissance, tout est soumis à un déterminisme rigoureux, ce qui rend la connaissance possible. Cependant, les positions de ces auteurs que Jacques Monod qualifie d’ « épistémologies métaphysiques » sont teintées d’idéologie. Ceci en ce que « ces édifices idéologiques, présentés comme a priori étaient en réalité des constructions a posteriori destinées à justifier une théorie éthico-politique préconçue¹. » Au XVIIe siècle, on peut dire que la conception d’un univers déterminisme a été reprise et posée comme postulat théorique par la science classique pour rendre compte des phénomènes naturels. Mais cette entreprise de la science, dit Jacques Monod, ne s’agit pas d’une prise de position à ce débat. Elle met en place pour cela le postulat d’objectivité qui oblige le scientifique de ne pas tenir compte de ses états d’âme et de son appartenance à une culture particulière en matière de science. Il doit suivre dans ce cas les normes établies par une communauté scientifique quelconque. Mais si ces normes étaient respectées à la lettre aurait-on besoin d’opérer une distinction entre « science du nord » et « science du sud » ? L’introduction de la gravitation universelle et l’effort de la mathématisation de la physique a fait de Newton le principal initiateur de la physique classique. Comme le dit ARTHUR KOESTLER, « (…) Après plus de deux siècles, notre vision du monde reste généralement newtonienne ». Mais celui en qui l’esprit de la physique classique s’incarne le mieux est, semble-t-il, Pierre Simon Laplace. En effet, les travaux de Newton avaient créé chez les philosophes et les scientifiques une foi en la science. Ceci en ce qu’il leur semblait que le pouvoir qu’avait l’esprit humain d’expliquer la nature est sans limite. Mais c’est avec Laplace que l’énonciation du déterminisme scientifique devient plus opérante dans son Essai sur les probabilités. Le déterminisme dominera ainsi toute l’idéologie scientifique semblant être une conséquence de la gravitation newtonienne. Alors que Newton exigeait que Dieu intervienne périodiquement afin de remonter le mécanisme des planètes, le système du monde que décrit Laplace est stable. De la régularité et de l’autonomie des phénomènes astronomiques, Laplace tire une théorie du déterminisme universel. Pour lui, aucun événement ne survint dans la nature de manière fortuite. L’évolution de l’univers, du monde microphysique jusqu’aux mouvements planétaires est gouvernée par des lois rationnelles et immuables. C’est ainsi que la connaissance de ces lois et celle de l’état présent du système permettent de prédire l’état du système à n’importe quel moment de son évolution. Le futur tout entier est contenu dans le présent qui lui-même était contenu dans le passé. C’est pourquoi il dit ceci : « Nous devons envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné connaitrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la compose, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. » Une telle affirmation laisse entendre non seulement l’existence d’une cause pour tout phénomène, mais aussi et surtout la liaison de toutes ces causes en un système cohérent de lois connaissables excluant l’existence de phénomènes imprévisibles. Il est vrai que le déterminisme en tant que concept a fait naitre une abondante littérature dans le champ de la science et dans la physique en particulier. En physique ce concept est tantôt confondu avec celui de causalité, tantôt différencié avec celui-ci. C’est pourquoi nous orientons notre analyse dans le sens de ce concept posé comme ce qui permet au physicien classique de nous dire ce qu’il en est de l’Univers. Selon la distinction opérée par Jean Ullmo, la causalité consiste en l’interaction entre les phénomènes or, le déterminisme est la possibilité de prévenir l’avenir par le présent. Pour la physique classique donc, il n’y a pas d’événement survenant au hasard sans cause connaissable. C’est-à-dire que le hasard n’a pas d’existence ontologique. Tout événement qui survient dans le monde est dû à une cause bien déterminée. De plus, tous ces événements sont liés entre eux en un système de cause à effet. Cela signifie que la physique n’est rien d’autre que la recherche de ces lois de causalité. Ainsi, pour tenter de caractériser l’esprit classique, on peut dire que le physicien classique est réaliste, déterministe et qu’il croit en l’objectivité de la nature. Ceci en ce que ces éléments semblaient aux physiciens classiques des exigences de la raison, les conditions sine qua none de la science.

L’IRRUPTION DU DESORDRE ET LE STATUT DES LOIS PROBABILISTES

   Depuis que les physiciens ont commencé l’étude des lois de la nature, la conception d’un univers faisant place à l’irrégularité, à la discontinuité et au désordre était bannie de leur champ d’investigation. Tous considéraient ces aspects comme étant rebelle à l’exploration des phénomènes pour produire de la connaissance. Cependant, quelques années plus tard, notamment dans les années soixante-dix, l’exploration du désordre avait commencé à voir le jour, plus précisément aux Etats-Unis et en Europe. Cette entreprise mobilise non seulement les physiciens mais aussi beaucoup de scientifiques évoluant dans d’autres domaines. Ils s’agissent entre autres des biologistes, des chimistes, des mathématiciens. Tous étaient à la recherche des aspects irréguliers des phénomènes de la nature. Ces propos suivants de JAMES GLEICK semblent illustrer bien ce fait : « Depuis qu’il existe des physiciens étudiant les lois de la nature, le monde a été particulièrement ignorant du désordre de l’atmosphère, de la mer turbulente, des variations des populations animales, des oscillations du cœur et du cerveau. L’aspect irrégulier de la nature, discontinu et désordonné, est resté une énigme ou, pis, a été perçu comme une monstruosité. Mais, dans les années soixante-dix, quelques scientifiques aux Etats-Unis et en Europe ont commencé à explorer le désordre. Ceux furent des mathématiciens, des physiciens, des biologistes, des chimistes, tous à la recherche de relations entre les différents types de comportements irréguliers. ». Ainsi, les recherches sur le chaos ont fini par regrouper des disciplines qui, autrefois, étaient séparés, ou pour dire comme JAMES GLEICK, « le chaos supprime les frontières entre disciplines scientifiques. » Cela signifie que des conceptions et des principes, qui autrefois étaient séparées, deviennent similaires et se font jours dans plusieurs domaines différents. Mais dans ce présent travail, seules les réflexions allant dans le sens de la physique quantique nous intéressent. En effet, l’exploration de la nature à l’échelle microphysique a obligé les physiciens à changer de posture. Elle les pousse à reconnaitre que le déterminisme tel qu’il apparait dans les lois de la théorie classique n’est pas universellement valable. Il existe des événements qui sont, par principe, imprévisibles parce que survenant au hasard. Cela sans qu’une cause nécessaire les oblige à se produire à un moment donné. Cette situation apparait dès lors comme un renoncement à un principe d’explication. Il implique aussi une représentation radicalement différente du monde. D’un univers absolument déterminé où tout est peut être prévisible, on passe à un univers où tout est seulement probable. Le but de la science n’est plus de trouver des lois qui définissent de façon certaine à un instant donné la position, la vitesse, l’énergie d’un corpuscule, mais plutôt de formuler une distribution probabilitaire de ces valeurs. Cette conception probabiliste dans sa formulation extrême, a été particulièrement développée par les positivistes logiques, comme Carnap. En effet pour Carnap, la structure causale de la mécanique quantique dans la physique contemporaine est décrite par la plupart des physiciens et des philosophes comme non déterministe. Une telle structure, nous dit-il, est plus faible que celle de la physique classique, « parce qu’elle contient des lois fondamentales de caractère essentiellement probabiliste ». Ainsi, le postulat selon lequel la matière repose sur une structure mathématique qui permet de prédire avec toute la précision voulue est remis en cause. Parce que la théorie quantique « a démenti » ce postulat au moins en deux sens. D’abord, elle découvre que l’atome n’est pas le constituant ultime de la matière, au sens où il contient des électrons et un noyau. Ce noyau à son tour est composé de neutron et de protons et les protons en mésons. Ensuite, cette théorie postule que les trajectoires des électrons ne sont pas déterminées, elles sont plutôt aléatoires. C’est dans ce sens que semble s’inscrite Etienne Klein lorsqu’il dit la chose suivante : « (…) Les physiciens ont alors compris que les atomes, ces petits grains de matière découvertes quelques années plus tôt, ne sont pas des objets ordinaires. Leur comportement n’obéissant pas aux lois de la physique habituelle, il a fallu en mettre au jour de nouvelles (…) En l’espace de quelques années, le monde est devenu méconnaissable. Et les physiciens ont dû inventer une nouvelle physique, la physique quantique, celle de l’infiniment petit. » Etant donné qu’il nous est impossible de retracer toute l’histoire, dans les détails, de la théorie des quantas, nous allons essayer de dégager sommairement la signification philosophique des relations d’incertitudes de Heisenberg. Mais tout d’abord il y a lieu de se demander ceci : dans quel contexte est apparue la conception des relations d’incertitudes de Heisenberg ? Au XXe siècle, à en croire Pierre Guaydier, la physique a connu un remarquable essor que l’on peut cadrer dans deux grandes directions. Dans la première, des génies élaborent d’originales théories qui finissent par estomper les notions les plus classiques. Dans la seconde, un certain nombre de chercheurs, par leur imagination, mettent en place de nombreuses inventions. Mais nous allons essayer d’analyser, de façon concise, la question allant dans le sens des théories, plus précisément dans la mécanique. En effet, à la fin du XIXe siècle, l’application des théories classiques à la lumière aboutit à la loi de de Rayleigh. Or, une telle loi va à l’encontre de l’expérience, c’est-à-dire qu’elle a échoué dans ces tentatives d’explication. C’est pourquoi il était indispensable d’épurer ces théories pour sortir de cette impasse : « c’est ce que fit en 1900 l’Allemand Max PLANCK (1858-1947). Pour lui, il n’y pas de continuité dans les problèmes concernant l’énergie, comme il était admis avant. Et pour mieux se faire comprendre, il énonce le postulat suivant : « La matière ne peut émettre l’énergie que d’une manière discontinue, par quantités finies, par quanta, dont la valeur est proportionnelle à la fréquence suivant la loi q= hf (loi de Planck) ». Dès lors, l’énergie eut un attribut qu’il partage avec la matière car elle est dotée d’une « structure granulaire ». C’est dans une telle logique que Planck a établi une loi qui s’accorde avec l’expérience, en reprenant la théorie des corps noirs. Ainsi, des jeunes s’intéressèrent bientôt à la théorie des quanta et l’appliquèrent à tous les problèmes liés à l’énergie ou, pour dire comme Pierre Guaydier, à presque toute la physique. Après les années 1920, nous dit l’auteur, le quanta a fini par faire l’assentiment chez les savants. Et la constante de Planck devient un élément fondamental de la physique moderne. C’est dans un tel contexte que s’inscrit Heisenberg (1901) qui fait des quanta l’élément essentiel de sa théorie : « Ce nouvel aspect de la physique moderne apparut encore plus nettement dans la mécanique quantique, fondée à partir de 1925 par un jeune physicien allemand, Heisenberg (…). Faisant des quanta l’élément essentiel de sa théorie, [ …]» En effet, en s’intéressant au comportement des particules élémentaires, Heisenberg rompt avec le principe du déterminisme. Mais aussi avec toutes les théories qui se représentent l’atome comme une réalité sensible. Ses travaux dans l’algèbre des matrices sont tout à fait incompatibles avec la commutativité de la multiplication qui est pourtant valable en physique classique. Les matrices peuvent être considérées comme des nombres avec lesquels la commutativité de la multiplication n’est pas respectée.

LES ENJEUX THEORIQUES ET EPISTEMOLOGIQUES

  Avec l’avènement de la théorie quantique, la science moderne découvre un « nouveau continent épistémologique » [l’expression est de Bado Ndoye] qui rompt avec les principes qui ont jusqu’ici accompagné la science classique. Or, une telle situation ne peut se solder que par une nouvelle façon de faire et une nouvelle vision de la science. Un certain nombre d’événements théoriques comme « l’invention de la relativité, la découverte des quantas, la crise des fondements en mathématique, l’avènement du chaos et l’essor des biotechnologies » , ont contribué au façonnement de cette « nouvelle conscience ». James Gleick essaie d’appréhender cette situation en partant d’une analyse qui consiste en l’élimination d’une théorie par une autre. À son avis, « la relativité a éliminé l’illusion newtonienne d’un espace et d’un temps absolu ; la théorie quantique a supprimé le rêve newtonien d’un processus de mesure contrôlable ; le chaos, lui, élimine l’utopie laplacienne d’une prédictibilité déterministe ». Le but de la philosophie est dans ce sens de se réinterroger sur la science. Et cela a comme conséquence une remise en cause de l’image positiviste qu’on se faisait de la science en adoptant une conception plus complexifiée de la connaissance rationnelle. [L’idée est de Bado Ndoye]. Ce changement de perspective dans le champ de la science a été bien appréhendé par Thomas Kuhn dans La structure des révolutions scientifiques. C’est comme si les tenants de la théorie quantique sont soudainement transportés vers une sphère autre, au sein de laquelle se trouvent des objets qui leur sont inconnus. Autrement dit, en rompant avec les principes de la théorie classique, les spécialistes de la théorie quantique sont comme emportés dans un nouvel espace géographique qu’ils ne connaissent pas bien. Pourtant, nous dit Kuhn, tel n’est pas le cas. C’est seulement « les changements de paradigmes [qui] font que les scientifiques, dans le domaine de leurs recherches, voient tout d’un autre œil. Dans la mesure où ils n’ont accès au monde qu’à travers ce qu’ils voient et font, nous pouvons être amenés à dire qu’après une révolution les scientifiques réagissent à un monde différent. » Cela revient à dire que le monde dans lequel le scientifique travaille n’est pas fixe une bonne fois pour toutes. Il est plutôt déterminé par l’environnement dans lequel il travail et par la « science normale » qu’il apprend à suivre. C’est la raison pour laquelle aux moments des révolutions, l’homme de science change de vision quand change la tradition de science normale. Il est obligé de réapprendre à voir le monde autour de lui. Le monde de ses recherches lui paraitra ensuite, sur certains points, différent de celui d’avant. C’est pourquoi aux yeux de Kuhn, l’utilisation de certains paramètres, comme l’énoncé d’une loi ou la seule définition d’un concept théorique, ne suffisent pour le physicien qui vient de débuter. Il devient obligatoire pour ce dernier d’apprendre à les utiliser dans diverses situations concrètes. C’est encore ce qui fait que « les écoles guidées par des paradigmes différents sont toujours légèrement en désaccord. » Ce léger désaccord reste visible dans le combat entre les tenants de la théorie classique et ceux de la théorie quantique. Parce que, malgré le fait qu’un bon nombre de scientifiques partagent la conception du « paradigme de la complexité », d’autres ont fait de leur mieux pour conserver les principes du « paradigme de la simplicité ». C’est pourquoi, à la question de savoir si les lois de la nature sont absolument déterministes ou indéterministes, il est tout à fait difficile de trancher. A ce propos le débat reste loin d’être clos car selon Reichenbach, « la discussion de ce problème a mené à deux conceptions opposées. Selon la première, l’emploi des lois statistiques n’est qu’un aveu d’ignorance (…) La seconde conception représente le point de vue opposé. Elle ne croit pas à la causalité rigoureuse des mouvements de chaque molécule ». Ainsi, nous pouvons dire que si la première étape de la formation d’un scientifique consiste en l’apprentissage et en la conception de ce qu’est une bonne explication, la seconde consistera à réaliser qu’il n’y a pas une bonne explication dans l’absolu. Car une explication n’est satisfaisante que dans un contexte particulier. Ce qui signifie que c’est le scientifique qui choisit ce qui doit être expliqué et comment l’expliquer. Or, cela ne sera pas valable chez un autre scientifique, si ce dernier a reçu une formation disciplinaire différente. [L’idée est de Michel Morange] Le débat entre Albert Einstein et Niels Bohr au congrès Solvay de mille neuf cent vingt-sept (1927)74 illustre bien cet esprit de désaccord. Mais en quoi consiste d’abord le congrès ? Il s’agit de la crise de la raison qui a comme conséquences la remise en cause des principes de la physique classique. Pour Cheikh Anta Diop, il s’agit de la « crise de la raison dans la mesure où le principe de causalité, le déterminisme, la séparabilité des phénomènes et leur objectivité qui règnent en macrophysique sont fondamentalement mis en cause en microphysique ». En effet, malgré les nombreuses tentatives effectuées par Einstein, en vain, pour sauver les principes de la mécanique classique, il n’a jamais cessé de soutenir l’idée que l’univers est déterminé. Pour lui, s’il lui arrive d’échouer ses tentatives de démontrer que l’univers est déterminé, cela ne signifie pas que la nature est indéterminée. C’est plutôt son incapacité à pouvoir démontrer cela. Ses discussions avec Max Born, dans une correspondance de 1916-1965, illustrent bien à quel point Einstein tenait aux principes de l’ancien paradigme. Il dit ceci : « L’avis de Bohr sur le rayonnement m’intéresse fort, écrit-il à Max Born. Mais, je ne voudrais pas me laisser entrainer à renoncer à la causalité stricte tant qu’on ne s’en sera défendu de toute autre façon que jusqu’à présent. L’idée qu’un électron exposé à un rayonnement choisit en toute liberté le moment et la direction où il veut sauter m’est insupportable. S’il en était ainsi, j’aimerais mieux être cordonnier ou même employé dans un tripot que physicien. Mes tentatives pour donner aux quanta une forme concevable ont, à vrai dire, toujours échoué, mais je n’abandonnerai pas tout espoir avant longtemps. Et si rien ne marche, je pourrai toujours me dire pour me consoler que l’échec ne tient qu’à moi ». Donc on peut dire, d’après ce qui suit, qu’Einstein ne pouvait pas se résoudre à l’idée de voir les principes de la physique classique s’écrouler. Il ne tardera pas à mettre en défaut « la cohésion interne de la mécanique quantique, c’est-à-dire, son inaptitude à décrire toute la  réalité. », comme le dit cheikh Anta Diop. Cela l’amène, avec ces deux collaborateurs Podolsky et Rosen, à écrire un article célèbre en 1935 dans lequel il conçoit l’argument ou le paradoxe E.P.R. qui porte leurs noms successifs. Ils définissent le principe de la réalité comme suit : « Si, sans perturber d’aucune façon un système, on peut prédire avec certitude la valeur d’une quantité physique, il existe un élément de réalité physique (relatif à ce système, qui correspond à cette quantité physique ». Dans une interview de 1929, la position d’Einstein devient plus radicale, car il va jusqu’à étendre le déterminisme dans tous les sphères de la réalité. Pour lui, l’insecte, l’étoile, les êtres humains, les légumes, tout comme une poussière d’étoile sont déterminés par une force invisible. Il dit ceci à ce propos : « Tout est déterminé par des forces que nous ne contrôlons pas. Tout est déterminé, pour l’insecte comme pour l’étoile. Etres humains, légumes ou poussière d’étoile, nous dansons tous au rythme d’un air mystérieux joué au loin par un joueur de flute invisible². » Au début du XXe siècle, Henri Poincaré était convaincu que la science serait un jour capable de mettre fin à l’idée que nous nous faisions du hasard. Pour Poincaré, « une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. » Or, dit-il, tel n’est pas le cas car, « si nous connaissons exactement les lois de la nature et la situation de l’univers à l’instant ultérieur. »

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I : L’ESPRIT DES LOIS EN PHYSIQUE CLASSIQUE ET EN PHYSIQUE QUANTIQUE
SECTION 1 : L’ESPRIT DES LOIS EN PHYSIQUE CLASSIQUE
SECTION 2. L’IRRUPTION DU DESORDRE ET LE STATUT DES LOIS PROBABILISTES
SECTION 3 : LES ENJEUX THEORIQUES ET EPISTEMOLOGIQUES
CHAPITRE II : LOIS BIOLOGIQUES ET LOIS PHYSIQUES
SECTION 1 .DU MECANISME CARTESIEN A LA NAISSANCE DE LA BIOLOGIE
SECTION 2 .LE MECANISME PHYSICO-CHIMIQUE : DE LA NAISSANCE DE LA CHIMIE A LA REVOLUTION MOLECULAIRE
SECTION 3 : LES ENJEUX DE L’EXPERIMENTATION ET LE STATUT DES LOIS BIOLOGIQUES
CHAPITRE III : LOIS PHYSIQUES ET LOIS SOCIOLOQUES
SECTION 1 LES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES : APPROCHE CONCEPTUELLE
SECTION 2 : LA POSTURE REDUCTIONNISTE EN SOCIOLOGIE
SECTION 3 : LES ENJEUX DE L’EXPERIMENTATION ET LE STATUT DES LOIS EN SOCIOLOGIE
CONCLUSION
BIBLIOGRPHIE

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