La nostalgie dans Stranger Things : ce que le passé nous dit de notre temps

Nostalgie et série, deux concepts qui s’entrecroisent 

« Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. » . Marcel Proust a une véritable épiphanie sensorielle quand il goûte une madeleine plongée dans son thé. Ses papilles se souviennent et le replongent dans son enfance, une époque heureuse épargnée par les outrages du temps et durant laquelle les êtres chers étaient encore en vie. Ce petit gâteau incarne la nostalgie provoquée par les sens, la saveur, lors de ce célèbre épisode littéraire. Adressées à la vue et à l’ouïe, les séries, quant à elles, ont parfois la volonté de provoquer chez le spectateur une sensation similaire, le regret d’une époque révolue qu’ils ont connue ou non, grâce à des atmosphères, des personnages ou des objets.

La série, un format tourné vers le passé 

Samedi 22 avril 2017 s’est tenue une conférence autour de la série Buffy contre les Vampires dans le cadre de la huitième édition du festival Séries Mania. Sortie en 1997, cette série est la plus étudiée dans le monde, elle a même donné son nom à un champ de recherche universitaire, les « Buffy Studies ». La salle est comble, et emplie de fans de la première heure. Alors que Buffy a pris fin en 2003, des dizaines de téléspectateurs la regrettent et se replongent indéfiniment dans cette série imprégnée de la mode kitsch des années 90 et des thématiques chères au début du XXIème siècle comme celle, éthique, du terrorisme lié aux attentats du 11 septembre. Non seulement Buffy a attiré des milliers de téléspectateurs, mais cette série a ouvert la voie à de nombreux questionnements, comme celui du « queer » dans le monde audiovisuel, celui du « male gaze » 15, l’objectivation des femmes sur les écrans, ou encore de la naissance du sous-texte dans le genre de la série, autrefois moins profond concernant l’idéologie véhiculée. Les fans de ce programme n’ont de cesse de s’y référer, de le qualifier de « meilleure série » de l’histoire de ce format. Mais ce souvenir n’est pas seulement associé à la série, il est également constitutif d’une époque et du mode de vie qui lui est associé. L’intervenante Yaële Simkovitch, journaliste chez Tess Magazine, regrette le temps de la diffusion de Buffy, les samedis soirs devant le poste de télévision, quand il ne fallait sous aucun prétexte manquer la « Trilogie du samedi ». Elle ajoute que c’était non seulement une obligation associée à la sociabilité et aux sujets de conversation avec les jeunes de son âge, mais également un impératif matériel lié à la technologie de l’époque et à la non-existence de la télévision de rattrapage. Alors qu’à l’époque de sa diffusion Buffy contre les Vampires était considéré comme un objet de divertissement destiné à la jeunesse, aujourd’hui de nombreuses études se concentrent sur la série et l’érigent en un objet indispensable dans le secteur audiovisuel. Les séries sont des objets profonds qui soulèvent des problématiques multiples. Mais qu’est-ce qu’une série, tout d’abord ? Ce format questionne, il est perçu comme un « symptôme » par François Jost. L’auteur use d’un terme lié au monde médical et qui se rapporte à des douleurs ou à des troubles sensoriels. Cette définition est donc proche de la définition de la nostalgie, qui est elle aussi un terme originellement médical lié à la douleurs subie par un sujet éloigné de sa patrie. Jean-Pierre Esquenazi évoque quant à lui une « mythologie » qui pourrait se rapporter aux séries télévisées. Si l’on s’en réfère à la théorie barthésienne, le mythe est une histoire, un mode de communication. La série serait donc un moyen de communication récent, un biais pour exprimer des thèses. La série est un format qui se déroule sur plusieurs épisodes, constitutifs d’une ou de plusieurs saisons, une intrigue dont l’unité réside dans la récurrence des personnages, des lieux, ou de la thématique, quand il s’agit de séries dites d’anthologie. Ce format d’épisodes courts appelle à une suite, et la récurrence de personnages complexes favorise le processus d’identification spectatoriel. Comme l’explique Jean-Pierre Esquenazi, « La première grande réussite du genre sériel, c’est d’être parvenu à nous proposer des mondes fictionnels qui réussissent à partager notre intimité ». En effet, la série explore des personnages dans toute leur complexité, et il n’est pas rare qu’une jeune personne grandisse en même temps que le personnage d’une série, et se construise par le biais d’une identification à celui-ci, comme ce fut le cas pour de nombreux adolescents qui ont été traversés par les mêmes questionnements que Malcolm (2000), qui a grandi sous les yeux des spectateurs, de ses 14 à ses 22 ans.

Série et nostalgie(s) 

Les séries peuvent être nostalgiques dans la mesure où certaines d’entre elles se déroulent des années, voire des siècles auparavant. Ces contextes historiques sont souvent un biais pour évoquer des thématiques universelles. On pourrait illustrer cette idée avec la série Game of Thrones (2011) qui explore la vengeance, l’amour ou encore la filiation au travers d’intrigues médiévales entre des personnages aux traits modernes. Une série peut avoir pour ambition de reconstituer le passé afin de transporter son spectateur dans une époque qu’il n’a pas connue, comme Boardwalk Empire (2010-2014), basée durant la Prohibition aux Etats-Unis, 23.11.63 (2016), série atypique construite grâce à des aller-retour entre le XXIè siècle et l’année de l’assassinat du président J.F. Kennedy, ou encore la série Vinyl (2016) qui replonge dans l’effervescence d’un label musical dans les années 70.

Mais la nostalgie dans une série peut être plus profonde, et inscrite en filigrane dans le sous-texte. Selon Katharina Niemeyer, dans son ouvrage Media and Nostalgia, il existe plusieurs types de nostalgie au travers des séries. La première est le « mal du pays sériel », quand les personnages rêvent d’un retour au pays rationnel ou métaphorique. C’est le cas pour le personnage de Mad Men (2007-2015) Don Draper, dont le vrai nom est Dick Whitman. Celui-ci ne se sentira jamais chez lui dans le Chicago des année 1960 où il mène une carrière de publicitaire florissante, car il cache sa véritable identité et un sombre passé. La nostalgie est associée à un sentiment de malêtre lié à une crise existentielle et amoureuse, jamais le personnage ne se sentira en sécurité, pas même dans la banlieue résidentielle dans laquelle il vit avec sa famille. Katharina Niemeyer évoque également le destin des personnages de la série apocalyptique The Walking Dead (2010), qui aspirent à retrouver le monde tel qu’ils l’ont connu, peuplé et plein de vie, en opposition au monde envahi par les mortsvivants dans lequel ils sont contraints de survivre. Il existe une autre forme de nostalgie liée aux séries télévisées, la « nostalgie sérielle». Un exemple phare de cette thèse est la série How I met your Mother (2005 2014). La nostalgie de celle-ci réside dans le « montage temporel et visuel ». Son intégralité est construite grâce à des flashbacks qui sont la retranscription visuelle des aventures amoureuses d’un homme qui conte à ses deux enfants sa rencontre mouvementée avec leur mère. Il replonge dans ses souvenirs neuf saisons durant, autant d’heures durant lesquelles les deux enfants écoutent leur père et se remémorent avec lui son passé.

Remakes, reboots et suites 

Inépuisable, le passé s’insinue dans les séries sous de multiples formes. Aurélien Allin évoque une « tendance amorcée dans les années 2000 » et explique que «n’importe quel film, si tant est qu’il ait connu un certain succès ou qu’il soit considéré comme une licence connue du public, peut être le sujet d’un remake, d’un reboot, d’un prequel ou d’une suite ». C’est également le cas dans le monde des séries car nombreux sont les hommages et les emprunts qui jalonnent l’histoire des séries télévisées et cette dernière décennie est marquée par un regain de ces usages, qui s’expriment au travers du remake, du « reboot » ou encore de la suite.

Tout d’abord, on peut évoquer le remake, qui est la création d’une œuvre qui reprend les éléments d’une seconde œuvre dont elle est inspirée. Celui-ci est courant dans le monde des séries, comme en prouve par exemple Homeland (2011), série américaine reprise d’une série originale israëlienne nommée Hatufim (2010) qui met en scène le retour aux Etats-Unis du soldat américain Nicholas Brody, retenu en otage en Irak pendant huit ans. On peut ensuite parler du « reboot », ou de la volonté de créer une nouvelle version d’une série ayant souvent connu de nombreuses suites. On distingue le reboot du spin-off, qui, lui, garde un cadre de fiction mais développe des intrigues relatives à des personnages originellement secondaires. ‘Everything’s getting a reboot now’ lance Randy Marsh dans le premier épisode de la vingtième saison de la série animée South Park. Dans cet épisode, le réalisateur J.J. Abrams, connu pour sa capacité à manier le passé dans ses œuvres, est appelé par le gouvernement américain pour créer un reboot de l’hymne national. Dans ce même épisode, les personnages découvrent le pouvoir des «memberberries», des grappes de raisin vivantes qui séduisent leur consommateur grâce à des paroles qui les replongent dans le passé. Randy est sous le charme de ces grains de raisins qui lui susurrent des mots qui évoquent sa jeunesse, ramenant à son esprit des personnages de fiction qu’il adulait comme Bionic Man ou Chewbacca. Ces souvenirs le font tendrement sourire et le plongent dans une forme de léthargie semblable à celle que pourraient provoquer des substances médicamenteuses. Cet épisode est satirique et se rie de la frénésie de l’usage du passé dans les œuvres récentes et l’appel du gouvernement à un réalisateur de  longs-métrages est extravagant, à l’image de l’ensemble de la série de Trey Parker et Matt Stone. Mais il n’en reste pas moins qu’il soulève un enjeu au cœur du secteur audiovisuel, celui d’un usage parfois immodéré de la nostalgie pour raviver le souvenir du spectateur. Par exemple, très récemment, un reboot de la série de science-fiction culte XFiles (1993-2016) a été proposé aux spectateurs désireux de prolonger l’univers mystérieux qu’ils avaient adulé dans les années 1990. Enfin, on pourrait évoquer la suite. Il n’est pas toujours besoin de se focaliser sur de nouveaux personnages, ni même de refonder l’intrigue en s’appuyant sur un cadre existant. Il est parfois plus pertinent de reprendre une série des années plus tard, et de continuer la diégèse là où elle était restée. C’est le cas de Twin Peaks (1990), la série de David Lynch et de Mark Frost qui, après 25 ans d’absence, connaît une suite en mai 2017. L’agent Dale Cooper interprété par Kyle Maclachlan reprend du service, même s’il a désormais 58 ans alors qu’il n’en avait que 31 au début de la série. Hommages et réutilisations du passé se multiplient dans l’univers sériel, qui puise dans le passé pour aller de l’avant.

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Table des matières

Introduction
I. La nostalgie dans Stranger Things : ce que le passé nous dit de notre temps
I.1. Nostalgie et séries, deux concepts qui s’entrecroisent
I.1.1. La série, un format tourné vers le passé
Séries et nostalgie(s)
Remakes, reboots et suites
I.1.2. Un choix éditorial
I.1.3. Les séries et les années 80
Panorama des années 80
Les séries et les années 80
Stranger Things, un phénomène eighties
I.2. Stranger Things, une ode au passé
I.2.1. Un objet protéiforme référencé : Stranger Things, une série-musée
Le scénario
L’esthétique de la série
Le son
Atmosphère rétro et culte des objets
I.2.2. Le passé ou sa représentation ? Mise en abyme et distanciation
I.2.2. Une œuvre originale… Mais pas tant
I.3.Passé et futur : des époques différentes, des questionnements analogues
I.3.1. Les séries, miroir de notre époque
La vérité
Un mal-être latent
I.3.2. Stranger Things, quand la nostalgie appelle des thématiques contemporaines
Une analogie évidente entre passé et présent
Une quête de transparence
Les années 80, une époque sombre
I.3.3. Étude de cas : la nostalgie de « San Junipero ». Black Mirror : quand une série prend le contrepied de son parti-pris dystopique
II. Les téléspectateurs au cœur du processus nostalgique
II.1. Généalogie du braconnage sériel
II.1.1. Communautés d’interprétation sérielles
II.1.2. Stranger Things : les fans, moteurs de la série ?
II.1.3. La frontière poreuse entre acteurs / personnages : suciter curiosité et engouement
II.2. Une cible difficile à cerner
II.2.1. Qui regarde Stranger Things ?
Une série qui plaît aux plus jeunes
Mais qui séduit aussi les adultes
II.2.2. La notion d’héritage
II.2.3. Les médias et la série : reflet des générations
II.3. Les stratégies des fans
II.3.1. Célébration musicale
II.3.2. « We all love Barb »
II.3.3. Funko marketing
III. Nostalgie ou stratégie ?
III.1. Le « nostalgia bait »
III.1.1. La monétisation du regret
Le rétromarketing
Hybridité entre passé et modernité
III.1.2. Stranger Things, le concept de « nostalga bait » poussé à son paroxysme
Stranger Things et le rétromarketing
Un concept intergénérationnel
III.1.2. Les risques d’une « surenchère » de nostalgie
L’industrialisation de la nostalgie ?
L’assèchement de la créativité
III.2. La stratégie de Netflix
III.2.1. Un modèle économique efficace
Netflix, une machine en pleine croissance
Stranger Things et Netflix, un cocktail paradoxal
III.2.2. Stranger Things : tout miser sur la promotion
III.2.3. L’incursion de Netflix au cinéma
Stranger Things, une série cinématographique
Netflix au cinéma, un défi à relever
III.3. Des frontières poreuses entré cinéma et séries : un nouveau genre ?
III.3.1. « It’s not TV »… la nostalgie du grand écran ?
Les stratégies discursives autour des séries
Un nouveau rapport aux écrans
III.3.2. Séries d’auteurs
III.3.3. Stranger Things, entre série et cinéma
Conclusion

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