La neutralité de la science à l’épreuve des rapports sociaux de sexes

Du modèle unisexe à la différence incommensurable

Les deux sexes n’existent que tardivement dans l’histoire de la science médicale. Jusqu’au XVIIIe siècle, les conceptions médicales adoptées dans l’Antiquité perdurent et structurent les représentations des médecins : homme et femme appartiennent à un même ensemble sexuel, et leurs différences anatomiques correspondent à des degrés de développement d’un même modèle.
Contrairement à ce que la vision classique des sciences dures laisserait supposer, le basculement vers des modèles sexuels distincts n’est pas la conséquence de découvertes et révélations de réalités anatomiques, mais le fruit de circonstances politiques particulières, qui exigeaient la  refondation du mode de cohabitation des sexes dans un ordre naturel.

Le destin du modèle unisexe antique

Selon l’analyse de Thomas Laqueur des écrits scientifiques relatifs au(x) sexe(s),la pensée scientifique occidentale semble avoir été marquée durablement par le modèle de compréhension des corps élaboré dans l’Antiquité, notamment par Aristote et Galien. Ce modèle est qualifié d’unisexe parce qu’il décrit les organes génitaux masculins et féminins comme des variations d’un même modèle et postule une stricte similarité entre les deux systèmes . Comme Galien de Pergame l’écrit au deuxième siècle : « Figurez vous les parties (génitales) qui s’offrent les premières à votre imagination, n’importe lesquelles, retournez en dehors celles de la femme, tournez et repliez dedans celles de l’homme, et vous les trouverez toutes semblables les unes aux autres » . Il n’existe qu’un seul sexe, qui se décline dans des grades différents déterminés par la chaleur interne des corps. Les femmes sont plus froides que les hommes, et c’est ce déficit de chaleur qui induit que leurs organes génitaux, par ailleurs strictement identiques aux organes masculins, demeurent à l’intérieur de leur corps. Cette similarité anatomique se remarque notamment dans le vocabulaire utilisé par les médecins : les mêmes termes qualifient des parties anatomiques jugées équivalentes. Le mot kaulos (canal) est utilisé indifféremment pour évoquer le vagin et le pénis, les ovaires et les testicules sont désignés par le même terme orcheis par Galien, ou encore celui de didymoi (jumeaux) par l’anatomiste alexandrin Hérophile . Les différences entre hommes et femmes sont donc comprises en termes de degrés de développement. Galien utilise la métaphore de la taupe pour expliciter cette différence : à l’instar des yeux d’une taupe, anatomiquement présents mais imparfaitement développés, les organes génitaux des femmes sont des organes génitaux masculins imparfaitement développés, ce qui implique la supériorité de l’homme sur la femme mais aussileur appartenance à la même catégorie sexuelle.

Le féminin sexuel et le masculin neutre

L’essor de la science gynécologique au XIXe siècle s’inscrit dans une nouvelle conception des sexes comme fondamentalement différents. La corporéité naturelle, révélée par les recherches médicales, est fondement de l’organisation sociale. Les femmes deviennent l’objet d’investigations infinies : leur fonctionnement corporel est compris en termes de pathologies nécessitant soins et limitation de leurs activités. A l’opposé, la légitimité des hommes à gérer seuls les affaires publiques s’inscrit dans un corps qui se doit d’être puissant et maitrisé : les pathologies spécifiquement masculines sont tues, car les hommes ne peuvent se permettre d’être perturbés par leur corps, sous peine d’être considérés comme aussi incapables et fragiles que les femmes.

L’éternelle malade

L’émergence d’une théorie médicale de la différence sexuelle a pour conséquence une prise un charge spécifique des femmes. Selon le modèle défendu au XIXe siècle, les femmes sont toutes entières définies par leur spécificité sexuelle : le moindre élément corporel est marqué par la féminité telle qu’elle est comprise alors, synonyme de faiblesse physique et de règne de la Nature et des impulsions sur l’esprit. « La femme du XIXe siècle est une éternelle malade » : soumises aux caprices de l’utérus, parfois responsable d’un des grands maux du siècle qu’est l’hystérie ((le terme vient du grec hystera qui signifie « utérus »), les femmes souffrent d’une nature fragile qui nécessite un soin et une surveillance médicale constants. Cette perception d’un corps féminin particulièrement faible trouve un écho dans la surmortalité dont elles souffrent par rapport aux hommes49 au XIXe siècle. A titre d’exemple, 40% des filles de 15 à 21 ans meurent de phtisie en Belgique entre 1840 et 1860 50, une situation probablement due à leurs conditions de vie confinées mais expliquée par cette faiblesse naturelle.
Cette conception des femmes justifie l’organisation sociale en vigueur et le maintien des femmes dans une position subalterne : leur santé fragile exige qu’elles s’épargnent les dangers du travail, des activités extérieures, du moins lorsque leur position sociale le leur autorise. Les éternelles malades offrent également de nouvelles opportunités professionnelles à ceux capables de leur offrir des remèdes et des soulagements. Les médecins de famille prennent une place particulière dans la vie des femmes : le recours à un médecin plutôt qu’à une sage‐femme pour un accouchement est la marque d’une certaine aisance financière, ce qui confère des vertus de distinction sociale à ces pratiques. Par ailleurs, le pouvoir social croissant qu’acquièrent les médecins notables au cours du XIXe siècle, ainsi que le crédit grandissant accordé à leurs prescriptions grâce à une amélioration de l’efficacité des soins due notamment aux découvertes dans les domaines de l’anesthésie et de l’asepsie, assoient le statut des médecins, et tout particulièrement auprès de celles qui ont apparemment tant besoin d’eux : « le protecteur naturel d’une femme en mal d’enfant n’est plus son mari, mais le médecin » . Les préoccupations natalistes de la fin du XIXe siècle attribuent aux médecins une nouvelle légitimité, renforcée par le mouvement hygiéniste. Les médecins experts se voient autorisés à se prononcer sur le mode de vie approprié aux futures mères : les prescriptions font état d’une fragilité naturelle féminine, qui requiert l’interdiction d’activités dangereuses comme la balançoire ou la valse et la prise en compte des impératifs de la santé maternelle dans la réglementation du travail.Cette perception des femmes, et le développement des connaissances sur les spécificités féminines permettent donc l’essor d’une activité médicale socialement reconnue. Cette gynécologie balbutiante s’inscrit parfaitement dans les sujets de préoccupation du XIXe siècle : justification scientifique et biologique des rapports sociaux de sexes, inquiétude pour la fertilité nationale et ambitions professionnelles d’un corps médical en pleine ascension sociale. La porosité entre pratiques médicales et sociales se retrouve dans les entorses faites à cette préoccupation pour la santé des femmes. Les inquiétudes médicales vis‐à‐vis des maladies vénériennes n’empêchent pas des arrangements entre maris et médecins, qui s’entendent pour dissimuler aux épouses leur infection par une maladie sexuellement transmissible et préserver ainsi la paix du ménage. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le traitement des épouses est d’ailleurs soumis à l’autorisation de leurs maris . La protection de l’institution familiale prime parfois sur le souci sanitaire. La médecine participe à travers ces nouvelles pratiques au renforcement du modèle conjugal en définissant les normes du fonctionnement sexuel permettant la préservation de la santé féminine : en qualifiant les troubles psychologiques et sexuels grâce à la terminologie de l’hystérie, ils définissent les contours du comportement féminin « naturel » et sain, condamnent les écarts à cette norme et prônent une sexualité conjugale modérée pour résoudre les troubles féminins . Le travail de Freud sur la sexualité qui rencontre un très grand succès, s’inscrit dans cette dynamique alors qu’il invente l’orgasme vaginal, valorisé comme signe de maturité psychique par rapport à l’orgasme clitoridien, et circonscrivant la sexualité féminine à la pénétration hétérosexuelle et conjugale : « Se dérobant à des siècles de connaissances anatomiques, la thèse de Freud témoigne de la liberté avec laquelle il est possible de s’approprier rhétoriquement l’autorité de la nature pour légitimer des créations culturelles ».
Le développement d’une science médicale des femmes répond donc à des logiques de représentations sociales plus larges : il permet la justification scientifique de l’organisation de la cohabitation entre les sexes, tout en offrant des possibilités de prestige sociétal aux médecins qui y participent et des phénomènes de valorisation sociale aux femmes qui ont recours à cette offre de soins. C’est l’utilité collective de cette orientation médicale qui assure sa bonne réception ainsi que l’augmentation du prestige de la médecine : l’historien Olivier Faure affirme en ce sens qu’il serait « exagéré et faux d’imaginer que les représentations médicales s’imposent spontanément à l’ensemble de la société par leurs seules vertus démonstratives. Si la médecine devient le principal guide de lecture du corps et de la maladie, c’est parce que la science médicale s’élabore au sein de la société et en réponse à ses questionnements, et non dans un univers scientifique totalement éthéré. » . A l’inverse, le souci du sexuel masculin ne répond pas aux demandes sociales en termes identitaires.

Culture, savoirs et pratiques dans la médecine

Les faits scientifiques et la connaissance du fonctionnement biologique des corps revêtent l’apparence de vérités neutres, qui se sont révélées progressivement aux scientifiques grâce aux progrès des possibilités d’explorations et des méthodes de recherche. Cette neutralité des sciences est le fondement de justifications de modes d’organisation humaine qui convoquent l’argument de nature. Des études américaines traduisent des différences sociales en aptitudes biologiquement déterminées et expliquent par exemple la présence moindre des femmes dans les disciplines des sciences dures par le fonctionnement spécifique du cerveau féminin. En ce qui concerne le développement différentiel de la gynécologie et de l’andrologie, les explications médicales spontanées se réfèrent à des différences biologiques entre hommes et femmes , qui ont pour conséquence que les unes ont besoin de soins et de surveillance constants quand les autres peuvent s’en passer. Cependant, les travaux sociologiques et historiques sur les processus de production de connaissances scientifiques ont révélé leur inscription dans des contextes sociaux particuliers, et les relations qui unissent constamment société, représentations sociales et connaissances scientifiques. L’objectivité et la neutralité supposées de la science entrent en contradiction avec le fait qu’elle est le produit d’acteurs humains, historiquement et culturellement situés, et que sa production même est un processus social. L’impact potentiel des acteurs scientifiques et médicaux doit donc être analysé afin de dépasser l’illusion de neutralité de la science et la force des faits scientifiques pour en comprendre les rouages sociaux.

L’ancrage culturel de la production de savoirs scientifiques

La production de savoirs est toujours inscrite dans un contexte socio‐culturel particulier. Comme le montre le travail de Thomas Laqueur précédemment évoqué, les représentations sociales, voire les besoins idéologiques d’une société influencent le choix des objets de recherche et la réception académique et sociale des hypothèses avancées. C’est aussi en fonction des représentations sociales et des connaissances déjà acquises que se délimite l’espace des possibles. La production de connaissances elle‐même est un processus éminemment social : les relations entre chercheurs, entre chercheurs et institutions, l’importance du statut, l’usage de références admises, sont des éléments déterminants du processus de reconnaissance d’une hypothèse scientifique comme un fait établi.
A chaque étape de la production de connaissances, les acteurs sont impliqués dans la formulation et la reconnaissance des vérités scientifiques qui sont donc profondément liées au contexte humain dans lequel elles émergent.

L’apport de la sociologie des sciences

Les travaux de Bruno Latour s’inscrivent dans une perspective de sociologie des sciences et offrent une perception de la recherche scientifique qui complexifie le statut des connaissances. En effet, l’étude approfondie des controverses scientifiques permet d’appréhender le parcours des affirmations scientifiques et la manière dont elles s’érigent –ou non‐ en faits scientifiques établis. L’approche de la sociologie des sciences souligne la complexité du processus de reconnaissance en sciences et le décrit comme l’aboutissement de controverses, déterminé par des facteurs plus divers que la simple véracité des théories avancées ou que leur relation à la nature. Le destin d’une affirmation dépend des références et outils sur lesquels elle peut s’appuyer. Le développement de l’usage de références, tout comme la technicisation du discours scientifique, sont autant de pratiques qui permettent d’établir l’autorité d’une hypothèse par la difficulté à démontrer son contraire : si l’hypothèse avancée est étayée par des références à de nombreux articles reconnus et par des graphiques produits par des machines compliquées, à la technicité également reconnue, le sceptique aura beaucoup de mal à faire entendre ses objections, car il devra remettre en cause l’ensemble des références utilisées pour soutenir l’hypothèse de base. Le succès d’une hypothèse est aussi déterminé par la manière dont elle sera reprise par d’autres articles qui l’infirmeront à l’aide d’autres références ou l’accepteront comme un fait établi, en fonction des besoins des auteurs de ces articles en termes de légitimation de leurs propres hypothèses. : « Le statut d’un énoncé dépend des énoncés ultérieurs qui l’établissent ou l’infirment » . Le succès d’une hypothèse scientifique est donc déterminé par les relations qui se jouent dans le monde scientifique : « la fabrication des faits et des machines est un processus collectif » . Ce succès se traduit par un effacement progressif du contexte de production de cette connaissance, qui une fois établie ne doit plus fournir de références pour être considérée comme véridique. Une connaissance reconnue comme un fait devient alors ce que Bruno Latour qualifie de « boîte noire », elle est assimilée, à l’issue des controverses qu’elle remporte, à une lecture neutre de la nature89 , à un fait qu’il suffit de constater. Et la disparition du contexte de production de la connaissance rend sa remise en question périlleuse. Pour autant, cette complexité du processus de reconnaissance souligne son indépendance à la véracité des hypothèses avancées : ce sont les controverses qui l’entourent et leur issue, et non son caractère véridique, qui détermine le statut d’une hypothèse, qui ne peut devenir fait établi que par la reconnaissance de la majorité des acteurs. Le succès d’une hypothèse scientifique ou d’une machine dépend de la faculté de ses auteurs à convaincre : « Lorsque les choses tiennent, elles commencent à être vraies» est une formulation plus proche de la réalité des processus de production de connaissances scientifiques que la formulation spontanée « Lorsque les choses sont vraies, elles tiennent » . Or la production des connaissances, tout comme la reconnaissance dont elles bénéficient ensuite, est profondément influencée par le contexte dans lequel les acteurs évoluent, sur les plans politique, économique, scientifique ou encore par le statut des acteurs eux‐mêmes. Bruno Latour cite ainsi l’exemple des relations d’autorité dans un laboratoire : en fonction de l’énonciateur, une information peut être perçue comme révolutionnaire ou fruit d’un délire béotien . La recherche au sein d’une entreprise se trouve orientée en fonction de contraintes économiques, de la perception de la concurrence et des besoins des consommateurs, et de la perception par les différents services de l’entreprise de l’utilité du produit visé. Tom West, lors de la conception de l’ordinateur Eagle a dû veiller à satisfaire chaque service de l’entreprise pour obtenir les délais et le soutien nécessaires à l’achèvement de sa recherche . Il y a également des courants dominants dans le monde scientifique qui font que telle recherche est financée au détriment des autres : ces courants traduisent les intérêts sociétaux transposés en priorités de recherche. C’est ainsi que le processus de production de la connaissance scientifique, tout comme le destin d’une théorie, sont dépendants du contexte social des acteurs, des laboratoires dans lesquels ils officient, et de la société dans son ensemble.

Les hommes virils mais démunis

Les recherches en endocrinologie ont été dès le début de leur essor dans les années 1920 moins développées pour les hommes que pour les femmes, à l’exception des recherches à teneur idéologique prononcée mises en place dans l’Allemagne des années 1930. Ces recherches n’avaient pas pour objectif officiel  consultation. Il serait intéressant de s’attacher à comprendre les mécanismes à l’origine de ce moindre engouement pour le préservatif féminin. 233 Brenda Spencer, « La femme sans sexualité et l’homme irresponsable », Actes de la recherche en Sciences Sociales, vol. 128, 1999, pp. 29‐33 l’élaboration d’un contraceptif hormonal, car les techniques anticonceptionnelles étaient interdites dans la plupart des pays occidentaux, dont les gouvernements prenaient en compte des préoccupations démographiques dans leur réglementation des domaines scientifiques et médicaux. C’est l’action de militantes féministes qui a permis le financement des recherches portant sur la pilule contraceptive féminine. Malgré une découverte précoce de l’action hormonale de la testostérone sur la spermatogénèse, aucun contraceptif n’a été développé en parallèle de la pilule contraceptive, faute de mobilisation politique en ce sens. A partir des années 1970, l’Organisation Mondiale de la Santé, sensible aux préoccupations démographiques de la Chine et de l’Inde, ainsi qu’aux revendications féministes pour plus d’égalité dans la gestion reproductive, met en place un programme scientifique visant l’élaboration d’une contraception masculine comparable à la pilule. Mais les difficultés techniques rencontrées, ainsi que les réticences de l’industrie pharmaceutique à exploiter les résultats obtenus n’ont pas permis à ces recherches d’aboutir. Ce développement chaotique et inabouti d’une possible contraception masculine traduit des réticences culturelles à l’encontre de l’idée même de ce produit, du fait notamment de l’importance de la fertilité dans les représentations de la masculinité, en l’absence de désolidarisation entre sexualité et fertilité. Cette absence de contraception masculine est problématique car elle laisse la charge contraceptive incomber aux femmes seulement et les hommes démunis dans le contrôle reproductif, alors même que la possibilité d’établir biologiquement les filiations induit une responsabilisation nouvelle des pères.

L’échec de la pilule masculine

La première publication scientifique sur les effets de la testostérone sur la spermatogénèse est parue en 1939 , dans le cadre de l’essor de l’endocrinologie qui caractérise l’entre‐deux‐guerres et l’après‐guerre. Malgré l’intérêt manifesté pour cette discipline, le développement d’un contraceptif hormonal masculin n’est pas enclenché pour autant : l’absence de réseau de praticiens susceptibles de se mobiliser pour l’élaboration d’un tel produit ainsi que l’absence de mouvements politiques cherchant à convaincre les scientifiques de braver la prohibition visant les contraceptifs mènent à un statu quo en la matière. En 1970, dans le cadre du programme sur la reproduction humaine (Human Reproduction Program), l’Organisation Mondiale de la Santé met en place la Male Task Force, chargée de mener des recherches sur de possibles contraceptifs masculins. L’organisation répond par cette initiative à deux types de pressions externes : celle des militantes féministes d’une part, qui exigent une alternative à la responsabilité exclusivement féminine de la contraception, et celle de pays confrontés à des croissances démographiques importantes d’autre part, la Chine et l’Inde. Ces deux types d’acteurs resteront la motivation principale des recherches menées par l’OMS tout au long du programme ; il est intéressant de noter que les principaux concernés par cette contraception sont restés muets : il n’y a ni mouvement masculiniste exigeant l’augmentation des recours contraceptifs pour les hommes , ni réseau d’andrologues attirant l’attention sur le manque de développement de cette branche de la santé sexuelle. Par ailleurs, la Chine et l’Inde jouent un rôle mobilisateur certain, notamment lorsque l’OMS envisage de mettre fin à la Male Task Force en 1979, qui passe entre autres par la conduite de tests cliniques d’envergure en Chine, à l’initiative de l’Etat, sur plus de 14000 sujets . Le caractère autoritaire du régime chinois, qui parvient à solliciter ces sujets et à mettre en place ces expériences, se révèle essentiel pour aller à l’encontre des sentiers de la dépendance scientifiques, ce qui rappelle le cas de l’Allemagne de l’entre‐deux‐ guerres.
Lorsque l’OMS s’engage sur la voie du développement d’un contraceptif masculin, elle se retrouve face à un vide institutionnel : il lui faut mettre en place un réseau de chercheurs et de laboratoires susceptibles d’attirer des vocations et d’échanger le peu d’informations à disposition. Il n’existe au début des années 1970 qu’un très petit nombre de cliniques dédiées aux hommes et de spécialistes
A l’exception de l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine, et de ses équivalents potentiels dans d’autres pays. L’action d’Ardecom est cependant restée limitée à des engagements individuels en l’absence de succès auprès des institutions susceptibles de la financer et auprès du public. Cf. Cyril Desjeux, « Histoire de la contraception masculine. L’expérience de l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (1979 – 1986) », Politiques sociales et familiales, n°100, 2010 236 Nelly Oudshoorn, The Male Pill.., op. cit., p. 40. Il faut par ailleurs créer les conditions d’approvisionnement en hormones de synthèse qui sont loin d’être aussi nombreuses et disponibles que les hormones de synthèse dites féminines.
Au delà des aspects matériels, il s’agit aussi de dépasser les représentations classiques de la gamétogénèse qui postulent de plus grandes difficultés et une moins grande pertinence à intervenir sur la spermatogénèse. Pourtant, certains scientifiques, comme l’endocrinologue Roy Greep, avancent qu’il est plus logique d’agir sur une gamétogénèse continue, qui dure toute la vie, et qui est le processus déclenchant des grossesses d’un point de vue extérieur, plutôt que sur une production cyclique, constamment changeante et interrompue.

La procréation médicalement assistée : quelle place pour les stérilités masculines ?

Le domaine de l’aide médicale à la procréation (AMP) est en expansion depuis les années 1980. Cette prise en charge médicale des infertilités de couple est reconnue comme un droit, selon les conditions d’accès définies par les autorités publiques. Cette reconnaissance sociale s’explique, selon Dominique Memmi, par la prise en charge médicale des souffrances psychologiques liées aux limites corporelles, et au refus d’accepter « le biologique comme destin » . Le remboursement des interventions d’AMP, pourtant onéreuses , démontre l’importance sociale accordée à la détresse psychologique induite par la stérilité, et plus largement à la fécondité nationale. Mais dans la réalité de l’application des techniques d’AMP se dessine une asymétrie de pratiques forte entre hommes et femmes, qui va potentiellement à l’encontre d’une égalité devant ce droit. Elle concerne les recherches et techniques, qui se sont développées prioritairement autour des femmes, induisant une meilleure connaissance du fonctionnement reproductif féminin et la concentration des interventions médicales sur le corps féminin, au détriment des recherches sur les hommes et des recours en cas d’infertilité masculine ; hommes et femmes n’ont ainsi pas les mêmes chances d’accéder à la parentalité biologique en cas de difficultés à concevoir naturellement. Ce différentiel en termes de connaissances et de recours correspond à des réticences médicales et sociales à prendre en considération la corporéité sexuelle masculine, un mécanisme encore plus prégnant dans le domaine de l’infertilité. Si l’émergence de la technologie de la micro‐injection a permis à partir des années 1990 la paternité biologique d’hommes auparavant considérés comme stériles, elle a renforcé l’asymétrie dans les traitements, les interventions se concentrant sur le corps des femmes, et a nui à la poursuite des recherches sur l’étiologie des infertilités masculines. Cette asymétrie se traduit également dans l’organisation concrète du processus d’AMP, dans lequel hommes et femmes occupent des places différentes.

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Table des matières
Introduction
Première partie : La neutralité de la science à l’épreuve des rapports sociaux de sexes
Chapitre I : La gynécologie : naissance d’une science de la différence
A. Du modèle unisexe à la différence incommensurable
B. Le féminin sexuel et le masculin neutre
Chapitre II : Culture, savoirs et pratiques dans la médecine
A. L’ancrage culturel de la production de savoirs scientifiques
B. L’acteur médical
Chapitre III : Les sentiers de la dépendance
A. Les hormones : une histoire de femmes ?
B. Les « gardiennes du temple de la santé sexuelle et reproductive »
Deuxième partie : Genre et santé sexuelle : les réalités de l’inégalité
Chapitre IV : Genre et contrôle reproductif : le monopole contraceptif
A. La contraception comme responsabilité féminine
B. Les hommes virils mais démunis
Chapitre V : La procréation médicalement assistée : quelle place pour les stérilités masculines ?
A. Les techniques d’Assistance Médicale à la Procréation
B. Hommes et femmes dans les dispositifs d’AMP
Chapitre VI : La santé sexuelle au quotidien : le gynécologue… et tous les autres
A. Des corps différents
B. Socialisation médicale et recours aux soins
Conclusion
Bibliographie indicative
Table des matières
Annexes

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