LA NATURE DE L’INSTITUTION DU PRINCE 

LA NATURE DE L’INSTITUTION DU PRINCE 

Traités pédagogiques, Miroirs du Prince, ou véritables Institutions, la littérature pédagogique connut ses heures de gloire. Cette littérature détient des critères précis et indépendants, qui font des Institutions du Prince un genre à part entière dont les codes sont préétablis.

Le genre de l’Institution du Prince

Les modèles antérieurs

Il ne faut pas croire que les traités de pédagogie apparurent soudainement au XVIème siècle ; l’éducation se trouvait déjà au cœur de la société bien avant. Ainsi il existe plusieurs modèles antérieurs d’écrivains s’étant intéressés de près à l’éducation. En effet, celle-ci constitua un topos inébranlable de siècle en siècle ; les hommes de chaque époque cultivèrent leur souci d’éducation, usant de différentes méthodes, de diverses formes. Dans l’Antiquité, un certain nombre de philosophes et intellectuels se sont intéressés de près à l’éducation. Il en va ainsi de Sénèque, dont l’èthos de praeceptor fut mis à contribution avec l’empereur Néron. Pour faire de lui un « Princeps optimus et iustissimus », il prit comme fil directeur de son éducation la clémence, vertu nécessaire à un Prince. Si Sénèque paraît intéressant en matière d’éducation, c’est aussi parce qu’il utilisa beaucoup l’Histoire dans son programme pédagogique. Dans le De clementia rédigé en  il tente de montrer que le passé doit être mis au profit du présent, et compare ainsi l’empereur à ses prédécesseurs :
Scribere de clementia, Nero Caesar, institui, ut quodam modo speculi uice fungerer et te tibi ostenderem peruenturum ad uoluptatem maximam omnium.
Le terme « speculum » annonce la grande tradition des Miroirs du Prince au Moyen-Âge. Sénèque détient donc la volonté de renvoyer une certaine image au Prince afin que celui-ci
l’imite. Nous reviendrons sur cette notion de miroir plus loin. D’autres auteurs contribuèrent à l’avancée pédagogique de l’époque antique, parmi lesquels Platon et sa conception de l’éducation permettant à l’âme de s’élever vers le Bien, ou Quintilien et son Institution oratoire.
Avec le Moyen-Âge, les bibliothèques et les livres connaissent une inflation importante, ce qui permet un impact sur l’éducation princière : le Prince possède un accès direct aux textes. Les recueils d’Exempla, déjà présents dans l’Antiquité, se renouvellent au Moyen-Âge ; ils sont rattachés à l’éducation et détiennent un fort potentiel didactique, comme nous le verrons plus loin. Cette volonté de pédagogie s’illustre particulièrement dans les traités d’éducation qui fleurissent au Moyen-Âge, faisant grand usage des exempla : ils sont appelés les Miroirs des princes. Ils constituent de véritables traités politiques qui donnent à voir la pensée d’un homme : en effet, le précepteur écrivain n’hésitait pas à faire part de souvenirs ou de réflexions dans ses écrits, ce qui les élèvent au rang de véritables témoignages historiques55. Selon Jacques Krynen, il faut expliquer cette floraison d’écrits pédagogiques par « la nature profondément religieuse des hommes du temps », et par « leur naturel désir de réaliser une éthique idéale » : les Miroirs consistent en des textes certes concrets, mais nourrissent avant tout une espérance de perfection et placent beaucoup d’espoir dans le Prince auquel est dédié l’ouvrage. Ils contiennent une forte volonté d’idéal qui repose sur la figure du futur roi. Apparus dès l’époque carolingienne, les Miroirs du Prince forment à eux seuls un genre à part entière. Nous pouvons citer comme exemples le Songe du Vieil Pèlerin, écrit en 1389 par Philippe de Mézières pour le jeune Charles VI le Fou, et qui « par son caractère extrêmement réaliste et concret » 5parvint à renouveler le genre, ou encore les écrits de Christine de Pisan prônant un roi pacificateur L’abondance des Miroirs au Moyen-Âge60 témoigne de l’intérêt de l’époque pour la littérature d’éducation des princes ; ils se posent en précurseurs des Institutions du Prince du XVIème siècle dont le souci majeur sera l’éducation de l’Homme.

Eduquer au XVIème siècle

Dans la continuité de la redécouverte de l’Antiquité, de l’ouverture sur le Monde, et de l’émergence de l’Humanisme, les hommes de la Renaissance ont appris la transmission. Celle-ci doit obligatoirement passer par une éducation appropriée, en rupture avec la sévérité moyenâgeuse. Ainsi, l’éducation devient un motif dominant et une préoccupation majeure qui se traduit par un besoin réel de former les jeunes gens aux textes. Ces enfants sont empreints d’une responsabilité : leur éducation d’aujourd’hui les formera à devenir les dirigeants de demain. Le problème de l’éducation devient un sujet susceptible d’intéresser tout le monde : religieux, politiques, intellectuels montrent leur intérêt pour cette question, traduisant ainsi ce goût nouveau pour la transmission culturelle61. Afin d’exposer ce topos qu’est l’éducation au XVIème siècle, nous nous appuierons largement sur l’ouvrage d’Eugenio Garin, L’éducation de l’homme moderne.

La rupture avec le monde médiéval

L’éducation scolastique du Moyen-Âge ne correspondait plus au temps du renouveau qu’instaurait la Renaissance. L’école médiévale se donnait pour but l’entendement de la foi ; certes elle lisait les auteurs classiques mais les utilisait à une fin chrétienne, les enfermant dans des conceptions particulières, ne s’intéressant que très peu à l’Homme. Les divinités païennes étaient alors réadaptées : l’éducation médiévale leur fabriquait un èthos chrétien, afin de les transposer dans le cadre religieux de l’époque. Un des premiers à s’élever contre cette éducation qu’il estime vieillie n’est autre que François Rabelais, fervent protecteur de la langue grecque « sans laquelle c’est honte que une personne se die sçavant », s’opposant aux idées de la Sorbonne. Avec Gargantua, il dénonce l’avilissement intellectuel que procure un « enseignement mécanique ». Rabelais, par l’intermédiaire du maître Ponocrate, propose alors un lavement, une purge, pour se libérer de cette scolastique et opérer un renouveau : cette idée deviendra un topos de la Renaissance. La lettre de Garguantua à son fils Pantagruel reste une des preuves les plus marquantes du goût pour l’éducation de la jeune génération, et du rejet de l’ancienne méthode. Rabelais énonce dans ce texte les topoï de l’Humanisme, c’est-à-dire « rupture avec le passé, sentiment d’une harmonieuse synthèse humaine faite de l’esprit et du corps, importance reconnue des classiques, valeur éducative de l’étude des langues ». Pour qu’elle devienne solide, cette éducation doit s’ancrer dans toute l’Europe et doit créer un leitmotiv commun qui fera d’elle une référence absolue.

L’éducation dans la Respublica literaria humaniste

Le lecture des Anciens ne s’avère plus la même qu’au Moyen-Âge : tout est renvoyé
à l’Homme, de sorte que « culture égale formation humaine », dans le sens où les sources anciennes aident à connaître son chemin personnel, son statut d’Homme, sa liberté aussi. C’est le temps de l’Humanisme, né en Italie au XIVème siècle, soucieux d’éveiller en l’homme toutes ses vertus et possibilités intellectuelles . Il s’opère une véritable concentration sur l’Homme et sa nature, de sorte que l’éducation humaniste se présente comme une reconsécration de l’homme, de sa vie dans le monde, dans la cité terrestre, de ses passions, de tout ce qui en lui est charnel, corporel, fruit de la nature.Les studia humanitatis se donnent elles aussi cet objectif humaniste : l’ensemble des disciplines se propose de donner les clés pour découvrir, comprendre, et agir, car « la condition humaine est un état de recherche, d’éternelle activité, et non possession définitive. ». Cette éducation classique est là pour « faire prendre conscience de la communauté humaine dans son évolution et dans son unité. ». Les studia humanitatis créent une Europe soudée, une cité des lettres ouverte à tous, appelée Respublica literaria. Celle-ci se forme grâce à une langue commune, le latin, et à une passion, celle des belles-lettres. Ainsi, mémoire, histoire, culture, donnent à l’homme la possibilité de se forger sa propre pensée, de devenir l’auteur de lui-même. L’éducation humaniste permet justement de « libérer les potentialités naturelles de ces individualités », de permettre à chacun de comprendre son être pour ensuite forger son èthos. Ainsi chez les humanistes de la Renaissance, la philologie est toujours ou presque liée à la pédagogie, en particulier chez Érasme et Budé.

Érasme

Avec Érasme, la Renaissance atteint son apogée en matière d’érudition, de théologie, et de pédagogie. Ses contemporains, mais lui-même avant tout, lui constituèrent l’èthos du « précepteur de l’Europe ».Toutefois, une certaine modestie habite le grand humaniste : il parle ouvertement de son admiration pour certains de ses contemporains et de leur influence sur lui. Il ne cache pas par exemple son engouement pour le modèle d’éducation que l’anglais Thomas More donna à ses enfants, et n’hésite pas à vanter la société anglaise qu’il « juge peut-être la plus cultivée de l’époque. ». Il puise ses sources dans certains auteurs modernes comme Pétrarque, Thomas d’Aquin, Politien, dans les Pères de l’Eglise, et bien sûr dans l’Antiquité gréco-latine. Quintilien apparaît comme sa source première en matière d’éducation, si bien qu’il « s’identifie pratiquement à lui » et « adopte presque toutes les idées. ». Dans son œuvre, nous ressentons le lien entre la pédagogie et la philologie, alliées à la théologie. Érasme a à cœur de restituer les lettres au sein de son entreprise pédagogique car pour lui, elles sont les guides et les pédagogues qui mènent à la vertu. Ainsi, il ne parle pas de
« belles-lettres » mais de « bonnes-lettres » (les bonae literae) car « la véritable culture n’est pas limitée au “beau”, elle est utile pour acquérir “l’honnête” et la vertu. ». La philologie s’avère donc omniprésente dans ses ouvrages pédagogiques, constituant la base de l’évangélisme érasmien. Avec le De pueris, il désire donner le goût des lettres aux enfants dès le plus jeune âge. La finalité se trouve être finalement bien philologique puisque l’enfant n’est perçu que comme celui qu’il deviendra, grâce à la fréquentation quotidienne des textes anciens. Dans le De ratione studii, Érasme propose à son jeune lecteur un plan d’étude, et des conseils pour bien aborder les langues latine et grecque, de sorte qu’il « peut aussi se lire comme un abrégé de la démarche philologique, saisie cette fois dans sa dimension plus technique et replacée dans une perspective historique marquée par le sentiment d’une perte à compenser. ». Enfin le De civilitate morum puerilium met en avant les conduites en société,
« présentées par Érasme comme le fruit de la formation intellectuelle et morale reçue par les enfants ». Ouvrages pédagogiques et réflexions sur la question ont fait de lui le maître de l’éducation chrétienne européenne de la Renaissance. En outre, il a su allier théologie, pédagogie, et philologie, trois entités indépendantes qui résonnent chez lui comme un seul et même objet.

Guillaume Budé

Chez Budé également, pédagogie et philologie sont liées, se confondent même : le fait que le De Philologia et le De studio paraissent en même temps, en octobre 1532, illustre cette relation. Il insiste sur la philologie en tant que « redécouverte de la sagesse antique, considérée comme l’instrument idéal pour notre éducation ». Alors qu’Érasme apparaît autant philologue que pédagogue, Budé se voit davantage comme l’amant de Philologia, et se sert de la pédagogie comme outil pour amener sa maîtresse à la Cour. Une fois présentée au roi, celui-ci pourra alors la dispenser dans tout le Royaume. Ainsi les rêves de Budé d’un Collège de bonae litterae à l’image de celui de Louvain le suivirent toute sa vie. Après moult déceptions, et moult rappels de la promesse de François Ier, notamment dans la préface des Commentarii linguae graecae, Budé voit naître l’Institution des Lecteurs Royaux en 1530. Mais cette institution ne représente pas le Collège rêvé de Budé, et s’avère n’être qu’une façade : les cours sont dispensés seulement dans certains établissements de la faculté des arts, elle ne porte pas le nom de « collège », et les salaires des Lecteurs restent impayés avec un retard de quatre à cinq ans.Malgré ses échecs, Budé ne laissera jamais de côté sa passion et sa volonté : d’amant, il devient avocat avec le De Philologia et le De studio, défenseur de Philologie et réclamant son rayonnement Il sait que l’éducation peut la servir : il comprend rapidement qu’éduquer le nouveau roi dans ce sens pouvait servir sa cause. Ses ouvrages sont alors tous empreints de pédagogie. C’est ainsi qu’il rédigea l’Institution du Prince au début du règne de François Ier, dans la lignée des traités d’éducation qui fleurissent tout au long de la Renaissance.

floraison des traités d’éducation

Dans la continuité du souci d’éduquer et après le succès des Miroirs du Prince, nombre de traités sur l’éducation virent le jour à partir du XVème siècle. Ces traités, communément appelés Institutions du Prince, restaient toujours destinés aux futurs rois, leur prodiguant conseils et exemples historiques. Outre les ouvrages sur l’éducation écrits par des humanistes comme Érasme et Budé, des poètes et intellectuels ont eux aussi participé à l’apport de la littérature pédagogique durant tout le XVIème siècle. Nous ne pouvons que penser à Montaigne, dont les Essais sont empreints de pédagogie, ou encore à Machiavel qui, avec Le Prince, proposa un traité militaire et stratégique. Un peu différent mais toujours dans le même objectif parut le Livre du courtisan en 1528, écrit par un diplomate mantouan, Baldassare Castiglione. Il s’agit surtout d’un traité sur les bonnes manières et l’art de la conversation, prônant la neglegentia diligens  , « souvent considéré comme un manuel d’apprentissage du comportement social dans lequel opère une dialectique entre l’être et le paraître, entre la simulation et la dissimulation. » . Pourtant, Castiglione refuse de catégoriser son œuvre comme un simple traité de paraître et « il introduit une discussion sur l’institutio principis qui implique un élargissement des compétences du courtisan aux contenus de la science politique. ». De même Pierre de Ronsard en 1561 écrivit l’Institution pour l’adolescence du Roy très-chrétien Charles IXe de ce nom, court traité en vers dans lequel l’auteur sollicite le roi Charles IX à s’instruire en mathématiques, en art oratoire, en mythologie. L’auteur lui-même utilise beaucoup cette dernière, invoquant des figures majeures tels Achille, Hector, Hercule, Thésée91.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
LA NATURE DE L’INSTITUTION DU PRINCE 
I. LE GENRE DE L’INSTITUTION DU PRINCE
1) Les modèles antérieurs
2) Eduquer au XVIème siècle
a) La rupture avec le monde médiéval
b) L’éducation dans la Respublica literaria humaniste
c) Érasme
d) Guillaume Budé
e) La floraison des traités d’éducation
3) Les Institutions du Prince au XVIème siècle
a) L’Institutio Principis Christiani d’Érasme
1. La question de la parution
2. Le portrait du Prince idéal
3. L’èthos du précepteur
4. Le programme d’Érasme dans l’Institutio
5. La formation chrétienne
b) L’Institution du Prince de Budé
1. Les différentes éditions
2. Le destinataire
3. La finalité de l’œuvre
II. L’ENJEU DES FIGURES HISTORIQUES DANS L’EDUCATION
1) L’utilisation de l’Histoire antique dans l’éducationau XVIème siècle
a) Les raisons
b) Budé et l’importance de l’Histoire
2) Le rôle de l’exemplum
a) Définition
b) L’aemulatio
c) Le renvoi du miroir
III. ALEXANDRE LE GRAND : UN MYTHE INTEMPOREL
1) Les sources antiques
a) Plutarque
1. Le biographe
2. Alexandre chez Plutarque
3. La redécouverte à la Renaissance
b) Quinte-­‐Curce
c Arrien
d) Autres sources
2) La réception du mythe d’Alexandre à la Renaissance
DEUXIEME PARTIE
ALEXANDRE LE GRAND : UN MODELE POUR L’EDUCATION ?
I. L’EDUCATION D’ALEXANDRE
1) Le précepteur Aristote
2) L’apprentissage
3) Le père spiritue
II. UN ROI MECENE
1) Sur le plan littéraire
a) Suivre les modèles littéraires
b) Alexandre et la mise en mémoire
2) Sur le plan philosophique
a) Le roi philosophe
b) Le roi mécène
c) D’Alexandre le Grand à François Ier : la tentative d’identification
III. ALEXANDRE, UN MODELE SUR LE PLAN MILITAIRE
1) A la recherche de la gloire
a) Jalousie des conquêtes de Philippe de Macédoine
b) Les conquêtes forment la jeunesse
2) Alexandre comme modèle pour ses successeurs
a) L’envie des Césars
b) La révérence de ses ennemis
IV. UN ROI LIBERAL
1) De la générosité
2) Le bon entourage du ro
3) Libéral envers ses ennemis
TROISIEME PARTIE
ALEXANDRE LE GRAND : LE CONTRE-­‐MODELE DU PRINCE CHRETIEN
I. AUX ANTIPODES DE LA CHRETIENTE
1) L’anti-­‐èthos
2) Contraire aux préceptes du Christ
3) Un penchant pour la violence
II. DES DEFAUTS A CONDAMNER
1) Le danger de l’hubris
2) L’oisiveté
3) La haine de la flatterie
III. LA REMISE EN QUESTION DE BUDE 
1) Salomon
2) César
a) La faculté de pardonner
b) Le don de l’éloquence
c) Un homme remarquable
3) Auguste
a) Le mécène
b) Le prudent
c) Le pacificateur
d) Le « Pater Patriae »
4) Pompée
a) La préférence de Budé
b) Un conquérant glorieux
c) Un sénateur modeste et libéral
5) Un panel de modèles pour un seul Prince
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE

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