La naissance de l’éco-conception

Actualité et enjeux prospectifs de l’éco-conception

   L’éco-conception, ou l’approche produit de l’environnement constitue aujourd’hui un thème incontournable des politiques de développement durable des entreprises, et même pour certaines d’entre elles un thème de communication et un champ d’innovation privilégiés (ex. la conception de véhicules hybrides chez Toyota, l’offre de produits durables chez Monoprix, les stratégies d’innovation pour le marché de la Haute qualité environnementale chez Lafarge). L’intérêt croissant pour l’éco-conception depuis les années 1990 s’explique par la recherche de solutions de rupture pour freiner la dégradation continue de nombreux indicateurs environnementaux (croissance de la production des déchets, émissions de CO2, épuisement accéléré des ressources, perte de biodiversité etc.) et pour rendre soutenable l’accélération du développement économique de grands pays comme l’Inde et la Chine. Pour limiter l’épuisement des ressources naturelles et le réchauffement climatique, condition d’un développement durable, certains experts invoquent un facteur 4 voire un facteur 10, soit une réduction par 4 d’ici 2050 et par 10 à l’horizon 2100 des impacts environnementaux de nos activités économiques. Pour atteindre un tel niveau de performance, différentes démarches sont envisageables – « dématérialisation » de l’économie, réutilisation et recyclage des produits, bâtiments à énergie positive, véhicules à très faible consommation, etc. – qui passent, notamment, par la combinaison d’initiatives locales, comme l’éco conception des produits et services, et d’impulsions publiques fortes par le biais d’instruments économiques et de politiques appropriées. A cette aune, la ligne d’horizon de l’éco-conception est l’ « économie de fonctionnalité », fortement dématérialisée, où les services ont remplacé les produits et où la réutilisation et le recyclage des produits et des matériaux dans de nouveaux cycles de production permettent de réduire drastiquement la consommation de matières premières et les émissions de polluants. Or, les conditions de gestion de l’éco-conception est loin d’aller de soi car, d’une part, les résultats sont souvent très en deçà des objectifs visés par les entreprises, d’autre part, les entreprises rencontrent des difficultés à conduire des projets d’éco-innovation qui sortent des trajectoires technologiques existantes (dominant design). Ainsi, se posent de plus en plus la question des conditions de pilotage d’une éco-conception innovante.

L’éco-conception comme rationalisation industrielle historique : lignes de partage et questions

   Mais comment aborder cette rationalisation industrielle de l’éco-conception en train de se faire ? Comment restituer la diversité des problématisations et expérimentations qui la caractérise ainsi que leurs potentiels d’innovation ? L’approche adoptée ici peut se raccorder à ce que Foucault définit dans son texte Qu’est-ce que les lumières comme une « ontologie historique de nous-mêmes » visant à diagnostiquer le présent de manière généalogique, pour dégager de notre contingence historique la possibilité d’autres manières de faire et de penser, et expérimentale « pour saisir les points où le changement est possible et souhaitable » (Foucault, 1984, p. 574-575). Cette approche peut aussi être reliée à ce qu’Hatchuel nomme,dans la lignée de Foucault, une émancipation gérable : « Montrer comment, dans l’action, une nouvelle valeur émancipatrice peut donner lieu à une expérience collective critique et inventive, historiquement située » (Hatchuel, 2005, p. 27). L’approche que nous adoptons peut aussi être qualifiée de prospective du présent (Heurgon, 2008, p. 225-226), visant à « observer des germes de futur » par « une lecture aigüe du présent » dans « un contexte social inédit où se creuse le décalage entre la société (qui manifeste une grande vitalité) et les institutions (qui peinent à se réformer) », ou encore de prospective de l’innovation (Amar, 2010, p. 23-31) c’est-à-dire d’une prospective qui « tienne compte de l’innovation (conceptuelle) comme facteur essentiel de production de l’avenir », démarche passant selon l’auteur par le repérage, l’explicitation et l’analyse des « changements paradigmatiques en train de se produire, permettant de dresser une carte des innovations à venir ». Nous présentons donc ici, dans cette logique de prospective du présent, trois lignes de partage et d’opposition qui nous semblent marquer cette rationalisation de l’éco-conception, et qui nous permettrons de poser une série de questions :
• Une première ligne entre éco-conception réglée et éco-conception innovante en entreprise (d’après Le Masson, Hatchuel et Weil, 2006), la première démarche étant caractérisée par la recherche de nouveaux compromis techniques (ex. en introduisant de nouveaux critères environnementaux en conception avec l’ACV) sans changer l’identité principale des produits, la seconde par des reconfigurations inédites (création de nouveaux marchés, nouveaux systèmes d’usage durables, innovations techniques autant que sociales…).
• Une seconde ligne concerne la différence entre une approche par les stratégies d’acteurs développée par certains travaux de sciences de gestion sur l’environnement, et une approche par les savoirs professionnels (ex. d’ingénieurs et de designers) en soulignant les effets de problématisation et de genèse de nouvelles capacités d’innovation rendus possibles par leurs outils et instruments (d’après Hatchuel et Weil, 1992, Moisdon, 1997, Lascoumes et Le Galès, 2005).
• Enfin, en troisième lieu, une ligne de partage entre deux horizons stratégiques de l’écoconception, celui de l’évaluation environnementale sur les marchés et celui de la transformation de soi. Cette distinction conduit à ne plus raisonner exclusivement dans les termes économiques de l’offre et de la demande (comme dans la Politique intégrée des produits), mais aussi dans les termes issus de l’analyse littéraire de production et de réception d’une œuvre (modèles ou règles de vie, récits, fictions). Cette distinction permet d’aborder les individus autrement que comme des « éco-consommateurs» sur les marchés, mais aussi comme des sujets capables de problématiser et de transformer eux-mêmes leurs styles de vie de manière plus durable.

L’ingénieur conseil en ACV et les limites de la prestation externe

   Les années 1990 voient la naissance des premiers services externes de réalisation d’ACV (des bureaux de conseil, comme Ecobilan en France, ou des universités qui vont rapidement créer des spin-offs comme PE en Allemagne, ou Pré-Consultants aux Pays-Bas, chaque entité développant dès le départ son propre logiciel). A la demande des entreprises, les ingénieurs de ces entités réalisent des études d’ACV sur des produits et services pour éclairer les décisions des entreprises clientes. Pour des produits ou des systèmes spécifiques et complexes, cette modalité de fonctionnement s’avère assez pertinente. Cependant, au milieu des années 1990, des industriels des secteurs manufacturiers (automobile, bâtiment, équipements électriques et électroniques, produits de grande consommation) déplorent le caractère « rigide » des études d’ACV réalisées par des experts externes : durée trop longue des études par rapport au rythme de leurs prises de décision internes, rapports volumineux difficiles à interpréter pour un concepteur, simulations supplémentaires difficiles sans le recours à une nouvelle étude. Dans les entreprises appartenant à ces secteurs, de nombreux projets de nouveaux produits sont en effet réalisés chaque année en parallèle, et elles ne sauraient réaliser autant d’ACV en faisant à chaque fois appel à un expert externe.

La crise du « modèle managérial » d’EIME et ses premières interprétations

   Lors du test de ces outils sur des projets pilotes des cinq entreprises partenaires et dans de nouvelles entreprises, des difficultés imprévues sont alors constatées. En effet, les concepteurs n’adoptent pas l’outil spontanément dans leurs routines de travail, et le logiciel ne rencontre pas l’adhésion escomptée chez d’autres industriels. Chez Ecobilan comme chez les cinq partenaires des explications sont d’abord formulées dans des registres politiques et techniques. Parfois, c’est le manque d’engagement de la direction sur l’éco-conception qui est invoqué : l’absence d’une politique précise, d’objectifs formalisés et de systèmes d’évaluation rendrait en effet l’implication des concepteurs plus incertaine. D’autres fois, c’est l’interfaçage entre les outils d’éco-conception et ceux de CAO qui est mis en avant. Des raisons pertinentes (aujourd’hui en 2011 en voie d’être dépassées par les politiques de développement durable des entreprises et par les logiciels de CAO les plus récents qui intègrent directement des modules d’ACV), mais qui n’étaient pas suffisantes pour expliquer le problème dans son ensemble.

Le choix et le paramétrage de règles d’éco-conception (DFE guidelines)

   Les règles d’éco-conception (ou Design for Environment Guidelines), sont un outil historique de l’éco-conception. Déjà présentes dans le manuel UNEP d’éco-conception (1997), elles ont été reprises dans le nouveau chapitre Design for Environment du manuel de conception de Ulrich et Eppinger, Product Design and Development (dans la 5e édition, 2011). Ces règles présentent un double intérêt : d’une part elles permettent de se poser des questions simples et efficaces sur un produit pour chacune des étapes du cycle de vie (ex. Matériaux, Production, Distribution, Utilisation et fin de vie). D’autre part, comme heuristiques fondées sur l’expérience, ces règles d’action capitalisent et synthétise toute une expérience d’écoconception préalable (ex. choisir des matériaux recyclés, utiliser des énergies renouvelables, utiliser des emballages réutilisables, utiliser des systèmes de contrôle de l’énergie, favoriser la réparabilité des objets…). L’ADEME a notamment diffusé en France le logiciel ECODESGN PILOT qui présente une démarche structurée pour trouver des règles d’éco-conception illustrées, en fonction de ses priorités (ex. « produit intensif en matières premières, en impacts lors de la production, en besoin de transport, en impacts lors de l’utilisation » ou en impact lors de l’élimination »).

Quels enseignements en termes de pilotage de l’éco-conception ?

   Ces trois démarches nous ont permis d’illustrer comment un expert ACV et un concepteur pouvaient coopérer concrètement, et que c’était à travers ce type de coopération que se jouaient les capacités d’éco-conception d’une entreprise. Seul, le concepteur non spécialiste risque de s’égarer, de restreindre ses raisonnements aux informations disponibles dans les bases de données environnementales dont il dispose ou de construire des routines peu innovantes. Au contraire ces coopérations permettent de :
o pouvoir faire une expansion conjointe des savoirs et des concepts, d’une part sur le produit, mais aussi sur le cycle de vie en utilisant l’ACV come un outil d’exploration et de coordination (pour la conception de trade-offs), et ne pas seulement raisonner en termes de substitution de matériaux (un écueil des logiciels d’éco-conception simplifiés).
o pouvoir échanger sur le choix et l’interprétation des règles d’éco-conception, et capitaliser cette expérience (ex. guide d’interprétation, paramétrage)
o pouvoir formuler une liste de problèmes d’éco-conception prioritaire sur un produit. Cette coopération est donc ce qui permet de véritablement rendre opérationnel un management du cycle de vie (Life cycle management) orienté conception, en utilisant l’ACV comme outil d’exploration et d’expansion des connaissances, et pas seulement dans le but de collecter des données. En se situant maintenant dans le cadre d’une entreprise ayant un expert interne en ACV faisant de l’éco-conception réglée, c’est-à-dire de la conception incrémentale sur des objets aux identités stables, on peut souligner qu’une dimension managériale importante sera celle de la capitalisation des  connaissances et de la standardisation des solutions. On peut aussi penser que de nombreuses activités hors projet (en amont) se dérouleront pour préparer des connaissances pour les « correspondants » en éco-conception intervenant en projets (problèmes d’éco-conception par famille de produit, ACV paramétrées, règles d’écoconception adaptées) pour approfondir cette dynamique d’apprentissage croisés. Ainsi, Management du cycle de vie, intervention en projet et capitalisation inter-projets des raisonnements d’éco-conception apparaissent comme deux dimensions managériales importantes pour un système de gestion de l’environnement orienté produit.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
1- Actualité et enjeux prospectifs de l’éco-conception
2- L’éco-conception comme rationalisation industrielle historique : lignes de partage et questions
2.1 Eco-conception réglée et éco-conception innovante : la variété des situations d’écoconception
2.2- Approche par les stratégies et approche par les instruments et les savoirs
2.3 Evaluation environnementale sur les marchés et transformation de soi : deux horizons stratégiques de l’éco-conception
3- Méthodologies de recherche : recherche-intervention, analyses longitudinales, généalogies professionnelles et réflexivité dans l’action professionnelle.
4- Plan de la thèse
PREMIERE PARTIE – L’ECO-CONCETION REGLEE
INTRODUCTION – LE CADRE DE L’ECO-CONCEPTION REGLEE : L’ IDENTITE STABLE DES PRODUITS ET DES CONSOMMATEURS
I. ECHEC DU MODELE DE LA DECISION EN ECO-CONCEPTION REGLEE
Chapitre 1 – Le projet et la crise d’un logiciel d’éco-conception – Récit d’une recherche intervention
II. RAISONNEMENTS ET PILOTAGE : LES NOUVEAUX COMPROMIS COMME OBJETS DE GESTION
Chapitre 2 – Les apprentissages croisés entre expert ACV et concepteur comme capacité d’éco-conception de l’entreprise en conception réglée
Chapitre 3 – La mise en place d’une démarche d’éco-conception des chambres d’hôtel chez Accor (2000-2010)
III. CONSTRUIRE LA VALEUR EN ECO-CONCEPTION REGLEE : ENTRE DISPOSITIFS DE MARCHES (ECOLABELS) ET OPTIMISATION DE SOI
Chapitre 4 : L’écolabel : équipement des marchés verts et compétition par les normes environnementales. Le cas du BAES sur le marché de l’installation électrique français
Chapitre 5 – Les guides des gestes verts et les manuels de la famille durable : un renforcement éthique réglé du consommateur ? Une interprétation à partir du concept de technique de soi de Foucault
CONCLUSION – LE MYTHE RATIONNEL DE L’INGENIEUR ACV
DEUXIEME PARTIE – L’ECO-CONCETION INNOVANTE COMME CHAMP D’INNOVATION DU DEVELOPPEMENT DURABLE
INTRODUCTION DE LA SECONDE PARTIE
I. LES CHAMPS D’INNOVATION DU DEVELOPPEMENT DURABLE
Chapitre 1 – Les champs d’innovation du développement durable : spécificités, objets et questions
II. DESIGNER VERSUS INGENIEUR EN ECO-CONCEPTION : LE MYTHE RATIONNEL DU DESIGNER
Chapitre 2 – Le raisonnement du designer : une nouvelle problématisation professionnelle de l’éco-conception
Chapitre 3 – Le consommateur vert selon le designer : du changement de style de vie à la conception de nouvelles identités narratives (Ricœur)
III . LE SCENARIO DE PROSPECTIVE : SENS ET SCENOGRAPHIE 
Chapitre 4 – Eco-conception et prospective, ou la conception de fictions exploratoires de moyen/long terme comme scénographies de l’innovation en développement durable
CONCLUSION – BIENS COMMUNS, IDENTITES NARRATIVES, FICTIONS EXPLORATOIRES DE MOYEN/ LONG TERME : QUELS ENSEIGNEMENTS POUR LA GESTION DES CHAMPS D’INNOVATION DU DEVELOPPEMENT DURABLE ?
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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