La modélisation énergétique et prospective

La modélisation énergétique et prospective

La prospective, sous sa forme moderne d’anticipation, émerge quasiment simultanément en France et aux États-Unis à la fin de la seconde guerre mondiale, guidée par cette même ambition de construction d’un avenir souhaitable, mais suivant deux orientations différentes(Polère, 2012). Aux Etats-Unis, c’est dans un contexte de structuration des sciences et de la technologie et d’enjeux géostratégiques qu’elle émerge, tout d’abord, avec le rapport de William Ogburn «Commission présidentielle de recherche sur les tendances sociales » en 1933, puis celui sur « les tendances technologiques et la politique gouvernementale » commandé par Franklin Roosevelt (Futuribles, n.d.). Ce n’est cependant qu’en 1947 que la prospective « moderne » prend de l’ampleur après que l’armée de l’air américaine ait financé une étude sur les progrès techniques qui pourraient avoir un intérêt militaire et ait mis en place en 1948 un projet sur les aspects non terrestres des conflits internationaux, nommé projet Rand. La Rand Corporation est alors créée et, à l’instar du Hudson Institute créé plus tard en 1961, développe plusieurs méthodes appliquées actuellement dans les recherches de prospective comme la méthode Delphi et surtout la méthode des scénarios. Parallèlement à ce mouvement, en France, la prospective émerge également. Orientée par des objectifs de planification elle s’appréhende davantage comme la recherche de repenser l’avenir, comprendre la société, envisager son éventail d’évolutions possibles, sur fond de critique de la décision. En 1950, Gaston Berger réinvente le terme de prospective dans son article « Méthode et résultats » (Berger, 1960) où il s’interroge sur la façon de prendre des décisions et de comment regarder l’avenir, l’amenant à formaliser la méthode prospective. La pratique qui en sera issue se diffusera alors dans l’administration française et les grandes entreprises.

« La prospective n’est ni une doctrine, ni un système. Elle est une réflexion sur l’avenir, qui s’applique à en décrire les structures les plus générales et qui voudrait dégager les éléments d’une méthode applicable à notre monde en accélération. […] Elle ne vise pas à satisfaire notre curiosité, mais à rendre nos actes plus efficaces. Elle ne veut pas deviner, mais construire. Ce qu’elle préconise, c’est une « attitude pour l’action. […] Se tourner vers l’avenir, au lieu de regarder le passé n’est donc pas simplement changer de spectacle, c’est passer du « voir » au « faire » ».

La prospective ne prétend donc pas prévoir quoi que ce soit, elle se concentre plutôt sur l’action, elle est liée à une réflexion stratégique qui comprend une vue interdisciplinaire unissant plusieurs domaines scientifiques. Il s’agit donc d’élaborer des scénarios cohérents à moyen-long terme, envisager l’avenir qu’il faut construire et explorer les options permettant d’y arriver. Il s’agit de « savoir dans quelle direction l’on marche et s’assurer de l’endroit où l’on va poser le pied pour le prochain pas » (Berger, 1964). Décrire des futures possibles est l’objectif d’une prospective, ainsi que d’identifier les ressources nécessaires et les changements de tendances à construire pour arriver à l’objectif désiré. Le principal levier de la prospective est de fait la construction de scénarios (Afriat, n.d.) qui permettent d’explorer les avenirs.

Premiers développements des modèles énergétiques et premières applications de prospective 

Les premiers modèles énergétiques ont été développés dans les années 1950, principalement afin d’étudier les systèmes électriques, et notamment leur expansion, l’optimisation des choix d’équipements et d’investissements, ceci afin de satisfaire la demande croissante d’électricité à l’échelle des pays (Bessiere, 1969). Les modèles suivaient plutôt des démarches de planification opérationnelle, la prospective quant à elle commençait à être prise en compte. Nous citons ici par exemple, le cas d’EDF qui, à travers différents modèles de planification opérationnelle ainsi que des modèles de prospective, comme le modèle de « Trois Plans » ou le modèle « Investissement 85 », guide alors sa politique d’investissements et ses choix énergétiques à long terme dans le secteur électrique (Bessiere, 1969). Les modèles énergétiques s’utilisaient aussi pour étudier la consommation d’énergie et d’anticiper la demande future, afin notamment de pouvoir planifier la construction de nouvelles centrales de production d’électricité. La prévision et la prospective se complètent alors dans des travaux exploratoires des systèmes énergétiques. Au début, les études analysant la demande ne se concentraient pas uniquement sur la demande d’énergie qui était intégrée dans la demande de biens et services et était alors considérée comme les autres besoins de la société (Wirl & Szirucsek, 1990). Ces modèles de demande s’appuyaient sur des études d’ingénierie et d’économétrie.

Dans les années 1960 jusqu’au début des années 1970, la croissance économique est forte et conduit à une augmentation de la consommation énergétique. Les énergéticiens, organisations non gouvernementales et décideurs publics se posent alors de nouvelles questions concernant l’évolution et le fonctionnement des systèmes énergétiques de demain. Ils recourent aux modèles énergétiques pour la formulation et l’analyse des politiques et cherchent à construire les systèmes énergétiques de demain (Hoffman, 1976). Ces modèles se concentraient principalement sur l’offre et la demande d’une forme d’énergie ou d’un combustible unique comme l’électricité, le pétrole ou le gaz naturel (Voss, 1984). L’étude des modèles intégrant un seul type d’énergie limitait les analyses et les recommandations des politiques car ces modèles ne prenaient pas en compte l’interaction des différents combustibles pour satisfaire la demande d’un même service énergétique (Ibid).

(Charpentier, 1974, 1975; Charpentier & J.-M. Beaujean, 1976; J.-M. Beaujean & Charpentier, 1978), ont fait une compilation des modèles développés entre 1968 et 1975 (201 modèles au total), avec un résumé des méthodologies déployées et des problèmes abordés. Les modèles recensés dans cette compilation varient considérablement quant à leurs objectifs et problématiques : ils s’intéressent à un large éventail de problèmes pour des zones géographiques de dimensions différentes et emploient une grande diversité de méthodes issues de plusieurs disciplines scientifiques. Parmi ces modèles, il est possible de faire une distinction entre les modèles développés avant et après la crise pétrolière (section 1.1.2). Les études des systèmes énergétiques datant d’avant 1973 se concentraient principalement sur l’offre pour satisfaire la demande d’un seul type d’énergie, notamment celle de l’électricité, du gaz et du pétrole. Les analyses étaient particulièrement axées sur le secteur de la production d’électricité, pour déterminer le bon fonctionnement du système et améliorer sa performance, évaluer les possibles expansions et calculer les rendements des nouvelles technologies de production à des échelles nationales. Jusque-là, dans ces modélisations énergétiques, le problème se situait au niveau national (Kavrakoglu, 1987) car l’énergie constituait davantage une ressource stratégique de l’Etat qui était le garant de la sécurité d’approvisionnement. En outre, peu d’attention étant portée à l’époque aux économies d’énergies à exploiter du côté de la demande, la construction de grandes infrastructures était principalement favorisée (Hulscher, 1980). Quelques premières études portaient sur l’analyse des émissions de polluants atmosphériques produites par les usages énergétiques, notamment pour évaluer les émissions de dioxyde de soufre (SO2) et pour minimiser leur production. Enfin, peu d’études s’intéressaient aux énergies renouvelables en dehors des ressources hydriques qui constituaient la source d’énergie renouvelable la plus prise en compte dans les modèles. On notera cependant parmi les modèles présentés par (Charpentier, 1974, 1975; Charpentier & J.-M. Beaujean, 1976; J.-M. Beaujean & Charpentier, 1978), celui de Kenneth Hoffman de 1972 qui prenait ainsi en compte des ressources renouvelables, solaires,  géothermiques et hydriques, comme des ressources potentielles pour produire de l’électricité, au moment d’analyser la structure optimale du système énergétique des États-Unis à moyen terme. En outre, une première analyse menée en 1971 par G. Tinter, a porté sur l’impact d’une diminution de l’utilisation des produits pétroliers en cas de crise en Autriche et son effet sur l’emploi, mettant en avant qu’une décroissance dans l’usage du pétrole impliquerait une réduction de la production et des salaires (Charpentier, 1974). Ainsi, progressivement la prospective a pris une place significative comme démarche pour l’analyse de l’évolution de systèmes énergétiques.

Dans ces premières études de systèmes énergétiques d’avant 1973, les outils utilisés n’étaient pas vraiment mentionnés, cependant ont pu être repérés ceux utilisés par EDF et les compilations faites par (Charpentier, 1974, 1975; Charpentier & J.-M. Beaujean, 1976; J.-M. Beaujean & Charpentier, 1978) ont conduit à identifier le modèle « T.E.R.A. » développé par « Decision Sciences Corporation » en 1971 pour aider l’évaluation des politiques dans le secteur du gaz dans les États-Unis. Ce modèle appliquait des techniques de simulation et d’économétrie dans une démarche prospective pour analyser l’évolution du système énergétique. En outre, on trouve en 1972 le premier modèle de prospective globale à partir des résultats duquel s’est fondé le rapport « Halte à la croissance » élaboré par (Meadows et al., 1972). Basé sur le modèle « World 3 », ce rapport cherche à discuter les relations entre les activités humaines et le système planétaire et met notamment en avant qu’une croissance continue n’est pas possible dans les conditions actuelles car les ressources seraient alors épuisées. Il faudrait ainsi viser un système économique stationnaire qui ne serait pas basé sur une croissance infinie. Bien que ce rapport ne parle pas spécifiquement de l’énergie, ce travail est un des plus célèbres en prospective, et la place comme une démarche exploratoire qui permet la discussion des possibles trajectoires qu’un système peut suivre, et s’agissant de cette étude, suivant différents facteurs de base qui déterminent et, dans leurs interactions, limitent en fin de compte la croissance sur cette planète : la population, la production agricole, l’épuisement des ressources non renouvelables, la production industrielle et la pollution. Cette analyse marque ainsi les prémisses des études prospectives du développement durable.

Ils ont alors examiné les cinq facteurs de base qui déterminent et, dans leurs interactions, limitent en fin de compte la croissance sur cette planète : la population, la production agricole, l’épuisement des ressources non renouvelables, la production industrielle et la pollution. Ils créent ainsi le modèle « World » et publient le rapport «The Limits to Growth » (Halte à la croissance).

Les crises pétrolières des années 1970 

Le pétrole est un des principaux moteurs de la croissance économique mondiale et sa demande ne cesse de croître. Ses variations de prix ont un impact important sur les économies qui se basent sur cette ressource. Ainsi, un choc pétrolier, qui se définit comme un phénomène de hausses élevées et rapides du prix du pétrole, a une incidence négative sur la croissance économique mondiale et provoque communément une crise pour les pays qui ne produisent pas ou pas assez cette ressource et qui l’importent donc. Les principales causes d’un choc pétrolier sont d’une part le déséquilibre entre l‘offre et la demande et d’autre part les tensions géopolitiques. Ces hausses de prix contribuent alors notamment à l’accroissement de l’inflation et au ralentissement de l’activité économique des pays importateurs de pétrole. Deux chocs pétroliers sont en particuliers survenus au XXe siècle et ont constitué un tournant par les bouleversements qu’ils ont entrainés.

En 1960, l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) est créée pour équilibrer le pouvoir des grandes compagnies pétrolières et augmenter le prix du pétrole. Avant 1970, le prix du baril de pétrole était alors très stable. En 1971, la demande énergétique des Etats-Unis croît rapidement et la production de pétrole arrive à son point maximal, les conduisant à importer du pétrole pour satisfaire leur besoins. La même année le 15 août, en raison de la fuite de capitaux américains vers les marchés européens et de la diminution des réserves en or, le président Richard Nixon annonce unilatéralement la suspension de la convertibilité du dollar en or abandonnant ainsi le système de Bretton Woods, ce qui dévalue immédiatement la devise américaine (Vie Publique, n.d.). Les revenus des pays exportateurs, le Moyen-Orient, chutent alors et ces derniers réagissent en indexant le prix du baril de pétrole au cours de l’or. Il en résulte une hausse du prix du pétrole de $ 1,8 en 1971 à $ 2,5 en 1972, un de prémisses du premier choc pétrolier en 1973 (Stratta, 2016). En effet, le 6 octobre de 1973, la guerre du Kippour éclate au Moyen-Orient entre l’État d’Israël et une coalition d’États Arabes menée par l’Égypte et la Syrie. Les pays membres de l’OPEP décident alors un embargo sur les livraisons de pétrole pour les pays qui soutiennent Israël dans cette guerre (les États-Unis, les Pays-Bas, le Portugal et l’Afrique du Sud). L’OPEP décide de plus de réduire la production de cinq millions de barils par jour, soit de 7% de la production mondiale. En trois mois, le prix du pétrole quadruple passant de $ 11,65 à un pic de $ 18. La hausse des prix se reflète dans l’économie, les coûts de production de nombreux produits sont affectés. L’embargo est levé après cinq mois, le marché se stabilise grâce à l’offre qui redevient rapidement excédentaire (Connaissances des energies, 2011). Les pays développés sont en pleine stagflation : la croissance économique est nulle et est accompagnée d’une forte inflation. Le second choc pétrolier éclate en 1979 à cause de la révolution iranienne et le début de la guerre IranIrak. L’Arabie Saoudite décide de diminuer sa production de 1 million de barils par jour afin de réduire l’offre. C’est le point de départ du second choc pétrolier. La déstabilisation de ces deux grands pays producteurs de pétrole entretient les tensions sur le marché pétrolier au début des années 1980. Le prix du pétrole augmente en raison de la panique qui s’empare du marché tout entier. Le prix du baril passe alors de $ 13 dollars à $ 40 dollars en neuf mois. Ce bref rappel des chocs pétroliers dans l’histoire du XXe siècle nous conduit à regarder les effets négatifs sur les économies et de fait sur les systèmes énergétiques qu’ils ont également affectés. Dans la section suivante, nous allons regarder comment ces contextes économiques ont impacté les études de systèmes énergétiques et comment les modèles et la prospective ont davantage été utilisé pour répondre aux nouveaux enjeux apportés par cette crise pétrolière.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
Chapitre 1 – Les modèles énergétiques : Evolution des enjeux
1.1. La modélisation énergétique et prospective
1.1.1. Premiers développements des modèles énergétiques et premières applications de prospective
1.1.2. Les crises pétrolières des années 1970
1.1.3. La modélisation énergétique après la crise pétrolière de 1970
1.2. La modélisation énergétique et climatique
1.2.1. La montée des enjeux environnementaux
1.2.2. Les négociations onusiennes : focus sur la limitation du changement climatique
1.2.3. La prise en compte des enjeux environnementaux par les modèles énergétiques
1.3. La modélisation des systèmes énergétiques locaux
1.3.1. Une déclinaison des modèles énergétiques à l’échelle locale
1.3.2. L’effet des enjeux climatiques-environnementaux sur l’étude de systèmes énergétiques infranationaux
1.4. Les enjeux de modélisation de prospective actuels
1.5. Conclusion
Chapitre 2 – La gouvernance du secteur énergétique en France : de la centralisation à la déclinaison de la politique énergétique des territoires
2.1. Histoire de la politique énergétique française et de sa territorialisation
2.1.1. La centralisation de la gestion du secteur énergétique français
2.1.2. La décentralisation de la gestion du système énergétique
2.2. La déclinaison territoriale des politiques énergétiques
2.2.1. Premières déclinaisons de la politique énergétique des territoires
2.2.2. Les objectifs énergie-climat des territoires
2.2.3. La transition énergétique au cœur des territoires
2.2.4. Des engagements plus ambitieux en faveur du climat et de l’environnement
2.3. La politique énergétique et d’économie circulaire de la Région SUD PACA
2.4. Conclusion
Chapitre 3 – L’économie circulaire : Principes, Objectifs, Définition
3.1. L’émergence du concept d’économie circulaire
3.1.1. Concepts et disciplines qui ont servi de base à la construction du concept d’économie circulaire
3.1.2. L’apport des différents courants à la construction de l’économie circulaire
3.2. L’intégration de l’économie circulaire dans les politiques environnementales
3.2.1. Les premières politiques associées à la circularité
3.2.2. L’économie circulaire au cœur des politiques environnementales
3.2.3. L’économie circulaire dans le reste du monde
3.3. La recherche scientifique sur l’économie circulaire
3.3.1. Les débuts de la recherche scientifique sur l’économie circulaire
3.3.2. Discussions autour du concept d’économie circulaire
3.3.3. Proposition de définition de l’économie circulaire
3.4 Conclusion
Chapitre 4 – Prospective énergétique SUD PACA
4.1. Le modèle TIMES
4.1.1. Un générateur de modèles bottom-up d’optimisation linéaire
4.1.2. Le système énergétique de référence
4.1.3. Structure mathématique
4.2 Panorama de la région SUD PACA
4.2.1. Contexte énergétique
4.2.2. Le secteur du transport
4.2.3. L’industrie
4.2.4. Le secteur résidentiel
4.2.5. Le secteur tertiaire
4.2.6. L’agriculture
4.2.7. Production
4.3. Un modèle d’aide à la décision développé pour la stratégie de transition énergétique et d’économie circulaire de la région SUD PACA : TIMES SUD PACA
4.3.1. Caractéristiques générales du modèle TIMES SUD PACA
4.2.2. Modélisation du système de demandes de services énergétiques
4.2.3. Modélisation de l’offre
4.2.4. Les potentiels des énergies renouvelables
4.4. Conclusion
CONCLUSION GENERALE

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