LA MODÉLISATION D’ACCOMPAGNEMENT

LA MODÉLISATION D’ACCOMPAGNEMENT

La participation à l’épreuve des faits

Il existe une littérature abondante dénonçant les limites des approches participatives. Nous distinguerons ici trois grandes catégories de limites : les limites intrinsèques, les limites verticales et les limites horizontales. Alors que la première catégorie rassemble les limites internes aux démarches en interrogeant les objectifs qu’elles se fixent et les moyens qu’elles mettent en œuvre pour les atteindre, les deux autres catégories soulignent des limites relatives aux effets des démarches, soulignant les décalages existant entre les objectifs visés et les effets obtenus. Les limites verticales ont trait aux interactions entre les communautés rurales et les institutions situées aux niveaux supérieurs d’organisation sociale et institutionnelle, tandis que les limites horizontales font référence aux interactions entre les différents membres d’une communauté rurale donnée.

Des limites intrinsèques

 Polysémie et ambiguïté du concept de participation

L’une des critiques les plus courantes adressées aux démarches participatives interroge le caractère réellement participatif de ces démarches lorsqu’elles sont mises en œuvre sur le terrain. De nombreux organismes ont adopté le discours et les formes de la participation, mais derrière le vernis de la rhétorique, ni leurs pratiques ni leurs intentions n’ont changé (Pijnenburg, 2004). « La participation s’intègre aisément, de façon mécaniste, dans le processus de développement linéaire » (Cornwall et al., 1999, p. 164). Cooke et Kothari (2001) parlent de cooptation du concept de participation, lequel a été au passage dépossédé de son sens radical et transformatif pour être réadapté aux objectifs d’organismes non disposés à léguer leur pouvoir aux populations locales (Bechstedt, 2005). Dans la pratique, la fascination exercée par les outils de la participation fait oublier aux facilitateurs les principes fondateurs de la participation (D’Aquino, 2002a). Ces derniers continuent d’imposer leur biais, qu’il soit idéologique ou disciplinaire, et leur attitude vis-à-vis des populations locales est encore souvent teintée de condescendance (Pain, 2004).
Mais il semble que le problème ne serait pas résolu pour autant avec des organismes intègres et des animateurs dépourvus de biais (ce qui par ailleurs semble un objectif peu réaliste, nous y reviendrons) car si l’on considère que le plus haut degré de participation (l’auto-mobilisation) est l’objectif à atteindre, le concept de participation présente en luimême un paradoxe. D’Aquino (2002a, p. 18) souligne « l’ambiguïté constitutive du concept de la « participation », qui, par définition, spécifie la présence obligatoire et centrale d’une intervention exogène, à laquelle participent les acteurs locaux ». Comme l’indique Rahnema (1992), « le plus souvent, les gens sont invités ou forcés à participer à des opérations pour lesquelles ils n’ont aucun intérêt, au nom même de la participation »7. Le choix même de la méthode, la participation, est paradoxalement imposé par le haut.

Remise en cause nécessaire de l’objectif de participation maximale

Différentes attitudes sont possibles face à ce paradoxe. Une première consiste à éviter le problème en se retranchant derrière une vision purement utilitariste de la participation qui ne vise pas explicitement un renforcement des capacités des acteurs locaux. Mais ce serait une façon de renoncer définitivement aux ambitions initiales de la participation. À l’opposé, une autre attitude se fixe pour objectif d’atteindre un niveau de participation maximal d’automobilisation et vise donc à terme un effacement des intervenants externes. Mais en prétendant un tel effacement, les animateurs des démarches ne prennent pas la peine d’expliciter leur position, et c’est justement là qu’ils risquent d’imposer inconsciemment leur biais, nous y reviendrons dans la section 1.3. Par ailleurs, comme nous allons le voir dans la section 1.2.3, cet objectif non remis en cause d’une participation maximale de tous les acteurs à tous les stades du processus révèle une analyse insuffisante de la complexité des contextes sociopolitiques locaux et peut conduire à des effets non désirables. Face à ce paradoxe, nous proposons donc d’adopter une troisième attitude qui consiste en une remise en cause de cet objectif de participation maximale et appelle à une redéfinition plus humble, plus critique et plus précise des objectifs sociaux et politiques que se fixent ces démarches. « Finalement, ces réflexions doivent nous inciter à être à la fois plus modestes et plus pragmatiques, dans les ambitions générales, et plus précis, plus rigoureux, dans les objectifs spécifiques d’une intervention concrète ou d’une phase d’enquête ou de diagnostic » (Lavigne-Delville & Mathieu, 2000). L’un des objectifs de cette thèse étant précisément de réfléchir à la posture des concepteurs des démarches participatives, nous reviendrons amplement sur ces questions.
Nous allons dans les sections suivantes analyser les critiques faites aux démarches participatives concernant leurs effets, visés ou secondaires. Mais nous avons vu qu’il existe de nombreuses définitions et surtout de nombreuses pratiques associées au concept de participation. Puisque notre objectif est d’interroger l’objectif consistant à viser le plus haut degré possible de participation, lorsque nous parlerons dans les sections suivantes des démarches participatives, nous nous référerons à celles qui se fixent pour objectif un renforcement des capacités des acteurs des communautés rurales et qui cherchent à atteindre les plus hauts barreaux de l’échelle de participation.

 Des limites verticales

Si de nombreuses expériences ont démontré le potentiel des démarches participatives à renforcer effectivement la capacité des acteurs locaux à gérer durablement leurs ressources (Borrini-Feyerabend et al., 2004), il ne s’agit bien souvent que d’ « îlots de succès » dont les impacts sont limités à la fois dans l’espace et dans le temps (Pretty, 1998, p. 12). Du fait d’un manque d’ancrage dans un contexte institutionnel plus large, ces démarches peinent à dépasser l’échelle d’intervention de la communauté, et leurs effets s’estompent une fois les projets terminés, ces derniers n’étant pas relayés par les institutions en place (Neef, 2005). Par ailleurs, dans les nouveaux contextes marqués par des inter-dépendances croissantes, la plupart des problèmes ne peuvent être résolus à la seule échelle de la communauté, ce qui peut engendrer une frustration de la part des participants qui après s’être engagés dans un processus de réflexion collective sur leurs problèmes n’ont finalement pas les moyens de les résoudre (Neef, 2005). Certains critiques vont plus loin et dénoncent le fait que les acteurs locaux sont consultés pour trouver des solutions aux symptômes de leur marginalisation, et non pas pour modifier en profondeur les causes de cette marginalisation (Bechstedt, 2005). « The emphasis on the micro level of intervention can obscure, and indeed, sustain, broader macro-level inequalities and injustice » (Cooke & Kothari, 2001, p. 14). Les politiques de décentralisation représentent une opportunité d’institutionnaliser la participation et d’intégrer ces différents niveaux décisionnels (préoccupation qui correspond à la notion d’up-scaling en anglais). Mais les tenants des démarches participatives ont eu tendance à négliger les liens avec les institutions décentralisées, se méfiant de toutes les institutions émanant de l’état qui, pour eux, portent par essence en elles les germes de la domination des opprimés (D’Aquino, 2002b). Les démarches participatives ont donc favorisé le travail avec les institutions coutumières (lesquelles ne sont pas toujours ni plus équitables ni plus démocratiques) quant elles ne se sont pas elles-mêmes substituées aux structures existantes (Neef, 2005). Cette dissociation entre les démarches participatives et les administrations issues de la décentralisation a abouti à une situation dans laquelle on trouve d’un côté des démarches participatives et des initiatives communautaires qui manquent de soutien institutionnel pour avoir des impacts concrets et durables, et de l’autre des politiques de décentralisation qui risquent de se solder par une simple déconcentration du pouvoir central en ne produisant que des cadres administratifs vides non nourris par la participation des citoyens. De nombreux auteurs appellent aujourd’hui à la nécessité de concilier participation et décentralisation (Cornwall & Gaventa, 2001; D’Aquino, 2002b; Ribot, 2002).

 Des limites horizontales

Alors que l’une des ambitions affichées de la participation est la réduction des inégalités sociales, le bilan dans ce domaine est loin d’être convainquant. Si dans certains contextes les démarches participatives ont en effet permis une certaine réduction de la pauvreté, elles n’ont que rarement réussi à toucher « les plus pauvres d’entre les pauvres », quand elles n’ont pas elles-mêmes contribué à creuser les écarts de richesse existant initialement (Agrawal & Gupta, 2005; Eversol, 2003). Ce bilan est dû en partie au fait que les causes de ces inégalités sociales se trouvent à des échelles d’intervention plus globales comme nous l’avons vu dans la section 1.2.2, mais également à un manque de prise en compte de la complexité des contextes sociaux dans lesquels les démarches ont été mises en œuvre et à une compréhension initiale insuffisante des mécanismes de différenciation sociale à l’œuvre.

Mythe de la communauté homogène à forte cohésion sociale

Les approches participatives reposent selon Guijt et Shah (1998) sur un mythe, celui de la communauté homogène à forte cohésion sociale. La communauté est ainsi l’interlocutrice privilégiée des démarches participatives, comme si elle représentait un acteur unique avec ses propres intérêts. Or une communauté rurale est composée d’acteurs ayant des moyens, des contraintes, des stratégies et des intérêts hautement différenciés, cette différenciation socioéconomique étant de nos jours accentuée du fait de l’intégration de ces communautés à l’économie de marché. Les communautés sont par ailleurs des entités sociales hiérarchisées dont les membres pèsent inégalement sur les processus de prise de décision collective. Si elles peuvent être le siège d’une certaine solidarité, elles sont également le lieu de conflits et d’inégalités de pouvoir. En considérant les communautés comme des unités sociales homogènes et harmonieuses dont les membres partagent des intérêts communs, les démarches participatives ont voilé les conflits d’intérêts existants, et de ce fait contribué au statu quo et finalement créé un biais favorisant les intérêts des acteurs les plus influents des communautés (Cleaver, 2001; Edmunds & Wollenberg, 2001). De nombreuses études de cas relatent ainsi la façon dont les bénéfices des projets de développement participatifs ou des politiques de décentralisation ont été accaparés par les élites locales (Agrawal & Gupta, 2005; Dupar & Badenoch, 2002; Eversol, 2003; Moity-Maïzi, 2000).

 Mythe de la communication transparente et du consensus

Dans certains cas, les animateurs se contentent pour garantir le caractère participatif d’une démarche de convier à une réunion de projet une personne censée représenter les intérêts de cette communauté. Or il s’agira la plupart du temps d’un membre éduqué de l’élite locale, dont la représentativité est largement contestable (Ribot, 2001). Mais il ne suffit pas non plus de convier les différents membres de cette communauté à une réunion collective pour permettre effectivement aux acteurs les moins influents de se faire entendre. Les approches participatives sont basées sur une idée selon laquelle le rôle du facilitateur est de piloter un processus d’apprentissage collectif entre des acteurs et de les guider vers un consensus. Certains auteurs soulignent les limites de cette démarche, argumentant que la plupart du temps, ce consensus apparent n’est que le reflet de l’opinion des plus influents, soit parce que ces derniers sont les seuls à s’exprimer, soit parce que dans le contexte d’une société hiérarchisée, les acteurs les moins influents n’osent pas remettre en cause une opinion exprimée par les élites locales (Moity-Maïzi, 2000; Wollenberg et al., 2001). On confond alors le point de vue d’une poignée d’acteurs influents avec celui de la population dans son ensemble (Olivier de Sardan, 2000). Certains auteurs soulignent encore qu’étant basées sur des notions de consensus et de cohésion sociale, les démarches participatives se trouvent mal armées pour faire face aux situations coercitives et conflictuelles qui sont finalement davantage la règle que l’exception (Leeuwis, 2000).

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Table des matières

Remerciements
Sommaire
INTRODUCTION
PARTIE 1. POURQUOI S’INTÉRESSER AUX INÉGALITÉS AU SEIN DES COMMUNAUTÉS DANS UNE CONCERTATION INTER-INSTITUTIONNELLE
1 LA PARTICIPATION : ENJEUX, LIMITES ET DÉFIS
1.1 La participation, une notion polysémique en vogue
1.2 La participation à l’épreuve des faits
1.3 Quelle posture adopter face aux dilemmes de la participation ?
2 DÉCENTRALISATION ET PARTICIPATION DANS LES HAUTES TERRES DU NORD DE LA THAÏLANDE
2.1 Les hautes terres du Nord de la Thaïlande : un rôle stratégique
2.2 Évolution du contexte institutionnel de la gestion des ressources
2.3 Les démarches participatives dans les hautes terres : limites et défis.
3 LA MODÉLISATION D’ACCOMPAGNEMENT : FONDEMENTS ET QUESTIONS EN SUSPEND
3.1 Origines de la modélisation d’accompagnement
3.2 Fondements théoriques de la modélisation d’accompagnement
3.3 Les principes de la modélisation d’accompagnement
3.4 Référents géographiques de la démarche ComMod
3.5 Questions en suspend
PARTIE 2 : COMMENT APPRÉHENDER LES INÉGALITÉS AU SEIN DES COMMUNAUTÉS DANS UNE CONCERTATION INTER-INSTITUTIONNELLE ?
4 HYPOTHÈSES DE RECHERCHE ET CADRE CONCEPTUEL MOBILISÉ
4.1 Du questionnement initial à la formulation d’hypothèses de recherche
4.2 Concepts mobilisés pour interroger nos hypothèses de recherche
5 MÉTHODES DE MISE EN ŒUVRE ET D’ANALYSE DES PROCESSUS COMMOD COMMUNES AUX DEUX EXPÉRIENCES
5.1 Choix des deux sites
5.2 Méthode de mise en œuvre de deux processus ComMod
5.3 Méthodes d’analyse réflexive des processus ComMod et de leurs effets
PARTIE 3 : LE CAS DE MAE SALAEP
6 CONTEXTE DE MISE EN ŒUVRE DU PROCESSUS COMMOD À MAE SALAEP : TENSIONS SOCIALES LIÉES À LA GESTION DE L’EAU
6.1 Présentation du contexte de recherche
6.2 Situation initiale concernant le problème de la gestion de l’eau agricole
7 PROCESSUS COMMOD MIS EN ŒUVRE À MAE SALAEP POUR UNE GESTION CONCERTÉE DE L’EAU ENTRE UNE COMMUNAUTÉ AKHA ET SON ADMINISTRATION DE SOUS-DISTRICT
7.1 Objectifs du processus ComMod
7.2 Porteurs de la démarche
7.3 Méthode : le processus ComMod en action
7.4 Outils de simulation utilisés
8 ANALYSE DU PROCESSUS DE CONCERTATION CONDUIT À MAE SALAEP
8.1 Récit du déroulement des évènements
8.2 Analyse du processus en terme d’apprentissage et de concertation
8.3 Bilan sur les jeux de pouvoir dans le processus de concertation
8.4 Les limites de cette expérience
PARTIE 4. LE CAS DE NAN
9 CONTEXTE DE MISE EN ŒUVRE DU PROCESSUS COMMOD À NAN : CONFLIT ENTRE DEUX VILLAGES MIENS ET UN PARC NATIONAL
9.1 Présentation du contexte
9.2 Situation initiale du conflit entre les villages et le parc national
10 PROCESSUS COMMOD MIS EN ŒUVRE POUR FACILITER UNE CONCERTATION ENTRE LES VILLAGES ET LE PARC NATIONAL
10.1 Objectifs du processus ComMod
10.2 Porteurs de la démarche
10.3 Méthode : le processus ComMod en action
11 ANALYSE DU PROCESSUS DE CONCERTATION À NAN
11.1 Analyse des effets du processus ComMod en termes d’apprentissage et de concertation
11.2 Bilan sur les jeux de pouvoir dans le processus de concertation
11.3 Limites de cette expérience
PARTIE 5 : DISCUSSION
12 RETOUR SUR LES TROIS HYPOTHÈSES DE RECHERCHE
12.1 Une posture d’accompagnement critique
12.2 Mise à l’épreuve de cette posture critique à travers nos trois hypothèses
CONCLUSION
Synthèse des apports théoriques et pratiques de la thèse
Esquisse d’une maïeutique critique pour une gestion concertée des ressources renouvelables
Perspectives de recherche
BIBLIOGRAPHIE
Table des sigles et acronymes
Table des figures et tableaux
Table des annexes
Annexe 1. Guides d’entretien utilisés pour l’évaluation des effets des deux processus ComMod
Annexe 2. Supports du jeu de rôles Mae Salaep 3
Annexe 3. Extraits de code du modèle SMA MaeSalaep
Annexe 4. Supports du jeu de rôles générique de Nan
Annexe 5. Extraits de code du modèle SMA NanGame
Annexe 6. Simulations SMA avec le modèle NanGame
Annexe 7. Memorandum Of Understanding signé à la fin du dernier atelier à Nan
Publications au cours de la thèse
Summary

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