La mise en acte du corps : réflexion sur le chemin du psychomotricien dans la thérapie psychomotrice

Depuis mon engagement dans le cursus de formation, il m’a plusieurs fois été demandé ce qu’était la psychomotricité. Mes expériences à la fois d’étudiant durant les travaux dirigés de conscience corporelle, expressivité du corps et relaxation notamment, ainsi que de stagiaire dans diverses structures de soin ont contribué à nourrir ma conception de cette pratique thérapeutique. La psychomotricité s’appuie sur un vaste domaine de compétences, une multitude de champs d’action et de lieux d’exercice. Les différents maîtres de stages qui m’ont accueilli ont tous présenté des particularités dans leurs prises en charge. Chacun a sa texture corporelle, sa manière d’engager la séance et d’entrer en relation avec le patient. J’ai vite compris que donner une définition générale de notre métier s’avérait un exercice à la fois délicat et dangereux. C’est comme si la psychomotricité ne pouvait pas se présenter en dehors de l’action.

La qualité d’exercice propre à chaque thérapeute semble être une étoffe brodée à partir de son parcours personnel, des caractères de sa personnalité et des connaissances théoriques sur lesquelles il s’appuie. Mais n’oublions pas la valeur de l’action ! Dans certaines situations, il m’est arrivé d’agir sans mesurer toute la portée de mon acte, comme instinctivement. Pour autant, ces moments-là ne sont pas des moments d’égarements, des temps perdus qu’il aurait fallu éviter. La qualité relationnelle nourrit la mise en acte. Selon la relation établie avec le patient, le thérapeute va agir et réagir différemment. Chaque séance ouvre sur un jeu nouveau d’ajustement et d’adaptation. Il me semble inconcevable que le psychomotricien puisse prétendre à la maîtrise parfaite de sa prestation soignante à partir du fait qu’il s’engage dans un partage interactif avec le patient, engagé lui aussi. Et si, justement, la puissance thérapeutique d’une prise en charge s’appuyait sur la nature non maîtrisable de ces actes ?

PRESENTATION CLINIQUE : Rencontre et suivi d’Yvan 

Le premier aperçu

Yvan est un jeune homme de douze ans à l’époque où je le rencontre. En passant devant la porte ouverte de la salle d’attente, je l’aperçois pour la première fois. Il est assis les mains posées sur les cuisses, les jambes décroisées, avec les fesses au bord du fauteuil ce qui exacerbe la rondeur de son ventre. Un visage d’enfant, la douceur de la peau encore perceptible, joufflu au point d’avoir les yeux presque semi-fermés. Je me souviens de son regard, porté vers le sol, obscurci par une mine figée sans la moindre apparence de gaieté, qui laissait peine à savoir s’il était contrarié ou si la profondeur de ses pensées n’avalait la source de sa vitalité lumineuse. Il est habillé en jogging gris, avec des baskets noires aux pieds, comme s’il venait faire du sport : peut-être était-il dans un état d’extrême concentration comme un champion avant d’entrer dans l’arène ? À ses côtés se tient sa maman, une petite femme à l’allure rondelette qui papote au téléphone. Elle porte soigneusement son sac à main sur ses genoux, et ses cheveux frisés, son manteau coloré, ses joues maquillées, ses bracelets, ses bagues, sa montre, lui donnent une apparence plutôt coquette, dans un contraste saisissant avec l’allure avachie de son fils. Me vient alors cette image des mères dont l’énergie débordante de projets tire par la main leur progéniture en leur reprochant déjà de devoir tout faire à leur place.

Le cadre de la consultation 

Yvan est né trois semaines avant le terme, par césarienne. Suite à une maltraitance à l’école primaire (le maître l’humiliait devant les autres élèves), il a commencé à faire des crises de boulimie et est devenu encoprétique. Il est suivi par un nutritionniste ainsi que par un gastro-entérologue depuis janvier 2017, mais il cache de la nourriture dans sa chambre et ne parvient pas à gérer ses crises. Les parents se sont séparés en janvier 2017, Yvan vit chez sa maman à Paris 16e , il voit  père une fois par mois environ dans une maison de vacances en Eure-et-Loir. Les liens parentaux ont commencé à se distendre depuis quelques années. Une tension familiale qui a peut-être participé à l’apparition de la boulimie.

Yvan a peu d’amis. Il est actuellement au collège, scolarisé en classe ULIS TSLA (« Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire » pour élèves présentant des « Troubles Spécifiques du Langage et des Apprentissages »). Après avoir redoublé sa 6 e , le voilà en 5e cette année, mais il se montre désintéressé par l’école, affirmant qu’il n’aime pas écrire ni travailler. Il manifeste cependant un intérêt pour les matières scientifiques. La coordinatrice de l’ULIS a demandé un bilan cognitif afin de mieux comprendre son fonctionnement, réalisé début mai 2017. Les résultats au W.I.S.C. IV montrent qu’Yvan est dans la norme de sa tranche d’âge pour chaque échelle d’évaluation : compréhension verbale, raisonnement perceptif, mémoire de travail, vitesse de traitement. Cependant, des scores très hétérogènes en raisonnement perceptif (traitement spatial et intégration visuo-motrice) rendent le QI global incalculable, et éveillent une suspicion de dyspraxie. Aussi, un bilan psychomoteur est prescrit. Ce bilan est effectué fin mai 2017 par Audrey, psychomotricienne en cabinet libéral, dont je serai le stagiaire quelques mois plus tard. Yvan présente un équilibre un peu précaire (sur pointe des pieds, sur un pied, et marche avec polygone de sustentation resserré notamment), ainsi que quelques difficultés dans les automatisations gestuelles globales et dans les dissociations gestuelles, mais il a de bonnes capacités au niveau des différentes praxies (idéatoires et idéomotrices), de sa motricité fine, et de son organisation spatiotemporelle. Audrey remarque des réactions de prestance et tonico-émotionnelles importantes durant la passation, qui n’entravent cependant pas ses capacités. Notons qu’il se montre coopératif et volontaire durant les bilans.

Yvan est pris en charge en psychomotricité avec Audrey, à raison d’une séance de quarante-cinq minutes par semaine. Le projet thérapeutique est centré autour de son image du corps, il semble connaître son corps mais ne l’investit que très peu dans sa relation à l’autre. La psychomotricité, par une richesse d’expériences corporelles et un travail de détente psycho-corporelle, soutient l’élaboration psychique de certaines angoisses sous-jacentes, et pourrait ainsi intervenir dans la gestion des crises de boulimie et de l’encoprésie.

La salle de psychomotricité où Yvan est reçu n’est pas très grande, je dirais un rectangle de quinze mètres de surface environ. La porte d’entrée se situe dans un angle de la pièce. En entrant, on peut longer le mur à droite sans obstacle pour atteindre l’unique fenêtre qui se trouve en face de la porte. Contre le mur, côté fenêtre, est installé le bureau, ainsi qu’un fauteuil confortable qu’Yvan apprécie particulièrement. Un long placard occupe le mur à gauche quand on entre, qui contient tout le matériel : jeux de société, pâtes à modeler, ballons, tapis, poupées, etc. Un petit hall d’entrée relie la salle d’attente et les cabinets de l’ostéopathe, du psychologue et de la psychomotricienne.

Premières séances

Lors des premiers temps, ne connaissant pas la façon de travailler de ma maître de stage, je reste plutôt en retrait, dans l’observation, tout en répondant à ses sollicitations ou celles des patients. En tant que stagiaire, il me semble intéressant de ne pas trop m’avancer en premier lieu afin de voir la place que le sujet souhaiterait me donner dans la séance, la curiosité ou non que je peux susciter chez lui, et comment il adopte ma présence. Pour autant, il ne s’agit pas là de timidité ou de réserve, mais bien de l’accueillir dans une qualité de présence rassurante, qui ouvre des possibilités de relation et d’interaction, en vue de répondre au mieux à ses envies, besoins, invitations ou incitations.

Audrey est au seuil de la salle d’attente, elle raccompagne auprès de sa maman le patient dont la séance vient de s’achever, et invite le suivant à entrer en séance. Je suis alors debout, dans la salle de psychomotricité, prêt à le saluer. Après quelques échanges de courtoisie qui me sont à peine audibles, je vois pour la première fois Yvan arriver en séance. Ses mains rangées dans la poche ventrale de son survêtement, il arbore un large sourire qui occulte à merveille le visage fermé que j’avais aperçu peu de temps avant. Aude nous présente et je tends la main en souriant à mon tour, Yvan se montre ravi de ma présence.

Je remarque rapidement qu’il ne se tient pas droit, son dos a tendance à se courber et il cherche sans arrêt à s’appuyer contre le mur, sur le bureau ou dans le fauteuil. Il renvoie l’image d’un « nounours » face auquel il faudrait user de ruse et de matériels divers pour parvenir à le faire tenir en une position redressée, la mollesse de son corps l’empêchant de s’ériger pleinement. Pendant un premier temps de discussion avec Audrey, où ils échangent sur ce qui s’est passé depuis leur dernière rencontre et son quotidien à l’école, je me place entre les deux protagonistes, afin de former comme un triangle, un rapport équilibré des distances où chacun peut se voir et s’entendre ; je ne veux pas être l’ombre de ma maître de stage ni celle du patient. Yvan est dos posé contre le mur, les mains superposées au niveau des lombaires. J’observe durant l’échange plusieurs mouvements de rebonds, comme s’il se repoussait du mur mais qu’une force irrésistible l’attirait inévitablement vers celui-ci. Des réactions tonicoémotionnelles traduisent une certaine anxiété dans la relation, qu’il disperse derrière des propos animés de plaisanteries et sourires en quête de complicité rassurante. Yvan m’interpelle plusieurs fois indirectement, ma présence l’interroge mais sa curiosité se tourne vers Audrey, elle lui rappelle qu’il peut aussi s’adresser directement à moi. Je réponds en m’adressant au jeune, ce qui l’incite à en faire autant. Je commence alors à exister dans la séance en tant que Pierrick et me détache du nom de « stagiaire », je sors de l’ombre d’Audrey. Yvan se montre très curieux, et lorsqu’il interroge ma vie privée je prends soin de répondre sans répondre : je lui renvoie la question ou j’use de cette formule : « À ton avis ? », invitant l’imaginaire à la discussion. Il m’est arrivé, devant ses insistances, de lui expliquer simplement que cela ne le concernait pas et que je tenais à ne pas lui révéler ma vie personnelle. Je marque ainsi une certaine distanciation : Yvan comprend que je ne suis pas son ami mais un élément de son cadre thérapeutique. Il évoque soudainement une crainte de casser le mur. Effectivement, il s’agit d’un mur de fine épaisseur qui peut faire ressentir une légère déformation lorsqu’on s’appuie fortement dessus. Audrey se montre rassurante et explique que le mur peut supporter bien plus que ça. Une fois sur ses propres appuis, Yvan se dirige vers le placard pour prendre une petite boîte métallique et en sortir une étrange pâte bleue. Il est appuyé sur le bureau, après avoir précisé qu’il espérait que celui-ci ne casserait pas, et il malaxe la matière caoutchouteuse. Il éprouve un vif intérêt pour cette pâte, qu’il comprime dans le poing, relâche, admire la forme et les empreintes qu’elle retient, et malaxe encore pour en refaire une boule, puis comprime encore, etc. Je me lasse vite de le voir répéter en boucle sa séquence gestuelle. Il me rappelle les agrippements à une stimulation sensorielle que l’on observe fréquemment dans l’autisme, pourtant Yvan n’est pas autiste. J’essaye de l’inviter à varier ses productions, en demandant ce qu’il saurait modeler, représenter avec cette matière. Mais il continue à reproduire les mêmes empreintes internes de sa main et m’explique que cela pourrait être une poignée de moto, que les motards auraient besoin d’une poignée à la forme de leur main pour mieux maîtriser leur véhicule. Je note l’effort d’imagination, qui reste limité cependant.

Ma maître de stage lui présente deux bacs contenant chacun un sable cinétique (une matière chimique particulière composée à 99% de sablon, qui lui confère une certaine cohésion mais pas suffisamment pour préserver une forme), l’un de couleur rose et l’autre de couleur verte à la consistance légèrement plus meuble. Yvan est alors debout au bureau et découvre ce nouveau matériau. Il passe son temps à malaxer le sable, compare le rose et le vert, en engouffrant ses mains dans les bacs sans la moindre appréhension. Ses yeux brillaient, des rires surprenants criaient sa jubilation et ses mains s’affairaient à dévorer le contenu dans un ressac sans fin, comme un pirate avare savourerait le trésor recherché toute sa vie durant. Il retourne ensuite le bac de matière verte sur une planche qu’Audrey avait précautionneusement déposé là, puis demande une fourchette et un couteau pour découper le pâté de sable en tranches. Yvan associe des idées gastronomiques, et parle de nourriture tout en répétant l’alternance de la découpe et de l’agglutinement. La séance se déroule ainsi, rien ne s’engage corporellement d’autre que ces gestes répétés avec la matière malléable. J’essaye de m’intéresser à son activité, j’aimerais l’aider à élaborer ce qui se joue là pour lui. Je questionne ses productions, et progressivement le jeune parle de diverses choses, sans toutefois abandonner son lien avec le sable. J’ai l’impression qu’il se présente à moi à travers ça, comme si son agrippement lui permettait de se recentrer et de mieux gérer sa relation avec l’autre. Il semble très intéressé par la science, la physique notamment, nous parlons de diverses matières ou objets scientifiques. Il rationalise beaucoup et l’imaginaire a peu de place.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. PRESENTATION CLINIQUE : Rencontre et suivi d’Yvan
1. Le premier aperçu
2. Le cadre de la consultation
3. Premières séances
4. L’apport du Qi-Gong
5. Du Qi-Gong à la lutte
6. De la lutte à la relaxation
II. ÉLÉMENTS THÉORIQUES FONDAMENTAUX
1. Du processus d’individuation
2. Du rapport entre corps et esprit, entre acte et pensée.
3. De l’espace, le lien entre le patient et le thérapeute
4. Des processus d’interactions adaptatives
5. De l’importance du cadre thérapeutique
III. DISCUSSION
1. Expériences cliniques mémorables
2. Axes de soin et émergence d’hypothèses cliniques
♦ La thérapie psychomotrice : intrication entre jeu symbolique et mise en
acte du corps
♦ Le soignant et le patient : faire place aux deux sujets
o Co-construction et plaisir partagé
o Continuité et solidité
3. Le thérapeute en thérapie psychomotrice
♦ La posture du psychomotricien en tant que thérapeute
o Éléments préalables
o La capacité d’écoute et mise en acte ajusté
♦ Cheminement et construction du thérapeute
o La formation au Diplôme d’État
o Les expériences personnelles : du temps à soi, du temps pour soi.
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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