La migration des silences (Bulgarie-France)

Cette recherche se propose d’examiner la transmission des silences et des non-dits au sein de familles dont un membre est issu de la migration de la Bulgarie communiste.

À travers les histoires familiales, des silences et des non-dits sont légués par une génération élevée dans la censure et l’autocensure d’un régime totalitaire. Ce père ou cette mère ayant grandi dans le silence forcé de l’Histoire, renvoie à ses enfants, à travers notamment des récits de vie, bien plus que des mots et des paroles. Les premières questions de recherche se sont élaborées à partir de ce constat : quels effets ces histoires produisent-elles sur la seconde génération née en France ? Comment ces enfants ayant grandi au cœur de ce double bind perçoivent-ils les histoires de leurs parents ? Ces effets peuvent-ils transformer le poids d’un héritage marqué par le refoulement en une quête personnelle ?

Du 9 septembre 1944 au 10 novembre 1989, la Bulgarie était sous un régime totalitaire communiste. A l’intérieur de ce parti unique, la terreur de la dénonciation régnait entre les personnes, mais aussi dans certaines familles. Un silence s’est installé pendant plusieurs décennies entre les générations, et la peur, la censure et l’autocensure ont empêché la transmission orale des histoires familiales. Parmi ces enfants ayant grandi dans les non-dits imposés par un régime totalitaire, certains sont partis en exil de l’autre côté du mur de fer. Sans passé matériel, du fait de leur départ complexe du bloc de l’Est, et en manque de liens familiaux, ces hommes et ces femmes se sont construit une nouvelle vie à l’Ouest. Arrivés en France avant 1989, ces exilés ont emmené avec eux, à défaut de biens matériels, des peurs retransmises malgré eux à leurs enfants. Les mariages souvent mixtes n’ont rien changé à cette constitution d’une mémoire trouée, volontairement refoulée, de l’enfance à l’Est.

De la grande à la petite Histoire 

Contexte historique et social de la Bulgarie communiste

Avant de rendre compte de la place du silence comme stratégie dans l’idéologie communiste, il semble important de restituer le contexte historique et social de la Bulgarie dans sa période communiste, période qui a marqué par la suite une micro-histoire en construction contre un silence imposé.

Du 9 septembre 1944 au 10 novembre 1989, la Bulgarie était sous la coupe d’un régime totalitaire communiste. Plusieurs perspectives d’analyse rendent compte de ces 45 années d’histoire bulgare. Elles apparaissent le plus souvent dans les livres d’histoires comme un tout, une unité temporelle où ce satellite de l’URSS agissait à l’unisson avec son grand frère de l’Est. Mais la période communiste peut aussi être analysée dans une perspective différente que celle d’un bloc monolithique. Elle se composerait ainsi de plusieurs périodes plus ou moins restrictives . Ce qui ne varie pas pourtant dans ces différents travaux et recherches historiques, c’est l’utilisation du silence comme rouage au bon maintien du fonctionnement du système.

Selon Bernard Lory , les différentes phases de l’histoire communiste bulgare pourraient se découper par décennie :

Dans les années 40, une mainmise progressive du parti communiste bulgare s’est mise en place : le 9 septembre 1944, l’armée soviétique pénétrait en Bulgarie et un coup d’Etat perpétré par la force politique « le Front de la Patrie » (Otetchectven Front) est orchestré. Dans cette coalition, les communistes se sont octroyés uniquement 4 ministères, dont celui de l’intérieur et de la justice, et c’est justement par ces pouvoirs qu’ils vont agir sur la société. Au fur et à mesure, et de manière subtile et discrète, les communistes se sont arrangés pour avoir les postes les plus importants. Peu à peu, la dictature est instaurée. S’ensuit une période de répression, d’arrestations, de condamnations à mort. Un tribunal populaire est mis en place dès décembre 1944, il fonctionnera jusqu’en avril 1945. La justice est appliquée de manière expéditive et brutale, à l’image de son peloton d’exécution. Durant cette courte période, 11 024 personnes sont jugées, dont 9 191 condamnées, 2 730 condamnées à mort et 1 305 à perpétuité.

En janvier 1945, le parti communiste, appelé à ce moment « le Parti Ouvrier », comptait 254 000 membres. Dès l’automne 1944, le Parti Ouvrier fit de gros efforts pour recruter des adhérents, et fin 1948, 500 000 membres étaient inscrits. La prise de pouvoir est facilitée par la présence de l’Armée rouge en Bulgarie, et également, par le fait que l’opposition politique est très divisée. A l’intérieur du Front de la Patrie, les alliés n’ont pas une politique claire pour imposer leur vision au parti communiste.

Le 15 septembre 1946, la République Populaire de Bulgarie est proclamée. Un nouveau gouvernement est formé avec comme Premier ministre, une figure va marquer l’histoire de la Bulgarie : Georgi Dimitrov. Cet ancien typographe est le bulgare le plus connu dans les années 30 . Très proche de Staline, il est de 1935 à 1943 Secrétaire Général du Komintern à Moscou. Puis après 22 ans d’absence, il revient en Bulgarie en automne 1945 la veille des élections  législatives. Il meurt le 2 juillet 1949 à Moscou et un mausolée dans le centre de Sofia est construit en 6 jours, cette construction servit de prototype pour l’édification de celui de Staline.

La stratégie du silence dans l’idéologie communiste

Pourquoi est-il pertinent de lier l’histoire communiste bulgare avec les notions de parole et de silence ? Malgré toutes ces différentes phases subsiste un réel nœud autour de la parole et du silence, autour de la censure instaurée au départ et de l’autocensure qui a pris le dessus et s’impose à l’individu par lui-même. En même temps, le système communiste s’est maintenu en se remettant en cause et ce sans toucher à la doctrine, à l’idéologie de départ qui était instaurée, et en formatant les convictions que le peuple doit avoir.

Dans un premier temps je m’intéresserai à la stratégie du silence dans l’idéologie communiste. Comment à l’intérieur d’un système totalitaire, la parole et les silences ont forgé les rouages d’une stratégie du maintien de la répression, de la peur, de la censure et de l’autocensure.

Tout d’abord je demanderai quelle place la parole et les silences ont pu avoir sur la construction d’un système totalitaire tel que l’idéologie communiste.

C’est en me rendant au Cambodge en décembre 2013 que m’est venue l’idée que le silence faisait partie de la machine de l’idéologie communiste, comme une stratégie liée à la notion de peur, mais aussi comme un élément indispensable pour maintenir une telle pression si longtemps. Je discutais avec un ami cambodgien de la période des Khmers rouges et du parti communiste de Kampuchea. A partir d’avril 1975 lorsque l’armée de Pol Pot et les Khmers rouges envahissent Phnom Penh, s’installe au Cambodge un régime autoritaire maoïste. L’organisation des Khmers rouges applique une politique plus extrémiste encore que celle des soviétiques et des maoïstes, visant notamment à purifier le pays de la civilisation urbaine et bourgeoise. Mon ami Martel me disait que dans sa famille on ne parlait plus, que la communication avait été rompue pendant des années. Le silence était devenu un moyen de défense, de protection contre le régime qui s’était infiltré partout et même au plus près, dans les familles. N’importe qui dans la famille pouvait être un espion, un traître ou membre du parti. De cette confusion régnant au sein des familles, une des armes pour se défendre face à l’autre ou défendre les siens était le silence.

L’idéologie communiste 

C’est chez Karl Marx, fondateur du mouvement communiste, que l’on trouve les principaux ingrédients de la doctrine, tant économiques que sociaux. Selon Todorov, l’importance de l’idéologie est souvent sous-estimée dans une société totalitaire où les slogans et la langue de bois semblent sans le moindre rapport avec la vie réelle. Cependant, certains domaines sont bien régis par des principes qui en sont dérivés, comme la vie économique. « Mais surtout, le recours à la doctrine est indispensable en tant qu’évocation rituelle. Les pays totalitaires sont peut-être soumis au pouvoir d’une personne ou à celui d’une caste, mais ce pouvoir ne doit jamais s’avouer tel, sous peine de disparaître. La référence idéologique est comme une coquille vide ; mais sans la coquille l’Etat ne tient plus. » (ibid. : 15) .

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I – CONTEXTUALISATION DE L’ETUDE
Chapitre 1 : De la grande à la petite Histoire
1. Contexte historique et social de la Bulgarie communiste
2. La stratégie du silence dans l’idéologie communiste
3. Des microhistoires silencieuses
Chapitre 2 : Présentation du terrain de recherche
1. Posture adoptée
2. La famille Inalco : trois ans d’observation participante
3. Les entretiens
Chapitre 3 : Présentation des familles
1. Al et sa famille
2. Alex et sa famille
3. Anna et sa famille
4. Caroline et sa famille
5. Elizabeth et sa famille
6. Inana et sa famille
7. Nicole et sa famille
8. Arnaud et sa famille
9. Cyril et sa famille
10. Nicolas R. et sa famille
11. Nicolas Y. et sa famille
12. Sylvie et sa famille
PARTIE II – LA POLYSEMIE DES SILENCES
Chapitre 4 : Le vécu du silence des parents
1. Mettre en mots la période silencieuse communiste
2. La nécessité du silence ?
3. Parler de choses qui ne devaient pas être dites
4. Une réflexivité sur la période communiste
5. La temporalité
Chapitre 5 : L’invention dans le récit de vie
1. Un vide générationnel dans les histoires de familles
2. Le silence, un moteur pour créer et inventer une nouvelle parole
3. Mise en scène de soi dans les récits de vie
4. Une réinvention de soi ?
Chapitre 6 : La répétition d’un récit figé
1. Les récits figés
2. Faire table rase du passé
3. Le rapport à l’histoire et au pays
4. Ne pas déranger le présent
PARTIE III – LES EFFETS DU SILENCE SUR LES ENFANTS
Chapitre 7 : Le rapport au récit de vie parental
1. Le passé des parents mythifié
2. Les manques dans l’histoire
3. Une histoire écrasante
Chapitre 8 : Mise à distance du mythe parental
1. Comment le silence est-il énoncé par les enfants ?
2. Mise en doute des récits parentaux
Chapitre 9 : Le non passage à l’acte
1. Un patrimoine matériel
2. Les photos comme preuves du passé
3. Des lettres laissées en héritage
4. Une envie de croire ensemble
PARTIE IV – LA TRANSMISSION DU SILENCE AU-DELA DE LA PAROLE
Chapitre 10 : Un héritage oral et extra-oral
1. Les confins du vouloir dire
2. Perception au-delà de la parole
3. Les autres modalités cachées par la suprématie de la parole
Chapitre 11 : Stratégies individuelles face aux silences parentaux
1. L’idée du traumatisme comme allant de soi
2. Stratégies individuelles au sein des unités familiales
3. Les bougés dans la relation parent/enfant
Chapitre 12 : Une recherche de la bulgarité
1. Noms et prénoms portés
2. Une culture imaginée
3. Le « goût bulgare »
CONCLUSION

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