La métaphysique en tant que oubli de l’être

La métaphysique en tant qu’histoire de l’oubli de l’être 

Que fait la métaphysique ? À cette question, Heidegger répondra en estimant que la métaphysique questionne l’être, mais comprend par là l’étant dans son ensemble. La question fondamentale de la métaphysique est celle de l’être. En lieu et place de questionner l’être en tant qu’être, la métaphysique interroge l’étant. Elle laisse de côté la question directrice, celle de l’être pour s’attacher à l’être de l’étant. Plus encore, « la métaphysique interroge l’étant en tant qu’étant, elle s’en tient, à l’étant et ne se tourne pas vers l’être en tant qu’être.» Autrement dit, la métaphysique ne pose pas en sa teneur phénoménologique la question essentielle de l’être, elle ne fait que se tourner et représenter seulement l’étant en tant qu’étant. « La question de l’être comprise comme la question métaphysique sur l’étant ne questionne précisément pas thématiquement vers l’être. Celui-ci reste oublié.» Ce qui signifie que la métaphysique ne pense pas l’être en son essence mais l’être de l’étant. Aux yeux de Heidegger, questionner l’être signifie d’après l’interprétation courante : questionner sur l’étant comme tel. Ainsi, la métaphysique, aurait « oublié » depuis Platon jusqu’à Nietzsche, la question de l’être, entendons l’étonnement face au mystère de notre être et de l’être tout court, au profit d’une pensée plus calculante vouée à l’explication sans cesse de l’étant. Cette période allant de Platon jusqu’à Nietzsche est perçue par Heidegger comme une histoire de l’être et de la métaphysique. Chaque époque de cette histoire de la métaphysique correspond, en effet, à un mode particulier de donation ou plutôt d’occultation de l’être et est dominée par un concept particulier de la vérité. Du reste, ces époques ne s’enchaînent pas les unes aux autres à la manière hégélienne mais forment, comme le dit Martin Heidegger lui même, « une suite libre ». Cette « suite libre » constitue paradoxalement la consolidation de la pensée oublieuse de l’être. Car elle forme un tout uni avec en toile de fond l’oubli de la question de l’être.

Les Grecs 

Platon est la figure emblématique de cette première époque de l’oubli de l’être. Il est suivi de son élève Aristote ou le Stagirite. Si Heidegger fait de Platon le commencement d’une période dite de l’oubli de l’être, c’est tout simplement parce que sa pensée est le théâtre de toutes les mutations et le lieu de toutes les inventions. Ce qui revient à dire en toute clarté que Platon est, pour l’ensemble de la tradition, le prototype du philosophe, et a marqué de son empreinte toute l’histoire de la pensée occidentale : « Toute la philosophie occidentale, dit Heidegger, est du platonisme. Métaphysique, idéalisme, platonisme, signifient la même chose par essence. Et ils restent la règle même là où des oppositions ou des contre-courants se font valoir » .

Dit autrement, le platonisme en tant que théorie philosophique selon laquelle il existe des entités intelligibles en soi, dont le contenu est indépendant de la contingence de l’expérience sensible traverse toute la réflexion philosophique occidentale. Les divers courants de cette pensée occidentale que sont la métaphysique, l’idéalisme, le platonisme renvoient dans le fond à la même réalité. Dans le champ de cette réflexion, l’absence de règle fait défaut. L’instauration d’une convention apparaît comme nécessaire pour gérer les divergences d’approche et de point de vue. Dans sa théorie de la connaissance, Platon distingue le monde sensible du monde des idées. Par cette distinction, Platon inaugure de façon significative la manière prévalente de se présenter les rapports de l’être et de l’étant et met en place l’armature de toute métaphysique. C’est pourquoi Heidegger dira dans Qu’appelle-t-on penser :

« C’est Platon qui donne l’interprétation déterminante pour la pensée occidentale. Il dit qu’entre l’étant et l’être, il y a le chorismos (χωρίσµός) ; et khora (χωρα) signifie endroit. Platon veut dire que l’étant et l’être sont en des endroits différents.» .

Ici, Platon établit une différence entre l’être et l’étant. L’être n’est pas l’étant et vice versa. En procédant ainsi, Platon n’instaure-t-il pas une césure, une faille entre l’être et l’étant ? Cette césure qui en réalité, est de la distinction entre l’être et le non-être (l’un et l’autre), ou mieux encore l’introduction de la différence et de la relation dans l’être, n’est-elle pas à l’origine du Parricide de Platon envers Parménide ? Car pour Parménide, l’être est le même, immuable, identique, clôturé sur lui-même et hostile à la différence. En refusant l’identification parménidienne de l’être à l’un, Platon montre que l’être se dit plusieurs : l’être est le multiple. Ainsi, l’un de Parménide cède-t-il le pas au multiple avec Platon.

Avec Platon, coexistent, l’un et l’autre, l’être et le non-être ou étant. Aussi est-il le premier à prédiquer l’être dans son attributivité. Du Théétète au Sophiste en passant par les dialogues qui traitent du problème des formes en soi, il apparaît toujours que l’être se pense en étroite dépendance avec l’être en soi. Au fond, Platon recommande que la conquête de l’être se fasse en ayant les yeux fixés sur les principes fondamentaux qui aident à la détermination de l’être. Autrement dit, chez Platon, la conquête de l’être ne doit pas s’effectuer les yeux fixés sur le langage, mais sur les Idées. Pour l’auteur de la République, la connaissance vraie n’existe qu’au niveau des Idées. À vrai dire, l’objectif de Platon est d’aller au-delà de ce qui s’offre à nous comme phénomène pour retrouver ce qui fonde les choses et qui gisant au fond de toute chose.

Dès lors, avec Platon, l’être ne se trouve pas dans la chose présente, mais au-delà, dans l’Idée, qui n’est pas une représentation subjective mais l’aspect ou le visage intelligible de la chose elle-même. Dans cette opposition de l’Idée et de la chose, de l’être et de l’étant, l’être comme tel demeure manquant, puisque l’être en tant qu’Idée (είδος, ίδέά : eidos, idéa) est fondamentalement référée à l’étant, en tant qu’essence de celui-ci. L’être en tant qu’Idée est l’étant véritable, l’étant proprement dit (όντως όν: ontos on) et non pas l’être en tant qu’être.

En affirmant que l’être se dit autrement, (c’est-dire peut être décliné en plusieurs sens ou significations) Platon a certes fondé le jugement attributif qui est le problème fondamental de la question de l’être, mais pour le Stagirite, la réponse que propose Platon est insuffisante et de plus elle relève des métaphores poétiques. Pour Aristote, la solution platonicienne ne prend pas en considération le problème du lien qui existe entre l’être et le langage. Dit autrement, le rapport entre l’être et le langage n’est pas pris en compte par Platon dans sa tentative de solution à la problématique du dire de l’être. Par conséquent, ce rapport doit être mis en relief. Il s’agira alors pour nous d’en rendre compte et d’en dévoiler le sens. Dans la perspective aristotélicienne, l’être n’est être que dans l’ultime rapport qui le lie au langage et c’est ce langage qui l’institue multiplement dit (plusieurs fois dit et pour Aristote, les anciens ne l’ont pas perçu). Au fond, l’être s’impose à nous dans le dire et telle est sa caractéristique essentielle. En d’autres termes, l’essentiel de l’être, c’est d’être dit et de l’être de plusieurs manières, c’est-à-dire être signifié plusieurs fois (pollakos legonenon).

Si l’être se dit de plusieurs manières alors l’être est plurivoque. De cette plurivocité, Aristote fait habiter l’essence de l’être dans l’expression grecque de ένέργεία (énergéia : acte). Ce mot, qui est le fondamental de la pensée d’Aristote ne doit pas être interprété  rétrospectivement à la lumière du concept moderne d’« énergie », mais signifie, conformément au sens du mot έρον (épon : œuvre) en grec « la présence se tenant dans le non-occulté de ce qui est établi, posé là et mis debout » . Ce qui signifie que pour Aristote, l’être se trouve dans l’ « actualité » de la chose présente et non dans une idée transcendante. En trouvant l’être dans l’« actualité » de la chose présente et non dans une idée transcendante, « Aristote, dit Heidegger, pense davantage dans le sens grec, c’est-à-dire plus conformément à l’essence initiale de l’être que ne le fait Platon » .

En scrutant de près la métaphysique du Stagirite, nous constatons qu’elle fait figure, sous maints rapports essentiels, d’une sorte de retour, par delà Platon, aux expériences originelles qui ont donné naissance à la première pensée grecque, et c’est probablement ce qui explique la place importante que Heidegger lui a accordée dans son œuvre. Mais ce réalisme constant ne doit pas être mésinterprété, car à vrai dire il ne s’entend pas comme nous l’entendons. Ce réalisme constant ne signifie nullement que Aristote aurait conquis l’essence authentique de l’être mais au contraire qu’il est resté enfermé dans le ‘‘champ grammaticosémantique’’ laissé par son maître Platon, car son interprétation de l’être se déploie malgré tout dans le cadre conceptuel tracé par ce dernier.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : LE REVEIL DE LA QUESTION DE L’ETRE
Introduction partielle
Chapitre premier : La métaphysique en tant que oubli de l’être
1. Les Grecs
2. Les Romains
3. Les Temps modernes
Chapitre II : Le retour aux Grecs
1. Le dialogue avec Anaximandre
2. Le dialogue avec Héraclite
3. Le dialogue avec Parménide
Chapitre III : L’être comme fondement de la vérité
1. Le concept de vérité selon l’héritage métaphysique
2. Une nouvelle essence de la vérité
3. Penser l’être : c’est penser un dieu qui soit encore divin
Conclusion partielle
DEUXIEME PARTIE : L’ETRE ET SON RAPPORT ORIGINEL A L’ESSENCE DE L’HOMME
Introduction partielle
Chapitre premier : L’être et la question de l’authenticité
1. L’authenticité et l’inauthenticité
2. La pensée technique ou inauthentique
3. La pensée authentique
Chapitre II : L’ek-sistence comme essence de l’homme
1. Le concept d’ek-sistence
2. L’ek-sistence inauthentique
3. L’ék-sistence authentique
Chapitre III : La réplique de l’appel de l’être
1. Le sens de « appeler »
2. L’écoute de l’être
3. Le destin destinal de l’homme
Conclusion partielle
TROISIEME PARTIE : L’ETRE ET SA VENUE AU JOUR
Introduction partielle
Chapitre premier : L’éclaircie de l’être
1. Le séjour ou l’habiter
2. Les poètes
3. Les penseurs
Chapitre II : La Topologie de l’être
1. Le concept de topos
2. La temporellité de l’être
3. Le Dict originaire
Chapitre III : Le langage comme lieu de révélabilité de l’être
1. L’entrelacement entre l’être et le langage
2. L’homme comme « diseur de l’être »
3. La parole parlante : vérité sur l’être
Conclusion partielle
CONCLUSION GENERALE

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