La méconnaissance de la notion de gestes techniques

La médecine générale est une activité qui par sa complexité et sa polyvalence fait l’objet de nombreuses réflexions de la part de diverses organisations professionnelles compétentes dans ce domaine. Il existe à ce jour plusieurs définitions (6, 2), référentiels métiers de cette discipline (4, 5), descriptions des aptitudes requises (1, 3) et lois encadrant sa pratique. Cette étude a pour but de se focaliser sur un aspect particulier de la médecine générale, souvent peu étudié, hormis dans les thèses de médecine : celui des gestes techniques pratiqués par les médecins généralistes en cabinet libéral. Il est nécessaire pour cela de caractériser ce que nous définirons comme étant un geste technique qui peut être pratiqué par un médecin généraliste.

– L’article 70 du code de déontologie médicale et l’article R. 4127-70 du code de santé publique (21) stipulent que : « Tout médecin est, en principe, habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose ».
– L’article 71 du code de déontologie médicale et l’article R. 4127-71 du code de santé publique (22), stipulent que : « Le médecin doit disposer, au lieu de son exercice professionnel, d’une installation convenable, de locaux adéquats pour permettre le respect du secret professionnel et de moyens techniques suffisants en rapport avec la nature des actes qu’il pratique ou de la population qu’il prend en charge. Il doit notamment veiller à la stérilisation et à la décontamination des dispositifs médicaux qu’il utilise et à l’élimination des déchets médicaux selon les procédures réglementaires. Il ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes médicaux ou la sécurité des personnes examinées. Il doit veiller à la compétence des personnes qui lui apportent leur concours ».

Il n’existe donc pas de liste restrictive en France en termes de geste technique pour un praticien en médecine générale, d’autant plus qu’il n’existe pas de réglementation des cabinets médicaux représentant la médecine dite de « ville ou libérale » (25) : « cette « structure cabinet de ville » n’est pas dé finie réglementairement, et son niveau d’équipement est hétérogène et varie selon la spécialité exercée. Les cabinets dédiés à la « consultation simple » ont un équipement minimal alors que les « cabinets de spécialités plus techniques » peuvent être équipés pour pratiquer des actes de « petite chirurgie » ». Compte tenu de ces textes et en gardant en tête que le médecin généraliste est tenu d’exercer dans la limite de ses compétences : nous utiliserons la nomenclature pratique des actes en médecine générale (NGAP) (19) à laquelle a succédé la classification commune des actes médicaux (CCAM) (20), référentiels appliqués quotidiennement par les professionnels de santé. Sur la base de ces recueils, seront considérés comme gestes techniques : les actes nécessitant une maîtrise particulière et / ou un matériel spécifique, faisant l’objet d’une cotation définie par la NGAP et / ou la CCAM.

Seront donc exclus de ce champ :
– Les actes ne nécessitant aucune habileté particulière : les tests d’évaluation psychiatrique, cognitive, de l’efficience intellectuelle d’un enfant ou d’un adulte, ou encore les examens de dépistage et de diagnostic d’un déficitsensitif.
– Les actes qui ne bénéficient d’aucune cotation spécifique dans la NGAP et la CCAM, et qui seront donc considérés comme faisant partie de l’examen clinique : la mesure de la glycémie capillaire, l’oxymétrie de pouls, l’otoscopie, le toucher vaginal, le toucher rectal, l’utilisation d’une bandelette urinaire, la mesure de la tension artérielle, la mesure du poids ou de la taille…
– De façon raisonnable nous éliminerons également les gestes qui nécessitent des moyens techniques trop importants non disponibles et non adaptés à un cabinet de médecine générale et aux compétences techniques d’un médecin généraliste.

En corrélant la liste des compétences nécessaires à la pratique de la médecine générale avec celle des gestes techniques tels que nous les avons définis, il apparait que ces derniers font partie intégrante des compétences fondamentales à cet exercice et ce pour plusieurs raisons :
– Le médecin généraliste est défini comme un acteur principal en soins primaires, il est à ce titre identifié comme la solution de « premier recours ». Il peut être de ce fait amené à intervenir dans le cadre de l’urgence, comme par exemple pour la suture d’une plaie, le tamponnement antérieur d’une épistaxis ou encore l’incision d’une thrombose hémorroïdaire, entre autres.
– Il est également un acteur de santé publique et dans ce cadre, un élément essentiel assurant le dépistage précoce et la prévention de certaines pathologies. Cette fonction passe également par la réalisation de plusieurs gestes techniques comme le frottis cervico-utérin dans le dépistage du cancer du col de l’utérus, ou la pose, par extrapolation, d’un dispositif intra utérin ou encore d’un implant contraceptif dans la prévention des grossesses non désirées.
– Dans le cadre de l’approche globale du patient, il peut être également amené à réaliser certains gestes curatifs non urgents (électrocoagulation de verrue, ablation d’un bouchon de cérumen…), d’autres à visée diagnostique (biopsies cutanées, ponction articulaire…) ou encore entrant dans le cadre de la prise en charge et du suivi d’une pathologique chronique (ECG, infiltration intra ou périarticulaire…).

Cependant, la pratique ou non de ces gestes techniques par les médecins généralistes installés en cabinet est soumise à de nombreux facteurs déterminants. Plusieurs travaux de thèse ont permis d’identifier certains de ces facteurs, et en particulier les obstacles freinant leur réalisation en soins primaires :
– Le manque de temps ou la durée trop longue de l’acte (8, 12, 13,14),
– La faible rentabilité financière des actes (8, 13, 14, 15),
– Le manque d’intérêt du médecin pour les gestes (8),
– Le manque d’expérience (8, 11, 13, 15),
– Le manque de formation (9, 11, 12, 13, 14),
– Les risques médico-légaux et la crainte des complications (8, 9, 14),
– Les contraintes liées au matériel (8, 12, 15),
– La proximité des spécialistes ou d’une structure hospitalière (8, 9, 10, 14).

Dans ces différents travaux de thèse, l’observateur se situe toujours du côté du médecin, cherchant des solutions aux obstacles rencontrés par ce dernier dans sa pratique des gestes techniques. Mais qu’en pensent les patients ? En effet, il semble exister d’après la plupart de ces études une autre difficulté rencontrée, qui ne se situe pas cette fois-ci du côté du médecin généraliste, mais du côté de sa patientèle : le manque de sollicitation de la part du patient (8, 9, 10, 11, 13). Ce constat contraste avec le fait que ces gestes (suture, pose de DIU, d’implant contraceptif, excision de thrombose hémorroïdaire, ablation de bouchon de cérumen, infiltrations…) n’ont pas disparu, bien au contraire. Il est bien rare par exemple, qu’aux urgences un médecin n’ait pas à suturer une plaie qui ne nécessite aucun avis chirurgical et dont la prise en charge aurait aisément pu être réalisée en cabinet de médecine générale, ou bien qu’un patient attende plusieurs semaines voire mois pour certaines zones géographiques, un rendez-vous chez un médecin spécialiste (16,17) qui n’est également pas toujours facile d’accès, pour un geste qui aurait pu être pris en charge par son médecin de famille. Pour exemple, selon une étude française de 2005 (24) il semblerait pourtant que 38% des patients interrogés souhaiteraient voir leur médecin généraliste pratiquer la petite chirurgie en cabinet.

LA MÉCONNAISSANCE DE LA NOTION DE GESTES TECHNIQUES

Le geste technique n’apparait pas spontanément comme motifde consultation

Au commencement de chaque entretien, nous avons demandé aux participants du focus group pour quels motifs consultaient-ils leur médecin généraliste. Cette question, très généraliste, permettait d’une part d’avoir un effet « brise-glace » afin d’engager les discussions, mais en dit long concernant la représentation des patients vis-à-vis de la médecine générale.

Les patients évoquent spontanément la consultation pour le renouvellement des traitements, certains même comme un passage obligatoire auquel on aimerait surseoir, parfois au détriment d’une pathologie chronique sous-jacente nécessitant une surveillance régulière.

« Eugène : (…) j’y vais surtout pour renouveler mes médicaments de façon régulière puisque c’est tous les 3 mois. Mireille : Alors moi je suis comme Eugène, je vais chez le médecin parce qu’il faut renouveler mes médicaments. Autrement je n’y vais pas de l’année ! Je touche du bois, je suis pas malade ! »

Certains consultent dans l’optique de demander au médecin traitant une prescription particulière.

« Sophie : Moi je consulte une fois par an aussi, pour avoir une prescription pour le kiné, et aussi j’y vais pour une prise de sang annuelle. (…) Animateur : Certains d’entre vous consultent pour avoir des ordonnances particulières comme Sophie pour la kinésithérapie ? D’autres personnes le font ? Mélanie : Oui systématiquement. Luc : Oui, moi je fais rien sans mon médecin traitant. Alice : Moi aussi je l’ai fait. Jean : On est pratiquement obligé maintenant. Je pense que c’est le cheminement. »

Est évoquée également la demande de certificats médicaux, souvent requis par les fédérations pour pratique d’un sport. Ensuite viennent les consultations ponctuelles pour certains problèmes aigus de santé, dont la prise en charge ne nécessite souvent pas de geste technique.

« Véronique : Je n’y vais que si vraiment je suis à l’agonie. C’est à dire le gros rhume qui s’est transformé en sinusite, ou alors euh… Enfin… Ou alors suite à un accident par exemple, pour voir si tout va bien. Sinon… Voilà. Je vais pas le voir régulièrement. Donc le gros rhume, le mal de gorge qui passe pas… Animateur : Pour un problème aigu de santé c’est ça ? Ponctuel ? Véronique : Oui c’est ça, ponctuel. (…) Claire : Moi j’y vais pas non plus énormément. J’y vais vraiment aussi pour le sport pour les certificats, et vraiment quand j’arrive pas à me dépatouiller d’une maladie »  .

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Table des matières

INTRODUCTION
MATERIELS ET METHODES
1. Méthode qualitative par focus groups
2. Choix de la population
3. Organisation et déroulement des focus groups
4. Ethique
5. Analyse du contenu des focus groups
RESULTATS
1. Population
2. La méconnaissance de la notion de gestes techniques
a) Le geste technique n’apparaît pas spontanément comme motif de consultation
b) La confusion entre examen clinique et geste technique
c) Le manque d’information du patient
d) La tarification
3. Les obstacles à la réalisation des gestes techniques
a) L’orientation précoce vers le spécialiste ou l’hôpital et le manque de proposition de la part médecin généraliste
b) Le manque d’initiative du patient
c) Les obstacles à la réalisation des gestes techniques perçus par le patient
1) Le manque de communication du médecin généraliste
2) Le manque d’envie du médecin
3) La problématique du temps de consultation
4) La problématique des consultations sur rendez-vous
5) Un manque de médecins
6) La problématique du matériel
7) La formation et les compétences du médecin généraliste
8) Le risque médico-légal
9) Le manque de pratique
10) La concurrence avec le spécialiste
d) Les solutions envisagées par les patients
1) La communication directe et l’éducation des patients
2) La communication indirecte
3) Un rôle de la Sécurité Sociale
4) Davantage de médecins
5) Le regroupement des médecins
6) Le motif de consultation
4. Opinions des patients concernant les gestes techniques pratiqués par les médecins généralistes en cabinet
a) Médecin généraliste d’hier, médecin généraliste d’aujourd’hui
1) Le médecin généraliste « d’avant » pratiquait plus de gestes techniques : il était plus polyvalent et plus compétent
2) Le médecin « d’avant » était davantage disponible et dévoué à ses patients
3) Une médecine générale différente
4) Une nouvelle génération de médecins généralistes
b) Médecine en zone urbaine et médecine en zone rurale
1) Le médecin de campagne, un médecin plus compétent ?
2) Une question de localisation
3) Un autre état d’esprit
c) Le choix entre le médecin traitant, le spécialiste ou l’hôpital
1) Le médecin traitant avant tout
2) La préférence du spécialiste ou de l’hôpital
3) L’expérience des patients
DISCUSSION
1. Les forces de l’étude
a) Un nouvel angle de vue
b) Les points forts de la méthode : l’analyse qualitative par focus groups
c) Les données
2. Les faiblesses de l’étude
a) L’animateur
b) Le questionnaire du focus group
c) Les limites du focus group
1) La dynamique de groupe
2) L’échantillonnage
3) Une méthode exclusivement qualitative
3. Confrontation aux données de la littérature
a) Confrontation des obstacles perçus
b) En marche vers l’hyperspécialisation ?
c) Le profil du médecin généraliste réalisant des gestes techniques
d) Les solutions envisagées par les patients : de bonnes idées ?
e) Quel avenir pour la pratique des gestes techniques ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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