LA MATERIALITE DE LA CONSCIENCE CHEZ JEAN-PIERRE CHANGEUX

L’identité psycho-neuronale chez Changeux

    Après les différentes critiques qu’il a formulées d’une part contre le dualisme et d’autre part contre le behaviorisme, Jean-Pierre Changeux va tenter de mettre en place une nouvelle théorie de la conscience appelée la théorie de l’identité psycho-neuronale. Celle-ci est une approche matérialiste qui consiste à dire que les phénomènes de conscience sont identiques à des phénomènes physiques ou neurologiques. L’objectif de cette réduction est de rompre avec toute forme de dualisme au profit d’un moniste matérialiste qui défend l’hypothèse selon laquelle toutes les propriétés mentales sont identiques à des propriétés physiques. Une telle approche matérialiste a été soutenue par plusieurs neurobiologistes mais restons avec le neurobiologiste français pour voir comment il a traité cette question à travers ses ouvrages. L’Homme neuronal apparaît en ce sens comme un ouvrage monumental car l’intitulé préfigure déjà le projet matérialiste de son auteur qui rompt avec tous ceux qui prétendent étudier les phénomènes de conscience indépendamment de leurs bases matérielles. Pour Changeux, l’homme n’est pas un être double ; il n’est composé de deux substances ou de deux réalités autonomes, comme le suppose Descartes lors qu’il affirme : « (…), de cela même que je connais avec certitude que j’existe, et que cependant je ne remarque point qu’il appartienne nécessairement aucune autre chose à ma nature ou à mon essence, sinon que je suis une chose qui pense, je conclus fort bien que mon essence consiste en cela seul, que je suis une chose qui pense, ou une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser. Et quoique peut-être (…) j’aie un corps auquel je suis très étroitement conjoint ; néanmoins, parce que d’un côté j’ai une claire et distincte idée de moi-même, en tant que je suis seulement une chose qui pense et non étendue et que d’un autre j’ai une idée distincte du corps, en tant qu’il est seulement une chose étendue et qui ne pense point, il est certain que ce moi, c’est-à-dire mon âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et véritablement distincte de mon corps, et qu’elle peut être ou exister sans lui ». Contrairement à la conclusion sur laquelle débouche cette affirmation de Descartes, à savoir la distinction radicale entre le corps et l’âme, Jean-Pierre Changeux se propose d’établir une unité au sein l’être humain en montrant que les états mentaux tels que la conscience, l’âme, ainsi que nos émotions sont identiques à l’organisation et au fonctionnement de notre cerveau. Le cerveau et la conscience ne sont pas deux réalités hétérogènes, c’est-à-dire comme deux entités qui existent indépendamment l’une de l’autre, mais ils entretiennent plutôt une relation causale qui fait de la conscience un évènement du cerveau. D’après cette théorie de l’identité, tous les comportements de l’homme y compris ceux qui se rapportent à ses facultés supérieures ne sont rien d’autres que des propriétés du cerveau. Ils sont des résultats issus de l’activité physico-chimique du cerveau, c’est-à-dire que leur apparition est liée à une simple activation de cellules nerveuses. Cela veut dire que chaque comportement de l’individu correspond à l’entrée en activité d’un ensemble de cellules nerveuses. Par conséquent, les phénomènes de conscience ne devraient plus nous apparaître comme des réalités dont la nature échappe à toute expérimentation scientifique. Cette théorie a été largement influencée par le développement des nouvelles méthodes d’observations scientifiques. En effet, comme nous le savons déjà l’avènement des neurosciences a profondément changé notre conception des rapports qui existent entre le cerveau et la conscience. Il faudra admettre avec ces nouvelles disciplines qu’il y a un rapport constant et de subordination entre nos états mentaux et l’activité qui se déroule dans les réseaux de neurones. Chaque état mental correspond à un agencement d’un ensemble de réseaux de neurones, c’est-à-dire à une mobilisation interne de cellules afférentes qui peuvent envoyer des signaux dans le cerveau. En d’autres termes, pour le neurobiologiste, les phénomènes de conscience sont strictement déterminés par les mécanismes physico-chimiques du cerveau. C’est l’importance des activités physico-chimiques qui se déroulent dans les réseaux de neurones que Changeux mentionne : « Le développement des neurosciences impose désormais une autre manière de voir qui se trouve dans le droit fil de la tradition de Gall et de Broca. Le contenu en neurones de la boîte noire ne peut être négligé. Au contraire, tout comportement mobilise des ensembles définis de cellules nerveuses et c’est à leur niveau que doit être recherchée l’explication des conduites et des comportements ».

De l’analogie cerveau-ordinateur

   Depuis l’avènement des sciences cognitives, une infinité de modèles d’explication scientifique ont été proposés dans l’objectif de comprendre le fonctionnement du cerveau et surtout la façon dont celui-ci génère la pensée. Parmi ces approches, nous pouvons évoquer l’informatique qui fournit à l’étude des mécanismes de la pensée le modèle de l’intelligence artificielle. Le projet qui est à l’œuvre dans ce modèle est de concevoir des systèmes capables de reproduire les comportements de l’homme dans ses activités de raisonnement. Autrement dit, il s’agit d’une tentative de simuler le processus de pensée. Ce projet, dans son expression, va aboutir à une comparaison entre le cerveau et l’ordinateur. Il va de soi qu’avec développement de la science, les ordinateurs sont très performant dans la réalisation de certaines tâches, ils sont en mesure de faire beaucoup de choses que l’on peut considérer comme intelligentes si elles étaient faites par les humains. Pour nous imprégner de cette situation de fait, Changeux souligne que « De nos jours, les robots laquent avec soin et précision les carrosseries de voitures, et des ordinateurs géants règlent le voyage de véhicules spatiaux aux confins du système solaire. L’homme invente des machines qui le remplacent et, de ce fait, lui ressemblent dans ses gestes ou même ses actes ». Mais toutes ces performances sont-elles suffisantes pour conclure que le cerveau est un ordinateur ? Pour apporter une répondre à ces questions, il serait préalablement intéressant de définir le mot analogie. On entend par ce mot, un rapport de ressemblance établi par l’intelligence ou l’imagination entre deux ou plusieurs objets. Partant de cette définition, on peut se demander sur quels aspects se fonde essentiellement cette ressemblance que l’on tente d’établir entre le cerveau et l’ordinateur ? Cette comparaison se porte essentiellement sur deux aspects. Le premier aspect est relatif à l’anatomie du cerveau, à savoir la connectivité des réseaux de neurones. Rien qu’en regardant la structure anatomique du cerveau, on se rend compte qu’il y a une forte ressemblance entre ces deux systèmes. La structure du système nerveux, notamment  la façon dont les circuits sont établis entre les neurones montre effectivement que cet organe avait servi de bon modèle pour les concepteurs de l’ordinateur. Le cerveau, comme nous le savons, contient plusieurs milliards de neurones. Et chaque neurone correspond plus ou moins à un transistor dans un circuit élémentaire d’ordinateur, mais la différence est qu’un neurone possède des milliers d’entrées alors que les circuits élémentaires n’en possèdent que deux entrées et une sortie. Cela veut dire que même s’il y a une ressemblance, la machine présentera toujours ses limités dans l’accomplissement de certains travaux. Les neurones, grâce à l’importance du nombre des entrées, peuvent effectuer plusieurs taches. Ainsi, bien qu’ils soient performants dans la réalisation de certaines tâches, l’intelligence des ordinateurs ne peuvent être qu’une simple simulation de l’activité du cerveau. C’est cette différence de performance due au nombre des cellules nerveuses qui se révèle dans ce passage : « L’ordinateur n’a pas encore rattrapé le cerveau et ses dizaines de milliers de milliards de circuits. Les plus gros ordinateurs ont environ 100 000 circuits, c’est-à-dire 100 millions de fois de moins ». Cette analogie n’est qu’une simple métaphore, il ne s’agit pas d’une comparaison dans laquelle nous serons amenés à établir une identité parfaite entre nos cellules et des circuits, des lames d’acier ou des transistors. Cette analogie a un objectif bien précis. C’est celui auquel Changeux fait allusion lorsqu’il écrit ceci : « Notre propos est, au contraire, d’explorer l’objet « système nerveux » avec tous les moyens dont on dispose : d’en identifier les composants anatomiques, d’en définir les relations mutuelles, d’en décrire enfin l’organisation ». Au-delà de cette comparaison fondée strictement sur la structure anatomique, on peut établir un second type de comparaison qui se rapporte cette fois-ci à l’aspect physiologique du cerveau. Ce dernier est d’ailleurs le plus important dans la mesure où il donne la possibilité à une description des fonctions du système nerveux en termes de connectivité de réseaux cellulaires et d’envisager la construction des machines susceptibles de reproduire ces mêmes fonctions. Cette comparaison nous instaure dans un projet de modélisation de l’intelligence humaine. En effet, depuis la genèse du cognitivisme au milieu du 20ème siècle, on considère le cerveau comme un système de traitement de l’information analogue à ce qui se passe dans les ordinateurs. Et la pensée est simplement appréhendée comme une représentation qui peut être reproduite dans n’importe quel système. Pour cette approche cognitiviste, la conscience se réduit à une simple manipulation de symboles ou de représentations symboliques telles que sur la base d’un ensemble de règles formelles, il sera possible de reproduire ces mêmes comportements dans un dispositif artificiel.

La thèse de l’identité psycho-fonctionnelle

   Pour contribuer à la recherche d’arguments scientifiquement solides permettant d’expliquer la conscience et le rapport que celle-ci entretient avec le cerveau, les philosophes de l’esprit ont fait appel à plusieurs modèles qui font référence au fonctionnement des ordinateurs. Ainsi, une analogie a été établie entre le fonctionnement du cerveau et celui de l’ordinateur. Celle-ci a pour ambition d’interpréter les phénomènes psychiques en termes d’informations, de procédures et de processus. Ce paradigme connu sous le nom de cognitivisme va faire naître une nouvelle approche fonctionnaliste appelée l’identité psychofonctionnelle. Elle apparaît comme une version du fonctionnalisme machinique que l’on peut définir avec Daniel Pinkas comme « la théorie qui répond à la question « que sont les états mentaux ?», en essayant de caractériser les conditions d’identité pour les types d’états mentaux de la manière suivante : pour tout système satisfaisant des prédicats psychologiques, il existe une description unique optimale telle que chaque état mental du système est identique à l’un des états de la table de la machine qui correspond à cette description optimale ». Rappelons que comme toutes les autres doctrines, le fonctionnalisme ne s’est pas développé de manière ex nihilo, c’est une doctrine qui s’est inspirée du behaviorisme et de la théorie de l’identité physicaliste. Comme nous le savons depuis John Broadus Watson, le behaviorisme définit le mental comme une sorte de « boîte noire » à laquelle on ne peut accéder pour expliquer scientifiquement le comportement des individus. C’est pourquoi il va restreindre le champ de son investigation scientifique aux relations qui existent entre les stimuli que l’individu reçoit de l’extérieur et les réponses qui en découlent. Toutefois cette explication bien qu’elle soit scientifique, apparaît trop simpliste, à la fois parce qu’il est nécessaire de postuler des états mentaux supplémentaires en plus de ceux qu’on est supposé analyser, et parce qu’il ne prend pas en compte le rôle causal du système. Ainsi, contrairement au behaviorisme, les fonctionnalistes admettent l’existence d’un ensemble d’états internes ou d’autres « boîtes » qui ont des fonctions respectives et des comportements propres. Chacun de ces états internes apparaît comme une fonction de l’état dans lequel il se trouve et de son entrée qui peut venir aussi bien du monde extérieur que des autres. A partir de ce moment, le fonctionnalisme se définit comme la position qui soutient l’idée selon laquelle ce qui constitue la nature ou l’identité d’un état mental, ce n’est pas sa composition ou sa matière cérébrale, mais plutôt son rôle, sa fonction dans le système cognitif. Cela veut dire que, ce ne sont pas les propriétés neurologiques des états ou les processus mentaux qui importent pour le fonctionnalisme mais ce sont les propriétés fonctionnelles, c’est à-dire les rapports causaux qui existent entre les entrées, sorties et autres états ou processus du système. En d’autres termes, les propriétés ou les états mentaux doivent être identiques à des états ou propriétés structurelles et organisationnelles. A cet égard, le fonctionnalisme apparaît comme une théorie dont le projet se fonde essentiellement sur la recherche de différentes structures cérébrales et les fonctions qui leur correspondent. Il faut souligner que chaque structure ou « état intermédiaire ou d’autres boîte » pour parler comme Pascal Engel, lorsqu’elle entre en relation avec les autres, possède un certain pouvoir causal qui est l’expression des états dont l’ensemble est capable. C’est dans cette perspective que Pacherie, en déclinant le projet du fonctionnalisme, écrit : « Le fonctionnalisme est un type d’explication qui s’appuie sur la décomposition d’un système en ses parties composantes et explique le fonctionnement d’un système par les capacités de ses parties composantes et par la manière dont ces composantes s’intègrent les unes avec les autres. Ainsi, pour expliquer comment fonctionne un moteur de voiture, on doit décomposer le moteur en ses différentes parties, spécifier de quelles tâches sont capables ces différentes parties et la manière dont elles sont organisées et interagissent les unes avec les autres » . Il ressort de cette définition de Pacherie que pour mieux connaître un système, il faut nécessairement le décomposer en ses éléments simples. Cette démarche tout à fait analytique permettra non seulement de saisir l’interaction qui existe entre tous les éléments mais également de connaître le rôle que chaque élément joue dans le fonctionnement global du système. Cette même démarche doit pouvoir s’opérer dans un domaine comme la psychologie. Cela préfigure déjà l’hypothèse centrale du fonctionnalisme selon laquelle l’explication de la psychologie ne doit se faire que sous la forme d’un système, c’est-à-dire en prenant en compte du rôle de chaque structure dans le fonctionnement général du système. En effet, l’ensemble des états (structures), pris en totalité, occupe un certain rôle causal déterminé, et qu’ils ont une fonction globale, en même temps qu’ils sont fonctions les unes des autres. Ainsi, avoir un état mental, suivant cette approche, c’est être l’occupant d’un certain rôle causal, défini par l’ensemble de ses relations aux autres états du système. Cela veut dire qu’on peut ouvrir chaque « boîte » et postuler à nouveau des fonctions variées, des entrées et sorties.

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Table des matières

Introduction
PREMIERE PARTIE : L’EXPLICATION PHYSICO-CHIMIQUE DE LA CONSCIENCE CHEZ JEAN-PIERRE CHANGEUX
Chapitre I : L’approche neurobiologique de la conscience
1. L’identité psycho-neuronale chez Changeux
2. La conscience comme processus cérébral
Chapitre II : La modélisation de la conscience
1.De l’analogie cerveau-ordinateur
2. La thèse de l’identité psycho-fonctionnelle
DEUXIEME PARTIE : LES DIFFICULTES DE L’ETUDE SCIENTIFIQUE DE LA CONSCIENCE : QUELQUES OBSTACLES
Chapitre I : Le problème de l’explication de la conscience
1. La complexité de l’appareil cérébral
2. L’intentionnalité
Chapitre II : L’impasse explicative
1. Quel effet cela fait d’être
2. La conscience : « un problème difficile »
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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