La lutte contre la corruption une prescription globale à déclinaisons variables

La « lutte contre la corruption » : une prescription globale à déclinaisons variables 

La « lutte contre la corruption » (LclC) peut se définir comme un ensemble de discours publics, de dispositifs plus ou moins institutionnels et de pratiques orientés contre tout ce qui est ponctuellement ou durablement perçu et désigné comme « corruption » dans un espace social. Elle s’est mondialement imposée dans la décennie 1990 comme impératif d’action publique et suscite des perceptions d’(in)efficacité se traduisant souvent par des constats d’« échec » et quelques fois par des constats de « réussite » .

En tant qu’entreprise collective de régulation sociale , la LclC découle d’une métamorphose philosophique du concept de développement qui passe pour un intérêt commun à toutes les sociétés humaines . Elle est donc sous-tendue par un discours selon lequel la corruption est un obstacle majeur au développement socio économique et, en cela, un problème public à résoudre partout . Ce discours a été diffusé à travers le monde par des acteurs globaux tels que Transparency International (TI), l’Organisation pour la coopération économique et le développement (OCDE), la Banque mondiale (BM) et ses répliques régionales (notamment les Banques Africaine et Asiatique de développement), le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation des Nations Unies (ONU) et ses sous-ensembles (notamment son programme pour le développement – le PNUD), l’agence américaine pour le développement international (United States’ Agency for International Development – USAID) ou encore les institutions européennes, notamment la Commission européenne et le Conseil de l’Europe. Ces acteurs hétérogènes assument collectivement, bien qu’à des degrés divers et avec des motivations pas nécessairement identiques, le rôle d’organisateurs globaux du développement . Ce faisant, ils associent la notion de développement à celle de gouvernance qui, lorsqu’elle est « bonne », contribuerait au développement des sociétés humaines . Bien que la causalité entre la « bonne » gouvernance et le développement ne soit pas établie de manière robuste , c’est de cette association que découle l’idée prescriptive d’éradiquer la corruption , puisque les organisateurs globaux du développement et leurs experts assimilent la corruption à de la « mauvaise » gouvernance . En postulant que la corruption est « un des symptômes d’une gouvernance déficiente » qui expliquerait à son tour le sous-développement dans le monde, ils parrainent et coordonnent une « lutte » universelle contre les pratiques ainsi désignées.

Malgré une polysémie notoire du mot « corruption » et le fait que les innombrables pratiques sociales qu’il désigne ne se manifestent pas avec la même acuité dans toutes les sociétés , les organisateurs globaux du développement en ont fait un interdit social et ont contribué à diffuser une orthodoxie correspondante en inscrivant l’idée de « lutter contre la corruption » à l’agenda politique international . Depuis, la LclC apparaît comme une quête de normes universelles de probité qui s’illustre par l’adoption progressive de conventions internationales faisant office de plans d’actions globales et dont le point culminant a été, en 2003, la convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) . L’adoption de cette convention peut être interprétée comme l’entérinement officiel d’un consensus planétaire autour de l’idée d’éradiquer la corruption dans les sociétés contemporaines. La CNUCC invite les États signataires et de nombreux acteurs sociaux non-étatiques à adopter une série de dispositifs et de pratiques préconisés contre la corruption. Elle a été signé et ratifié par la quasi-totalité des pays de l’ONU . Ajouté à cela, l’essor mondial et sans cesse grandissant d’un mouvement anticorruption depuis la décennie 1990 permet de parler d’une forte adhésion globale à l’idée d’éradiquer la corruption. Le caractère désormais hégémonique de cette idée incite à la qualifier de « prescription globale » au sens de Dezalay et Garth . Celle-ci est portée par un conglomérat d’acteurs qui passent pour les « guerriers de l’intégrité morale » et qui, à travers des discours dénonciateurs , font de la LclC une action publique plus ou moins observable dans tous les pays du monde.

Pour favoriser une meilleure efficacité de cette action publique désormais ubiquitaire, ses promoteurs préconisent depuis quelques années des standards procéduraux et normatifs à l’échelle mondiale , et ils expliquent à tous les pays comment « concevoir et mettre en œuvre des politiques de lutte contre la corruption » . Après avoir déjà publié en 2000 un recueil de dispositifs de probité issus de certains de ses pays membres et recommandés à tous les pays (membres et non membres) comme un éventails de modèles à adopter pour « renforcer l’éthique » dans leurs services publics , l’OCDE expliquait ainsi en 2008 que « les législateurs doivent avoir une compréhension commune et claire des normes internationales » contre la corruption, « afin d’élaborer des lois efficaces » .

Malgré ces efforts de construction d’une matrice d’action homogène contre la corruption pour tous les pays, les différences de mise en œuvre sont systématiques et suscitent chez certains chercheurs une ambition de « mesurer » le degré de conformation des États à ces prescriptions globales . Généralement assorties de constats d’échecs , les mises en œuvre de la LclC semblent en effet perpétuer « la grande désillusion » déjà constatée au sujet du Consensus de Washington et récemment renouvelée par la Banque mondiale (BM). Dans son rapport sur le développement dans le monde en 2017, la BM admet en effet (implicitement) l’échec de ses propres prescriptions en matière de « bonne » gouvernance. Elle se demande notamment « pourquoi des politiques publiques soigneusement conçues et pertinentes », c’est-à-dire ses propres préconisations, ne sont pas plus souvent adoptées ou mises en œuvre ; et pourquoi, quand elles le sont, elles « échouent si souvent à produire des résultats de développement tels que la sécurité, la croissance et l’équité » . Parallèlement au consensus sur l’idée d’éradiquer la corruption, un autre consensus semble aussi se dégager sur les constats de mises en œuvre insuffisantes et d’inefficacité de la LclC ; des constats désabusés qui traduisent surtout des décalages systématiques entre des attentes normatives (des visions particulières du monde idéal) et des réalités irréductibles du fonctionnement soci(ét)al à divers endroits du monde.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
La « lutte contre la corruption » : une prescription globale à déclinaisons variables
État des recherches sur la « lutte contre la corruption » : la prédominance d’une ingénierie sociotechnique au détriment d’une sociologie politique du phénomène
Questionnement initial et hypothèse générale de l’étude
PREMIÈRE PARTIE – THÉORIE ET MÉTHODOLOGIE D’UNE POLITOLOGIE COMPARATIVE DE LA « LUTTE CONTRE LA CORRUPTION »
Chapitre I – Cadre théorique : le modèle explicatif et ses fondements
Des connaissances sur les instruments d’action publique à l’explication des mises en œuvre différentes de la « lutte contre la corruption »
La variable dépendante : les différences de mises en œuvre nationales de la « lutte contre la corruption »
Un modèle explicatif avec des variables conceptualisées à deux niveaux d’analyse
• Les éléments invariables
o Les catégories d’acteurs de la « lutte contre la corruption »
o Les marges de manœuvres inhérentes au problème visé et aux instruments préconisés
o Les stratégies potentielles de « lutte contre la corruption »
• Les éléments variables
o La constellation d’idées, d’intérêts et de ressources déployés par les acteurs en présence (premier niveau d’explication)
o Le système politique et le niveau de développement socio-économique (second niveau d’explication)
Conclusion : Les hypothèses de vérification empirique du modèle explicatif
o Concernant l’agrégation d’acteurs divers
o Concernant la représentation cognitive des enjeux liés aux instruments
o Concernant la réinterprétation des instruments préconisés
Chapitre II – Cadre empirique : la méthodologie d’ensemble
L’opérationnalisation de l’objet d’étude et des variables
• Opérationnalisation de la « lutte contre la corruption » (Objet d’étude)
o Les indicateurs de la « lutte contre la corruption »
• Opérationnalisation des différences de mises en œuvre (Variable dépendante)
• Opérationnalisation du « contexte national » (Variable indépendante)
o La constellation d’acteurs impliqués
o Le système politique
o Le niveau de développement socio-économique
• Une hybridation des deux variantes de la méthode de différenciation comparative
• Le choix des cas d’étude
La collecte d’informations relatives aux cas d’étude
• La collecte des données relatives au Botswana
• La collecte des données relatives au Cameroun
• La collecte des données relatives à Singapour
• La collecte des données relatives à la Suisse
La codification et l’interprétation des indicateurs
Après-coup : retour réflexif sur les choix méthodologiques
• L’incidence déformante des indicateurs indirects
• L’inexhaustivité des indicateurs choisis
• L’ambigüité du cas Botswana par rapport à son aspect démocratique
DEUXIÈME PARTIE – LA PRESCRIPTION GLOBALE DE LA « LUTTE CONTRE LA CORRUPTION » ET SES DÉCLINAISONS VARIABLES EN DIFFÉRENTS PAYS
Chapitre III – Pourquoi et comment « lutter contre la corruption » est devenu une prescription globale
Les débats historiques sur les externalités de la corruption
• Les analyses délégitimatrices
• Les analyses légitimatrices
• Le point de bascule : l’avènement de la croyance que la corruption est quantifiable
Le concours déterminant des institutions internationales
• L’élargissement des préoccupations autour de la corruption à toutes les sociétés du monde
• La dépolitisation de la (lutte contre la) corruption
La traduction du discours devenu hégémonique en plans d’actions globales
• La convention de l’OCDE, le ‘cheval de Troie’ de la globalisation des normes américaines
• La convention de l’ONU, l’extension globale des prescriptions de l’OCDE
• Les conventions régionales, pour davantage légitimer les dispositions de l’OCDE auprès des pays encore réticents
• Les fora et les plateformes thématiques, supports et canaux d’un activisme dorénavant globalisé contre la corruption
Conclusion : une prescription globale qui s’auto-entretient
Chapitre IV – La « lutte contre la corruption » au Botswana : l’ajustement culturel par l’expertise étrangère
Le contexte national : un système démocratique à faibles capacités autonomes d’action publique
• Une démocratie à adjectifs
• L’extraversion dépendante et le recours intensif à des « experts » étrangers dans l’administration de l’État
Une action publique née d’une série de controverses publiques
Les principaux acteurs
Les (en)jeux de l’action publique contre la corruption : un activisme tous azimuts et néanmoins sélectif autour des instruments préconisés
• La situation autour des instruments emblématiques
o L’organe officiel de lutte contre la corruption
o La régulation du financement politique
o La réglementation des modalités d’attribution des marchés publics
o L’obligation de déclarations patrimoniales
o Le traitement légal des produits supputés de la corruption
o La protection légale des lanceurs d’alertes
• Les jeux d’acteurs
o La construction cognitive du problème « corruption »
o Les collaborations
o Les résistances et les confrontations
• … et les enjeux politiques qui s’en dégagent
o La consolidation d’un statut international de « modèle » à suivre
o La perpétuation d’une domination économique et politique assise sur l’expertise étrangère
CONCLUSION GÉNÉRALE

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