La lumière dans les arts, questionnements et enjeux contemporains

PIÈGES ET POLYSÉMIES

C’est un sujet vaste et maintes fois exploré que celui de la lumière, dans son symbolisme très fort, à sa plasticité et son esthétique facile. En effet, l’une des grandes difficultés, selon moi, dans ce travail, est de ne pas succomber à « la lumière facile », celle qui fait « joli », qui apporte de la couleur ou une ombre ici et là, que l’on peut trouver pop ou industrielle mais qui finalement, ne raconte pas grand chose. Dans la photographie, comme au cinéma, un bel éclairage peut rattraper une scène moins intéressante sur le plan narratif. Il en sera de même en art visuel, si les sis more, attachons-nous cependant au sens, si souhaité qu’il y en ait un, que cela produit. Je pense qu’une telle pratique touche inévitablement à la question du paysage, dans ce qu’il est un espace narratif, déterminé par des codes issus de l’Histoire et de la mémoire collective.
Les premières symboliques que l’on relève de la lumière sont de l’ordre du divin, du religieux et du spirituel. Très vite, elle instaure un certain sens, malgré elle, une certaine sacralité.

ENTRE CULTE ET CULTURE

Comment travailler à rendre la lumière à la fois la plus neutre et dépouillée possible, tout en lui conférant son pouvoir narratif ? Essayer de diriger ses rayons dans un espace sans équivoque et qui amène le visiteur à vivre ou revivre une situation, une sensation vécue par l’auteure, à travers l’errance. Comme nous le verrons par la suite, les artistes du XXe siècle, se sont déjà posé les mêmes questions qui servent de base historique à la réflexion présentée ici. Quand on a une éducation chrétienne, comment se débarrasser, ou vivre, avec la symbolique sacrée, l’aura que dégagent les rayons lumineux ? Quand on est plutôt issu d’un milieu populaire, quel sens a cette lumière pour nous ? Selon que l’on vienne de la ville où l’éclairage est omniprésent, ou de la campagne où le bleu de la nuit est profond, notre rapport sensible et intime avec la lumière en est déjà imprégné. Telle une plante, entre la forêt amazonienne, ou boréale, nous ne développons pas tous les mêmes besoins, rapports, avec cette source primordiale. En tant que médium artistique, l’on se demande s’il faut montrer ou non sa source, assumer l’objet industriel, ou le cacher pour privilégier l’émanation. La relation entre couleur et lumière est aussi étroite. Jouer entre lumière naturelle et lumière artificielle voulant reproduire la première, tel est le pari de certains artistes. Pour ma part, je me demande comment la lumière peut transmettre des histoires, des vécus, à la fois sur le côté biologique, notre mémoire rétinienne, et sur le côté culturel, avoir la connaissance de l’usage d’un objet, ce qui en définit le souvenir que nous gardons de lui. Que véhicule un objet (source d’éclairage) que nous avons l’habitude de voir dans la rue, ou dans un couloir clinique, lorsqu’il est finalement installé dans un cube blanc ? Tous ces questionnements révèlent l’ampleur d’une recherche sur la lumière et les différentes manières de l’aborder. Je m’intéresse autant à la lumière naturelle qu’artificielle, quitte à chercher et définir une troisième dénomination, propre aux pratiques actuelles.

UNE RELATION DATÉE DES ARTISTES AVEC LA LUMIÈRE

Avant d’aborder la question de la lumière dans l’histoire de l’art, il me semble utile d’apporter un bref rappel chronologique du développement des techniques d’éclairage, mis en parallèle avec des oeuvres d’art et autres représentations qui ont été influencées par ces avancées. Ainsi l’on va pouvoir constater que l’écart entre les avancées techniques diminue de plus en plus et qu’il y a au fur et à mesure du temps, de plus en plus de créations en lien avec un usage direct de la lumière.
De la maîtrise du feu, à la combustion de graisses animales et de résines, en passant par les lampes à filament, à mercure, tubes fluorescents et autres DELs, l’évolution des techniques d’éclairage a joué un rôle décisif dans notre propre développement, nous permettant de veiller plus tard, d’appréhender la nuit et d’augmenter ainsi le volume de nos activités. Le tournant technologique opéré au XIXe et XXe siècle, permet de comprendre celui qui s’opérera alors, en Art, au début du XXe siècle, jusqu’à l’apparition d’un véritable Art de la lumière (light art).

DE L’ART DE REPRÉSENTER

La lumière a toujours été reliée à l’idée du savoir et de la connaissance. On a d’abord cherché à comprendre d’où elle venait. Aux XVIe et XVIIe siècles, des scientifiques et des astronomes, comme Isaac Newton, faisaient maintes expériences et hypothèses, quant à la nature et à l’origine de la lumière. Pour l’Église, à l’époque, la lumière devait être la manifestation du divin sur Terre. Dans son ouvrage Le néon dans l’art contemporain, Anne Blayo nous apprend qu’il existait « une distinction nette, entre Lumen, la lumière naturelle, et Lux, la lumière divine et éternelle ». Il est intéressant de constater comment l’église a souhaité séparer les deux pour mieux insuffler du sacré et du spirituel à la lumière englobant les souffrances du Christ et des martyrs. Ainsi, on peut déjà voir deux écoles de la lumière au sein des arts de l’époque. La Lumen est issue du monde naturel. Les rayons du soleil sous toutes leurs formes sont les plus représentés. Le ciel nous offre aussi une immense variété de lumen, selon qu’il pleut, qu’il y a des nuages ou qu’il s’agisse d’un soir d’orage, la nature n’a pas fini d’inspirer les artistes. On retrouve cette influence chez les impressionnistes notamment.
Bien que les temps aient changé, sur le plan religieux et politique, on retrouve la Lumen et la Lux, à la base des réflexions sur l’art de la lumière des artistes d’aujourd’hui, qui sont héritiers de cette tradition. Avec les nouvelles pratiques et technologies émergentes, d’autres lumières viennent enrichir ce domaine, lumière artificielle, l’objet-lumière etc… Si certains artistes contemporains naviguent entre l’une et l’autre, tels James Turrell ou Stephen Antonakos, par exemple, d’autres mélangent ces différentes lumières, à la recherche d’une nouvelle narrativité, comme Bruce Nauman, François Morellet ou encore Claude Lévêque.
Avant d’aborder les créations contemporaines, voyons comment le statut de la lumière a évolué, de sa représentation en peinture, aux questions que soulève l’arrivée de la photographie, à son appropriation par les artistes du XXe siècle.
La lumière était aussi figurée dans les oeuvres picturales, de par le fait qu’elle est la condition du visible et la peinture une représentation de ce qui est visible. Ainsi, les premiers problèmes techniques se posèrent. Par souci de réalisme, les artistes cherchaient comment représenter les ombres, comment reproduire les différents effets de la lumière sur la matière. Cela amena les artistes et les scientifiques, comme Léonard de Vinci, à trouver comment se produit le phénomène physiquement, pour pouvoir le reproduire manuellement et le représenter par la suite dans des oeuvres.
Le Caravage et Georges de La Tour sont des exemples intéressants de contraste quant à la représentation de la lumière dans leurs tableaux. Le Caravage relève plus de la Lux, la lumière dans son oeuvre invoque la foi. Sa source n’étant pas visible, elle en devient quasi divine. Il travaille ainsi la tension entre lumière et ombre pour venir modeler la scène. Le Caravage était un peintre moderne en quelques sortes, dans le sens où il se servait de la lumière dans ses toiles comme de divers éclairages artificiels, venant renforcer l’aspect dramatique de la situation. Chez La Tour, Lux et Lumen sont toutes les deux présentes. Dans ses toiles, à l’instar du Caravage, l’on voit les sources de lumière, chandelles et torches tiennent un rôle central. Moins dramatiques, ces éclairages sont ceux de la nuit. Dans l’intimité du foyer, ses personnages pensifs, ont l’air de méditer face à la lueur de la chandelle. Il démontre ici une maîtrise quant à la réflexion de la lumière. Ses deux artistes, peintres de l’ombre et de la nuit, étaient des contemporains de Galilée et de Descartes et il ne fait nul doute qu’ils aient été influencés par leurs recherches et découvertes.
Divers courants ont émané de cette période, du clair-obscur des écoles flamandes et hollandaises, en passant par les Impressionnistes, le rôle de la lumière dans la peinture a sans cesse évolué. Il y a alors deux écoles, le réalisme qui tient à figurer la lumière comme elle apparaît dans la vraie vie, avec ses ombres etc., et ce qui tient plus des sensations, une peinture plus matérielle, plastique, voulant mettre l’accent sur les émotions et les sensations lumineuses que peut vivre le regardeur. Certains artistes cherchaient alors plus à immerger mentalement le spectateur dans la lumière, tandis qu’avec le temps, les artistes contemporains ont cherché à immerger physiquement le spectateur. Le côté immatériel de la lumière a rapidement fasciné les artistes, qui aspirent de plus en plus à donner du volume à la lumière, à délimiter un espace par ses seuls rayons.

UTILISATION DIRECTE

La photographie apparaît à la fin du XIXe siècle et devient alors une concurrente de poids pour la peinture. Elle est l’expression, l’enregistrement-même de la lumière sur une matière photosensible. Elle ouvre la porte à un nouveau monde de création pour les artistes. Avec ou sans appareils photographiques, on cherche encore à capter la réalité au plus près. La notion de temps s’affine, on est à la fois plus rapide dans la création mais il faut aussi calculer précisément l’exposition de son film, de son tirage, afin de trouver les valeurs justes. De son ancien nom, héliographie, « écriture du soleil », ce nouvel art révolutionnera notre manière de faire de l’art. Walter Benjamin s’interrogera notamment sur l’aura d’une oeuvre aussi technique dans son fameux « L’OEuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », 1936. En effet, plus une oeuvre serait artificiellement reproduite, moins elle aurait l’aura d’une oeuvre unique faite à la main (comme en peinture ou en sculpture par exemple). Cela l’éloignerait alors de la dimension mystique et religieuse attribuée à la notion d’aura. Ce concept est intéressant ici, mis en parallèle avec l’industrialisation de la lumière, le globe électrique, le tube néon, et comment les artistes contemporains sont de plus en plus amenés à présenter des oeuvres cent pour cent artificielles. Sont-elles pour autant dépourvues de spiritualité ? Ou le concept d’aura a-t-il connu une mutation ? James Turrell, entre autre, livre un très bon exemple d’oeuvres avec une aura possible.
Le XIXe siècle marque un tournant avec l’arrivée de l’électricité. Puis, au XXe siècle, des artistes comme Lucio Fontana et Lazslo Moholy Nagy s’approprient rapidement ces nouveaux objets, jusqu’à créer des pièces sculpturales avec des tubes fluorescents. Les standards de la sculpture en sont ébranlés, c’est les débuts de l’art cinétique. « Ce nouveau médium offre de multiples possibilités aux artistes, son coût, son transport, sa durée de vie, sa plasticité, l’élément clé étant sans doute sa radiance. » Ainsi elle est un vecteur d’ambiance portatif, on peut manier ce nouveau savoir de bien des manières et les avancées techniques ne cesseront d’alimenter les projets les plus récents. De James Turrell à Claude Lévêque en passant par Bruce Nauman, l’art de la lumière ne cessera d’être redéfini.
Olafur Eliasson, pour sa part, renoue avec cette science du ciel et des différents états de la lumière dans la nature, les phénomènes naturels sont revisités et recréés, peut-être à la recherche d’une nouvelle connexion avec la nature par le biais des nouvelles technologies.

POUR UNE NOUVELLE NARRATIVITÉ POÉTIQUE

DU COMMUN AU MONDE PARALLÈLE

À travers une recherche plastique et conceptuelle, je souhaite montrer le potentiel qu’ont les phénomènes (naturels) et objets (artificiels) lumineux, pour une nouvelle narrativité poétique et observer comment les conditions lumineuses contemporaines (l’usage des écrans dans l’espace publique par exemple) portent du sens qui, sorti de son contexte, prend toute sa portée artistique. Je souhaite explorer un nouveau langage esthétique et sensoriel, avec en partie l’immatérialité dans les oeuvres installatives. Travailler l’installation immersive, lumineuse et sonore, afin de faire vivre au spectateur une mise en abyme de notre monde contemporain. L’immersion dans le sens où le spectateur est pris en considération, autrement que dans un rapport frontal. Ce qui m’intéresse notamment de faire, est de créer, via les oeuvres, un « décalage » dans la réalité, étrangement familière mais bel et bien différente. L’unheimlich est un concept développé par Freud en 1919. Ce mot est composé de Heim, le foyer, et renvoie à ce qui est familier, que l’on connaît. On retrouve aussi -heim dans le mot « secret », Geheimnis, quelque chose qui doit rester caché. Enfin, le préfixe un est une négation. C’est donc un mot assez complexe et l’expliquer l’est tout autant. Il s’agit d’une sorte d’insécurité intellectuelle que l’on éprouve face à de l’étranger et de l’inconnu. Cette peur peut provenir de deux sources différentes, à la fois un retour du refoulé, et la renaissance d’une compréhension de la réalité qui a été surmontée. Pour ma part, je m’inspire de l’unheimlich pour ce qui est des ambiances, des atmosphères des installations. Cette sorte de monde parallèle serait un lieu des possibles, où les questionnements provenant du pouvoir évocateur de la lumière auraient leur place. Mes oeuvres sont narratives dans la mesure où les éléments qui les composent sont choisis pour leur lien avec la réalité et la culture, ce qu’ils évoquent naturellement. Elles sont basées sur des fragments de souvenirs, récits traduits plastiquement ensemble. Les différents éléments de l’installation (vidéo, son, objets) sont choisis pour leur qualité plastique et ce que suggère celle-ci.
Par exemple, dans une sculpture récente intitulée Trou de panique, j’ai mis en espace une voiturette de golf agrémentée d’autres éléments (holographiques et sonores). La voiturette, déjà toute seule, raconte quelque chose. De la légèreté, les vacances, le golf, rouler trop vite dans une petite voiture sur un trop grand terrain. À peine était-elle installée en galerie que des gens passaient voir, curieux, amusés de cette rencontre inusitée. On peut noter ici deux choses, à la fois le potentiel narratif de l’objet (de par les références culturelles que l’on a de l’objet) et aussi le décalage qu’il crée dans la réalité, de par sa présence dans un autre contexte (celui de l’exposition) que celui d’origine (le terrain de golf). Dans les « photologies » je fais le même exercice, mais avec des objets (sources de lumière) ou des phénomènes lumineux naturels (ex : pleine lune) que je recrée artificiellement. La narration est à la fois celle que j’ai mise personnellement à la base de l’oeuvre (souvenirs fragmentés) et celle que le visiteur peut se construire, à partir des éléments plastiques ainsi que de sa propre expérience.
Dans l’exemple de la voiturette de golf, la plupart des gens reconnaissent l’objet immédiatement.
Ensuite, la construction du récit peut différer selon les expériences de chacun. Entre celui qui a l’habitude d’aller jouer au golf tous les dimanches matin et celui qui ne l’a vu qu’à la télévision, dans des films, on peut supposer que ce n’est pas la même expérience, relation avec l’objet. De fait, le récit qu’ils vont construire en voyant l’objet devrait être différent. Ainsi, à partir d’une première narration (celle de l’artiste), transposée sous la forme d’une installation, on peut arriver à une multitude de narrations, récits à construire, selon le vécu et la culture de chacun. Ci-dessous un bref schéma reprenant cette idée :

L’ERRANCE POUR MÉTHODE

Ma méthode est processuelle et peut ressembler à une approche heuristique, dans le sens que je fais la découverte de ce que je cherche par l’expérience aléatoire ou presque. Je qualifierai cette approche d’errance, puisqu’elle m’amène à une trouvaille, un résultat interprétable. Les notions de flânage (Baudelaire) et de dérive (Debord) seront aussi étudiées en tant que méthodes connexes à l’errance.
L’errance comme prétexte et contexte à étudier un certain type de lumière, dans un univers donné. Puis, de la compréhension et l’interprétation que j’ai faite de cette expérience, la retranscrire dans une oeuvre installative pour la communiquer aux autres. Par la spatialisation et l’immersion, amener le spectateur à revivre une errance similaire à celle qui a été vécue lors de la visualisation et création de l’oeuvre, par l’artiste. Il y a ainsi une transmission qui s’opère entre le créateur et le spectateur. L’errance est à la base de ma création, ainsi que suggérée au visiteur, lorsqu’il est dans l’espace d’exposition. Le son et la lumière sont mis en espace de manière à ce que le spectateur se déplace.
Ces photologies tendent à raconter une tranche de vie, un instant, de par la puissance évocatrice contenue dans la plasticité de l’oeuvre. Cela revient à se demander comment l’on peut modifier sa propre existence et histoire, en modifiant et détournant ce qui nous permet de voir littéralement (la lumière).
Je pense que cette recherche me permettra de comprendre plus amplement l’influence de l’évolution de cette technologie sur la production artistique. Je souhaite, à travers ma démarche, créer une oeuvre singulière et cohérente, qui sera le témoin de l’expérience sensible vécue lors de cette recherche-création. Qui plus est, changer le regard que peuvent avoir les gens sur leur univers, retourner à une certaine sensibilité de l’espace et du temps, par une exploration et une perception quasi ancestrale de la lumière 2.1 LUX, ENTRE SPIRITUEL ET EXPÉRIENCE ESTHÉTIQUE « L’oeil absorbe la lumière, il ne la reflète pas. Voir, c’est absorber la lumière, absorber les images 6. » JAMES TURRELL
S’il est un nom que l’on associe immédiatement à la lumière dans l’art contemporain, c’est bien celui de James Turrell. Artiste américain, il fait partie du groupe des années soixante, Light and Space.
Ses membres travaillent essentiellement sur les différents phénomènes de la perception. Turrell développe son travail autour de la lumière qui révèle ses propres qualités comme médium et non comme outil pour révéler celles d’un autre objet. Il dit : « Il y a cette nouvelle expérience scientifique qui tendrait à prouver que la lumière sait quand nous la regardons.(…) L’idée que la lumière puisse posséder un savoir propre m’intéresse dans la mesure où cela change notre perception de la réalité 7. »
Il existe un certain côté mystique chez James Turrell, qui s’explique entre autres, par son enfance et éducation chez les Quakers8. On peut voir ici, comme chez le réalisateur David Lynch, un attrait pour une autre nature, étrange et inexpliquée, où la lumière aurait bien plus de sens et de répondant qu’on ne le considère dans la société occidentale « classique ». Ainsi Turrell sculpte de nouveaux espaces inédits porteurs d’une certaine présence. Il travaille à susciter une émotion visuelle chez le visiteur, dans un dialogue précis entre lumière naturelle et lumière artificielle subtilement dosée. Pionnier de l’art « perceptuel », ses Skyspace sont un bon exemple de comment construire et amener une nouvelle perception. Il a modifié l’architecture de pièces closes afin d’y faire une ouverture au plafond, à travers laquelle on peut voir le ciel. Il crée là des environnements sensibles mettant en valeur ce qui est toujours au-dessus de nos têtes mais dont on ne capte pas toujours la beauté, il s’agit d’observatoires. Dans ce sens, Turrell rejoint cette ancienne tradition du XVIIe siècle, où astronomes et artistes travaillaient en étroite collaboration, les découvertes de l’un influençant celles de l’autre, et vice versa.
L’autre pendant de son oeuvre reste la création d’espaces colorés via une lumière artificielle, l’effet de celle-ci dans l’espace. Il s’agit souvent d’environnements clos qui accordent une immersion totale au spectateur et une meilleure visualisation de la lumière et de l’espace. Dans ces lieux, les sens du spectateur sont mis à l’épreuve. On ne discerne plus toujours l’intérieur de l’extérieur, le haut du bas, savoir où commence et s’achève l’espace, ou même s’il existe une continuité spatio-temporelle. Pour faire une véritable expérience de l’oeuvre, le spectateur doit s’engager et passer du temps dans l’installation.
C’est aussi pour cela que ces environnements amènent à l’errance, par la spatialisation de la lumière. Tout cela est finement orchestré par une mise en scène minutieuse de la lumière et de la couleur. Il utilise pour ces effets, des projecteurs spéciaux, à haute densité, donnant ainsi un certain volume à la lumière. Dans cette optique, Georges Didi-Huberman a écrit, en 2001, L’Homme qui marchait dans la couleur. Ce livre est une sorte de fable dans laquelle Turrell est le héros. L’auteur fait de l’oeuvre du sculpteur une errance dans un désert, à travers lequel un homme façonne des lieux, avec de la lumière. On atteint presque ici, le cheminement spirituel, la métaphore de la lumière comme élévation de l’esprit et voie à suivre. Je me retrouve dans le travail de Turrell, là où il affirme que la lumière a un savoir propre, et que celui qui y est ouvert, voit sa perception de la réalité bouleversée.
Si le sculpteur pousse ce concept à l’extrême dans les environnements dépouillés de tout superflus qu’il crée, pour ma part cela m’attire de travailler avec des objets déjà existants, qui ont été façonnés par l’homme et qui peuvent parler à tout le monde, de par ce qu’ils évoquent naturellement.

BRUCE NAUMAN

Il y a une période chez Bruce Nauman qui rejoint mes intérêts. Dans les années soixante il a fait partie des avant-gardistes à utiliser des matériaux alors inusités dans l’art. Il entreprend des performances où il manipule un tube fluorescent de deux mètres. Il le tient dans ses mains et le place dans différentes positions, selon celle que prend son corps. Tantôt colonne vertébrale, tantôt sexe démesuré, Nauman tente de développer un nouveau langage avec et via l’objet.la fin des années soixante, il commence à travailler la figure du couloir, corridor. Entre Dream Passage with Four Corridors (1984) et Green Light Corridor (1970), l’artiste met à mal le visiteur qui s’engouffre dans ces passages étroits. Il use du néon pour sa lumière blafarde et son côté agressif, sans répit. Cette expérience immersive par la force, peut rappeler à certains de mauvaises expériences vécues au détour d’une ruelle, ou lorsqu’on en vient à longer un mur et à fixer le sol, pour ne pas réveiller une violence sourde mais présente, menaçante. À propos de sa démarche, l’artiste dit : « Ma démarche résulte de la frustration que je ressens face à la condition humaine, face au fait que les gens refusent de se comprendre et face à la cruauté qu’ils entretiennent les uns envers les autres.
Je ne pense pas pouvoir changer quoi que ce soit mais c’est un aspect très frustrant de l’histoire humaine9. » Ainsi il utilise aussi un médium lumineux et coloré pour exprimer ses maux les plus sombres. Il a réalisé de nombreuses sculptures de néon, des phrases prônant la vie plutôt que la mort, la paix plutôt que la guerre, le tout avec un humour décalé et des jeux de mots adoucissant le propos. Il est aussi l’un de ceux qui a littéralement dessiné avec le néon ; des personnages nus dans tous les sens, reprenant et poussant à l’extrême l’idée des enseignes à caractère sexuel, son kamasutra contemporain brille de mille feux. L’évocation ne fait aucun doute ici, les jeux de la nuit, les plaisirs secrets et inavoués sont exposés au grand jour, dans des oeuvres où le clignotement attire le regard.
On peut retrouver dans certains de ses travaux et des miens, une corrélation dans la dimension scénique que prennent les installations. Proche de la scénographie, les visiteurs ont à déambuler pour “activer” l’oeuvre. YANN POCREAU.J’ai découvert récemment l’artiste québécois Yann Pocreau. La première chose qui m’a attirée dans son travail est évidemment l’omniprésence de la lumière. Puis de constater que son sujet de prédilection et ses intérêts touchent de très près les miens. En effet, sa recherche principale porte sur la présence de la lumière dans des espaces précis et ce que peut suggérer sa présence, sur le plan narratif. Son travail a d’abord connu une phase photographique importante où il explorait aussi la lumière en tant que matériau principal, exploitant ainsi ses qualités physiques, la diffraction etc. Il a travaillé à sa mise en scène tant dans l’image photographique que dans l’architecture. L’artiste a aussi travaillé avec des objets lumineux directs, comme des ampoules à filament qu’il a assemblées en sculptures. Enfin, il y a des installations où le potentiel narratif de la lumière ne peut nous échapper, comme dans sa « cathédrale » de 2013. Il y offre à la fois une expérience sensorielle forte, tel un rayon du soleil que l’on capte en plein oeil, tout en y évoquant un souvenir, une image connue de tous issue de l’expérience collective, celle de déambuler silencieusement dans une église. Cette oeuvre est intéressante car elle réunit plusieurs aspects de son travail. L’image en deux dimensions, celle de la cathédrale, est mise en scène dans une architecture (celle de la galerie). Puis l’artiste est intervenu pour ouvrir cette cloison, afin d’y laisser pénétrer une lumière artificielle forte, se voulant la représentation d’une lumière naturelle.
Cela me rappelle un projet que j’ai réalisé en 2017, et qui portait aussi sur le potentiel narratif des lumières d’églises. J’avais recréé un confessionnal tout en carton. Ce matériau léger et fragile, vient en contradiction avec l’architecture des lieux de cultes qui sont faits de matériaux lourds et écrasants, donnant un certain « poids » à la religion qu’ils abritent. Il y eut une première longue période de création où j’ai découpé toutes les petites croix formant la grille du confessionnal. Je les ai placées à une certaine hauteur, pour que cela soit à la hauteur des yeux, que l’on soit assis ou debout. Derrière la structure en carton sont installés deux spots, avec deux gélatines chacun. Rouge et vert pour le premier, jaune et bleu pour le second. L’angle selon lequel ils sont placés donnent certains rayons de lumière colorée, qui créent toute l’atmosphère. Une ambiance psychédélique voire cinétique, qui se veut faire référence aux vitraux d’église. Il s’agissait également d’un travail portant sur le silence, et ce dernier fut partie prenante tant dans la création même de l’oeuvre que dans sa présentation, ainsi que dans ce qu’elle amenait à vivre au spectateur.
Le parcours de recherche de Yann Pocreau est vraiment intéressant et caractéristique, selon moi, pour qui travaille avec et sur la lumière. Entre le 2D et la 3D, l’artiste fait des va et vient mais explore toujours, plus ou moins, la même thématique : Comment faire dire quelque chose à la lumière, comment la mettre en scène de manière à ce qu’elle soit évocatrice ? Tout comme le fait d’exploiter des objets lumineux directs, comme des ampoules ou des néons, la plupart des artistes de la lumière le font et sans chercher à cacher l’objet. Au contraire, la source même de la lumière est mise en avant, magnifiée, assumée. Je remarque aussi une similitude dans le parcours, du passage de la photographie au volume.

LUMEN, OU LE MONDE NATUREL LUDOVIC SAUVAGE

Simple et efficace, l’oeuvre Plein soleil de Ludovic Sauvage a beaucoup à dire sur et avec la lumière. Un diaporama de 81 diapositives est projeté, il s’agit de photos collectées auprès d’un particulier, derniers témoins de vacances passées dans le Sud de la France, là où le soleil de la Provence est réputé ardent.
Ces cartes postales caractéristiques, où il ne pleut jamais, représentent un idéal transpercé par les rayons du soleil. Ici, l’artiste a perforé les diapositives en leur centre, obtenant ainsi, un énorme soleil. La répétition que produit la projection nous fait vite comprendre l’intention. Le paysage est presque défiguré par cette ablation. Pourtant, comme le fait de regarder le soleil de face nous brûle les yeux, ici c’est comme si la lumière du projecteur avait brûlé en son centre la diapositive. Cette absence nous parle aussi de la chaleur qu’on peut aisément imaginer dans un tel paysage. À force de répétition mécanique, nos yeux s’habituent à la présence du trou, la persistance rétinienne intervient alors et il est de plus en plus difficile de déchiffrer au plus vite le paysage alentour, avant que l’image ne change. Ludovic Sauvage reproduit en quelque sorte, l’effet d’aveuglement du Soleil, quand regardé de face. Alors que l’on regarde ces diapositives sans soleil représenté, le rendu n’en est que d’autant plus fort. Ce genre de travail me touche notamment car il est du domaine de l’archive et de la sauvegarde, en quelques sortes. J’ai personnellement un goût prononcé pour les vieux objets, du projecteur rétro aux premiers appareils photographiques en passant par les vieux outils, il y a quelque chose dans leur esthétique qui me fascine plus que le tout-en-plastique d’aujourd’hui. Idem pour les vieilles cartes postales, j’ai tendance à avoir diverses collections d’objets et images appartenant au passé. Si celles de Ludovic Sauvage ne proviennent pas directement de sa collection personnelle, les sons que l’on entend dans l’exposition Nyx, don’t be afraid, sont issus de mes propres archives.

KATIE PATERSON

Katie Paterson est une artiste écossaise née en 1981. Elle collabore avec des scientifiques et des chercheurs internationaux10, pour développer de nouvelles technologies sophistiquées, et qui explorent les thèmes de l’intime, des questions philosophiques et du poétique, dans les liens que les gens entretiennent avec leur environnement. Elle s’intéresse au cosmos et au temps, à notre place dans l’univers et à comment ouvrir de nouvelles perceptions. En 2008, elle a travaillé avec des chercheurs 10 Avec l’Agence Spatiale Européenne notamment, pour le projet Campo del Cielo, Field of the Sky, 2014. à créer un globe qui simule la lumière de la Lune. Suite à des mesures spectrales de la lumière lunaire, un set de 289 globes voit le jour (Voir photo ci-dessous). Il permet de fournir à un être humain à la durée de vie relativement « normale » (calculée selon des statistiques), assez de globes de lumière lunaire qu’il en faut pour toute sa vie.

OLIVIER CLAUSSE

Une autre manifestation de la nature, celle créée par Olivier Clausse. Scénographe et éclairagiste français, il conçoit divers environnements pour des productions théâtrales, musicales et performatives. En 2015, il réalise l’installation « le Champ », où lumière et son cohabitent significativement. Le Champ est composé de soixante douze ampoules à filament tungstène, installées sur des « piquets » et réparties pour former un grand carré, rappelant la forme du champ. Des sons se font entendre, tantôt un coassement, tantôt le bruit des oiseaux et celui du vent. La diffusion du son est jumelée avec celle de la lumière, créant ainsi des variations d’intensité lumineuse.
Cette oeuvre est un bon exemple du potentiel narratif et évocateur de la lumière. À ce sujet, l’auteur dit que c’est une : « création librement inspirée des reflets d’un champ de blé au soleil et de l’ensemble des souvenirs inhérents à ces moments purement contemplatifs. » Pour quiconque ayant déjà vécu à la campagne, on imagine assez bien l’univers auquel il fait référence, lorsque l’on contemple son Champ. Un orage éclate à un moment donné dans l’oeuvre, et c’est alors une effervescence lumineuse qui se joue. L’immatérialité apporte un côté ludique, car si les ampoules sont mises en avant ici comme seules composantes visibles de l’oeuvre, c’est bien le dialogue entre le son et la lumière qui attire et fascine le visiteur. Lorsque l’on comprend la liaison entre les deux sources, on appréhende avec envie la suite des événements, une histoire est alors créée sous nos yeux, avec la mémoire et l’histoire de chacun, pour seule limite.

DE L’ARTIFICIEL À LA MYTHOLOGIE CONTEMPORAINE

Il sera question ici d’explorer l’usage de la lumière artificielle chez certains artistes, et comment celle-ci contribue à créer une mythologie contemporaine, dans le sens où ces objets créés au XIXe et XXe siècles, commencent à avoir leur propre histoire au XXIe siècle.

TODD HIDO

C’est majoritairement à bord de sa voiture, que Todd Hido découvre les paysages, les gens qu’il va photographier. L’artiste travaille seul, sans assistant, sans éclairage supplémentaire, seulement lui et sa caméra. Pourtant, lorsque l’on regarde son travail, il y a des ambiances dignes des plateaux de cinéma. Des banlieues américaines quasi désertes, où seule la lumière nous donne une certaine trace de vie. Le « décor » est banal, presque impersonnel, une maison dont le même modèle à une couleur près, est répliqué quelques mètres plus loin. Des fenêtres souvent masquées par un rideau, émane une lumière forte, presque surréelle. Cependant, si une atmosphère étrange transpire de ces images, aucune supercherie ici. Tout est pris dans l’état dans lequel il a été trouvé, seule la caméra va jouer sur certaines modalités, comme le temps de pose, ce qui confère aux lumières de Todd Hido, un souci des détails, elles révèlent les aspérités du sol, les craquelures des murs. L’auteur ne cherche pas à dresser un portrait glamour des États-Unis. La lumière jaillissante des entrées, semble comme nous appeler, tels les rayons d’un vaisseau spatial attirant sa proie, c’est comme si la lumière s’adressait à nous. Par ailleurs, chacun peut voir dans ces maisons, quelque chose de familier, un univers déjà rencontré et qui n’est pourtant pas le nôtre. Todd Hido est aux abords de la photographie documentaire, avec ses images parfaitement cadrées, maîtrisées de A à Z. Elles sont pourtant plus intimes qu’elles n’en ont l’air. En effet, l’auteur a lui-même grandi dans un environnement similaire à celui de ses images, et retrace alors une sorte d’itinéraire mémoriel, dont la lumière ambiante va faire ressurgir les souvenirs d’une époque révolue. Il renforce le côté atemporel de ses photographies en privilégiant les prises de vues au lever ou au coucher du soleil, ce qui donne une lumière spéciale, entre chien et loup, où l’on ne sait plus trop si l’on est le matin, ou le soir.

FELIX GONZALES-TORRES

Dans un autre registre, j’ai toujours aimé le travail délicat de Felix Gonzales-Torres. Artiste cubano-américain né dans les années cinquante, il commence à faire des guirlandes électriques en 1991, date à laquelle son compagnon disparaît des suites du SIDA11. Untitled (Last light) est une guirlande composée de 24 ampoules, à l’image des vingt-quatre heures d’une journée. Elles sont changées au fur et à mesure qu’elles s’éteignent, représentant ainsi le passage du temps, le phénomène cyclique de la vie et de la mort.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : RETOUR AUX SOURCES
1.1 LA VOCATION DE LA LUMIÈRE
1.1.1 L’ORIGINE DU MONDE
1.1.2 DU TANGIBLE À L’IMMATÉRIALITÉ
1.1.3 PIÈGES ET POLYSÉMIES
1.1.4 ENTRE CULTE ET CULTURE
1.2 UNE RELATION DATÉE DES ARTISTES AVEC LA LUMIÈRE
1.2.1 DE L’ART DE REPRÉSENTER
1.2.2 UTILISATION DIRECTE
1.3 POUR UNE NOUVELLE NARRATIVITÉ POÉTIQUE
1.3.1 DU COMMUN AU MONDE PARALLÈLE
1.3.2 L’ERRANCE POUR MÉTHODE
CHAPITRE 2 : LA LUMIÈRE DANS LES ARTS, QUESTIONNEMENTS ET ENJEUX CONTEMPORAINS
2.1 LUX, ENTRE SPIRITUEL ET EXPÉRIENCE ESTHÉTIQUE
2.2 LUMEN, OU LE MONDE NATUREL
2.3 DE L’ARTIFICIEL À LA MYTHOLOGIE CONTEMPORAINE
2.4 DE L’IMMERSION AU NON-LIEU
2.4.1 UNE IMMATÉRIALITÉ SIGNIFICATIVE
2.4.2 ERRANCES CRÉATRICES
CHAPITRE 3 : NYX
3.1 AMORCES
3.1.1 ZONES SILENCE, OCTOBRE 2017
3.1.2 FORÊT, HIVER 2018
3.2 NYXOLOGIE, POUR UNE PENSÉE NUITALE
3.2.1 UNE HISTOIRE NOCTURNE
3.2.2 LA NUIT COMME TOILE DE FOND
3.3 NYX, DON’T BE AFRAID.
3.3.1 : NYX 1
3.3.2 : NYX 2
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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