La littérature pour la jeunesse

La littérature pour la jeunesse

INTRODUCTION

  Dès ses vingt ans, Jules Verne (1828-1905) décide de s’orienter vers la littérature plutôt que vers le droit et dévore les œuvres de ses contemporains, entre autres celles de Victor Hugo,Alexandre Dumas, Alfred de Vigny et Alfred de Musset. Son intérêt pour le théâtre le pousse à aller travailler pendant quatre ans, de 1851 à 1855, auprès de Jules Seveste, directeur du Théâtre lyrique. li y écrit des comédies et des opérettes 1. En 1862, il se tourne vers le roman et travaille, avec Pierre-Jules Hetzel, éditeur français déjà connu qui s’intéresse à la littérature pour la jeunesse, à la création de ses Voyages extraordinaires dans les mondes connus et inconnus, qui lui permettront de vivre de sa plume2. Des quelque soixante romans qu’il a publiés, certains ont vu leur tirage s’élever à plus de cent mille exemplaires3• Aujourd’hui, Jules Verne est non seulement réputé pour ses nombreuses histoires « extraordinaires », dont plusieurs figurent parmi les grands classiques de la littérature française, mais il est aussi consacré par l’ institution littéraire; il existe notamment un centre de recherche à son nom (Centre international Jules Verne à Amiens, en France), ainsi qu’une revue portant exclusivement sur lui (Revue Jules Verne, développée par le Centre international Jules Verne). De nombreuses adaptations dramatiques et cinématographiques de ses œuvres ont d’ ailleurs vu le jour.

  Enfin, mentionnons que Jules Verne est l’auteur français le plus traduit au monde (et le deuxième toutes langues confondues après Agatha Christie)4. Auteur prolifique, Jules Verne est considéré comme le père de la science-fiction française,puisqu’il a fondé un genre nouveau, celui du roman d’anticipation. Le roman d’anticipation relate des faits futurs, tout comme le fait une prédiction. Toutefois, les événements rapportés et les inventions dépeintes sont présentés comme actuels. Comme le souligne Jacques Demougin, « la nouveauté de la littérature d’anticipation vient de ce qu’elle est inséparable d’un “sens de l’histoire” , lui-même relié à une conception nouvelle – du moins en Europe – de la science, et que traduit la double croyance du XVIIIe siècle au progrès et à un droit au bonheurS ». Ce qui fait justement la particularité des romans de Jules Verne, c’est qu’il intègre dans ses récits un savoir scientifique qui n’est pas encore atteint à son époque (anticipation), en s’ appuyant cependant sur les acquis de la science. Il cherche ainsi à enseigner et à transmettre des connaissances scientifiques à ses lecteurs : il se donnait en effet pour objectif de « résumer toutes les connaissances géographiques,géologiques, physiques, astronomiques amassées par la science moderne et refaire […] l’histoire de l’ univers 6 ». Le savoir scientifique, auquel recourt Jules Verne, se trouve inséré dans des œuvres  qui relèvent de plusieurs genres littéraires à la fois: roman d’aventures, récit de voyage, utopie et,comme nous venons de l’évoquer, roman d’ anticipation. Cette hétérogénéité formelle, que l’on peut rapprocher de l’hybridité générique plus propre auxxe siècle, est d’ailleurs caractéristique du roman d’ anticipation, qui convoque souvent l’utopie et le roman d’aventures.

CONTRAINTES GÉNÉRIQUES ET PACTE DE LECTURE

  Lors de la rédaction d’un texte, l’auteur doit faire plusieurs choix, qu’ ils soient formels, stylistiques, thématiques ou autres . Certains de ces choix s’effectueront en fonction du genre littéraire dans lequel il désire inscrire son œuvre. Selon le genre privilégié, des contraintes s’imposeront à lui, auxquelles il pourra ou non se conformer: […] du côté de la production de l’œuvre, le genre fournit un modèle à partir duquel l’ auteur peut ou non répondre à l’attente, un ensemble de règles ou de lignes de conduite qu’il peut suivre ou transgresser, des virtualités qu’il peut exploiter ou négliger24 .Si l’œuvre appartient à un genre littéraire connu, mais que l’ auteur en a nuancé, rectifié ou transgressé certaines règles, ou encore s’il s’ agit d’un genre nouveau, le lecteur risque d’être déstabilisé. Toutes les attitudes sont alors possibles, de l’incompréhension totale à la jouissance esthétique pure, en passant par la curiosité, la déception, le rejet, l’indifférence, etc.En optant pour un genre littéraire plutôt qu’un autre, l’auteur formule un pacte de lecture implicite avec ses lecteurs, ce dernier se définissant, entre autres, par les éléments constitutifs du genre retenu. Il faut toutefois souligner que non seulement «[. .. ] les différences génériques entraînent des pactes de lecture différents […]25)}, mais que le pacte peut être ou non respecté par le texte: «il apparaît […] que les déclarations d’intentions explicites des auteurs, ou les conventions qui fondent un accord implicite peuvent être soumises à toutes sortes de complications et distorsions 26 )}.

  Dans tous les cas, le pacte de lecture établi à partir des catégories génériques procure aux lecteurs une certaine attente face à l’œuvre littéraire: « Il s’agit, en définition globale, d’une entente tacite établie à partir et à l’égard d’ un texte; elle met en jeu les concordances entre, d’une part, la matière et les visées du texte et, d’autre part, les connaissances et les visées du lecteur27 )}.Les genres littéraires agissent alors comme un repère pour le lecteur, qui ne plonge jamais totalement dans l’ inconnu lorsqu’il commence la lecture d’ un livre: Le texte nouveau évoque pour le lecteur (ou l’auditeur) tout un ensemble d’attentes et de règles du jeu avec lesquelles les textes antérieurs l’ont familiarisé et qui, au fil de la lecture, peuvent être modulées, corrigées, modifiées ou simplement reproduites. La modulation et la correction s’inscrivent dans le champ à l’intérieur duquel évolue la structure d’un genre, la modification et la reproduction en marquent les frontières.  S’il a déjà lu une œuvre relevant du même genre littéraire, il saura qu’elle doit revêtir certaines caractéristiques particulières. Le lecteur possède ainsi une expérience littéraire plus ou moins grande selon le nombre d’œuvres qu’il a lues et selon les différents genres qu’ il a rencontrés dans ses lectures. D’ailleurs, s’ il aborde un nouveau genre littéraire, les caractéristiques de ce genre s’ajouteront à ses connaissances littéraires antérieures et lui permettront de le reconnaître lors de ses lectures ultérieures. C’est ainsi que le lecteur se crée un horizon d’attente. Ce dernier peut se définir comme un système de références objectivement formulable qui, pour chaque œuvre au moment de l’histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs principaux: l’ expérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique d’œuvres antérieures dont elle présuppose la connaissance, et l’opposition entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire et réalité quotidienne29 .À la lecture du texte, le lecteur peut aussi établir certaines relations entre sa vie et les événements qui se déroulent dans le livre :
L’œuvre littéraire nouvelle est reçue et jugée non seulement par contraste avec un arrière-plan d’ autres formes artistiques, mais aussi par rapport à l’arrière-plan de l’expérience de la vie quotidienne. La composante éthique de sa fonction sociale doit  être elle aussi appréhendée par l’esthétique de la réception en termes de question et réponse, de problème et de solution, tels qu’ils se présentent dans le contexte historique, en fonction de l’horizon où s’inscrit son action30 . Les propos tenus dans l’œuvre provoqueront diverses émotions auprès du lecteur selon la société dans laquelle il a été élevé, la culture dans laquelle il a baigné. Dans cette optique, lors de l’ analyse de l’horizon d’attente d’une œuvre, l’univers social du lecteur doit être considéré au même titre que ses goûts personnels et son expérience littéraire.

Les œuvres de Jules Verne à l’ étude dans ce mémoire s’ inspirent de genres littéraires différents, que les lecteurs pouvaient reconnaître et retrouver dans d’ autres œuvres de l’ époque,hormis un, le roman d’ anticipation. Ce nouveau genre littéraire a alors pu modifier l’horizon d’attente des lecteurs, car il s’ agissait d’ un genre qui ne faisait pas partie de leur expérience préalable:Les genres littéraires ne sont pas des êtres en soi : ils constituent, à chaque époque, une sorte de code implicite à travers lequel, et grâce auquel, les œuvres du passé et les œuvres nouvelles peuvent être reçues et classées par les lecteurs. C’ est par rapport à des modèles, à des «horizons d’ attente », à toute une géographie variable, que les textes littéraires sont produits puis reçus, qu’ ils satisfassent cette attente ou qu’ ils la transgressent et la forcent à se renouveler. Comme les autres institutions sociales, le système des genres est gouverné par une force d’ inertie (qui tend à assurer une continuité facilitant la communication), et par une force de changement (une littérature n’ étant vivante que dans la mesure où elle transforme l’attente des lecteurs)31 .En choisissant d’exploiter un genre nouveau pour l’époque, Verne prenait le risque de voir les lecteurs se détourner de ses œuvres. C ‘ est peut-être pour cette raison qu’rI a utilisé et combiné des éléments relevant d’ autres genres littéraires qui étaient non seulement connus, mais prisés par les lecteurs de l’ époque

La littérature pour la jeunesse

  La particularité de la littérature pour la jeunesse réside dans son public cible: «[L]a littérature de jeunesse ne se reconnaît pas à quelque chose, mais à quelqu’un, le destinataire, ce que souligne, toujours, la construction prépositive: “pour la jeunesse” ou encore “de la jeunesse33 ” ».Bien que cette littérature soit destinée à la jeunesse, elle touche un premier lectorat, celui des parents, puisque c’est par leur entremise que le livre sera remis entre les mains de l’enfant: « C’est l’adulte qui va acquérir le texte, qui va le lire par-dessus l’épaule, et donc à qui le livre doit plaire en premier lieu […]34 ». Ce sont les parents qui jugeront le roman approprié ou non pour leur enfant, qui décideront s’il peut ou non lire ce type de livre. Il reste toutefois que l’œuvre s’adresse avant tout à l’enfant, même si elle doit aussi plaire aux parents. La littérature pour la jeunesse est ainsi caractérisée par le public à qui elle s’adresse..et déploie conséquemment certaines stratégies discursives et narratives différentes de la littérature pour adultes. Les œuvres de Jules Verne sont écrites et publiées durant la seconde partie du XIxe siècle, époque marquée en France par un effort d’alphabétisation, au cours de laquelle un nouveau lectorat fait son apparition: «Un nouveau public se constitue, mi-juvénile mi-populaire, avide de lecture, mais encore peu conscient de ses intérêts et de ses besoins 3 5 )).  La littérature pour la jeunesse ne sera pas considérée ici comme un genre littéraire, au même titre que le roman d’ aventures ou le roman d’ anticipation.

  Il s’ agit davantage d’ une catégorie littéraire, définie principalement par son public, au même titre que la littérature réservée aux adultes. Pierre-Jules Hetzel est l’ un des 32 premiers éditeurs à publier de la littérature pour la jeunesse et à réfléchir sur la spécificité de cette littérature: [1]1 Y a en France un préjugé fatal à la jeunesse. Ce préjugé consiste à croire que pour convenir aux enfants, un livre doit être fait dans des conditions telles que l’âge mÛT ne puisse y trouver son compte. Ceci conduirait tout simplement à dire qu ‘ un homme de talent ne saurait se faire comprendre des enfants, sans se rapetisser, et que les livres qui se font aimer des enfants ne sauraient être que des livres médiocres. C’est calomnier à la fois et les enfants et les livres qu’ils goûtent36 .La qualité des livres offerts à la jeunesse doit, par conséquent, être équivalente à celle des livres pour adultes.

  Leur but est toutefois quelque peu différent puisque, dans le cas des livres pour la jeunesse, il s’ agit, selon un précepte cher au siècle classique et fort approprié dans le cas des livres pour les jeunes, d’instruire, mais en amusant: « Ce qu’Hetzel a bien compris, c’ est que l’enfant ne veut pas être éduqué – ou pas seulement – , et certainement pas essentiellement. Il veut rêver. Il veut imaginer3 7 ». C’est en ayant en tête cette double visée de la littérature pour la jeunesse que Pierre-Jules Hetzel fonde et nomme, en 1864, le périodique qu’il dirigera jusqu’à sa mort, en 1886, et dans lequel il publiera, entre autres , de la littérature pour la jeunesse: Le Magasin déducation et de récréation. Dès ses débuts, le périodique accueillera en ses pages les romans de Jules Verne.

Métaphores, comparaisons, descriptions, explications

  Afin de vulgariser ses propos en ce qui a trait aux diverses sciences convoquées, Jules Verne privilégie l’usage de la métaphore et de la comparaison, à l’instar de nombreux auteurs de récits de voyage. Ces figures de style « permettent de dire l’ailleurs en se servant de références liées à l’ici de l’écrivain et du lecteurl09 ». Verne compare les découvertes de ses personnages à des éléments que les lecteurs peuvent retrouver dans leur vie quotidienne. Il s’agit ici plus de comparer que de décrire un élément que les personnages ont déjà vu, comme lorsque les personnages utilisent des cartes géographiques. Dans Autour de la lune, nous retrouvons les descriptions de ce que les personnages voient à partir du boulet. Ce peut être l’ espace, la lune ou encore les effets divers du soleil. À l’ époque, la lune s’ avérait un astre mystérieux, soulevant nombre d’interrogations puisque personne n’ y était allé. Aussi, lorsque les personnages regardent la lune, ils ne sont pas certains de ce qu’ ils y voient; ils avancent alors certaines suppositions sur ce qu ‘ ils pensent voir et les autres rectifient leurs propos au mieux de leurs connaissances : Michel Ardan était en observation près du président, quand il remarqua de longues lignes blanches, vivement éclairées par les rayons directs du soleil. C’ était une succession de sillons lumineux très différents du rayonnement que Copernic présentait naguère. Ils s’allongeaient parallèlement les uns aux autres. Michel, avec son aplomb habituel, ne manqua pas de s’écrier: « Tiens! Des champs cultivés! – Des champs cultivés? répondit Nicholl, haussant les épaules. – Labourés tout au moins, répliqua Michel Ardan. Mais quels laboureurs que ces Sélénites, et quels bœufs gigantesques ils doivent atteler à leur charrue pour creuser de tels sillons! – Ce ne sont pas des sillons, dit Barbicane, ce sont des rainures. (TL , p. 351-352)

  En lisant ces lignes, les lecteurs apprennent que les rainures sur la lune sont semblables aux champs cultivés sur la terre. Les comparaisons, tout comme les métaphores, sont des manières de présenter aux lecteurs des éléments qu ‘ ils n’ ontjamais vus eux-mêmes et de mieux leur faire comprendre les propos abordés.Les romans de Jules Verne regorgent de descriptions, donnant un aperçu de ce que les personnages voient. Elles apportent des informations sur la topographie, les différentes nations ou encore sur le fonctionnement d’ un objet en particulier. Nous savons que chaque roman décrit des endroits différents, avec leurs caractéristiques particulières, faisant des Voyages extraordinaires un tour du monde littéraire. Dans Cinq semaines en ballon, ce sont les pays d’ Afrique qui sont mis de l’avant :[ . .. ] il [le ballon] passait au-dessus du Mabunguru, pays pierreux, parsemé de blocs de syénite d’ un beau poli, et tout bosselé de roches en dos d’âne; des masses coniques, semblables aux rochers de Karnak, hérissaient le sol comme autant de dolmens druidiques; de nombreux ossements de buffles et d’éléphants blanchissaient çà et là; il Y avait peu d’arbres, sinon dans l’est, des bois profonds sous lesquels se cachaient quelques villages. (CSB, p. 99-100

    Les personnages observent le paysage exotique ‘qui défile sous leurs yeux, ainsi que la population indigène qui y réside. Il arrive souvent que le docteur Fergusson donne des explications sur ce qui l’entoure ou sur ce qu’il voit. Alors que le ballon survole la capitale de Loggoum, les personnages aperçoivent des hommes d’une grosseur considérable: « C’étaient de singuliers personnages que ces courtisans […]; ils avaient des ventres énormes, dont quelques-uns semblaient postiches. Le docteur étonna ses compagnons en leur apprenant que c’était la manière de faire sa cour au sultan. La rotondité de l’abdomen indiquait l’ambition des gens ». (CSB, p. 251) Nous constatons ici que Jules Verne s’intéressait aux sciences humaines, en particulier à l’ethnologie.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1
1. La littérature pour la jeunesse
1.1 . De la technique à l’imagination
2. Le roman d’ aventures 
3. Le récit de voyage
4. Le roman d’ anticipation 
5. L’utopie
CHAPITRE 2
1. Divertir 
1.1. Le héros et sa quête (actions et péripéties)
1.2. Mystères et suspense
1.3. Le voyage et la découverte d’ un nouveau monde
1.4. Quand il est question d’émotions
2. Instruire
2.1 . Vraisemblance
2.2. Métaphores, comparaisons, descriptions, explications
2.3 . Expériences et questionnements 
CHAPITRE 3
1. L’horizon d’ attente 
2. La réception critique des romans de Jules Verne
2.1. Des romans pour la jeunesse
2.1.1. De l’ instruction à la morale
2.1.2. Le merveilleux chez Verne
2.2 Le réalisme de Verne
2.3 Le voyage, l’ imaginaire
2.4. Le roman d’ anticipation 
CONCLUSION
ANNEXE
BIDLIOGRAPHIE

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