La littérature des Coréens du Japon

La littérature des Coréens du Japon et quelques précisions historiques 

La littérature issue de la population coréenne du Japon, amenée à constituer plus tard un genre littéraire, émerge dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la Corée est libérée du joug japonais après 35 ans de colonisation. C’est alors aussi que sont rétablies les frontières entre les deux pays. Si deux tiers des deux millions de Coréens qui vivaient au Japon avant la décolonisation de la Corée repartent dans leur pays, un tiers reste au Japon. La partition de la Corée en deux États dès 1948 et leur entrée en guerre rendent difficile le retour de ces Coréens du Japon. Le Japon n’établit de liens diplomatiques avec les deux Corées que bien plus tard, et, avec la destitution de la nationalité japonaise des anciens sujets colonisées, les Coréens du Japon se retrouvent dans un statut juridique instable. Le Japon est théoriquement et/ou subjectivement une terre étrangère pour eux, même si nombreux sont ceux qui y sont nés ou y ont grandi. Une nouvelle expression littéraire se crée parmi cette population et certains d’entre eux deviennent des écrivains reconnus dans l’espace littéraire japonais. Après cette genèse dans un contexte mouvementé, la création littéraire des écrivains coréens du Japon se développe, et en vient à constituer un corpus littéraire en langue japonaise important qui nécessite une définition tant pour ses auteurs eux-mêmes que pour leurs promoteurs (les éditeurs), leurs évaluateurs (les critiques, les homologues japonais), ou leurs destinataires (les lecteurs).

Aujourd’hui, cette littérature est communément désignée par le terme de zainichi chōsen jin bungaku 在日朝鮮人文学, mais aussi zainichi kankoku chōsen jin bungaku 在日韓 国・朝鮮人文学, zainichi korian bungaku 在日コリアン文学 ou enfin zainichi bungaku 在日 文学  . L’existence de ces différents termes pour désigner le même objet révèle déjà la difficulté qu’il y a à le définir, mais aussi l’évolution de son statut dans le temps. La traduction de ces termes nous pose problème dans le sens où, quel que soit le choix que nous faisons, nous y conférons une part de notre propre interprétation. Nous pouvons par exemple penser à des traductions interprétatives telles que : « la littérature issue de l’immigration coréenne au Japon », « la littérature de la diaspora coréenne du Japon ». Ces traductions ont le mérite d’être explicites pour le lecteur francophone, dans le sens où elles rejoignent d’autres objets littéraires reflétant un contexte similaire déjà désignés par ces termes . Toutefois, pour éviter de donner des images approximatives et surtout pour respecter la logique qui imprègne les termes d’origine en japonais, nous opterons dans notre thèse pour les termes de « littérature des Coréens du Japon », ou de « littérature zainichi » (zainichi signifie littéralement « étant au Japon »).

La période que nous abordons dans le présent travail débute en 1945 et va jusqu’aux années 1980. Ce choix de l’année 1945 comme point de départ ne reflète pas à proprement parler le début de la production littéraire d’expression japonaise des auteurs coréens. Si dans le domaine de la recherche littéraire, comme celui de la critique littéraire, il est aujourd’hui devenu la norme de faire remonter l’émergence de la littérature des Coréens du Japon à la période de l’après-guerre, il est également admis que cette apparition a été préparée en amont par les écrivains coréens de la période coloniale . Ces écrivains qui s’inscrivent dans la dynamique coloniale et plus tard militariste partagent en effet avec les écrivains que nous étudierons dans notre thèse certaines problématiques concernant le choix de la langue d’écriture, la revendication ou la négation de l’identité coréenne et les problèmes de l’intégration sociale, par exemple. Cependant, nous considérons ici qu’il est préférable de ne pas intégrer ces écrits dans notre corpus car il existe une dynamique différente qui fait émerger la production littéraire des auteurs coréens dans la période de la décolonisation et de la guerre de Corée. Le contexte de l’exil prolongé et la prise de conscience de cette situation influencent également la vision que les écrivains ont de leur potentielle carrière littéraire et les choix stratégiques qu’ils feront pour la débuter.

La question de la visibilité 

Si les Coréens du Japon reprennent des activités littéraires dès la période de l’immédiat après-guerre, il faut attendre la fin des années 1960 et le début des années 1970 pour que leurs œuvres soient reconnues comme étant constitutives d’un nouveau corpus littéraire. Dans ce laps de temps, la littérature des Coréens du Japon a connu un grand changement en ce qui concerne leur statut.

Pascale Casanova décrit en ces termes la démarche que mènent les écrivains se situant dans une position dominée et excentrée par rapport au centre littéraire dominant :

Pour accéder à la simple existence littéraire, pour lutter contre cette invisibilité qui les menace d’emblée, les écrivains ont à créer les conditions de leur « apparition », c’est-à-dire de leur visibilité littéraire.

Elle explique qu’il existe deux grandes stratégies grâce auxquelles ces écrivains peuvent entrer en jeu dans l’espace littéraire dominant :

Les deux grandes « familles » de stratégies, fondatrices de toutes les luttes à l’intérieur des espaces littéraires nationaux, sont d’une part l’assimilation, c’est-àdire l’intégration, par une dilution ou un effacement de toute différence originelle, dans un espace littéraire dominant, et d’autre part la dissimilation ou la différenciation, c’est-à dire l’affirmation d’une différence à partir notamment d’une revendication nationale.

Les « écrivains démunis » auxquels elle fait référence ici sont tout d’abord les écrivains appartenant aux « petits » pays dont les ressources littéraires sont particulièrement limitées (« petit » du point de vue de cette ressource), et qui sont ainsi sous l’influence très forte d’un centre littéraire et linguistique dominant qui se situe ailleurs. Or, le cas de nos écrivains a ceci de différent qu’ils appartiennent à une communauté minoritaire d’immigration, dépendante géographiquement et socialement d’un autre pays et qu’ils ne disposent pas, d’emblée, d’un espace littéraire national, même démuni. Une communauté de ressortissants coréens installés au Japon peut-elle concevoir une littérature propre et autonome, qui ne dépende pas de leurs pays d’origine (au pluriel, car la Corée a été divisée en deux après leur départ) ni de leur pays d’installation ? C’est ce cas de figure littéraire auquel nous avons affaire dans notre thèse. Dans un contexte où l’assimilation n’est plus une question de choix mais une condition inévitable, quelles autres stratégies les écrivains zainichi peuvent-ils adopter pour que leurs œuvres ne soient pas complètement diluées dans l’espace littéraire japonais ? Dans quelle mesure la dynamique d’affirmation identitaire qui s’installe chez les Coréens du Japon depuis la libération influence-t-elle leur démarche littéraire ? C’est à ces questions que notre travail tentera de répondre dans un premier temps, à travers l’examen de la démarche littéraire de l’écrivain Kim Tal-su 金達寿 (1919-1997) – la figure emblématique de la littérature des Coréens du Japon durant la période de l’aprèsguerre japonais – et celle de Kim Sŏk-pŏm 金石範 (1925-), écrivain et théoricien, qui contribue au début des années 1970 à animer les débats sur le statut des œuvres littéraires des écrivains coréens du Japon.

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Table des matières

Introduction
Partie I : L’histoire en renaissance : engagement politique et affranchissement du passé colonial
Chapitre 1. La formation de la communauté coréenne
a. Sont-ils délinquants et étrangers ? : l’exclusion sociale et
institutionnelle des Coréens du Japon
b. Constitution des associations représentant les Coréens au Japon
: la Chōren et le Mindan
c. Les enjeux des écoles coréennes et leur fermeture
Chapitre 2. La naissance de la littérature des Coréens du Japon et ses
enjeux dans l’après-guerre japonais
1. La contribution des écrivains et des poètes à la reconstruction de
l’identité coréenne
A. Reconstituer l’image et l’histoire de la Corée –
le dépassement du passé colonial dans le roman Kōei no machi
B. La reconquête de l’espace d’expression
La spécificité de la revue en langue japonaise Minshu Chōsen
Le débat sur le choix de la langue d’écriture
2. L’écrivain, porteur des histoires individuelles des Coréens du Japon .
A. Vivre la guerre de Corée au Japon –
Song yongam (Père Song) (1951)
Écrire le conflit de loin
3. Une littérature en prise avec l’idéologie de l’après-guerre
A. La littérature du peuple en lutte
B. Quelles attentes à l’égard des écrivains coréens du Japon ?
Le mal-aimé de l’histoire de la littérature zainichi –
Chang Hyŏkchu
Partie II : Le sens du témoignage et le sens de la fiction
Chapitre 3. Faire valoir sa présence
1. Ecrire en japonais au-delà de l’héritage colonial
A. La violence de la langue japonaise
B. La conquête de la subjectivité
2. S’approprier le langage littéraire :
l’inscription de l’altérité et l’ouverture vers un imaginaire exogène
A. La théorie de la fiction
B. La sensibilité coréenne – une conception problématique
C. L’usage stratégique de l’ethnicité
D. La corporéité de la langue ou l’oralité transcrite dans la langue
écrite
3. Le positionnement au sein du champ littéraire japonais
A. La lutte contre un élitisme littéraire japonais
B. Reconnaissance d’un nouveau genre littéraire ou risque d’un
encadrement esthétique?
Chapitre 4. La fiction à l’épreuve du témoignage
1. Le rôle de l’écriture – le contexte de mutisme social et politique
2. L’anti-héros comme régénérateur du récit de l’île de Cheju –
Kanshu Pak sŏbang (Pak, le gardien de prison) (1957 et 1967)
A. Comment décrire une situation : l’élaboration de la figure comique
du protagoniste
B. Regard sur le monde carcéral – regard interstitiel de Pak
C. Pourquoi la fiction ?
3. Le témoignage mis en cause, le narrateur mis à l’épreuve :
Chibusa no nai onna (Femme sans sein) (1981)
A. Quelqu’un doit l’écrire
B. La figure du narrateur sans voix
C. La partialité du témoignage
D. La caractéristique toujours invraisemblable du témoignage
4. « Pourquoi avoir continué à écrire, pourquoi avoir continué à se taire »
Chapitre 5. Pour un récit fictionnel de la diaspora
1. Entre souvenir intime et mémoire en devenir –
la narration comme travail de mise en cohésion
Aperçu général des œuvres : Yoru (Nuit) et Mangetsu
(La pleine lune)
A. Fuite du deuil
B. L’héritage mémoriel ou la mainmise sur la transmission mémorielle
C. La proximité avec la mort
D. La forme possible du partage de mémoire
2. L’espace de vie et l’espace de mort : l’imaginaire d’Ikaino –
un quartier coréen du Japon
A. Le crématorium porteur d’image de la discrimination
Le crématorium et l’agent de crémation : la représentation de la
marginalité
B. Portrait de la ville fantôme : un espace diasporique mis en œuvre
3. Vivre plusieurs lieux et temporalités : la subjectivité diasporique mise
en narration
A. La mobilité spatiale et la mobilité temporelle
B. Procédé narratif d’intrusion et de discordance :
comment ressusciter les voix
Partie III : Voix autobiographique et quête de soi
Chapitre 6. Le récit de fuite ou la réappropriation de la voix
1. Fuir le récit familial – fuir le destin collectif ou le déterminisme social ? –
Nabi taryon (1982) de Yi Yang-ji
A. Fuir la famille, fuir le destin
B. L’impossibilité de la fuite
2. Le refus de la maternité dans la nouvelle Akai mi (1988) de
Kim Ch’ang-saeng et la fuite du foyer dans la nouvelle Hanabi (1990)
de Chong Ch’u-wŏl
A. Contre la vision de femme comme mère reproductrice,
contre l’imaginaire du destin féminin
B. Situer l’expérience individuelle au carrefour des vies des femmes
d’Ikaino
3. Écrire à partir de quelle place, pour quel public ?
A. La conquête de la voix narrative et la conquête de l’autorité
discursive
B. La femme, mère et écrivain : parler de soi, est-ce parler de nous ?295
Conclusion

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