La littérature antillaise

La littérature antillaise

Postcolonialisme et francophonie

La littérature créole est en cours d’élaboration, selon les dires mêmes de Chamoiseau et de ses collègues. C’est peut-être pour cette raison que les écrivains antillais de langue française demeurent si difficiles à classer, tant dans les rayonnages des librairies ou des bibliothèques qu’au sein de catégories prédéfinies par la critique littéraire contemporaine. Patrick Chamoiseau par exemple, dont les écrits théoriques constituent une bonne part de son œuvre, ne se réclame ni du postcolonialisme, ni de la francophonie, et n’use d’aucune de ces terminologies pour qualifier sa démarche, son époque ou son appartenance littéraire40. Trop conscient du caractère évolutif de son œuvre, il aspire à transcender les frontières de genre, de langue et de culture, comme nous l’avons vu en introduction. Il est évident que le très riche appareil critique développé ces dernières années par les études postcoloniales constitue une référence incontestable pour l’analyse et l’interprétation de romans d’auteurs antillais comme Glissant, Chamoiseau, Confiant et bien d’autres. Cependant, la définition suivante que donnent Ashcroft et al. du postcolonialisme ne s’applique que partiellement au champ de la littérature caribéenne : « Post-colonial literatures are a result of th[e] interaction between imperial culture and the complex of indigenous cultural practices41 ». En effet, s’il est vrai que Texaco explore le passé de la Martinique, il ne se réduit pas à une critique de l’esclavage, ou à un règlement de comptes avec le colonialisme. Au contraire, ce roman tente de valoriser le mélange fécond qui a résulté de cette rencontre forcée entre indigènes, colons et esclaves. La critique postcoloniale telle que la conçoivent des chercheurs comme Ashcroft demeure donc limitée à certains égards, et par conséquent insuffisante. De plus, comme le soulignent Dominique Viart et Bruno Vercier, spécialistes de la littérature contemporaine, les œuvres des auteurs caribéens, ayant « considérablement enrichi ces dernières années la polyphonie romanesque », sont loin de ne se résumer qu’à « l’expression d’une ”communauté” particulière » ; par conséquent, leurs nombreuses qualités littéraires interdisent de les « enclore » dans la « littérature postcoloniale ». Selon Viart et Vercier, la production des écrivains créoles contemporains « ne se réduit pas au ”travail de mémoire” ni aux revendications indépendantistes » mais au contraire témoigne de « la prodigieuse invention d’écriture42 » qui leur est propre. Cette dernière remarque s’applique également aux études francophones. En effet, il est avéré que la francophonie, si elle prétend « exalter l’universalisme » fait le plus souvent de la France le centre du monde, enclavant de ce fait les productions francophones dans la logique coloniale de l’Unicité, comme le remarque Chamoiseau : « les Français, par exemple, veulent protéger leur Un contre l’Un étasunien. La francophonie reste dans la même ornière : ma langue contre ta langue. Et c’est perdu d’avance43… ». La dimension unificatrice de la francophonie « officielle » est par ailleurs remise en question par certains critiques et nombre d’écrivains, en ce qu’elle aurait paradoxalement tendance à marginaliser, voire à exclure les littératures francophones. Plutôt que de réunir, la francophonie instaure de fait comme le relève Gauvin « un clivage entre les écrivains français (de France), et ceux qui écrivent en Français (tous les autres)44 ». C’est avant tout ce clivage qui engendre le soupçon pesant sur l’étude de la francophonie littéraire, selon Jean-Marc Moura : « l’ensemble des “lettres francophones” créerait au sein des littératures de langue française, une catégorie non homogène où se verraient relégués les écrivains nés hors de France et/ou nourris d’une culture différente45 ».

Les lettres créoles : du doudouisme à Édouard Glissant

« La littérature antillaise n’existe pas encore68 » : voilà pourtant ce qu’affirmaient Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, dans Éloge de la Créolité, texte fondateur du mouvement éponyme, il y a un peu moins de 25 ans. Un tel constat, certes volontairement polémique, peut néanmoins sembler provocateur lorsque l’on pense au nombre d’écrivains antillais à la renommée internationale, tels Chamoiseau lui-même, Édouard Glissant, Simone Schwarz-Bart, Maryse Condé, Raphaël Confiant, Frankétienne et bien d’autres, tous auteurs d’œuvres majeures et reconnues, parfois distinguées par des prix littéraires prestigieux69. Cependant, il est vrai que les lettres créoles, aujourd’hui encore, sont jeunes, pour ainsi dire dans leur prime enfance : c’est qu’aux Antilles, la littérature apparaît par définition en rupture avec une culture fondamentalement orale. Elle se voit donc obligée, en tant que discipline sans passé, de faire irruption de plain-pied dans l’histoire et dans la modernité70, se devant d’accomplir, ainsi que le dit Glissant, « ce que l’Occident a mis des millénaires à accomplir71 ». Plutôt que d’histoire ou de tradition linéaire, Glissant préfère donc parler pour les Antilles de « continuum littéraire du discontinu », ni homogène, ni progressif, mais se déroulant par saccades et par tâtonnements : « nous n’avons eu que des soubresauts, des sursauts et des sortes de pointes, des chutes verticales dans les abîmes72 ». L’assertion inaugurale des auteurs de l’Éloge doit donc être nuancée : la littérature antillaise n’existe pas encore dans le sens où elle n’a pas d’Histoire, du moins au point de vue occidental, mais prend sa source dans une multitude d’histoires anonymes, de sillons souterrains, de tracées à demi-effacées qu’il s’agit encore de mettre au monde : la littérature antillaise « n’a pas une Histoire comme dans les vieilles aventures, elle s’émeut en histoires et mieux, elle sillonne en tracées73 ». On l’aura compris, il ne s’agit de dénigrer ou d’infantiliser ni le patrimoine ni les productions littéraires martiniquaises. Au contraire, Chamoiseau et ses collègues reconnaissent par cette déclaration les nombreux obstacles qui se présentent encore à cette « prélittérature74 » avant d’arriver à maturité et de se trouver en pleine possession d’elle-même. L’écrivain antillais est donc un « auteur en souffrance », selon la formule de Dominique Chancé, un écrivain dont le texte est encore à venir, tout comme sa langue et son lectorat75. En effet, l’absence d’une audience proprement antillaise interdit l’« interaction auteurs/lecteurs où s’élabore une littérature76 ».

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Avant-propos
Introduction
I) La littérature antillaise
1.1 Postcolonialisme et francophonie
1.2 Les lettres créoles : du doudouisme à Édouard Glissant
1.2.1 Avant la Négritude
1.2.2 La Négritude
1.2.3 Édouard Glissant
1.2.4 La créolisation
1.2.4.1 Carrefour des cultures
1.2.4.2 Carrefour des langues
1.5 Émergence de la Créolité
1.6 Écrire en créole
II) De la ville tentaculaire à la mangrove urbaine
2.1 L’En-ville créole : une figure ambivalente
2.2 L’exode rural
2.2.1 Développement des bidonvilles
2.3 Les villes tentaculaires
2.3.1 Absorption de la nature
2.3.2 Fort-de-France carcéral
2.3.2.1 Les mulâtres
2.4 Le Noutéka des mornes
2.5. La Mangrove urbaine : « la terre pour exister » (109
III) La réécriture créole de l’Histoire
3.1 Histoire et colonialisme
3.2 La stratégie du détour
3.2.1 Nouveaux jalons
3.2.2 « Notre histoire est une tresse d’histoires »
3.4 Histoire et poétique, Texaco comme palimpseste
IV) Mythes créoles des origines4.1 Le conte de l’esclavage
4.2 Les figures de fondation
4.2.1 La rébellion solitaire du Nègre marron
4.2.2 Le Mentô ou la résistance solidaire
4.2.3 Le Conteur et la stratégie du détour
4.3 Comment fonder une origine manquante ?
4.3.1 Mythe et colonialisme
4.3.2 L’intertexte biblique
4.3.2.1 La tour de Babel
4.3.2.2 Rédemption
4.5 « Et puis, ce bruit de mer qui bat dans nos mots… »
4.5.1 Insularités
4.5.2 L’exil marcheur du Driveur et le passage du Milieu
4.5.3 The unity is submarine
4.6 Aspects épiques
4.6.1 Féminité fantastique
4.7 Légende urbaine
4.8 L’origine est en avant de nous
V) Le langage nouveau
5.1 L’Informatrice et le Marqueur de paroles
5.2 La schizophrénie linguistique
5.2.1 Langue française vs. langue créole
5.2.2 La trahison de l’écriture
5.3 Le français chamoisisé
5.4 Acte de langage, acte de baptême
Conclusion
Bibliographie
Table des matières

 

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