LA JUSTICE CHEZ ARISTOTE

La Justice théologique chez Hésiode : le rapport entre les dieux et les hommes

   La mythologie grecque a le mérite de nous présenter l’origine de la justice, sa première forme d’élaboration et de sa mise en œuvre. En effet, dans la Théogonie d’Hésiode qui constitue un véritable poème des origines, et dans laquelle Hésiode pose le début de toutes les réalités existantes, la justice est née d’abord de la lutte pour le pouvoir entre les dieux euxmêmes. Ainsi, tout semble débuter avec cet acte d’ « Ouranos »21 (Dieu du ciel : père originel) qui installe une longue période de conflit entre les dieux. En effet, Ouranos prive à ses enfants, issus de son couple avec « Gê » 22 (Dieu de la terre : mère originelle),« la lumière » en les laissant demeurer dans le noir, dans l’obscurité, dans l’endroit où ils étaient conçus, c’est-à-dire dans le « sein maternel de la Terre, Gê »23de telle sorte que ses enfants restent incapables de bouger et prisonniers du giron de leur mère comme on peut le voir à travers les vers (155-160) suivants d’Hésiode tirés dans sa théogonie : « Car, parmi tous les enfants nés de Terre et de Ciel, ils Étaient les plus redoutables, et leur propre père les avait En aversion dès l’origine. A peine nés, il les cachait tous, Sans les laisser monter vers la lumière, dans le sein de Terre. Cette œuvre détestable réjouissait Ciel, »24 Cet acte d’Ouranos (Ciel) consistant à confiner ses enfants dans le ventre de leur mère (Terre) s’inscrit dans le cadre d’une mesure de prudence pour ne pas être séparé de sa femme et pour ne pas être détrôné un jour par ses propre fils. Malgré tout, cet acte constitue une véritable injustice que ses enfants et par la complice de leur mère (Gê) tentent de corriger. Alors emplis de colère, ses enfants dont Hésiode appelle les « titans » 25(vers 469) se révoltent contre leur père Ouranos. Et le plus jeune et redoutable de ses fils : Cronos accepte d’en découdre avec son père. Pour ce faire, il coupe le sexe de ce dernier lorsqu’il était en train de faire l’amour avec sa femme Gê. Ouranos vaincu et tous ses fils sont libérés. C’est tous le poids à accorder aux vers (164-173) suivants d’Hésiode : « Enfants, issus de moi et d’un père insensé, si vous voulez M’obéir, nous nous vengeons de son cruel outrage, bien Qu’il soit votre père, car, le premier, il a tramé des actions Indignes. » Elle dit. Mais tous furent saisis de crainte, et aucun D’eux n’éleva la voix. Cependant, prenant courage, le grand Cronos à l’esprit retors adressa cette réponse à sa mère vénérable : « Mère, c’est moi qui me charge de mener cette besogne à sa fin ; De ce père odieux je ne m’inquiète pas, bien qu’il soit notre père, Car, le premier, il a tramé des actions indignes. » Il ressort de ces vers d’Hésiode que de l’injustice d’Ouranos, nait le premier acte de justice corrective incarné par son fils Cronos, mais à vrai dire qui est fondée sur une « violence » et qui ouvre de nouveau la voie à toute une série de violences entre dieux.« L’acte libérateur de Cronos lie en tout cas la souveraineté à la violence. » Car ce dernier sera non seulement banni par son père, mais lui-même pour ne pas subir le sort de son père, il perpétue cette violence contre ses propres enfants. Par ailleurs, après avoir détrôné son père, Cronos s’empare du pouvoir et épouse sa sœur Rhéa. Mais ayant été prévenu par sa mère Gê sous forme d’oracle qu’un de ses fils lui volerait le pouvoir, Cronos, par mesure de sécurité comme ce fut le cas avec son père, tente d’éliminer toute sa descendance pour que cet oracle ne se produise pas. Et à la différence de son père qui confinait ses enfants dans les ténèbres de la terre, lui il les dévore pour ne pas laisser de trace. Jean-François Balaudé nous fait le point de toute cette série de bataille entre les dieux dans la Théogonie d’Hésiode dans son œuvre Les théories de la Justice dans l’Antiquité en ces termes : « Les conflits entre les dieux commencent avec ce geste d’Ouranos, Ciel, le père originel : il refuse à ses enfants l’accès à la lumière, en les confinant dans le sein maternel de la Terre, Gê. Cela provoque la colère des enfants et de sa femme, laquelle ne peut se venger que par la ruse. Cronos, le plus audacieux des fils d’Ouranos, se propose de le faire : il émascule son père, acte qui met fin à un engendrement contradictoire ; ainsi se libère le désir et la vie. Mais, cette libération est en même temps maudite, puisque fondée sur une violence(…). Cronos tente à son tour d’annuler sa propre génération, en dévorant les uns après les autres les enfants qu’il a avec Rhéa. De peur d’être détrôné, de perdre la timè royale, il reproduit le geste de son père en essayant de le rendre encore plus irrémédiable : Ouranos contenait les enfants dans le ventre de la mère, lui les avale. » Ce qu’on peut retenir de ces propos de Balaudé, c’est que ce geste d’Ouranos consistant à refuser « à ses enfants l’accès à la lumière » et celui de Cronos consistant à dévorer ses propres enfants pour maintenir le pouvoir, identifie la justice des dieux à un pouvoir exorbitant incarné par un seul, capable de toute démesure (hubris29) ou injustice pour régner aussi longtemps que possible en imposant sa force. La justice est dès lors l’apanage d’un seul Dieu qui module toute sa descendance à sa guise. Pourtant Cronos n’échappe pas à la règle car par la ruse de sa femme Rhéa pour échapper à la folie meurtrière de son mari qui avale sans cesse ses enfants, Zeus son nouveau fils est sauvé. Zeus, fils de Cronos le tyran, est dans la Théogonie d’Hésiode le modèle par excellence de toute une forme de justice chez les dieux car il est le premier à poser des actes de justice en délivrant « de leurs chaînes funestes ses oncles, les Ouranides que, dans sa folie son père avait attaché »30 comme le démontre ainsi Hésiode. C’est donc Zeus, et abstraction faite de toute cette baille qu’il a menée avec son père Cronos et ses alliés connue sous le nom de « Titanomachie »,31 qui est le précurseur de l’ordre et de la justice chez les dieux en opérant un changement qualitatif quant à sa façon de régner : en rendant justice à ses oncles et en fondant son pouvoir sur la justice. L’expression est de Balaudé : « En même temps que ce renversement de pouvoir, se manifestent les premiers actes de justice : Zeus redonne vie à ses frères et sœurs (496), et à ses oncles ouranides (502), faits prisonniers par Cronos. Il prend l’initiative d’actes justes ; et juste ne peut signifier que ceci, avant toute convention, tout accord : laisser à chacun de ceux qui n’attentent pas à la vie d’autrui, la liberté de vivre sans entrave. » La justice de Zeus est donc fondée sur un accord, elle vise la stabilité, l’ordre en réparant toutes les erreurs commises par son père car sans cet ordre les dieux continueraient de s’entretuer. Zeus est donc le défenseur de l’ordre contre les forces du désordre, le premier à instaurer des règles, des normes à respecter. Voilà pourquoi l’hymne de Zeus ne cesse de retentir dans la Théogonie d’Hésiode et dans l’œuvre de ses commentateurs comme le plus juste des dieux et l’initiateur d’un ordre définitif qui engage la volonté de tousles autresdieux. C’est ainsi du moins ce qu’on peut retenir à travers les propos suivants de Lucie Buchère : « Avec Zeus, s’impose un nouveau règne, qui diffère dans son mode de commandement, de celui de Cronos et d’Ouranos. » Pourtant, aussi importante soit-elle, cette justice de Zeus ne peut être appelée à vrai dire qu’une « pré-justice, puisque aucune règle n’a été posée par le groupe (divin) et au nom du groupe, et que les manifestations de justice relèvent de la seule initiative individuelle, non de règles » comme le pense Jean François Balaudé. Cela, malgré la bonne intention de Zeus à faire régner l’ordre. Jusque-là donc il s’agit des dieux et non des hommes. Et c’est l’acte de Prométhée qui va les faire exister pour la première fois. Prométhée et Epiméthée, tous fils du titan Japet (frère de Cronos père de Zeus) celui-là « à l’esprit subtile et fertile »35 (vers 510) et celui-ci « l’étourdi » (vers 510) vont provoquer le malheur des hommes en opérant une séparation radicale entre les dieux et les hommes qui, jusque-là vivaient ensemble. Dans ses derniers épisodes, Hésiode nous présente le face-à-face de Zeus et de Prométhée comme on peut le lire suivant les propos de Jean-François Balaudé : « Zeus incarne le parti ou la race des dieux, Prométhée incarne le parti des hommes »36. A rappeler qu’après sa victoire sur tous les titans et sur ses adversaires, Zeus, décida de partager sa vie avec les humains sur la vaste plaine du « Mécônè »37 (vers 534), et ainsi il ordonna à Prométhée de « sacrifier » un bœuf et de le partager en deux parts : l’une pour les dieux et l’autre pour les humains. Etant le défenseur des hommes et désireux d’attribuer à ces derniers ce qu’ils avaient manqué depuis le premier partage, Prométhée entreprend de tromper Zeus. Ainsi fait, il présente à Zeus les deux parts : la part la plus importante qui doit revenir aux dieux, il la recouvre d’os jusqu’à ce qu’elle donne l’air repoussante. Et l’autre part la moins importante et qui doit revenir aux hommes est dissimulée par Prométhée jusqu’à ce qu’elle donne l’air appétissante. Hésiode nous fait le point (vers 535): « C’est que, en effet, le jour où se jugeait à Mécôné la querelle des dieux Et des hommes mortels, après avoir, d’un cœur empressé, découpé un Gros bœuf, il en avait présenté les parts, avec le dessein de tromper Zeus ; Car, d’un côté, il mit les chers et les intestins luisants de graisse dans la Peau, et il les recouvrit du ventre du bœuf ; de l’autre, par contre, il disposa Habilement, par une ruse perfide, les os nus de l’animal et les recouvrit d’une Blanche couche de graisse. » Prométhée en essayant de tromper Zeus savait bien ce qui l’attendait car il est impossible de tromper Zeus. Promptement, Zeus découvre le leurre et laisse éclater sa fureur. Et ce sont les protégés de Prométhée c’est-à-dire les hommes qui vont payer les pots cassés donc ils subiront « la justice corrective » de Zeus. C’est de là que le « sort de l’humanité fut scellé »car « le mal »39 est commis non seulement par cet acte de Prométhée, mais aussi par son vol « du feu infatigable »40que Zeus avait privé aux hommes après cette faute. Depuis lors, les hommes se sont séparés complètement des dieux et ne cessent de rencontrer tous les maux de l’univers comme on peut le voir dans l’épisode de « Pandora » (570-580) dans Les Travaux et les Jours d’Hésiode. Dès lors, nait le désordre chez les hommes qui sont d’ores et déjà obligés de calquer leur vie sur le modèle des dieux et qui ne peuvent gagner leur vie que par le travail. Ainsi, Zeus leur envoie sa justice (Dikè) pour leur permettre de vivre en ordre. A rappeler que Dikè41 qui désigne la justice chez les Grecs Anciens est fille de Zeus et de sa femme Thémis. C’est la leçon à retenir à travers les vers suivant (275-280) d’Hésiode tirés dans Les travaux et les Jours : « Toi, Persès, fixe ces avis dans ton esprit ; écoute maintenant la justice, Et oublie, sans retour, la violence. Car voici la loi que le Cronide a établie Chez les hommes : les poissons, les fauves et les oiseaux ailés se dévoreront, Puisqu’il y’a point de justice parmi eux ; mais, aux hommes, il a donné la justice Et c’est là le meilleur des dons. » Il est important de faire la distinction entre deux termes qui semblent désigner à peu près la même chose à première vue, mais qui se différencient l’un de l’autre chez Hésiode. Dikè (justice)est née du deuxième mariage de Zeus avec Thémis qui désigne aussi la justice. Dikè et Thémis désigne toutes deux la justice, mais la différence d’après certains commentateurs c’est que Thémis comme justice se limite uniquement au domaine intrafamilial alors que Dikè est plus vaste car elle dépasse le cadre familial et s’élargit dans toute la sphère sociale, elle concerne donc les rapports interfamiliaux. Il est manifeste dès lors que la justice est chez Hésiode un don de Zeus que celui-ci donne aux hommes pour qu’ils puissent bien organiser leur vie. Voilà un itinéraire bien tracé par Hésiode qui nous montre comment la justice est arrivée aux hommes. Il est intéressant d’observer à partir de tout ce qui précède que la justice, dans la mythologie grecque, n’est pas l’œuvre des hommes, mais un remède contre ce « mal » commis par Prométhée. « Une fois les hommes voués à la mortalité, Zeus, en souverain juste, leur offre la justice (…). C’est en cultivant cette disposition à la justice que les hommes peuvent se diriger avec justice »43 écrit Jean-François Balaudé. C’est un modèle d’organisation venant du dieu Zeus, et il n’est de salut pour les hommes que lorsqu’ils se conforment à cette justice divine. La justice est dès lors posée du dehors, elle est donc comme le dit Lambros Couloubaritsis « à l’analyse précédente d’Hésiode (…), un processus dans la mise en œuvre de la justice à partir d’un état préalable d’injustice par un effort important voir excessif, qui conduit aussitôt à une situation de stabilité et de plénitude. »44 Il est donc clair que cette première forme d’élaboration de la justice tournée vers les dieux établit un rapport entre ces derniers et les hommes, et non pas un rapport entre les hommes eux-mêmes. Réduits à un réceptacle passif de justice divine venant des dieux, les hommes n’ont dans la pensée d’Hésiode qu’une existence virtuelle et qui se contenteraient d’imiter les dieux.

La justice comme ordre cosmique chez Anaximandre

   Comme Hésiode qui, pour établir sa théorie de la justice est parti de la formation de l’univers à partir du « chaos » pour ensuite établir son ordre que la justice de Zeus permet de garantir, Anaximandre renoue avec cette tradition consistant à penser la justice comme un ordre. Seulement avec lui, il ne s’agit plus de l’ordre des dieux qui doit servir aux hommes de soubassement, mais plutôt de l’ordre de la nature gage d’une justice cosmique. De la cosmogonie d’Hésiode alors, on passe à la cosmologie d’Anaximandre. Celle-ci désigne un « discours rationnel sur la formation et la structure de l’univers ; la cosmologie s’oppose en ce sens à la cosmogonie […], c’est l’étude des phénomènes cosmiques, fondée sur la méthode expérimentale et sur les acquis de la physique moderne. » Celle-là se définit comme un « récit mythique non rationnel des origines du monde. » Cependant, comprendre la justice chez Anaximandre nécessite de porter un regard tant soit peu approfondi sur sa philosophie qui, pour autant qu’on puisse dire, constitue un véritable déclic par rapport à la philosophie des présocratiques et qui justifie notre choix portant sur lui. Si pratiquement la totalité des présocratiques posent un principe matériel déterminé (eau pour Thalès par exemple) comme source de toute chose, Anaximandre pense, quant à lui, que le principe qui explique toute chose et qui est à l’origine de toute chose ne pourrait pas être déterminé (comme c’est le cas avec le principe de Thalès) car tout ce qui est déterminé est déterminé par quelque chose. Et puisqu’il est impossible de chercher toujours le principe du principe, il faut considérer un principe unique qui est la cause de toute chose. Ce qu’Aristote va appeler plus tard le Premier Moteur car« la régression à l’infini des causes » ne nous mène nulle part. D’où pour Anaximandre, l’existence forcément d’un principe (άϱχή) indéterminé,« qui fait être ce qui est » pour parler comme Balaudé et qui détermine toute chose. Et il nomme ce principe l’« Illimité », l’«Apeiron », ou même l’« Indéterminé » selon les différentes traductions des différents fragments. C’est ce qu’on peut retenir de ce témoignage (A IX) suivants de Simplicius tiré dans Les fragments qu’on retrouve dans l’œuvre Les présocratiques de Jean-Paul Dumont : « De ceux qui disent que le principe est un, mû et illimité, Anaximandre, fils de Praxiadès, de Milet, successeur et disciple de Thalès, a dit que l’Illimité est le principe et l’élément des choses qui sont, étant du reste le premier à user du terme de principe. Il dit qu’il n’est ni l’eau, ni rien d’autre de ce que l’on dit être des éléments, mais qu’il est une certaine autre nature illimitée dont sont engendrés tous les cieux et tous les mondes qui se trouvent en eux. Ce dont la génération procède pour les choses qui sont est aussi ce vers quoi elles retournent sous l’effet de la corruption, selon la nécessité ; car elles se rendent mutuellement justice et réparent leurs injustices selon l’ordre du temps. » En désignant donc l’Illimité comme cause de « tous les cieux et tous les mondes », Anaximandre pose en même temps le caractère « infini » de ce principe. Infini dans la mesure où toutes les choses engendrées par ce principe sont finies et limitées dans le temps et dans l’espace. Dès lors, l’illimité transcende la cadre espace-temps et constitue pour Anaximandre ce Tout d’où toutes les parties qui entrent dans le cycle de la génération et de la corruption sont issues. C’est la raison pour laquelle Gérard Legrand considère ce tout qui est « l’Apeiron comme un « réservoir » substantiel, de « quelque chose d’autre » et « de ce réservoir, procèdent les fragments ordonnés de « réalité spatio-temporel » Alors, comment ces parties naissent-elle du Tout ? C’est Aristote qui nous donne la réponse dans sa Physique : « les contrariétés qui étaient contenues dans l’un en sont extraites par différenciation, comme le dit Anaximandre (…). »53 Écrit le Stagirite. Ce qui veut dire donc que le tout est un « mélange » et que c’est par «différenciation » ou séparation des contraires « contenus » dans l’illimité que naissent les parties. Dès lors, il semble exister un conflit des contraires, une lutte entre les parties puisqu’elles sont des opposés et qui, chacune d’elles veulent prendre le dessus sur l’autre. L’ « injustice » est à partir de ce moment réalisée car aucune des parties qui s’attirent pour dissiper l’autre ne peuvent pas être principe. Et cette lutte entre les parties ne fait que perturber l’équilibre du tout. C’est dès lors à la justice de réparer ce désordre comme le prouve ainsi Jérôme Laurent : « d’une certaine façon la justice est le nom même de l’ordre. Est juste ce qui ce maintien dans l’équilibre des contraires et dans l’apaisement de la contradiction. »54 Il est donc clair que la justice constitue une réparation, mais il importe en même de savoir comment s’opère cette réparation selon Anaximandre. Elle se fait « selon l’ordre du temps » comme le dit Simplicius. Cela dans la mesure où c’est le temps qui « compense les déséquilibres » car c’est à travers le temps que s’opèrent la génération et la corruption. Le temps donc, en réglant le rapport entre la justice et l’injustice, apparaît chez Anaximandre comme une sorte de juge. Ce qui veut dire qu’avec ce dernier, la justice garde toujours quand bien même sa nature corrective que le temps réalise. A ce propos Marcel de Corte écrit dans son article: « Anaximandre exprime ensuite comment s’opère ce processus évolutif et révolutif. Entraînés par un mouvement nécessaire, ils sont d’abord peu nombreux : le chaud, et le froid, la sphère de flamme et la terre entourée d’air. Puis par différenciations successives, apparaît la multiplicité des êtres que nous connaissons. A chaque étape, tous les êtres qui surgissent dans l’existence sont liés, limités, inclus dans un cycle, puisqu’ils se détachent de plus en plus de l’apeiron et vont de plus en plus vers le peras. D’où chacun d’eux tire-t-il donc son lien, sa limite, son cycle ? Ce ne peut être que de l’autre ou des autres. » Voilà pourquoi donc la justice est pensée chez Anaximandre dans le rapport entre le Tout et ses parties. Puisque l’injustice serait, dans la pensée de ce dernier, cette perturbation causée au gouvernement de l’illimité par le conflit des parties contraires, étant donné que c’est l’illimité qui englobe et gouverne tout, la justice serait ipso facto la réparation de ce déséquilibre, de cette perturbation de l’ordre. Elle est dès lors l’expression d’un équilibre des parties par rapport au tout, la concordance de leur mouvement pour rentrer dans l’ordre de l’illimité. Chez Anaximandre donc, la justice est synonyme d’ordre comme toute justice qui cherche à maintenir ou à retrouver un certain ordre, mais chez lui il s’agit de l’équilibre de l’univers dans sa globalité et de toutes ses parties et non pas d’un équilibre social comme l’aurait pensé Platon. Et s’il est vrai, comme le dit Aétius dans son témoignage (A, XXI) qu’ « Anaximandre disait que le soleil a une taille égale à celle de la terre »56, il est donc clair chez ce dernier que tout est question d’équilibre. La justice n’est rien d’autre, par conséquent que ce qui permet de maintenir cet équilibre dans son état en réparant tout désordre. D’après tout ce qui précède, on peut dire que c’est Anaximandre qui a opère le passage de la justice mythique à la justice cosmique rapportée à l’ordre du monde. Il n’est plus question de dieux ou de héros, mais il s’agit de l’univers dans son équilibre car « il n’est de cosmos que dans son équilibre »57 et cet équilibre est le résultat du processus de la justice à travers le temps. Jean-François Balaudé nous fait le point de cette justice chez Anaximandre en ces termes suivants : « Ici se révèle dans toute son ampleur la réflexion d’Anaximandre, qui livre la première conception cosmique de la justice. Il ne s’agit plus d’en faire une institution, même divine (à l’image de Zeus dans Hésiode), mais de comprendre le dikè comme l’équilibre même du tout, son autorégulation. La justice se confond avec le principe lui-même, soit encore avec la cause totale : la justice vaut pour le tout ; les parties qui le composent participent de cette justice pour autant qu’elles entrent dans l’équilibre général du tout. »58 Autant pour dire que la justice est inhérente à l’ « autorégulation » de la nature dans sa structure englobante au lieu d’une « institution divine » comme l’avait conçue Hésiode. On doit donc à Anaximandre l’initiateur d’une justice cosmique synonyme d’un bel ordonnancement de l’univers conçu comme un tout bien organisé qui ne laisse place à aucune modification et qui assigne à chaque être sa place et son rôle dans cet univers. Et ces êtres doivent participer de concert à son harmonie en jouant bien leur rôle c’est-à-dire en conformant leur existence à l’ordre du monde. Ainsi, l’homme est partie intégrante de cette nature donc il doit conformer ses actions à l’ordre du monde voilà ce qui est juste. Dès, l’homme juste est celui qui respecte cet équilibre de l’univers en y participant. La justice met ici en rapport l’homme avec la nature et non pas l’homme avec les dieux comme nous l’avions vu avec la mythologie grecque. Mais la question qui mérite d’être posée est que si cette « justice est naturalisée » comment dès lors penser la relation entre les hommes ? Quel statut donner à la société qui semble être le lieu privilégié de l’épanouissement de l’homme suivant des normes ? Comment analyser le rapport entre la justice, l’homme et la société ? De telles questions dont l’importance n’est plus à démontrer aujourd’hui semblent échapper à la vigilance d’Anaximandre qui, à l’image d’Hésiode, mais de façon différente réduit l’homme encore à un spectateur de sa propre vie, un contemplateur de l’ordre de l’univers qui conditionne et façonne sa vie. D’ailleurs dans sa philosophie, l’homme n’y apparaît presque pas. Certes il serait abusif de ranger Anaximandre dans la même catégorie qu’Hésiode car il fut l’un des premiers penseurs à nous présenter une conception rationnelle de l’univers en partant désormais de l’expérience sensible des choses que l’observation permet de saisir, mais quoique dit Anaximandre, sa conception de la justice reste bruissante de mythologie. Cela dans la mesure où l’illimité dont il considère comme l’origine de toute chose ressemble plus à un« divin » comme le pense ainsi Aristote et beaucoup d’autres exégètes. D’ailleurs lui-même identifie les mondes et les cieux synonymes d’équilibre à des dieux comme le témoigne ainsi Aétius(A, XVII) lorsqu’il écrit qu’ « Anaximandre déclara que les cieux illimités sont des dieux. » Voilà pourquoi nous convenons avec Lucien Jerphagnon lorsqu’il écrit que : « cette première philosophia reste bruissante de la parole des dieux : il n’y a pas d’émancipation absolue à l’égard des mythes. »60 Cela étant dit même si la « cosmologie » d’Anaximandre peut correspondre à une organisation sociale et qu’elle n’est plus divine comme l’avait pensé Hésiode, il n’en demeure pas moins qu’elle garde en elle les traces du mythe.

La justice selon Platon : entre ordre de l’âme et ordre de la cité

    La rupture opérée par les penseurs socratiques à l’instar de Platon, c’est surtout de penser l’homme non pas comme un être isolé, mais plutôt un être social, une telle idée qui se prolonge jusqu’à Aristote. La société ou polis est donc pour les Anciens ce lieu privilégié dans lequel l’homme s’épanouit et s’humanise par le processus de socialisation. La réalité et l’importance de la société étant posée, son organisation ne relève pas de l’évidence. Dès lors, la justice constitue ce par quoi son organisation pourrait être possible en réglant les rapports entre les membres de cette société. Voilà le rôle que les Anciens ont fait jouer à la justice : celui du maintien de l’ordre social, cela dans la mesure où « la justice est d’abord cette donnée très concrète qui s’actualise dans l’existence des lois et des institutions qui les appliquent »62 Dès lors, Platon ne rompt pas pour autant avec la tradition des Anciens consistant à penser la justice en rapport avec l’ordre. Seulement avec lui, il ne s’agit plus de l’ordre des dieux ou de la nature, mais plutôt de l’ordre de la cité et de l’âme humaine après que la justice est pensée comme vertu. Mais avant d’en arriver à la justice pensée comme ordre de la cité et de l’âme chez Platon, il faut au préalable rappeler le contexte dans lequel émerge surtout la pensée politique de ce dernier et cette notion évolutive de justice. Face à une cité grecque marquée par une décadence morale liée à une démocratie athénienne où l’art de la parole, le pouvoir de convaincre et de l’emporter sur son adversaire en cas de discussion, science dont les sophistes semblent être les artisans, prend le dessus sur tout, l’injustice, la « démagogie » ou toutes sortes de vices ne pouvaient que régner dans une telle cité. Cette emprise de la sophistique dans la cité grecque avec sa conception naturelle de la justice qui considère l’homme comme le moteur, le point de départ et d’arrivé de toute forme de justice par opposition aux lois, a conduit à d’énormes conséquences à cause de son caractère immoral. Et parmi ces conséquences, la condamnation de Socrate, « le meilleur et en outre le plus sage et le plus juste » pour reprendre ces termes de Platon cités dans le Phédon (118a), figure, entre autres, en bonne place. Dès lors, puisque «l’oligarchie était odieuse ; la démocratie est bête »63que fallait-il faire ? « Alors ? S’abstenir ? Impensable pour un grec de ce temps. Platon décide donc de se mettre, (…). La nécessité d’étudier lui apparaître. Il faut chercher à asseoir la pratique politique sur du solide, sur des vérités qui offriraient toutes garanties parce qu’elles participeraient de la réalité en soi et par soi, immuable, incontestable. »64 Il est donc clair à partir de là que penser une société dans laquelle surabonde la justice, la morale, les vertus cardinales en somme, devient une impérative pour le jeune Platon témoin de la condamnation injuste à mort de son maître Socrate et soucieux de lui rendre justice sympathiquement par l’écrit. Voilà pourquoi une grande partie de sa pensée consistera en une conversion du regard vers la philosophie politique afin de fonder une société rationnellement juste qui est intrinsèque à la connaissance. Lui-même semble nous le dire en ces termes dans sa Lettre VII : « A la fin, je compris que, en ce qui concerne toutes les cités qui existent à l’heure actuelle, absolument toutes ont un mauvais régime politique ; car ce qui, en elles se rapporte aux lois se trouve dans un état pratiquement incurable, faute d’avoir été l’objet de soins extraordinaires aidés par la chance. Et je fus nécessairement amené à dire, en un éloge à la droite philosophie, que c’est grâce à elle qu’on peut reconnaître tout ce qui est juste aussi bien dans les affaires de la cité que dans celles des particuliers ; que donc le genre humain ne mettra pas fin à ses maux avant que la race de ceux qui, dans la rectitude et la vérité, s’adonnent à la philosophie n’ait accédé à l’autorité politique ou que ceux qui sont au pouvoir dans les cités ne s’adonnent véritablement à la philosophie en vertu de quelque dispensation divine. »65 Ce qui ressort de ces propos de Platon c’est que cette cité juste dont il veut fonder ne peut se faire que par la connaissance véritable de ce qui concourt à sa gestion comme la justice et cette connaissance n’est possible que par la philosophie, la science rationnelle ou pour parler comme lui « la droite philosophie » qui est la philosophie « d’inspiration socratique » et qui se différencie de celle des sophistes dont l’objectif surtout est de flatter les esprits. Dès lors, pour mener à bien cette cité, il faut que ceux qui détiennent cette science philosophique, c’est à-dire les philosophes se mettent à diriger ou à défaut de cela, ceux qui sont déjà investis dans les cités s’adonnent à cette activité. Et la justice qui est cette vertu sans laquelle cette cité platonicienne ne pourrait existait, devient dès lors une affaire de la connaissance, de la science. Elle trouve donc, pour ainsi dire tout son ancrage dans la connaissance d’abord avant d’être pensée comme ordre, car celui qui connait ce que c’est la justice serait juste et par conséquent incapable d’agir injustement. Cette définition platonicienne de la justice comme objet de la connaissance se trouve fortement débattue dans le Gorgias entre Socrate et ses trois interlocuteurs à savoir Gorgias lui-même, Polos et Calliclès. Même si dans ce dialogue il était au début question de rhétorique que Gorgias identifie au pouvoir de convaincre portant sur ce qui est juste et injuste dans les tribunaux (454b), la question de la justice et du pouvoir finissent par constituer le point nodal autour duquel tourne tout le débat. Cette notion de justice entre surtout en vigueur avec cette position de Polos selon qui, le rhéteur est à l’image du tyran qui est aussi fort qu’il a le pouvoir de faire tout ce que bon lui semble. Dès lors, la justice semble d’abord être identifiée au pouvoir avant que Calliclès ne radicalise sa position en considérant celle-ci comme le fait de suivre la loi de la nature. Par la bouche de Polos, on peut noter ceci : « Polos Ŕ Eh bien, je pense à ce que j’ai dit tout à l’heure : avoir le pouvoir de faire ce qu’on veut, pouvoir tuer, exiler, et faire tout ce dont on a envie. »67 Voilà ce qui semble être le pouvoir et la justice du tyran qui se fondent sur son désir, un tel pouvoir que Polos attribue aux orateurs. Mais pour Socrate, faire toutes ces choses injustes, ne signifie pas pour autant qu’on a du pouvoir car celui qui fait de tels actes aussi ignobles soient-ils vise un certains bien comme le dit il ainsi : « Socrate Ŕ Or, quand on fait mourir un homme Ŕ si vraiment cet homme doit mourir Ŕ , quand on l’exile, quand on le dépouille de ses richesses, n’agit-on pas ainsi dans l’idée qu’il est mieux pour soi de faire cela que de ne pas le faire ? Polos Ŕ Oui, parfaitement. Socrate Ŕ Par conséquent, les hommes qui commettent pareilles actions agissent-ils toujours ainsi pour en retirer un bien ? Polos Ŕ Oui, je l’affirme. » Ces propos de Socrate montre bien l’illusion de Polos qui, jusque-là n’arrivait pas à comprendre que le pouvoir du tyran synonyme de celui du rhéteur était tout faux dans la mesure où il considérait comme bien ou juste ce qui ne l’est pas et s’il connaissait ce que c’est la justice, il se conduirait justement. Il est manifeste à partir de là que pour Socrate, il n’y a de pouvoir que par le savoir, c’est le savoir qui sous-tend toute action. Voilà pourquoi chez Platon toute vertu est intrinsèque à la connaissance de ce fait si on connait par exemple ce que c’est la justice ou la pitié, on est à coup sûr juste ou pieux, idée que Aristote battra en brèche plus tard. Compte tenu de cette identification de la justice à la connaissance chez Platon, l’idée socratique selon laquelle « nul ne fait le mal volontairement, mais par ignorance » semble être justifiée pleinement. Jean-François Balaudé le démontre bien dans son œuvre en ces termes : « Pour accepter l’argument de Socrate, il faut s’accorder sur le fait que l’on n’a de pouvoir et de vouloir véritables que si l’on possède un authentique savoir. Ce dernier reste à définir, de même qu’il faudra démontrer que l’orateur et le tyran ne font effectivement à peu près jamais ce qu’ils veulent, en ce que leur bon vouloir les amène à décider de choses contraires au bien » Par ailleurs, Platon ne se contente pas de faire de la justice uniquement un objet de la connaissance, tout au plus elle est chez lui, cette vertu sociale qui se manifeste et se maintient dans un certain ordre. Un ordre établissant un accord entre les différentes composantes de la cité et les différentes parties de l’âme humaine. La justice chez Platon devient dès lors, le résultat d’un ordre : un ordre social et un ordre individuel. Ces deux ordres sont inextricablement liés dans la mesure le fondement est le même. Il existe les mêmes dispositions, « les mêmes espèces et les mêmes caractères » dans la cité que dans l’âme car chacune d’elle comporte chez Platon trois parties et les vertus des parties de la cité et de l’âme correspondent les unes aux autres. Il existe donc la justice dans la cité et dans l’âme car si la société juste est celle dans laquelle chaque chose est à sa place en jouant bien son rôle pour participer à l’ordre social, l’homme juste est celui qui harmonise les trois parties qui composent son âme pour être en accord avec soi. Il s’agit d’abord de comprendre comment fonctionne cette justice sociale chez Platon pour pouvoir ensuite comprendre la justice dans l’âme comme nous le suggère Jérôme Jadry : « La spécificité de l’idée de justice est donc de désigner une organisation de la cité, c’est-à-dire en même temps qu’elle est une vertu individuelle, la justice est immédiatement un rapport à l’autre. C’est en effet à partir de la clarification de ce que c’est la justice dans la cité que se comprend plus facilement ce que c’est la justice dans l’âme. » La justice sociale platonicienne trouve toute son importance dans la recherche du bonheur, non pas le bonheur de quelques-uns, mais celui de tous les individus de la cité. Le bonheur est donc le fin mot pour la compréhension de la justice en ce sens qu’une société juste est chez Platon une société où on vit heureux. Mais, cela n’est pourtant possible que lors que cette société est en ordre et ordre n’est possible que par la justice. Alors, pour que la cité soit en ordre, il faut que chacune des classes qui composent cette cité reste bien à sa place et remplisse bien la fonction pour laquelle elle est faite afin de participer à l’ordre social sans chercher ni plus ni moins à usurper la fonction d’autrui ou à dépasser« les limites de sa nature »71. L’on sait que chez Platon, chaque être est naturellement fait pour quelque chose, c’est-à-dire ce pour quoi il est plus doué. D’où l’homme juste serait celui qui se contente de ce pour quoi il est plus fort naturellement comme on peut le voir dans les termes suivants tirés dans la République «
– Nous avons posé en effet, et nous en avons parlé souvent si tu t’en souviens, que chacun devait exercer une fonction particulière parmi celles qui concerne la cité, celle-là même en vue de laquelle la nature l’a fait le mieux doué.
– C’est bien ce que nous disions.
– Et nous avons dit, de plus, que la justice consiste à s’occuper de ses tâches propres et à ne pas se dissiper dans les tâches diverses, et cela, nous l’avons souvent entendu dire de plusieurs autres et nous-mêmes l’avons affirmé à plusieurs reprise.
– Nous l’avons affirmé, en effet.
– Eh bien, dis-je, mon ami cela même, ce fait de s’occuper de ses tâches propres, pour peu que cela en vienne à se produire selon une modalité particulière, c’est cela la justice.»

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE: LES THEORIES PRE-ARISTOTELICIENNES DE LA JUSICE
I- La Justice théologique chez Hésiode : le rapport entre les dieux et les hommes
II- La justice comme ordre cosmique chez Anaximandre
III- La justice selon Platon : entre ordre de l’âme et ordre de la cité
DEUXIEME PARTIE : LA JUSTICE CHEZ ARISTOTE
I- La justice générale
II- La justice particulière
III- La justice politique
TROISIEME PARTIE : ENTRE INFLUENCE ET DEPASSEMENT : UNE ANALYSE CRITIQUE DE LA THEORIE ARISTOTELICIENNE DE LA JUSTICE 
I- L’influence d’Aristote dans la théorie de la justice de John Rawls
II- Quelques limites de la théorie aristotélicienne de la justice
III- Le dépassement de la théorie aristotélicienne de la justice
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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