La gouvernance dans les Oasis Une utopie concrète du « faire ensemble » ?

La découverte des écovillages : un rapport intime au sujet 

A l’âge de 19 ans, lors d’un volontariat en Malaisie, j’expérimen te sans le savoir ma première expérience d’écovillage. Sur l’île de Pulau Bidan, une poignée de locaux réhabilitent une ancienne zone militaire laissée en friche afin d’ y créer un lieu de vie soutenable visant l’autonomie alimentaire et énergétique. L e projet n’a que quelques années (et il a bien grandi depuis ) mais on y pratique déjà la vie en collectivité et certains principes de « permaculture » . C’est à travers le documentaire Demain !, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent en 2015, que je prends conscience que ce lieu n’es t pas une expérimentation isolée à l’autre bout du monde, mais bien un ex emple de ce qui peut aussi être appliqué en France : un écovillage. Quelques années plus tard , lors de mon Diplôme Universitaire effectué au CELSA, je renouvelle l’expérience dans quatre autres écovillages en Colombie. Toujours sur le mode du volontariat, l’immersion da ns ces micro-sociétés m’amène à considérer ces lieux comme des laboratoires d’expéri mentation, questionnant mon rapport au travail, à la famille, à l’habitat, à l’éducation , à l’alimentation, à l’énergie, à l’espace public/privé, à la sociabilité ou encore à la nature . A mon retour, à l’heure de choisir un sujet de mémoire de Master 2, une curiosité me guide : à quoi r essemblent ces lieux en France et pourquoi existent-ils ? Plus particulièrement, comment s’organisent-ils sur le plan humain ? Une phrase énoncée en cours résonne particulièremen t en moi : « on pense choisir notre objet d’étude mais c’est notre objet qui nous choisit ».

Une constellation d’appellations et de pratiques 

Ecovillage, eco-hameau, eco-lieu, habitat participatif, commun auté intentionnelle, collectif, habitat autogéré… L’exploration de mon « objet concret » m’amène à constater une grande diversité d’appellation recouvrant des pratiques très diverses : nombre d’habitants (de deux personnes à des centaines), objectif mis e n avant (écologique, solidaire, spirituel, intergénérationnel ou encore culturel), du rée de vie (de quelques mois à des décennies), degré de mutualisation (de la cohabitation lé gère au partage de l’intégralité des ressources) ou encore statuts juridiques (SCI, associat ion, SCOP, SCIC, SAS…). Dès lors, comment qualifier et différencier ces pratiques afin de c onstruire mon « objet de recherche » ? L’observation de la terminologie utilisée par les lieux m’a amenée à un premier constat : le choix du terme n’est pas tant lié à des pratique s différenciantes qu’à un enjeu d’identité collective, qui sera étudié dans le développe ment de ce mémoire. Les éléments de définition qui suivent constituent donc avant tout un e entrée en matière. Le choix s’est porté sur les trois termes étant le plus souvent app arus dans les circulations médiatiques sur le sujet : l’écovillage, l’habitat participatif et la communauté intentionnelle.

L’écovillage 

D’après la revue Passerelle Eco, un écovillage – parfois synonyme d ’éco-hameau ou éco-lieu, est « un ensemble d’habitats de taille humaine, où la p riorité est de placer l’homme et l’environnement au centre de tous les intérêts. » . En principe, une attention particulière est portée :
– au niveau écologique : aménagement du territoire, principes d ’écoconstruction, gestion des énergies renouvelables, agriculture (permacultu re, agriculture biologique, circuit court…), gestion de l’eau, gestion des déchets ;
– au niveau économique : dynamisation de la production locale par l’intégration de petits commerces et petites entreprises locales ;
– au niveau social : activités de rencontres, de formation ou d’accueil. Le terme d’écovillage semble aujourd’hui le plus médiatisé en a nglais comme en français, si l’on compare le nombre d’occurrence sur le moteur de recherche Google.

L’habitat participatif 

L’habitat participatif – proche des termes habitat groupé, habitat coopératif, cohabitat ou cohousing en anglais – est caractérisé par la mutualisation d’espaces et services communs. Ces derniers peuvent prendre des formes variées : v oiture, terrasse, jardin, potager, laverie commune, espace réservé aux enfants ou à l’accu eil de visiteurs, etc. Contrairement aux autres termes qui n’ont pas de reconnaiss ance juridique, la « société d’habitat participatif » est l’une des formes reconnues en France dans la loi ALUR9 de 2014.

La communauté intentionnelle 

Le terme de communauté intentionnelle, de l’anglais intentional community, a été forgé dès les années 1940 aux Etats-Unis : équivalent à cette époq ue de « communauté coopérative », il désigne alors des groupes proclamant un mêm e refus de la guerre, de la ségrégation raciale, du mépris de classe et du conservatisme environnemental. Le terme a ensuite été défini en 1953 par la Fellowship of International Communities (FIC) comme « un groupe de personnes unies par une intention ou, si l’on préfère, par un projet commun » . Thomas Miller, spécialiste universitaire du sujet, dénombre sept c aractéristiques essentielles des communautés intentionnelles : « l’existence d’un projet com mun qui place le groupe en situation de rupture avec la société dans son ensemble, une prior ité donnée au bien collectif sur les choix individuels, une proximité géographique (les indiv idus doivent vivre ensemble dans un espace circonscrit), des interactions personnelles ent re les membres, une économie de partage, totale ou partielle ; une existence conc rète, au-delà des utopies de papier (nouvelles, essais, conférences… qui décrivent un mo nde idéal) ; et une masse critique de communards, dont on peut fixer le seuil minimum à cinq. » .

L’Oasis comme dénominateur commun et objet d’étude 

Face au constat de cette hétérogénéité, il était nécessaire d e faire un choix. Baser mon étude sur l’un de ces termes uniquement aurait été complexe , car – nous le verrons – les projets eux-mêmes oscillent entre plusieurs qualificatifs. La découverture du projet Oasis a permis de répondre à cet enjeu de cohérence des terrains étudiés.

Initié par Pierre Rabhi dans les années 1990 à travers « Le Manifes te Oasis en Tous Lieux », le projet Oasis a pour objectif d’encourager la créatio n de lieux de vie écologiques et solidaires. Le projet rejoint le Mouvement des Colibris (lui a ussi fondé par Pierre Rabhi) en 2015 et est aujourd’hui porté par la Coopérative Oasis . Sont qualifiés « d’oasis » les lieux se reconnaissant dans cinq intentions: « agriculture et autonomie alimentaire ; éco-construction et sobriété énergétique ; mutualisation ; gou vernance respectueuse ; accueil et ouverture sur le monde ». Il existe trois types d’oasis , qui correspondent « aux envies et à la progression de tous» (les oasis de vie, les oasis-r essources, et les graines d’oasis) : dans le cadre de cette recherche, notre attention portera un iquement sur les oasis de vie, et plus particulièrement ceux en milieu rural. Le cho ix du projet Oasis comme dénominateur commun a eu une implication importante dans la méth odologie choisie : petit à petit, en raison de la place du projet Oasis dans les entretiens et de sa notoriété dans les circulations médiatiques, celui-ci s’est imposé comme un objet d’étude en soi.

Le prisme de « l’utopie concrète »

« Les immigrants de l’utopie » ; « De l’utopie à la réalité, vivre en écovillage hors de la société capitaliste » ; « À l’écovillage de Pourgues, l’utopie collectiviste est en marche » … La notion d’utopie apparaît dès les premières explorations aut our de mon sujet à travers les titres de parutions médiatiques. La découverte d u concept « d’utopie concrète » dans l’ouvrage Un désir d’égalité de Michel Lallement m’a amenée à explorer les fondements philosophiques et sociologiques qui sous-tendent ce concept. L’utopie est un terme créé en 1516 par Thomas More pour le titre de son oeuvre Utopia, dans laquelle il décrit une société imaginaire idéale. Dans son s ens étymologique (en grec ou, « non », et topos, « lieu »), l’utopie est un lieu qui n’existe pas. Dans l’imaginaire collectif, l’utopie est une chimère, une belle i dée destinée à demeurer inatteignable. Souvent réduite à sa forme littéraire – rêve ou f iction – ou discréditée en raison de ses dérives totalitaires du XXème siècle , l’utopie serait une notion dépassée dont il faudrait se destituer pour accepter une vision plus « raisonnable » du monde. Le terme « utopique » devient synonyme de « naïf », de quelqu’un sans prise avec les dures réalités du présent . L’encyclopédie Universalis va jusqu’à caractériser la « conscience utopique » comme schizophrénique ! L’utopie, lorsqu’elle est caractérisée par son irréalisme, devient un argument visant à discréditer des adversaires politiques, peu importe leur horizon politique (par exemple, le marxisme attachait une importance à s’auto-qualifier de « science » et à se distinguer de l’irréalisme du socialisme utopique) .

Cette vision disqualifiante de l’utopie est soulevée par Pierre Rabhi, lorsqu’il énonce les grands principes des oasis : « Toutes ces considérations, dans le contexte du monde actuel, semblent utopiques. C’est souvent ce que me renvoient certaines personnes du plus profond de leur scepticisme. Et pourtant, rien ne changera sans utopie, sans transgression positive ». En critiquant l’ordre existant et en proposant de le réformer en profondeur, les écrivains comme Thomas More, ayant illustré le genre littéraire de l’utopie du XVIème au XVIIIème siècle, avaient déjà pour ambition de réaliser quelque chose de possible. « L’utopisme le plus utopien est aussi le plus pratique. Il exige le ciel sur terre et explore les réalités extraordinaires qui sont latentes dans un présent apparemment banal », écrit John Clark. Et si l’utopie pouvait se réaliser ? C’est dans cette dimension pratique que l’on peut comprendre les notions d’hétérotopie de Foucault, d’utopie pratique de Ricoeur ou encore d’utopie concrète de Bloch et Michel Lallement. Leurs théories sont différentes les unes des autres – de par leurs méthodologies, leurs horizons et leurs questionnements -, mais il semble intéressant d’en faire un court état des lieux afin d’éclairer notre sujet.

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Table des matières

Introduction
Choix et définition de l’objet de recherche
La découverte des écovillages : un rapport intime au sujet
Une constellation d’appellations et de pratiques
L’Oasis comme dénominateur commun et objet d’étude
Problématisation
Le prisme de « l’utopie concrète »
L’angle de la gouvernance
Méthodologie
Un parti pris méthodologique : le double niveau d’analyse
Bibliographie
Les entretiens
L’observation participante
Problématique et annonce du plan
Partie 1 – L’Oasis en contexte
A) Le projet Oasis : la construction d’un réseau
Origine et évolution du projet
Fonctionnement de l’écosystème
Modalités d’accès, diversité du mouvement et sentiment d’appartenance
B) Perspective socio-historique et médiatique : un terreau fertile
Les communautés intentionnelles aux Etats-Unis
Le mouvement des néo-ruraux en France depuis mai 68
La médiatisation de la collapsologie : l’écovillage, une réponse à l’effondrement ?
Partie 2 – L’Oasis : une utopie concrète ?
A) La communication du projet Oasis comme utopie concrète
Une double mythologie : le colibris et l’oasis
Une utopie qui se donne à voir : la vitrine d’un « nouveau mode de vie »
La carte interactive : la mise en signes de la pollinisation des Oasis
B) L’expérimentation de l’utopie concrète chez les interviewés
Du « eux » au « nous »: les valeurs au cœur des identités collectives et individuelles
La terminologie du lieu, symbole d’une utopie
C) Entre utopie et idéologie : des frontières poreuses
Un rapport paradoxal à la société
L’Oasis : une écologie apolitique, individualiste et inoffensive ?
Partie 3 – La gouvernance dans les Oasis : un pilier de l’utopie concrète ?
A) Contours de la gouvernance dans les Oasis
La prise en compte du PFH : le « Putain de Facteur Humain »
Définition pragmatique de la gouvernance chez les Oasis
L’influence de modèles organisationnels et relationnels : entre adhésion et négociation
B) La gouvernance comme fondement d’une utopie concrète
La réaffirmation du « nous » à travers la gouvernance
Une ritualité dans la gouvernance : la réunion comme pratique codifiée
Le travail sur soi, le retour du colibri dans la gouvernance
C) Une utopie mise à mal ?
Entre idéal et réalité : du réenchantement au constat des difficultés
Une vision dissonante : le cas de Ghaia du Mas de Castera
Perspective critique des nouvelles formes de gouvernance : un renouvellement de « l’esprit » du capitalisme ?
Conclusion

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