La gestion des ressources en eau de l’internalisation des externalités aux conflits d’usage

LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU : DE L’INTERNALISATION DES EXTERNALITÉS AUX CONFLITS D’USAGE 

L’eau est une ressource qui a été, pendant longtemps, considérée comme abondante et inépuisable et dont l’utilisation dans la consommation ou dans les processus de production ne posait pas de problème particulier. Cependant, les modes de consommation et de production ont subi, depuis notamment les années 1950, de nombreuses et importantes transformations, faisant ainsi évoluer de façon manifeste la place de cette ressource dans le système économique et social, tout en mettant en évidence les spécificités de celle-ci. Développement du tourisme, accroissement démographique, besoins énergétiques, intensification de l’agriculture… sont autant de mutations qui ont contribué à l’émergence de nouvelles relations vis-à-vis de la ressource et à la multiplication des fonctions économiques de celle-ci. Ces fonctionnalités multiples sont souvent à l’origine de tensions entre les divers usagers de l’eau, tensions qui se traduisent dans de nombreuses occasions par des conflits mettant en relief des intérêts différents inhérents aux acteurs usagers de cette ressource.

CARACTERISATION ET SPÉCIFICITES DES RESSOURCES EN EAU

Depuis la première conférence des Nations Unies sur l’eau en 1977, une question sans réponse unanime semble récurrente lors des réunions internationales : comment peut-on appréhender l’eau ? Une question qui en suscite d’autres : de quelle façon doit-on envisager la ressource en eau ? Sur quelle base reposent les différentes approches de la gestion de l’eau ? Quel est le point de départ d’une gestion de l’eau optimale ? Ainsi que le souligne Cans (1994), « bien qui tombe du ciel, donc gratuit, l’eau va devenir pour tous une marchandise rare et chère. Comme la nature vierge et les paysages inviolés ». Cependant, la directive cadre européenne sur l’eau adoptée en 2000 précise dans la première considération préliminaire que « l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu’il faut protéger, défendre et traiter comme tel » (Conseil des Communautés Européennes, 2000, p. 1). Derrière les débats sur le caractère marchand ou non de l’eau se cache la question plus fondamentale de la nature de ce liquide dont l’usage soulève des enjeux importants. Dans la littérature économique traitant des typologies des biens, nous pouvons constater une grande confusion de vocabulaire entre les notions de bien collectif, public, commun et libre, utilisées souvent indistinctement et créant ainsi des équivoques théoriques regrettables. La question de la nature du bien « eau » nous semble centrale pour assurer sa gestion et pour l’adapter aux nouveaux contextes socio-économiques, géographiques et culturels. Dès lors, il nous semble indispensable de caractériser le bien « eau » et d’en saisir les spécificités.

Nature économique du bien « eau » 

Le manque d’intérêt de la part de la science économique au regard de l’eau est présent déjà dans l’œuvre d’Adam Smith. Dans La richesse des nations il utilise l’exemple de l’eau et les diamants pour établir les concepts de « valeur d’usage » et « valeur d’échange ». Ainsi, il signale que, quand bien même la valeur d’usage de l’eau est très importante (l’eau est indispensable à la vie humaine), sa relative abondance détermine la faiblesse de sa valeur d’échange, inversement aux diamants (Bielsa-Callau, 1998).

Un bien naturel rare
La théorie économique a ainsi longtemps exclu l’eau du champ de l’analyse économique, en la considérant, eu égard à son abondance apparente et à l’instar de l’air, comme un bien « libre » dans le sens économique du terme, c’est-à-dire sans valeur d’échange. En effet, si le concept d’utilité marginale se trouve au centre du cadre théorique du coté de la demande (l’utilité subjective de la dernière unité du bien acquise détermine la valeur d’échange du bien), le prix du produit correspond à la confrontation entre les coûts de production du coté de l’offre et l’utilité marginale du coté de la demande. L’eau, à de rares exceptions près, n’a pas été assignée par les forces du marché car le coût de production était considéré comme nul. Le désintérêt de la science économique au regard des ressources naturelles est exprimé ainsi par Jean-Baptiste Say lors de ces cours d’économie politique (1828 1830, cité par Passet, 2000, p. XVI) : « Les richesses naturelles sont inépuisables car sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être multipliées ou épuisées, alors elles ne sont pas l’objet des sciences économiques ». Ainsi, l’histoire de l’eau et des diamants en tant que biens économiques a emprunté des chemins bien différents.

Néanmoins, il devient de plus en plus évident qu’actuellement, tant au niveau quantitatif que qualitatif, l’eau ne peut pas être considérée comme un bien dont on peut disposer de façon illimitée. Cette réalité est essentiellement déterminée par deux facteurs : d’une part, l’augmentation de la population et de son niveau de vie, et donc de la consommation (ce qui contribue à la baisse de son abondance relative) et d’autre part la pollution de la ressource en eau et des milieux qu’elle traverse (ce qui induit une dégradation dans sa qualité relative). Alors que la population mondiale a été multipliée par deux entre 1955 et 1990, la consommation d’eau dans cette même période a été multipliée par quatre (Givone, 2000). L’augmentation de la demande d’eau (en tant que bien final et en tant que facteur de production) induit des problèmes d’allocation, ce qui donne à l’eau certaines caractéristiques propres aux biens dits « économiques » : l’eau devient un bien naturel rare. En effet, le caractère économique d’un bien est lié à plusieurs dimensions. Avec Menger, nous pouvons considérer qu’« un bien est une chose reconnue apte à la satisfaction d’un besoin humain et disponible pour cette fonction ». Le qualificatif de « bien » requiert ainsi quatre conditions (Hugon, 2002) : la connaissance ou la prévision du besoin humain, la propriété objective de la chose qui la rend apte à satisfaire le besoin, la connaissance de cette aptitude et la disponibilité de la chose. Dans le même courant de pensée, si l’on suit la définition de Robbins (1947), un bien économique est un bien rare pour lequel plusieurs utilisations alternatives sont possibles. Les principes de rareté et de choix, ainsi que la notion de besoin délimitent ainsi, selon l’approche théorique standard, le contour de la définition de bien économique. Il est en effet utile de faire la différence entre « bien économique » et « bien marchand », notions qui sont souvent utilisées indistinctement. Lorsqu’une ressource devient rare, une concurrence émerge du fait des rivalités de consommation. Mais la valorisation de la ressource entraînée par cette compétition ne se manifeste pas uniquement en termes de prix. Les déterminants de choix des usagers de la ressource peuvent être autres que les règles de l’offre et la demande (Taithe, 2001). De ce fait, nous pouvons identifier l’eau comme un bien économique mais non comme un bien marchand. En somme, l’évolution de la place des ressources en eau au sein des processus économiques et sociaux permet d’affirmer aujourd’hui que l’eau n’est plus une ressource inépuisable mais un bien économique (non marchand) rare.

Bien privé ou bien public ? 

La notion de « bien public » est traitée de façon confuse dans la littérature, ce qui amène souvent à qualifier différemment deux phénomènes identiques ainsi qu’à utiliser le même terme pour différents phénomènes (Blümel et al., 1986). Il est important de noter que nous nous référons ici à la caractérisation formelle des biens et non pas au régime de propriété les concernant. Évidemment, les conséquences sur la gestion d’un bien ou d’une ressource seront complètement différentes selon le système d’allocation des droits d’usage ou de propriété défini sur le bien ou la ressource en question (cf. infra). Hume avait déjà évoqué dans son Traité sur la Nature Humaine (publié en 1739) le besoin de s’organiser collectivement afin de produire des services nécessaires à la société dans son ensemble (bien que non profitables individuellement). Mais l’origine d’une théorie économique des biens publics est traditionnellement attribuée à Samuelson dans son article fondateur de 1954 (Cornes et Sandler, 1996) .

Cela étant et d’une manière générale, les définitions actuelles relatives aux biens publics distinguent les biens publics purs, les biens publics impurs (ou mixtes) et les biens privés (Begg et al., 2000, p. 280-281 ; Cornes et Sandler, 1996, p. 3).

On parlera ainsi de « biens publics purs » lorsque deux caractéristiques sont vérifiées :
• La non-exclusion : un bien est non-exclusif lorsqu’une fois produit, il est accessible à tous ; aucune minorité n’a l’exclusivité d’accès (contrairement aux biens privés qui supposent un certain pouvoir d’achat). Autrement dit, lorsque ce bien est mis à disposition d’une personne, il est extrêmement coûteux, voire impossible, d’en exclure la consommation par d’autres (exemple : la défense nationale, un feu d’artifice).
• La non-rivalité (ou non-divisibilité) : la consommation d’une unité de bien par un individu ne prive pas autrui de la jouissance (ou consommation) de cette même unité de bien. Citons comme exemple un paysage dont la vue n’est pas obstruée, ou encore des dispositifs de contrôle de la pollution. Cependant, dès que la consommation d’une unité d’un bien par un agent élimine totalement tout bénéfice que d’autres auraient pu retirer de cette unité, on parlera de rivalité  dans la consommation ou de divisibilité totale. Des biens comme la nourriture ou les vêtements sont rivaux dans leur consommation.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 – LA GESTION DES RESSOURCES EN EAU : DE L’INTERNALISATION DES EXTERNALITÉS AUX CONFLITS D’USAGE
1. CARACTERISATION ET SPECIFICITES DES RESSOURCES EN EAU
1.1. Nature économique du bien « eau »
1.1.1. Un bien naturel rare
1.1.2. Bien privé ou bien public ?
1.1.3. Un bien commun
1.2. Multifonctionnalité et ressources en eau
1.2.1. Notion de « Multifonctionnalité »
1.2.2. Multifonctionnalité des ressources en eau
2. APPROCHE TRADITIONNELLE : LE MARCHE OU L’ETAT
2.1. Théorie des droits de propriété et courant « Free market environmentalism »
2.1.1. La tragédie des communaux
2.1.2. Régimes de propriété
2.1.3. Externalités et théorie des droits de propriété
2.1.4. Marchés de droits d’eau
2.1.5. Le « Free market environmentalism » : allocation marchande des ressources
2.2. Fondements et instruments de l’action publique
2.2.1. Fondements théoriques
2.2.2. Instruments de l’action publique
2.2.2.1. Réglementation directe
2.2.2.2. Instruments « économiques »
3. ANALYSE CRITIQUE DE CE DUALISME ET CONFLITS D’USAGE
3.1. Limites du « Free market »
3.1.1. La privatisation comme solution ?
3.1.2. Conditions d’existence des marchés des droits d’eau
3.1.3. Critique de l’argumentaire du « free market environmentalism »
3.2. Limites de l’intervention publique
3.2.1. Réglementation directe : absence d’incitation
3.2.2. Taxation et incertitude
3.2.2.1. Quel niveau de taxe ?
3.2.2.2. Charge supplémentaire pour le pollueur
3.2.3. Subventions : le danger de favoriser la pollution
3.3. Combinaison d’instruments et persistance des conflits
3.3.1. Cohabitation d’instruments
3.3.2. Les conflits d’usage : entre concurrence et relation sociale
CONCLUSION
CHAPITRE 2 – APPROCHE INTERPRÉTATIVE DES CONFLITS DANS LE DOMAINE DE LA GESTION DE L’EAU : QUELS OUTILS THÉORIQUES ?
1. JUSTIFICATION DES CONFLITS SELON LES « ECONOMIES DE LA GRANDEUR »
1.1. L’apport de Boltanski et Thévenot à l’Économie des Conventions
1.1.1. Approches « interactionniste » et « institutionnaliste » des conventions
1.1.1.1. Approche « interactionniste » ou les limites de la rationalité individuelle
1.1.1.2. Approche « institutionnaliste » : incomplétude des règles et intentionnalité collective
1.1.2. La lecture du conflit selon les « économies de la grandeur »
1.1.2.1. Apports du modèle des cités pour notre problématique
1.2. Conventions dans le domaine de l’environnement
1.2.1. Conventions face à l’incertitude
1.2.2. Incertitude et ressources en eau : internalisation institutionnelle en univers hybride
1.2.3. Une cité de l’écologie ?
1.2.3.1. La nature dans toutes ses cités
1.2.3.2. Les cités sous le feu de la critique écologique
1.2.3.3. L’axiomatique de la « cité verte » à l’épreuve
1.3. Éléments conventionnels pour l’appréhension des conflits
1.3.1. Renoncement ou dépassement des conflits
1.3.1.1. Contingence et instabilité des arrangements locaux
1.3.1.2. Le renoncement au différend dans la relativisation
1.3.1.3. Un compromis fondé sur un bien commun non explicité
1.3.2. Des limites et manques pour la gestion des conflits
2. GESTION DES CONFLITS A L’AIDE D’UNE APPROCHE PATRIMONIALE
2.1. L’approche patrimoniale
2.1.1. Gérer la nature comme un patrimoine
2.1.2. L’« éco-socio-système » : la société, la nature et leurs relations
2.2. Gestion des conflits avec la « négociation patrimoniale »
2.2.1. Des langages sectoriels articulés en filières vers un langage commun
2.2.1.1. La réalité cloisonnée par des langages formalisés
2.2.1.2. Une gestion par filière
2.2.2. La procédure : quelles règles institutionnelles ?
2.2.2.1. Un diagnostic, un objectif et des moyens
2.2.2.2. Le lieu de la négociation : une institution « multi-organisationnelle »
3. LA PRISE EN COMPTE DU TERRITOIRE : L’APPORT DE L’ECONOMIE DE LA PROXIMITE
3.1. La proximité : une préoccupation industrielle applicable à des nouveaux objets
3.2. Proximité géographique et proximité organisée
3.2.1. Une distance fonctionnelle doublement relative
3.2.2. Espace de rapports et espace de référence
CONCLUSION
CHAPITRE 3 – VERS UNE GESTION INTÉGRÉE D’UN BIEN COMMUN : ÉVOLUTION DU RÉGIME INSTITUTIONNEL DES RESSOURCES EN EAU
1. ÉVOLUTION DU REGIME INSTITUTIONNEL DE L’EAU EN FRANCE : DU SECTORIEL VERS L’INTEGRE
1.1. Régime institutionnel des ressources en eau
1.1.1. Système régulatif : droits de propriété et d’usage de l’eau
1.1.2. Politiques publiques dans le domaine de l’eau
1.1.3. Régime simple, complexe et intégré
1.2. Émergence d’un régime de l’eau en France
1.2.1. D’une gestion coutumière vers un régime simple
1.2.2. Complexification du régime : 1898-1945
1.3. Un régime complexe (1945-1992)
1.3.1. Intensification des usages et de l’intervention de l’État (1945-1964)
1.3.2. Unicité de la ressource et gestion décentralisée, mais maintien d’une gestion sectorielle (1964-1992)
1.4. Volonté de « gestion intégrée » : patrimoine commun et influence de la Directive cadre sur l’eau
1.4.1. Planification négociée d’une « gestion équilibrée » (1992-2000)
1.4.1.1. Innovations de la loi : unification de la ressource, planification de sa gestion, simplification de la réglementation
1.4.2. Directive cadre européenne et nouveau projet de loi
1.4.2.1. Principes et contenu de la directive cadre sur l’eau
1.4.2.2. Innovations pour la gestion européenne de l’eau
1.4.2.3. Quelques interrogations
1.4.2.4. Quelles suites dans la législation française ?
2. QUELLE GESTION INTEGREE DES RESSOURCES EN EAU ?
2.1. Des éléments complémentaires pour une gestion intégrée
2.2. Reconnaissance et compréhension des conflits d’usage et de leur dépassement
2.2.1. La genèse des conflits : diverses « visions du monde » et leurs impacts
2.2.2. Des proximités subies vers des proximités « réponse » : le patrimoine comme catégorie de proximité institutionnelle
2.2.2.1. Une proximité géographique source de conflits
2.2.2.2. La proximité environnementale : la rivière vecteur de proximité
2.2.2.3. La gestion des conflits par l’activation d’une proximité organisée
2.2.2.4. Le patrimoine : une catégorie de proximité institutionnelle
2.2.2.5. Solidarité amont – aval : d’une solidarité passive vers une solidarité active
2.3. Transversalité des politiques publiques : intégration entre territoire et ressource (gestion de l’espace-gestion de l’eau)
2.3.1. Gestion de l’eau – gestion de l’espace : un lien affaibli par le monde technique
2.3.2. Quels antagonismes dépasser pour une gestion spatiale de l’eau ?
2.3.2.1. Les postures de la gestion de l’eau face aux filières de gestion de l’espace
2.3.2.2. Comment échapper à une posture soumise ?
CONCLUSION GÉNÉRALE

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