La gestion de crises à l’épreuve de la situation extrême

La gestion de crises à l’épreuve de la situation extrême

Nous devons tout d’abord mettre au clair notre posture : élucider les relations entre les acteurs techniques et politiques nous apparait indispensable pour analyser l’accident de Fukushima Daiichi. Cet accident est souvent représenté sous le prisme de la crise et de l’urgence dans les rapports officiels. Dans un premier temps, nous devons donc commencer par l’étude des différences entre les concepts d’accident, de crise et d’urgence. Dans un deuxième temps, nous nous consacrerons à l’analyse de l’événement. L’accident de Fukushima Daiichi conduit les chercheurs à questionner la problématique de la résilience des systèmes sociotechniques complexes. Cette problématique est amenée par la défaillance de sûreté à laquelle ont contribué les exploitants et les autorités. Cependant, l’accident met également en lumière le fait que la gestion de la crise était largement inadaptée, en particulier lorsque les mesures de sécurisation se sont avérées inutiles dans l’urgence. Dans ce contexte, la gestion de la crise de cet accident se traduit par l’interaction intersectorielle entre la machine et l’humain, entre les groupes qui jouent leurs propres rôles dans la division du travail, entre les organisations (l’autorité, le Gouvernement, l’exploitant). Au sens le plus large, cette interaction, proposée par Latour (2004), concerne la science, la technique, la politique et la société. Sur ce sujet, Hatamura (2016), le président du comité gouvernemental sur l’accident de Fukushima Daiichi (Investigation Committee on the Accident at the Fukushima Nuclear Power Stations : ICANPS) présente son point de vue : « Je pense, en tant qu’ingénieur, que la gestion de la crise de Fukushima Daiichi reflète l’interaction au long terme entre la politique et la technique dans la société du Japon. Chaque Japonais doit se demander : De quelle façon avons-nous utilisé la technique de l’énergie nucléaire dans notre société ? » . Comment répondrons-nous à la question de Hatamura ? Nous nous tournerons vers les arguments des anthropologues ou des sociologues qui permettent d’alimenter la réflexion sur ces sujets. Enfin, nous devrons étudier le déroulement de l’accident de Fukushima Daiichi, notamment du point de vue du système d’acteurs. En comparant la notion de crise et d’urgence avec les faits reliés à cet accident, nous empruntons le concept de « situation extrême » (Guarnieri et Travadel, 2018) pour mieux rendre compte de l’accident.

Ce que sont un accident, une urgence et une crise

Souvent un mot est utilisé à la place d’un autre. Des définitions sont parfois tronquées, voire oubliées. La tâche est aussi complexe quand il s’agit pour l’auteur d’aller et venir entre le français, l’anglais et le japonais. Il nous est donc apparu opportun de définir ces notions.

La notion d’accident

L’événement de Fukushima Daiichi nous impose de revenir sur la définition de l’accident tout en la croisant avec celle de la temporalité. En effet, cet accident interroge « la notion de reprise de contrôle de son instrument de production par un système sociotechnique complexe, après que son activité a été profondément entravée. » (Guarnieri et al., 2015). La qualification d’accident nucléaire de niveau 7 (selon l’échelle INES ) résulte de la succession des événements survenus sur les réacteurs 1, 3 et 4 durant plusieurs jours (International Atomic Energy Agency : IAEA, 2011). Les opérateurs ont été confrontés à l’effondrement des cadres d’action institués, balayés par le séisme puis les tsunamis.

D’après le dictionnaire, l’accident est un « événement imprévu et soudain qui entraîne des dégâts, met en danger » (Dictionnaire culturel Le Robert, 2005). Dans un sens philosophique, l’accident est « ce qui n’est pas essentiel à l’être et qui, par suite, peut être modifié ou supprimé sans altérer la nature, l’essence, la substance » (Ibid.). Ces deux usages ne sont pas incompatibles. En effet, l’accident est, dans la croyance commune, un fait rare et anormal au regard du déroulement ininterrompu des activités humaines. En tant qu’événement singulier, l’accident est investi de sens, sans pour autant détruire les significations qui maintiennent ensemble la société, à moins de la détruire corps et biens (Castoriadis, 1986). L’accident convoque la notion de temps. Ce temps peut être chronologique et cumulatif. Dès lors, il se mesure, objectivement. Il peut être aussi plus subjectif. Alors, point de mesure, mais des déclarations et des récits. Selon la nature du temps considéré, la vision de l’accident, change radicalement. Ainsi, Guarnieri et al. (2015) ont proposé de classer les modèles d’accident en fonction de leur conception du temps et plus précisément, selon la conception de la temporalité qui se dégage de la modélisation de l’activité à risque. Les modèles dits « transcendants » sont la classe des représentations d’accident dont les éléments constitutifs et les liens logiques qui les unissent sont considérés vrais en soi : c’est le cas des modèles séquentiels (1) et structurels (2). En revanche, les modèles dits « immanents » décrivent une dynamique résultant du système, liée aux multiples interactions entre les agents et leurs conflits : ce sont les modèles fonctionnalistes (3) et constructivistes (4).

Les modèles séquentiels

Dans les modèles séquentiels, l’accident pointe vers un événement final, une situation donnée, selon des ramifications logiques retraçant les séquences d’actions (décision, action, omission, etc.) nécessaires à sa réalisation. Heinrich (1931) a souligné la nécessité pratique de poser une limite à la remontée en cascade des causes. L’objectif de ce type de modèle est d’identifier une cause profonde, que l’on peut définir comme la plus élémentaire, pouvant être raisonnablement retenue et sur laquelle le management a le pouvoir d’agir (Parasies et Busch, 1988). Ces auteurs analysent des accidents de Savannah River Plant (une centrale nucléaire en Caroline du Sud ; Etats-Unis) et appellent la cause profonde « root cause ». Dans ces modèles, la représentation de l’accident est liée à l’objectif de l’investigation. L’enquêteur doit questionner les facteurs ayant conduit à une situation particulière selon un processus en cascade, jusqu’à ce que cette démarche fasse émerger une « cause » évidente à prévenir. De manière générale, les représentations de type séquentiel posent les relations de cause à effet en rapport avec la maîtrise d’un système physique. Concernant les actions humaines, l’analyse remonte jusqu’à des facteurs susceptibles d’en influencer la performance, dès lors que celle-ci est en lien avec l’état du système physique. Toutefois, elles ne permettent pas de rendre compte du caractère dynamique des situations auxquelles sont confrontés les opérateurs industriels (Rollenhagen, 2000).

Les modèles structurels

Les modèles structurels sont une interprétation de l’accident fondée sur l’organisation du champ social ou des caractéristiques extrinsèques à la situation d’occurrence du dommage. Dans ces modèles, l’individu est un agent rationnel et la dynamique est déterminée par une superstructure. Rasmussen (1997) considère l’évolution des systèmes vers une situation accidentelle comme une trajectoire de dérive constante des pratiques jusqu’aux frontières de la performance acceptable. Cette dérive résulte des pressions exercées par les objectifs de productivité et de la marge d’appréciation irrépressible dont disposent les agents. L’accident ne résulte donc pas d’un enchaînement séquentiel transverse aux différents niveaux, contrairement au modèle organisationnel de Reason (1997). Les défenses d’une organisation contre les accidents y sont décrites par une série de barrières représentées par des plaques. Les trous dans les plaques représentent des faiblesses dans les parties individuelles du système. Le système produit alors des défaillances lorsque les trous de chacune des plaques s’alignent, permettant une trajectoire d’opportunité d’accident. D’un point de vue méthodologique, le modèle de Rasmussen assimile la prévention à la gestion de paramètres de contrôle d’un système sociotechnique (Stoop et Dekker, 2010) alors que le modèle de Reason déplace la problématique de la causalité accidentelle directe vers celle des conditions organisationnelles qui rendent possible l’erreur humaine. Cependant les modèles structurels ne prennent pas en compte l’interaction entre les facteurs (humain, machine et système). Luxhoj et Kauffeld (2003) font remarquer qu’un des inconvénients du modèle de Reason est qu’il ne tient pas compte des relations entre les facteurs de causalité. Sans comprendre ces relations, les résultats sont trop vagues pour être utiles sur le plan pratique.

Les modèles fonctionnalistes

L’approche fonctionnaliste s’est essentiellement inspirée de la théorie des systèmes dynamiques (Guarnieri et al., 2019). Hollnagel (2012) a proposé de ne pas restreindre la description fonctionnelle à des boucles de rétroaction, c’est-à-dire à des processus fermés. Il en résulte le modèle FRAM (Functional Resonance Analysis Method) s’appuie sur quatre principes : l’équivalence des défaillances et des succès, le rôle central des ajustements dans le cours de l’activité, la réalité de l’émergence et la résonance fonctionnelle en tant que complément à la causalité. Dans ce modèle, l’accident est décrit comme un phénomène non linéaire émergeant d’interactions complexes. Ce modèle approfondit la réflexion sur la capacité de résilience d’organisation. La résilience d’un système définit sa capacité intrinsèque à adapter son fonctionnement avant, pendant ou après des changements ou des perturbations, de sorte qu’il poursuive un ensemble d’opérations déterminées dans des conditions attendues ou inattendues (Hollnagel et al., 2010). En revanche, la théorie des systèmes dynamiques ne reflète pas forcément la profondeur des relations humaines et leurs temporalités (Guarnieri et al., 2015).

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Table des matières

Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : La gestion de crises à l’épreuve de la situation extrême
Introduction
1. 1 : Ce que sont un accident, une urgence et une crise
1. 1. 1 : La notion d’accident
(1). Les modèles séquentiels
(2). Les modèles structurels
(3). Les modèles fonctionnalistes
(4). Les modèles constructivistes
1. 1. 2 : La notion de crise et d’urgence
1. 1. 3 : Ce que gérer une crise ou une urgence veut dire ?
1. 2 : Les leaders techniques et politiques au sein de la crise
1. 2. 1 : Un cadre théorique
1. 2. 2 : L’interaction entre la technique et la politique
1. 2. 3. Le rôle attendu des leaders
1. 3 : L’accident de Fukushima Daiichi
1. 3. 1 : Un accident nucléaire suite à un double désastre naturel
(a). L’emplacement et l’équipement de la centrale nucléaire
(b). L’évolution de la crise
1. 3. 2 : Le système d’acteurs
(a). Organisation formelle de TEPCO
(b). Organisation formelle du Gouvernement
1. 3. 3 : La question de la thèse
Conclusion
Chapitre 2 : Les relations entre les acteurs sous l’angle de la théorie du sensemaking
Introduction
2. 1. Le sensemaking comme première approche
2. 1. 1. Les concepts clefs du sensemaking de Weick
2. 1. 2. L’apport de la théorie du sensemaking
2. 1. 3. Les limites d’une théorie exclusivement cognitive
2. 2. De la construction du sens à la résilience
2. 2. 1. La notion de résilience
2. 2. 2. La notion d’entrée en résilience
2. 2. 3. De l’utilité du modèle de Powley
2. 3. Dispositif d’enquête et de traitement des données
2. 3. 1. Le recueil des données (rapports d’enquête, auditions, interviews)
(a). Les rapports officiels
(b). Les auditions, les entretiens et les enquêtes de terrain
2. 3. 2. Comment passer des données à l’analyse théorique ?
2. 3. 3. L’application des sociogrammes
(a). Fondement de la théorie des sociogrammes
(b). Utilité des sociogrammes
(c). Pour établir les sociogrammes au sein de la crise
Conclusion
Chapitre 3 : Analyse des relations entre leaders technique et politique entre le 11 et le 15 mars
Introduction
3. 1. Première analyse des sociogrammes
3.1.1. La difficulté de création du sensemaking
3. 1. 2. Ce que nous permet de comprendre le processus du « sensemaking »
(a). Analyse des relations en termes de « cues »
(b). Analyse des relations en termes de « framing » et de « connection »
3. 1. 3. Le rôle des leaders dans la crise
(a). La relation interdépendante pour la gestion de l’accident nucléaire
(b). La décision des leaders
(c). Le rôle des leaders pour rétablir le système
3. 2. Les autres aspects mis en évidence par les sociogrammes
3. 2. 1. Les limites du processus du « sensemaking »
(a). L’importance de la phase de « retrospect » dans le processus du sensemaking
(b). Le contexte élargi dans lequel le sensemaking se produit : la culture
3. 2. 2. La dimension émotionnelle
(a). Le cadrage émotionnel devient de plus en plus important
(b). De la dimension émotionnelle à la dimension sacrificielle
3. 2. 3 : Le cadrage émotionnel des leaders
(a). Entrée en phase de cadrage sacrificiel
(b). Une grande divergence entre les organisations cause un conflit émotionnel
(c). De l’effondrement au rétablissement du sensemaking
3. 3. Interpréter l’évolution des relations comme un mode d’activation de la résilience
3. 3. 1. L’application de l’apprentissage (learning) à la gestion de la crise
3. 3. 2 L’application du modèle de Powley à Yoshida
3. 3. 3. L’application du modèle de Powley à Kan
Conclusion

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