La fonction de traduction au cinéma

La fonction de traduction au cinéma

Le sous-titrage, une technique très codifiée 

Lorsqu’il devient parlant en 1927, le cinéma qui est alors le premier média audiovisuel, vecteur simultané d’image et de son, cherche à traduire ses films dans le but de les exporter. Rapidement, le sous-titrage apparaît ainsi comme l’une des voies de la traduction. Car, en effet, il existe d’autres techniques telles que le doublage ou la technique de voice over, forme de surenregistrement qui sied mieux, lorsqu’elle est employée, au documentaire qu’à la fiction.

La technique du sous-titrage est très codifiée et nécessite un savoir-faire exigeant. Comme le rapporte Simon Laks, elle requiert un minutieux travail préalable de traduction et de découpage des dialogues, puis dans sa phase d’adaptation, une mise en forme littéraire ; le tout répondant à des normes physiologiques. Par exemple : « Il faut deux images, soit 1/12e de seconde pour lire un signe typographique. » Ou encore, sur la durée d’apparition du sous-titre : « Ce temps est nécessairement court, il varie de une [sic] à six secondes, en fonction de la durée du dialogue à traduire. Cette limitation résulte directement de l’espace que l’on peut valablement réserver au sous-titre par rapport aux dimensions de l’image cinématographique. » Aussi, Simon Laks, conçoit le sous-titrage comme un élément discret d’aide à la compréhension, lequel doit occuper un espace valable. Il ne manque pas de rappeler tout au long de son ouvrage que chaque sous-titre à l’écran constitue un double choc visuel : au moment de son apparition et de sa disparition. C’est ainsi qu’il milite notamment pour un sous-titrage « astucieux » plus économe et discret en opposition à un sous-titrage « conventionnel » .

Mais alors, s’il ne « traduit pas tout » le sous-titre à fonction de traduction interlinguistique au cinéma est-il fidèle aux dialogues ? Nous avons réalisé un entretien avec Jean-François Cornu, professionnel du sous-titre et auteur de Le Doublage et le sous-titrage KLVWRLUHHt esthétique (entretien intégralement retranscrit en annexe I). Afin de répondre, revenons ici sur l’importance de la parcimonie du sous-titre discutée avec Jean-François Cornu.

« Je fais partie des traducteurs qui ont tendance à signer leur sous-titrage par adaptation. […] Parce qu’il faut, aussi bien en sous-titrage qu’en doublage, quand même triturer un peu le texte. […] Étant donné qu’en sous-titrage on ne peut pas tout traduire et qu’en doublage la contrainte du synchronisme labial est essentielle, on est amené certaines fois à vraiment modifier le texte en tout cas dans la lettre, pas forcément dans l’esprit, mais dans la lettre. » Cette parcimonie du sous-titrage et son triturage sont donc la résultante de limites physiologiques mais répondent également à un état de complémentarité de l’image, du son et du texte. « Par exemple, lorsque vous avez des choses que le spectateur peut percevoir grâce à l’image, il y a des choses évidentes qui permettent de ne pas les évoquer directement dans les sous titres, de manière à privilégier une autre information qui est importante par le dialogue. » C’est pourquoi dans le cas du sous-titrage au cinéma, il est indissociable de l’action et de ses ressorts visuels et sonores.

Ainsi, un « bon » sous-titrage, c’est-à-dire efficace, est un sous-titrage confortable à lire, ne gâchant rien du plaisir du spectacle visuel et auditif. Notons d’ailleurs que le sous-titrage supporte la narration et peut-être parfois mieux que le son lui-même. En effet, il peut parfois permettre de rendre « audible » à sa lecture certains aspects du dialogue comme des discussions d’ambiance en arrière-plan qui constituent un fond sonore qui échappe parfois au spectateur. En somme, en révélant l’univers sonore des différentes paroles, même lointaine, le sous-titrage supporte plus le sens du film que du scénario. En outre, le sous-titrage se fait astucieusement oublier : en n’écrivant pas systématiquement les prénoms des protagonistes par exemple, le nombre de sous-titre est diminué et les chocs visuels limités. Cette conception du sous-titrage vise donc à consommer un spectacle audiovisuel en prêtant aussi bien attention à l’image qu’au son (bruitage, musique mais également dialogues originaux). Car si l’on coupait le son de la télévision (ou quelque autre écran !), un soir sur Ciné+Classic ou Arte devant un film de patrimoine sous-titré, l’on ne parviendrait pas à ressentir toute l’intensité émotionnelle et le contenu précis des dialogues. Par ailleurs, la langue source insuffle un esprit à l’œuvre, une identité autant auditive que visuelle et c’est toute la dimension esthétique de la version originale. Cette dimension, nous pouvons la rapporter à une valeur également doublement historique. Premièrement par la tradition centenaire du sous-titrage, deuxièmement lorsqu’elle s’attache, elle aussi, à raconter l’Histoire : un film comme La Chute (Der Untergang, 2004) y perd beaucoup en version française.

Aussi, c’est pourquoi, dans la théorie (et dans la pratique pour le cinéma et la télévision), le sous-titre n’est pas la retranscription fidèle et complète du contenu verbal du dialogue. Il est avant tout le reflet de la durée de ce dialogue et de son sens de l’intrigue et de l’argument. En effet, une longue phrase débitée avec rapidité comme on l’imagine, au hasard, dans un film de Woody Allen ; sera condensée et – fort heureusement pour le confort de lecture – épurée d’une partie des nombreux balbutiements et hésitations du personnage allénien universellement compréhensibles à l’oreille.

De cette manière, en comparaison du doublage et du voice over on peut considérer le sous-titrage comme le mode de traduction, bien que volontairement lacunaire, le plus fidèle à l’œuvre originale. Il ne dénature ni le son, ni les dialogues que l’on peut voir et entendre simultanément. Sans risquer de verser, comme plus haut pour rendre davantage parlant l’exemple, dans le cliché péjoratif du « vieux film en VOST» ou des chaînes de « cinéma d’auteur », notons un point important. Chaque film étranger diffusé sur la TNT ou par un FAI, ou encore via une plateforme numérique sont – surtout sur la télévision – proposés dans une version doublée en français. Or, la technologie permet, y compris sur la télévision, de sélectionner une piste audio originale et un sous-titrage adéquat. C’est ce que déplore d’ailleurs Jean François Cornu : « Un film étranger qui passe même à heure de grande écoute, va être présenté dans les programmes comme s’il était en VF mais quand la version sous-titrée existe, elle est aussi diffusée, il suffit de changer le canal. C’est comme sur un DVD, vous pouvez choisir quelle version vous voulez voir mais les spectateurs en sont très peu informés. » .

Enfin, nous ne pouvions achever ce point sans évoquer la question du télétexte, le soustitrage à destination des personnes sourdes et malentendantes. Dans le panorama des versions sous-titrées pour la fiction (cinéma et téléfilms) cette version est la seule à proposer une traduction intralinguistique. Cette forme de traduction pourrait s’avérer être une simple translation de l’oral à l’écrit. Seulement, les sourds et malentendants privés pour tout ou partie de l’ouïe y voient eux une traduction du langage parlé qu’ils ignorent ou qu’ils ne perçoivent plus, vers le langage écrit. En ce sens, cette forme du sous-titre est d’autant plus codifiée que les sous-titres décrivent tout le plan sonore : bruitages, musique etc. et répondent même parfois à un code couleur pour définir l’emplacement des différentes sources de son ou de dialogue. Ces codes descriptifs renvoient davantage au théâtre écrit et aux didascalies qui lui sont propres ou peuvent même évoquer le braille, qui est un code jouant sur la profondeur qu’utilisent les aveugles pour lire.

Le carton d’intertitre, premier sous-titre

Aujourd’hui en 2020, l’usage massif du sous-titrage en vidéo sur les réseaux sociaux résulte en majeur partie de cette technique cinématographique – nous allons le démontrer plus tard. Cependant, la technique du parlant est elle-même héritée d’un usage du muet, celui du carton d’intertitre. Cette forme antécédente de titrage plus que de sous-titrage, a assurément guidé la codification du sous-titrage au cinéma depuis 1927. Mais son influence se ressent également dans la plus moderne façon de (sous-)titrer aujourd’hui les contenus numériques des médias d’information. Jusqu’à sa disparition progressive dans les années 1930, le carton d’intertitre se présente comme un écran de texte venant ponctuer l’action et en résumer les dialogues ou la narration de manière littéraire. La Maison démontable de Buster Keaton (One Week, 1920) est un exemple très complet et créatif du champ d’action de l’intertitre et du rapport entre texte et écran.

Les images présentées ont été capturées et présentées dans l’ordre chronologique de la narration. Dans ces photogrammes, nous observons tout l’éventail de possibilités textuelles que renferme La Maison démontable. Tout d’abord, la figure calendaire, figure 1, est un élément à la fois intra et extradiégétique car il ne correspond à aucune action du film mais c’est bien la main de son personnage qui change les jours au fil de la semaine. Cette incrustation répétée sept fois s’intercale dans l’action et elle rythme le film, à la manière d’un carton d’intertitre qui indiquerait des titres de partie. S’ensuivent les cartons à proprement parler : texte blanc sur fond noir (fig. 2 et 3) qui représentent deux modes de narration. La première est la description faite par le narrateur, la seconde correspond aux dialogues, signifiés par des guillemets. C’est l’usage le plus classique du carton d’intertitre tel qu’on le retrouve chez Abel Gance, Chaplin ou encore Griffith… À cela se mêlent deux formes originales à la croisée de l’intra et de l’extradiégétique, il s’agit des figures 4 et 6. Il s’agit de deux insertions textuelles issues du récit et re-présentées à la manière d’intertitres : la première est scripturale (une lettre manuscrite) et la seconde est typographique (la notice de la maison en kit). Enfin, la dernière utilisation, sans doute, la plus originale et celle de la figure 5. Ici, le texte trouve sa place de manière irrationnelle dans l’image. Sur la portière, nous pouvons lire « just married », un élément qui trouve sa place contextuelle puisque nos deux héros viennent de se marier. En revanche, sur le pare-choc, l’inscription « good luck, you’ll need it » ne fait pas à proprement parler partie de l’histoire. En effet, elle annonce au spectateur la déconvenue qui attend les protagonistes avec leur maison. En ce sens, le texte revêt la forme d’une mise en abyme car le texte dans l’histoire n’a aucune fonction réaliste et tend à rendre perceptible la structure même du film.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
Première partie : Le sous-titrage, du cinéma des origines aux réseaux sociaux
I. La fonction de traduction au cinéma
1. Le sous-titrage, une technique très codifiée
2. Le carton d’intertitre, premier sous-titre
II. À la télévision dans les formats d’information, entre traduction et soutien sonore
1. La place du sous-titrage dans le reportage télévisé
2. Au-delà de la traduction, le retour au textuel des chaînes d’information
III. La vidéo sur internet, les nouveaux acteurs du sous-titrage et du légendage
1. Le « fansubbing »
2. La vidéo d’information numérique, acteurs historiques et nouveaux entrants
Deuxième partie : Vers une nouvelle définition du sous-titrage sur les réseaux sociaux
I. Du sous-titrage au légendage, l’étendue du titrage
1. Une abondance d’information
2. Un élément de captation dans une guerre de l’attention
II. Le légendage, nouveau levier marketing
1. Un nouvel élément graphique d’identification
2. Des formats repensés pour les réseaux sociaux, l’exemple de La Boîte à questions de CANAL+
III. Des réseaux sociaux vers la télévision et le cinéma, effet de rétro-action
1. Les allocutions présidentielles lors de la crise du Covid-19
2. De nouvelles dynamiques du texte dans des documentaires télévisés ou au cinéma
Troisième partie : L’émergence de nouveaux médias, le cas de Konbini
I. Editorialisation et crise de jeunisme
II. Un créateur de formats innovant, au cœur du texte et au-delà
1. Fast and Curious
2. La Pire interview
3. No Filter
4. #Drama Quizz
III. Consommation silencieuse et légendage, qui de l’œuf ou la poule ?
Conclusion
Bibliographie

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *