La figure de Cassandre au XXe siècle chez Jean-Paul Sartre, Jean Laude et Christa Wolf

Présentation de Cassandre

Présentation de la figure

Cassandre, princesse troyenne, fille de Priam et Hécube, naît sous la plume d’Homère avec les autres personnages de la guerre de Troie dans L’Iliade, probablement composée entre –850 et –750. Elle est connue actuellement comme prophétesse de malheurs, un « oiseau de mauvais augure » que ses concitoyens refusent de croire. Elle prédit entre autres la guerre de Troie, sa chute, la ruse d’Ulysse et son long retour à Ithaque dans L’Odyssée. Apollon, épris de celle que « le Poète » considère comme la plus belle des Priamides, offre à celle-ci le don de prophétie en échange de son amour. C’est dans la trilogie dramatique d’Eschyle, L’Orestie en 458 av.J.C., que la jeune fille qui désire rester vierge trahit son serment et le dieu, incapable de reprendre son don, la châtie. Ainsi ses prédictions restent vaines car elle est désormais destinée à n’être jamais crue. Elle déclare dans Agamemnon : « Dès que je l’eus trompé, personne ne me crut » . Tentant en vain d’éviter la catastrophe, sa raison est toujours reconnue trop tard. Elle se trouve alors marginalisée et considérée comme folle au sein même du camp troyen. Elle est habitée par le souffle divin, elle est littéralement en proie à l’enthousiamos. Ses paroles inspirées par le dieu sont perçues comme des manifestations de sa démence, Hécube la qualifie comme une ménade en délire lorsqu’elle entre en scène chez Euripide : « Elles n’ont point allumé d’incendie. C’est ma fille, / la ménade, Cassandre, qui s’élance vers nous » . Sartre, dans sa réécriture, évacue la dimension inspirée et Hécube la désigne uniquement comme une folle : « Il n’y a pas d’incendie. C’est Cassandre, la folle » . Elle se rationalise donc notamment chez les auteurs du siècle dernier où elle est utilisée comme une figure pacifique et raisonnée dans un monde en déroute déchiré par les guerres successives.

Elle représente également les opprimés par sa posture de survivante du désastre qui porte la mémoire des vaincus. En effet, malgré son opposition à l’introduction du cheval de bois laissé par les Grecs sur la plage, Troie est mise à sac. Dans les derniers instants de la ville, elle est violée par Ajax le Locrien dans le temple d’Athéna où elle s’était réfugiée. La persécution masculine se poursuit lorsqu’elle est emportée en esclave comme butin par Agamemnon. Elle périra en même temps que lui sous les coups de sa femme Clytemnestre, désireuse de venger le sacrifice de sa fille Iphigénie. Cette mort est mise en scène chez Eschyle où le roi fait une entrée triomphante sur son char doré avec Cassandre. Les deux personnages seront mis à mort, laissant voir leurs cadavres sur scène. Sa vie comme sa mort sont marquées par la persécution et la marginalité. Ainsi, elle tente de porter la voix des vaincus au delà de la mort en livrant un témoignage inaudible à tous ceux qui la persécutent. L’acte de témoignage est assuré par la parole qui est la sienne dans les textes des auteurs qui lui accordent du crédit.

Evolution du mythe 

La figure de Cassandre connaît en effet des évolutions. C’est le propre de toute figure mythique d’être employée par différents auteurs qui s’approprient chacun à leur manière le personnage qu’ils convoquent. Lorsqu’elle apparaît chez Homère, ses visions sont dues à son excellente acuité visuelle qui lui permet d’être la première à voir le corps sans vie de son frère Hector ramené par Priam, depuis les hauteurs des remparts. Cette situation intermédiaire entre le monde civil et le monde guerrier la place dans une posture d’entre-deux. Elle est déjà soumise à la persécution masculine puisqu’elle est emportée comme butin par Agamemnon avant d’être assassinée par sa femme Clytemnestre. Au Ve siècle av. J.C., Pindare attribue sa dimension lyrique à Cassandre puisqu’il la lie au dieu à la lyre dans sa onzième Pythique, elle devient la prophétesse d’Apollon. Elle sort alors de sa condition de mortelle pour toucher à quelque chose qui la dépasse. Située entre le monde des humains et celui des dieux, elle est à nouveau marginalisée par sa position intermédiaire. Au Ve siècle avant notre ère, Eschyle, dans la trilogie L’Orestie, reprend ce lien et inaugure la folie de Cassandre quand il invente le motif du châtiment. Par celui-ci, le dieu condamne la protagoniste à n’être jamais crue. La pièce Agamemnon se situe à Mycènes, au seuil du palais du roi qui revient victorieux de la guerre de Troie avec Cassandre comme butin. Celle-ci est considérée comme folle parmi les siens et par le chœur. Sa solitude s’accentue car elle représente la barbare dans le camp des vainqueurs. Le chœur l’animalise : « Elle a les façons d’une bête qu’on viendrait de capturer » . Elle se situe dans un intermédiaire entre l’humain et l’animal et incarne la figure de la primitivité.

En –415, Euripide présente Cassandre au seuil de son entrée en esclavage. Dans sa pièce, elle n’est pas crue et considérée comme folle, mais elle exhorte les Troyennes à se réjouir du futur car elles seront vengées de la mort des Troyens. Elle connaît son destin tragique mais ne se lamente plus car elle sait aussi le sort qui attend les Atrides. L’auteur lui attribue la maîtrise du logos (λόγος), elle prophétise sans être en transe, mais sa réflexion argumentée ne lui permet pas d’être crue par ses concitoyennes.

Chez Lycophron, à l’ère hellénistique, elle quitte le genre théâtral pour revenir dans le genre poétique dans le long monologue qu’elle fait dans le poème Alexandra, son autre nom. Ses paroles sont rapportées par un intermédiaire mandaté par Priam qui a fait enfermer sa fille, excédé par ses propos. Son isolement s’accroît encore et sa destinée s’assombrit quand elle est violée par Ajax le Locrien, alors qu’elle se réfugie dans le temple d’Athéna au moment de la chute de Troie. Au Moyen-âge, sa figure évolue radicalement. En 1165, elle est évoquée par Benoit de Sainte-Maure comme une figure rationnelle maîtresse de savoirs multiples dans Le Roman de Troie. Trois siècles plus tard, en 1404, Christine de Pizan fait une courte biographie de Cassandre dans Le Livre de la Cité des Dames où elle valorise le genre féminin. L’auteure répond aux attaques misogynes de ses contemporains qui n’acceptent pas qu’une femme puisse vivre de sa plume en mettant en avant des qualités de femmes par ses courtes biographies de figures féminines. Elle oppose ainsi la brutalité des hommes dans le contexte de la Guerre de Cent Ans aux qualités féminines plus rationnelles.

Définition du mythe

Les mythes sont les histoires que les peuples se racontent pour tenter de répondre à des grandes questions qu’ils se posent. En aucun cas ces histoires ne sont appréhendées comme des représentations de la réalité, ce sont des constructions imaginaires qui expliquent les phénomènes qui nous entourent. Étymologiquement « mythe » vient de mythos (m uqoς) en grec, par opposition avec logos qui est un compte-rendu de faits authentiques. Ainsi le mythe est une histoire inventée. Pierre Brunel définit le mythe à partir de trois fonctions . Premièrement le mythe raconte et assume une fonction narrative puisqu’il se construit dans des récits. Ces récits animent et dynamisent le mythe. Puis dans une dimension étiologique, le mythe explique le monde qui nous entoure en rapportant comment les choses ont pu se produire au commencement . Enfin il a une troisième fonction, il révèle et explique les rapports entre l’être et le sacré en posant la question de l’être humain. « Le mythe révèle l’être, il révèle le dieu » . Claude Lévi-Strauss affirme que le mythe et les figures mythiques qui gravitent autour n’ont pas d’auteur et s’inscrivent dans une tradition . Un mythe connaît une pluralité de versions et chaque auteur peut donner la sienne.

On rapproche le mythe de la légende et de la fable. Dans la langue courante, les trois termes sont considérés comme des mensonges élaborés, leur caractère imaginaire est donc attesté. La fable, du latin fabula, est un petit récit moralisant en vers ou en prose. Il est destiné à illustrer un précepte et comporte souvent une morale. La légende du latin médiéval legenda est d’abord le récit de la vie d’un saint. Par la suite, cela s’étend au récit d’un fait passé, attesté ou non. La légende n’est donc pas racontée pour sa valeur de vérité mais pour le récit exemplaire qu’elle narre. De ces trois définitions se dégage le caractère symbolique de ces récits imaginaires. L’homme n’a de cesse de vouloir créer du sens et d’attribuer des signes aux éléments qui l’entourent. Cela vient d’une volonté de rationalisation et de classement. L’esprit humain est normatif. En cela, les mythes et les symboliques qui lui sont associées normalisent le monde. L’homme attribue un sens symbolique aux phénomènes qui l’entourent. La relation qui lie l’esprit et le monde prend donc la forme du symbole. Ainsi, l’homme peut voir en certains phénomènes des manifestations de quelque chose de plus grand que lui. Le symbole est le lien entre quelque chose de caché et quelque chose d’apparent. Le caractère collectif du mythe attribue à celui-ci une symbolique connue de tous. Ainsi, le mythe peut être littéraire et évoquer des faits légendaires mais il peut aussi mentionner des personnages historiques qui sont entrés dans la légende et ont été transformés par celle-ci. Ainsi le mythe napoléonien glorifie ou au contraire diabolise l’homme qu’était Napoléon. En ce sens, un fait passé attesté peut, par la notion de récit exemplaire qu’il comporte, être considéré comme un symbole. La figure mythique que représente Cassandre est le symbole de la connaissance de l’avenir, désir profondément humain mais impossible à satisfaire.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
1. Présentation de Cassandre
1.1 Présentation de la figure
1.2 Evolution du mythe
2. Définition des notions
2.1 Définition du mythe
2.2 Définition du lyrisme
2.3 Définition du théâtre
3. Œuvres du corpus
1. Jean-Paul Sartre, Les Troyennes
2. Jean Laude, Le Dict de Cassandre
3. Christa Wolf, Cassandre
4. Pourquoi réunir ces œuvres ?
4. Problématique
PREMIÈRE PARTIE : CASSANDRE, FIGURE THÉÂTRALE
1 Cassandre dans la tradition théâtrale
1.1 Premières apparitions littéraires et théâtrales
1.2 Évolution théâtrale de Cassandre
2 Rendre Cassandre théâtrale dans des genres non théâtraux
2.1 Cassandre, héroïne tragique
2.2 L’énonciation théâtrale de Cassandre
3 Espace scénique et mise en scène
3.1 L’expérience théâtrale en Grèce antique
3.2 La restitution de la mise en scène d’Euripide dans l’adaptation de Jean-Paul Sartre
3.3 Le « spectateur mental » dans Le Dict de Cassandre et Cassandre
DEUXIÈME PARTIE : CASSANDRE, FIGURE LYRIQUE
1 Le chant lyrique de Cassandre : corps lyrique et théâtral
1.1 Le monologue lyrique, relais de la parole théâtrale
1.2 La parole impuissante de Cassandre
1.3 L’épreuve d’une douleur corporelle et d’une mort tragique et lyrique
1.4 Le chant lyrique, expression de sa complainte
2 Cassandre, figure liée au sacré
2.1 Lien à Apollon
2.2 Lien à Dionysos
2.3 Entre don surhumain et faiblesse humaine
3 Inspiration poétique : figure de la divination et parole prophétique
3.1 Parole prophétique inspirée ambiguë
3.2 L’inspiration des dieux implique une solitude clairvoyante
3.3 Cassandre, porteuse d’une voix poétique étrangère à elle-même
TROISIÈME PARTIE : CASSANDRE LA VAINCUE AU SIÈCLE DES GUERRES MONDIALES
1 Cassandre dans l’imaginaire du XXe siècle
1.1 Le XXe siècle, siècle guerrier de remise en doute
1.2 La guerre de Troie comme modèle de la guerre originaire : la réutilisation du mythe dans un contexte guerrier
1.3 Cassandre, maîtresse du temps et de son savoir
2 Figure pacifique de vaincue et d’opprimée, porteuse de la voix des mineures
2.1 Vaincue porteuse d’une voix pacifique, représentante des opprimés
2.2 Contre les normes sociales de genre, femme dans un contexte guerrier
3 La littérature à l’ère de la post-modernité
3.1 Nouveaux rôles de la littérature après la guerre
3.2 La question du genre littéraire dans le contexte d’après-guerre
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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