La fête de Pourim à Bayonne

La fête de Pourim : sources liturgiques et développement

Pourim est une fête juive, qui commémore les événements du livre d’Esther. Ce dernier se trouve dans la bible hébraïque et la bible chrétienne. Ce texte raconte, dans le style d’un conte persan, la délivrance du peuple juif par l’intermédiaire d’une femme, la reine Esther. En théorie, la fête de Pourim est célébrée par l’ensemble du peuple juif, car l’observation de cette fête constitue une obligation religieuse, ou mitsva. A Bayonne comme ailleurs, Pourim est fêtée, de façon plus ou moins marquée, tous les ans. Cette année, en 2016, la fête tombait entre le 23 et le 24 mars et la célébration communautaire, à laquelle j’ai assisté, a eu lieu le soir du 23 mars dans une salle polyvalente à Bayonne.
Avant de procéder à la description des festivités et de leur organisation à Bayonne, je propose de les situer dans un contexte historique et religieux : d’abord une présentation synthétique des textes fondamentaux, ensuite une description simplifiée du récit d’Esther, et enfin je poserai les bases de la fête et ses caractéristiques principales afin de faciliter l’analyse des pratiques à Bayonne.

Le « carnaval des juifs »

D’où vient cette association entre le carnaval et la fête de Pourim ? C’est d’abord une simple question de correspondance calendaire ; Pourim coïncide dans l’année avec la saison du carnaval chrétien, le Mardi Gras précédant la période de carême. Le mois d’Adar dans le calendrier juif tombe au printemps, dont le symbolisme classique de renouvellement également associé au carnaval, est particulièrement bien adapté aux thèmes de rédemption et renaissance de Pourim. En revanche, alors que le carnaval annonce le carême, donc une période de jeûne et de privations, Pourim marque la fin d’une période de jeûne, mais plus courte, qui s’appelle le jeûne d’Esther. Pourim indique aussi, à sa façon, le début d’une deuxième période de restrictions. Selon un de mes témoins, il est traditionnel, dès la fin de Pourim, de commencer «tout de suite» les préparations pour le Pesah. Cette préparation est autant spirituelle que matérielle, avec le grand nettoyage de la maison qui précède la fête de Pesah, pendant laquelle toute trace de nourriture contenant de la levure (hamets) est interdite. Ce nettoyage ne sert pas seulement à « chasser » toute présence de levure dans la maison, jusqu’aux miettes de pain qui pourraient être cachées derrière ou dans les meubles, mais à se préparer spirituellement pour la célébration de Pesah, un des moments phare dans l’année juive. Dans les mots de mon interlocutrice, Pourim sert donc de « repère dans l’année, annonciatrice de la fête de Pesah ».
L’association entre Pourim et le Carnaval est plus complexe qu’une simple correspondance de dates. Mardi Gras et Pourim incitent à une certaine forme d’indulgence envers des comportements qui sont normalement considérés comme antisociaux: la satire, liée au thème du renversement, et la pratique de se « voiler » ou transformer son identité, qui est en elle-même une forme de transgression sociale. Je développerai ces pratiques « carnavalesques » à fur de leur apparition au cours du déroulement de la soirée.

Le patrimoine juif de Bayonne

La présence juive à Bayonne a marqué l’histoire et le développement de la ville – sur le plan politique, social et culturel. Aujourd’hui, ce sont essentiellement des traces matérielles et historiques qui sont visibles : l’implantation de la communauté à Saint Esprit a donné lieu à la construction de nombreux édifices et la production d’objets, souvent précieux, dédiés au culte public et privé. Certains de ces objets et structures conservent toujours leurs fonctions originelles, d’autres n’en sont plus que les témoins. J’espère avoir démontré, jusqu’à présent, que Bayonne, et plus précisément Saint Esprit, demeure le centre géographique d’une communauté juive encore bien vivante et active. Et pourtant, malgré cela, et en dépit de l’évidence matérielle, parfois imposante, qui témoignent de leur importance historique, le patrimoine juif et même la présence juive à Bayonne restent pourtant peu ou mal connus.

Un patrimoine méconnu dans la ville

Au cours de l’année, j’ai eu l’occasion de parler de mes recherches avec beaucoup de personnes différentes, essentiellement dans le cadre de mes déplacements quotidiens entre Bayonne et Pau en covoiturage. A travers les multiples échanges pendant ces trajets, j’ai été souvent amenée à expliquer mon sujet de recherche ; et ce fut une expérience très intéressante et profitable, d’autant plus que c’était l’occasion d’en parler avec des personnes de milieux divers. De cette expérience, deux choses m’ont marquée particulièrement : 1) Que la majorité de mes interlocuteurs, de Bayonne et d’ailleurs, était largement inconsciente de la présence juive – historique et actuelle – dans la ville. 2) Que certaines personnes se permettaient de faire des remarques trahissant non seulement une ignorance totale de la religion juive mais une méfiance envers ses membres qui était consternante. A propos de la première observation, quelles sont les raisons qui expliquent une telle méconnaissance ? A mon sens, les explications sont multiples, mais elles peuvent être résumées par la notion de barrières : des barrières d’abord physiques – malheureusement devenus une nécessité pour la protection des édifices cultuels de tout type en France – et des barrières d’ordre social et idéologique (entre les sphères privées et publiques) et dans la confrontation religion et laïcité. Quant au deuxième constat, largement en dehors du cadre de ce mémoire, il ne se résume pas malheureusement à mon unique expérience : la montée de l’antisémitisme en France fait la une de l’actualité et des journaux depuis quelques années. N’existerait-il pas un lien entre ces deux problématiques – entre l’ignorance et l’intolérance ? J’y reviendrai dans un deuxième temps.

Entre le matériel et l’immatériel

La fête de Pourim regroupe un ensemble de pratiques diverses, relevant de plusieurs «catégories» du patrimoine immatériel, telles que définies par l’UNESCO et reconnues par le Ministère de la Culture et de la Communication en France. La fête de Pourim est fondée sur une série de rites dont certains sont exprimés collectivement. Les rites sont accompagnés de pratiques sociales et d’événements festifs qui incorporent la musique, la danse, le théâtre, la mascarade et le savoir-faire culinaire. En revanche, il serait impossible de parler du patrimoine immatériel de Pourim sans aborder les supports matériels qui lui sont essentiels ; comment parler de la lecture rituelle du récit d’Esther sans parler de la megila – le rouleau de parchemin, souvent richement décoré – sur lequel il est écrit ? Et si le patrimoine immatériel s’exprime à travers le matériel, l’interaction est réciproque: « le patrimoine matériel n’a de sens qu’en raison d’une histoire, d’un rite ou d’un usage culturel qui le fait exister dans des représentations. » En effet, selon la convention UNESCO concernant le patrimoine immatériel, sa définition de celui-ci comprend non seulement les « pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire » mais également «les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés».
Plus facile à valoriser par sa nature, le patrimoine matériel peut donc servir de point d’entrée et d’outil efficace pour la valorisation des rites et des pratiques vivantes. C’est le cas pour la fête de Pourim. Pour cette raison, je propose de faire le tour du patrimoine juif à Bayonne, non seulement pour établir un cadre de référence, mais aussi dans le but de démontrer l’interdépendance et l’interactivité entre les aspects matériels et l’immatériels du patrimoine religieux. De plus, j’évoquerai comment, dans le cas du patrimoine juif à Bayonne, la religiosité du patrimoine pose des défis particuliers pour sa valorisation.

Le défi de la valorisation

Il y a plusieurs façons de voir et de comprendre un objet ou un bâtiment patrimonial ; selon les matériaux ou les techniques de fabrication ou de construction, selon un style artistique ou architectural particulier, selon son âge et son importance historique, ou encore, selon sa fonction et son utilisation primaire ou actuelle, et le sens dont il est investi par les communautés à qui il appartient. Tous ces aspects, toutes ces connaissances, jouent un rôle essentiel dans la compréhension du bien. Mettre l’accent sur l’un ou plusieurs de ces éléments au détriment d’un autre n’a pas de cohérence si l’on cherche à vraiment valoriser ce patrimoine, et à le faire comprendre à « sa juste valeur ». Dans le cas du patrimoine religieux, il est particulièrement important de ne pas négliger une lecture immatérielle, celle qui s’adresse à l’ensemble de «traditions, de paroles, de gestes, de pratiques, de rituels et de coutumes qui lui sont inhérents et qui le rendent vivant». Au contraire, l’aspect immatériel doit jouer un rôle fondamental dans toute démarche de valorisation et encore plus pour la valorisation du patrimoine religieux, car c’est précisément son immatérialité qui lui donne son sens le plus profond.

Le cas particulier du patrimoine religieux en France

De façon générale, une valorisation du patrimoine religieux qui prend en compte son aspect immatériel, s’est avérée difficile à mettre en place, surtout en France. Le cas du patrimoine juif à Bayonne ne fait malheureusement pas exception ; les difficultés posées par la notion de la laïcité dans la sphère publique nuisent souvent à sa juste valorisation. Peut-être que le plus grand défi posé par la valorisation du patrimoine religieux s’attache au discours public qui l’accompagne. Par « discours public » j’entends toute communication sur un bien patrimonial – matériel ou immatériel – dans le but de le contextualiser et de faciliter sa compréhension : le discours des guide-conférenciers, les publications des services patrimoniaux telles que Ville d’Art et d’Histoire, la présentation et le traitement muséographique des objets – cartels, audio-guides, fiches de salles et autres outils de la médiation, etc. Les difficultés de discours se posent autant pour la valorisation d’un édifice ou un objet de culte que pour la valorisation d’une fête ou d’un rite. En revanche, les deux cas de figure s’articulent souvent de façon différente.

Les rites religieux relèvent-ils du patrimoine immatériel ?

L’Attaché de conservation du patrimoine à Bayonne est loin d’être seule dans ses doutes sur la définition du patrimoine culturel immatériel. Au cours de l’année, j’étais souvent amenée à justifier mon choix de sujet, en partie parce que beaucoup de personnes n’ont pas pu saisir le lien entre la fête religieuse de Pourim et l’intitulé du master, « Valorisation des patrimoines ».
Cela suggère qu’il y a une tendance générale parmi non seulement les acteurs du patrimoine, mais aussi dans le grand public français, à ne pas percevoir le culturel dans le cultuel.
Pour revenir à la France, il est important de noter qu’il n’y a aucune mention du patrimoine culturel immatériel dans l’article L.1 du Code du patrimoine, qui établit la définition légale du patrimoine français. En absence d’une définition française, il faut donc en chercher dans le texte de la Convention pour la protection du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, cela n’est pas incohérent, car la ratification de cette convention a obligé et inspiré la mise en place de plusieurs normes concernant la protection du patrimoine immatériel en France.
« On entend par “patrimoine culturel immatériel” les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. […]

Valorisation en dehors du cadre « service public »

Face aux contraintes posées par le principe de laïcité dans le service public de la culture, il est souhaitable d’explorer les possibilités de valorisation patrimoniale en dehors du cadre public traditionnel.

Conférences et amitiés

D’abord, j’aimerais parler de l’activité associative et notamment de l’action menée par l’Association de l’Amitié Judéo-chrétienne de France que j’ai découverte lors de mes recherches. J’ai eu l’occasion d’assister à deux conférences, données par la section Basco-Landaise de cette association. Ayant pour objectif la réconciliation des communautés juives et chrétiennes grâce à «la connaissance, la compréhension, le respect et l’amitié» mutuelle, l’association lutte également contre « l’antisémitisme, le racisme et toute haine des autres cultures et religions » . Dans cette perspective, elle organise des conférences sur des sujets divers en lien avec l’histoire et la culture judéo-chrétienne mais aussi sur la théologie, la liturgie, et la vision du monde selon la perspective de l’un ou de l’autre groupe religieux. J’ai pu constater (surtout lors d’une conférence sur le rôle de la femme) que l’association, à travers ces conférences, crée un espace d’apprentissage, de partage et de débat autour de la religion, chose rare dans l’espace public français et qui, de mon point de vue, en manque cruellement. Car,  pour reprendre les objectifs de l’association, seuls l’éducation et le partage respectueux peuvent vaincre la haine, qui est, à mon sens, le produit malheureux de l’ignorance.

L’apport Loubavitch : visibilité dans la sphère publique

Le groupe Loubavitch représente un mouvement qui est à la fois très conservateur mais aussi tout à fait ouvert sur le monde et très impliqué dans la société moderne. Leur action est justement caractérisée par cet engagement avec la modernité, afin de réaliser une de leurs missions principales : le partage du judaïsme. Bien évidemment, ce partage s’intéresse d’abord aux juifs peu ou pas pratiquants, mais il n’est pas non plus limité à ce groupe. Au contraire, le partage des valeurs et de la culture du judaïsme s’adresse aussi bien à la société plus large et aux non-juifs. Cependant, il ne s’agit pas du tout d’une démarche prosélyte mais plutôt d’une démarche de visibilité et de communication. Le Rav M. explique l’idée principale dernière cette stratégie.
« L’idée c’est de… de pas garder ça […] pas garder ce judaïsme pour soit, de le, de le transmettre, surtout dans la communauté, de montrer une face positive, une face euh … joyeuse du judaïsme, en même temps, euh… avec euh, vraiment un judaïsme qui est attaché aux bases, aux règles, aux vraies règles que l’on a. »
C’est ce principe, qui est derrière la recherche de la visibilité sociale, à travers des actions comme l’allumage des bougies de Hanuka sur les places publiques, en France et partout dans le monde. L’événement se fait à Paris depuis 1987, et à Pau depuis peu de temps. Ne pourrait-on pas considérer que les actions des Loubavitch dans ce domaine – actions qui cherchent à accentuer la visibilité des traditions juives dans la sphère publique – sont en effet, une forme de valorisation du patrimoine immatériel ? Je reconnais que ma réflexion s’éloigne largement du cadre traditionnel de valorisation patrimoniale en France, mais je trouve que l’initiative à l’occasion de Hanuka est un exemple pertinent du fait que, avec un peu de persévérance, les traditions et les fêtes religieuses peuvent avoir leur place dans l’espace public français.

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Table des matières

INTRODUCTION
METHODOLOGIE 
I. TYPE D’ANALYSE ET GRILLE DE LECTURE 
II. LES SOURCES PRIMAIRES ECRITES : 
i. Les archives
ii. Autres sources écrites historiques
iii. Sources écrites contemporaines
III. LES ENQUETES DE TERRAINS 
i. Entretiens
ii. Enquêtes de terrain : événements et observations
CHAPITRE 1 : Historique et contexte 
I. HISTORIQUE DE LA COMMUNAUTE
i. La fuite d’Espagne et du Portugal
ii. Le choix du royaume de France
iii. Implantation à Saint-Esprit-lès-Bayonne
iv. Croissance et déclin d’une communauté à Saint Esprit
v. Sous le système consistorial
vi. XXème siècle : une période de profond bouleversement
II. CARACTERISTIQUES DE LA COMMUNAUTE AUJOURD’HUI
i. Une communauté de tradition séfarade
ii. Pratique religieuse
iii. Situation géographique
iv. Défi actuel : le patrimoine bâti
v. Un patrimoine immatériel en péril ?
vi. Les Loubavitch en Pyrénées Atlantiques
III. LA FETE DE POURIM : SOURCES LITURGIQUES ET DEVELOPPEMENT 
i. Les sources écrites : le TaNaKh, le Talmud et le Midrash
ii. Le récit, fondement de la fête
iii. Les points essentiels du récit
iv. Du texte à la pratique
CHAPITRE 2 : La fête de Pourim à Bayonne
I. LE CADRE 
i. La salle
ii. Le « carnaval des juifs »
iii. L’assemblée
iv. Le choix de la date
II. LA LITURGIE 
i. La lecture de la megila
ii. Le rôle des enfants
iii. La megila et la satire
iv. Le Pourim Shpil
v. Le déguisement
III. LE FESTIN
i. La nourriture et la boisson
ii. Les pâtisseries
iii. Activités pédagogiques et transmission de savoir-faire
iv. Musique, danse, festivités
v. Mishloah manot
CHAPITRE 3 : Quelle valorisation pour un patrimoine immatériel à caractère religieux ?
I. LE PATRIMOINE JUIF DE BAYONNE
i. Un patrimoine méconnu dans la ville
ii. Entre le matériel et l’immatériel
iii. Les lieux, les objets, les documents
iv. Une multiplicité d’acteurs et de lectures
II. LE DEFI DE LA VALORISATION 
i. Le cas particulier du patrimoine religieux en France
ii. Les rites religieux relèvent-ils du patrimoine immatériel ?
iii. Le classement de Pourim Shpil
iv. La valorisation d’un objet associé à la fête de Pourim à Bayonne
v. Projet musée
III. VALORISATION EN DEHORS DU CADRE « SERVICE PUBLIC » 
i. Conférences et amitiés
ii. L’apport Loubavitch : visibilité dans la sphère publique
iii. Wikipédia
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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