La dyade à plusieurs mères

« On n’a d’attachement à la vie d’autrui qu’en proportion de l’attachement qu’on a à la sienne. » .

Fernando Galiani dans Lettre à Louise d’Epinay, le 5 septembre 1772 .

Trois découvertes majeures de ma première année de psychomotricité furent la théorie de l’attachement, le concept de dialogue tonico-émotionnel et la théorie de l’étayage psychomoteur. La première inscrit l’Homme dans la lignée évolutive du Vivant et mettait selon moi en parallèle ses origines archaïques avec les comportements sociaux évolués chez l’Animal. La seconde était totalement insoupçonnée pour moi qui considérais à l’époque mon corps comme une machine que ma tête menait. Ces études m’ont réconciliée avec lui et donc avec moi-même. La troisième résumait mon futur métier de manière limpide.

Durant mon premier semestre de stage de troisième année, je me suis laissée porter par mes observations psychomotrices les plus athéoriques possibles. La question centrale qui me taraudait est celle que j’étudierai dans ce mémoire : Quel est l’apport de la psychomotricité au sein d’une Unité d’Hospitalisation Mère Bébé dans les interactions précoces ? En cherchant dans mes lectures des axes théoriques de réponse, je me suis rendue compte que les découvertes des prémices de ma formation prenaient corps dans ma clinique. Je souhaite mettre en lumière toute la part psychomotrice d’une théorie qui fut d’abord éthologique puis psychologique. Plusieurs problématiques m’ont questionnée : Y-a-t-il des liens d’attachement qui se tissent entre les mères et leur bébé dans l’unité ? En quoi le dialogue tonico émotionnel participerait au phénomène de l’attachement ? Peut-on parler de liens d’attachement thérapeutiques ?

Dans un premier temps, je décrirai de manière non-exhaustive la théorie de l’attachement et le concept de dialogue tonico-émotionnel. Ensuite, j’expliquerai le fonctionnement de l’unité, la place de la psychomotricité et je présenterai deux dyades très différentes mais très attachantes. Enfin, j’analyserai les liens théorico-cliniques chez chaque dyade avant de présenter mes réflexions sur l’attachement thérapeutique, la posture spécifique du psychomotricien et l’impact du suivi éthnopsychologique.

L’attachement 

Découvertes éthologiques

En 1971, René Zazzo (1910-1995), psychologue français, écrit : « on croyait jusqu’alors que l’attachement était le résultat d’un apprentissage, on croit pouvoir affirmer aujourd’hui qu’il est l’effet d’un besoin primaire et que, pour se réaliser, il dispose probablement de mécanismes innés. » .

En 1958, deux articles révolutionnent la psychologie génétique : le premier d’Harry Frederick Harlow (1905-1981) et le second de John Bowlby (1907-1990). H. F. Harlow, un éthologiste américain, affirme que l’affectivité entre la mère et son enfant n’est pas due primordialement à la nourriture contrairement à ce qui peut être pensé. Par la répétition de ses expériences, avec des substituts maternels (de la fourrure, de la chaleur), il a noté l’élan vital d’amour du petit singe vers le contact maternel plutôt que vers le lait et le sein. Le bébé a besoin de contact avec sa mère plus encore que d’être nourri. Il a mis en exergue les conséquences de la séparation du petit et de sa mère et leur élan d’amour réciproque. Ce renforcement est un mouvement qui va dans les deux sens : plus le petit est porté par sa mère, mieux il se sent. Et plus elle le porte, mieux elle s’accorde à lui. Ce système primaire de comportement est régulé par la physiologie et par les interactions sociales : il est symbolique chez le petit humain mais reste infrasymbolique chez son jeune cousin primate. J. Bowlby, psychiatre et psychanalyste anglais, quant à lui, reprend et critique la littérature psychanalytique traitant des difficultés de lien entre la mère et son enfant. Un an plus, tard il adopte le terme attachement plutôt que l’expression dépendance émotionnelle. Cette dernière sousentend une immaturité qui s’atténue comme décrit dans les théories du « learning social » où l’affectivité s’apprendrait. Il n’est plus question d’une relation objectale avec une personne non-déterminée, la libido n’est pas le moteur de l’attachement. R. Zazzo précise que « l’attachement désigne un lien d’affection spécifique d’un individu avec un autre. »  La plupart du temps cet individu est la mère mais ce peut être une autre figure de l’entourage, l’attachement peut être multiple. Il est fait pour durer et contrairement à la dépendance, il n’exige ni les conditions d’une situation ni une immaturité. L’origine éthologique de l’attachement nous rappelle la nécessité « d’une structure neurophysiologique, la tendance originelle et permanente à rechercher la relation à autrui. » .

Les psychanalystes se sont penchés sur le berceau de la petite enfance pour étudier les troubles des nourrissons séparés de la mère : d’abord les conséquences de cette rupture de lien puis l’essence même de ce lien. Un grand nom de ce mouvement est celui de René Spitz (1887-1974), un psychiatre et psychanalyste américain d’origine hongroise, notamment connu pour ces travaux sur la dépression anaclitique et l’hospitalisme du nourrisson. J. Bowlby faisait également partie de ce courant avant de prendre le virage de l’attachement.

Puis des inter-échanges apparaissent. Des éthologues comme H. F. Harlow créent des situations de perte de lien maternel en séparant des petits de leur mère et remarquent des troubles majeurs et irréversibles chez l’animal, étonnamment similaires à ceux décrits par R. Spitz chez le petit d’Homme. Une poignée de psychologues et psychanalystes envisagent l’existence de systèmes autonomes et primaires de création de lien entre la mère et son petit comme il est remarqué chez les oiseaux grâce aux phénomènes d’empreinte. Ils font l’hypothèse que pour le bébé humain, chez qui l’immaturité motrice domine, le seul équivalent moteur d’attachement, au singe qui agrippe sa mère et au poussin qui suit la sienne, est le sourire. Les sourires significatifs apparaissent bien plus tôt que ne le pensaient les scientifiques et permettent de mieux saisir comme le psychique s’étaye sur le physiologique. Cette découverte met aussi en exergue l’établissement de liens et de communications avant la construction de tout « objet » permanent et électif. Le sourire est un comportement primaire à la fois physiologique et social, émotionnel et appris, qui nous rappelle qu’il crée des relations selon l’environnement, tout en autonomisant l’individu qui le maîtrise progressivement. Ainsi, les mécanismes d’attachement sont similaires chez le jeune humain et chez le jeune animal tout comme la séparation maternelle induit des troubles semblables.

Il convient de ne pas faire l’amalgame de l’Homme et l’animal mais juste de remarquer qu’ils ont des comportements équivalents. Le langage marque une jonction inévitable entre ces deux cousins. Les conditions de développement et de croissance que ce soit concernant la morphologie, la motricité, la vitesse et le milieu ne permettent pas non plus de confondre les primates avec les humains.

H. F. Harlow, grâce aux libertés qu’offrent les conditions expérimentales, a « créé » des mères orphelines : en isolement total, n’ayant connu ni de liens maternels, ni d’affection. Ces femelles sont indifférentes aux mâles et deviennent mères par procréation artificielle. Mais ici point d’attachement : elles ignorent leur enfant, le brutalisent voire le tuent. « À sa grande surprise, Harlow constate que le petit singe ne se laisse pas rebuter, ni décourager par les coups : il s’accroche au dos de sa mère, il tente d’établir le contact avec son ventre, avec sa poitrine : il lutte jour après jour, semaine après semaine, mois après mois. »  Et au quatrième mois la violence de la mère diminue pour laisser place à un contact pérenne, « et la mère, en quelque sorte séduite par son enfant est guérie de sa « psychose ». »  Il précise que ces femelles ont eu d’autres petits avec lesquels le contact était bon dès la naissance ou après un petit temps d’adaptation, grâce aux efforts du premier. R. Zazzo met en exergue que ces expériences soulignent pour l’enfant la primauté de l’amour et le besoin irrépressible d’attachement. Quant à la mère orpheline, son parcours nous montre que l’attachement contribue à l’équilibre dans les relations sexuelles et sociales : « enfin la psychothérapie involontaire exercée par l’enfant sur sa mère orpheline illustre, une fois de plus, le rôle fondamental du contact corporel, du lien charnel à autrui. »  Cette phrase soulève deux idées primordiales : l’importance de l’accompagnement thérapeutique et celle du dialogue tonique, donc de la psychomotricité. Le clivage avec la psychanalyse est radical puisque Sigmund Freud (1856-1939), neurologue autrichien à l’origine de cette théorie, considère que la pulsion sexuelle mène à l’amour qui n’est qu’un moyen d’atteindre le plaisir. La théorie de l’attachement, pour les animaux supérieurs comme pour les Hommes, base l’amour dans les fondements de l’existence. Si cette base originelle est bien établie alors le sentiment de sécurité et de confiance qu’il diffuse permettra l’épanouissement de la sexualité et d’autres formes d’amour.

Ainsi donc l’amour n’est plus la conséquence d’un besoin sexuel mais un besoin inscrit dans la nature animale car le social fait partie du biologique. Mais de cette démonstration R. Zazzo soulève plusieurs points à approfondir. Il faut déterminer l’origine de ce besoin d’autrui : soit négative par l’infirmité du nouveau-né soit positive par des systèmes de réponses innées. Que considère-t-on comme appartenant à l’inné et appartenant à l’acquis ? Le mot social est polysémantique et peut tout aussi bien désigner les relations interindividuelles que le phénomène de groupe. De même, les mots socius et société par leur proximité étymologique semblent insinuer que le premier est la genèse du deuxième. Or socius signifie « lié». L’attachement que peut éprouver le petit envers sa mère n’est pas la première de ses relations sociales. L’attachement ne participe pas au bien fondé de la société, elle n’est pas biologique, contrairement aux liens (socius). « On ne peut résumer le tout à la somme de ses parties » se plairait à dire les psychologues du courant de la Gestalt. C’est particulièrement vrai ici : la société ne se résume pas à l’ensemble des individus qui la constituent ni à la totalité des liens qu’ils ont pu créer entre eux. La socialisation n’est pas l’attachement et l’intégration sociale n’est pas non plus l’intégration affective. Il faut découvrir malgré tout comment l’attachement prépare aux liens sexuels et sociaux avec les pairs. Aux origines des relations aux autres résident l’affectivité et les émotions qu’il semble difficile de rendre scientifiques par la subjectivité qu’elles supposent et qui sont pourtant parties inhérentes de l’Homme. Mais alors où est la frontière exacte avec l’animal ? La découverte de la théorie de l’attachement fut peut-être révolutionnaire pour cela, car audelà d’être une découverte psychologique elle remet en questions la nature même de l’Homme : son ontogénèse, sa phylogénèse et sa singularité. Elle implique de ne pas réduire les comportements humains à des modèles animaux et vice-versa. La ressemblance des mécanismes n’implique pas qu’ils soient les mêmes ou qu’ils aient nécessairement un lien phylogénétique. Un comportement inné chez une espèce peut être appris chez une autre, mais leur perduration prouve qu’ils ont été sélectionnés pour leur survie au cours de l’évolution. Les différences doivent être autant étudiées que les similitudes de comportements. Peut être même plus ces dernières, afin de découvrir les causes les plus exactes des mécanismes d’attachement dans l’histoire du Vivant.

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Table des matières

Introduction
I- L’attachement
1) Découvertes éthologiques
2) Situation d’étrangeté
3) Définition
4) Buts
5) Figures d’attachement
6) Sécurité de base
7) Comportements d’attachement
8) Genèse et développement
9) Patterns d’attachement
10) Modèles internes opérants
11) Caregiving
12) Professionnels de santé
13) Identité maternelle
14) Attachement maternel
15) Transgénérationnalité
II- Le dialogue tonico-émotionnel
1) Le tonus
2) Les émotions
3) Le dialogue tonico-émotionnel
4) Les interactions précoces
I- L’Unité d’Hospitalisation Mère-Bébé
II- La psychomotricité à l’Unité d’Hospitalisation Mère-Bébé
1) Pour les mamans
2) Pour les bébés
III- Le cas clinique de Madame C et sa fille Alice
1) Anamnèse
2) Grossesse, accouchement et premières interactions
3) Pré-admission
4) Admission
5) Hospitalisation
6) Observations psychomotrices
Madame C Alice
7) Perspectives
IV- Le cas clinique de Madame D et sa fille Lisa
1) Anamnèse
2) Grossesse, accouchement et premières interactions
3) Pré-admission
4) Admission
5) Hospitalisation
6) Observations psychomotrices
Madame D Lisa
7) Sortie
8) Perspectives
I- Lecture psychomotrice de la dyade de Madame C et Alice
1) L’attachement
2) Le dialogue tonique
3) L’impact sur l’équipe
II- Lecture psychomotrice de la dyade de Madame D et Lisa
1) L’attachement
2) Le dialogue tonique
3) L’impact sur l’équipe
III- Un attachement thérapeutique ?
1) Chez les référentes infirmières
2) La spécificité de la psychomotricité
3) Dans une perspective éthnopsychiatrique
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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