La dimension cachée de l’objet 1913-2013

Ce travail sur l’objet a débuté il y a longtemps. Né d’une rencontre orageuse avec une œuvre : un pot de fleurs monumental de Jean-Pierre Raynaud. Face à cette œuvre mon sentiment premier fut de colère. Etait-ce là une œuvre ? Et qui méritait de figurer dans un musée ? A l’indignation succéda l’interrogation. Interrogation sur moi-même : une telle réaction n’était-elle pas excessive ? Je compris vite qu’elle découlait de ma totale incapacité à appréhender l’œuvre de Raynaud, et de tant d’autres. Un tableau, même réduit à l’essentiel, possède une aura, celle de l’œuvre d’art. Il porte le poids de tous les tableaux qui l’ont précédé. Il est inscrit dans l’Histoire de l’Art. On sait à quoi l’on a affaire. L’objet, lui, est directement issu de notre quotidien et le sens qu’il recèle est à découvrir dans une autre histoire, celle plus subjective et mentale de l’artiste. Paradoxalement, le tableau offre ainsi une prise plus directe, plus concrète au spectateur non averti que l’objet. De plus, un décalage, malaisé à saisir, est instauré entre ce que nous connaissons de lui et ce que l’artiste lui fait dire. Sous son apparente matérialité, l’objet quotidien nous confronte à la complexité des concepts et des schémas de la pensée humaine, elle même inscrite dans un contexte socio-politique particulier. Sans cette rencontre, sans cet état d’esprit à ce moment-là, je n’aurais sans doute pas abordé cette recherche. Je me suis renseignée sur Jean-Pierre Raynaud, ai travaillé sur son œuvre, en ai envisagé d’autres et ainsi d’autres modes de pensée. C’est un univers fascinant que j’ai découvert. A l’époque, début des années 90, aucun ouvrage sur la pratique artistique de l’objet ne me satisfaisait. Il s’agissait en général de succinctes biographies, de brèves analyses d’œuvres ou comptes-rendus d’expositions. Il s’agissait bien souvent aussi de critiques négatives quant à ladite pratique, réduite à une redite stérile du ready-made duchampien. Aucun écrit n’envisageait l’art de l’objet de manière exhaustive, comme un art à part entière, dans toutes ses acceptions et implications. J’ai alors tenté de combler cette lacune et  faire parcourir à d’autres le cheminement que j’avais parcouru pour aboutir à une joie profonde et sincère : celle d’être à même d’apprécier tout un pan de notre histoire, intellectuelle et esthétique et surtout de se garder de proclamer la mort de l’art quand celui-ci est plein de vie.

Aujourd’hui la pratique artistique de l’objet ne peut plus être appréhendée de la même façon. Tout d’abord parce qu’elle est devenue une pratique artistique courante, une pratique parmi d’autres, grâce à ce qui a été écrit sur elle, ce qui a été dit, grâce aux expositions aussi, notamment L’Ivresse du Réel en 1994 au Carré d’art à Nîmes. Parce qu’elle est prise encore davantage dans un maillage contextuel, communicationnel, institutionnel qui à la fois permet à l’œuvre d’être vue donc d’exister mais aussi lui confère un sens autre, une sorte de plus-value de sens. Ce qui a également changé aujourd’hui est le fait que l’œuvre d’art, de l’objet notamment, fait aujourd’hui partie du paysage, de l’ambiance générale, à la différence d’il y a vingt ans. En 1994, je commençais ma recherche, elle était sans doute dans l’air du temps, j’avais alors rencontré Guy Tosatto, conservateur et commissaire de l’exposition L’ivresse du Réel, inquiète de voir mon projet jusqu’alors confidentiel et n’intéressant pas grand monde, être vulgarisé. La pratique artistique de l’objet commençait à être perçue différemment. La pratique artistique de l’objet ne peut plus être appréhendée comme alors, les deux dernières décennies ayant profondément changé l’ordre des choses. Dans la matière même de l’objet, devenu numérique, interactif, technique, le changement est patent. L’objet se dématérialise, l’objet tend à devenir autre ou à réapparaître sous une forme différente. Ce faisant, c’est une « matérialisation des liens sociaux, une « réification » au sens propre de transformation en objets matériels de ceux-ci » qui se passe. La façon d’exposer les œuvres a également beaucoup évolué que ce soit dans la communication ou dans le fait même que la communication de périphérique est devenue centrale. Elle n’est plus ce qui sous-tend, de manière plus ou moins larvée, toute œuvre. Elle est constitutive de l’œuvre. Les orientations de la société qui s’esquissaient dans les années 90 se sont pour l’essentiel confirmées, accentuant ce qui était en germe : l’individualité, l’esthétisation généralisée, la perte de repères et de verticalité. Ces années 90 sont un tournant en ce qu’elles semblent prendre conscience de cet état de fait et désirer donner un autre tour à l’avenir. La crise de l’art atteste de cet état d’esprit. Sont à repenser avec de nouveaux critères les notions d’art mais sans doute aussi est-ce une réflexion autre, avec des mots autres, des concepts autres, qui s’amorce. La technologie a également beaucoup évolué. C’est la définition même de l’humain qui doit être repensée.

Ma recherche d’alors était axée sur la pratique artistique de l’objet en France de 1960 à 1990. Je l’ai longuement interrompue et envisage aujourd’hui l’objet sous l’angle artistique mais aussi dans ses implications sociales et institutionnelles. L’objet est un vaste sujet ou bien l’objet de l’objet est vaste. La difficulté réside en ce qu’il faut parvenir à délimiter des zones d’études là où tout semble interférer sur tout. Les sciences de l’information et de la communication en ce qu’elles impliquent d’interdisciplinarité permettent cette recherche qui oscille entre esthétique, sociologie, philosophie et nécessite une approche plurielle. 1913-2013, cet objet évolue. Il change, se transforme, tend à disparaître mais toujours il ressurgit ailleurs, autrement en tant qu’objet bien réel et concret ou en tant qu’objet de communication. Nous souhaitons montrer que lorsque l’objet en trois dimensions tend à disparaître, il revient sous forme de discours, d’échange, de partage, de communication. Ce faisant, cet objet nous donne quelque chose à voir, quelque chose d’irréductible, une essence, ce que l’homme dépose en lui de fondamentalement humain. Entre matérialisation et dématérialisation, entre moins de matière et plus de discours, nous souhaitons montrer que cet objet, au long du siècle, quelle que soit la forme qu’il prenne, ou ne prenne pas, porte en lui une espèce d’absolu. Peut-être une sorte d’objet perdu que l’homme cherche encore et cherchera longtemps et qui a à voir avec le sujet et par conséquent avec le manque et le désir qui lui sont constitutifs.

DE QUEL OBJET S’AGIT-IL ? 

Définir l’objet, si familier, rien ne semble plus simple. « Rien n’est plus commun que les objets. Mais dès qu’on tente de leur trouver une définition universelle, on se heurte à d’étranges résistances. »  L’objet est une chose concrète, matérielle, faite par l’homme et à ses dimensions. L’homme peut le manipuler ou du moins l’embrasser du regard. L’objet a une forme, une couleur, une texture définissables. «L’objet est un des éléments essentiels de notre environnement. Il constitue une des données primaires du contact de l’individu avec le monde. » L’étymologie du mot «objet », objectum, indique « ce qui est placé devant. » L’objet est un prolongement de l’homme, une extension de ses membres et de son intelligence. Il est une projection dans le cas de l’objet artistique et d’une manière plus générale, de ses désirs. L’objet dont nous allons parler est l’objet fonctionnel, produit en série de façon industrielle et destiné à un emploi bien défini après avoir été acheté, c’est-à-dire après être passé de l’état de marchandise à celui de produit de consommation. En outre, « l’objet quotidien, stylo, automobile, téléphone, radiateur, meubles, tous ces objets sont porteurs de formes, d’une Gestalt au sens précis de la psychologie allemande ; l’existence même de l’objet est donc un message d’un individu à un autre, du collectif, créateur ou vendeur, au personnel. » Cet objet de consommation, et de communication, va devenir objet d’art. L’objet-produit est l’objet-œuvre, d’où la difficulté à circonscrire l’objet de notre sujet. Par quels mécanismes sous-jacents cette transformation, cette « transfiguration » pour reprendre le mot d’Arthur Danto, voire cette transubstantiation peut-elle avoir lieu ?

CONTROVERSE : DU GRAND N’IMPORTE QUOI … OU PAS

Tout un courant de critique actuel, né dans les années quatre-vingt, en vigueur essentiellement dans les années quatre-vingt dix avec ce que l’on appelle la crise de l’art, dénonce l’art contemporain comme art du « n’importe quoi ». Cet art ne nécessite plus aucun savoir-faire, il est un ensemble de productions sans intérêt dont le sens a été épuisé à force de répétitions de l’acte inaugural de Marcel Duchamp et son (trop) fameux ready-made. Une grande majorité de l’art actuel ne serait qu’imposture, redite stérile d’un geste éculé et, poussé dans les ultimes retranchements de l’art conceptuel, il ne resterait au bout du compte, pas grand chose sinon rien. Loin de disqualifier cet art qui tient davantage des « basses œuvres » que des sphères transcendantes, le Musée l’expose, le valorise et succombe à cette tentation de la facilité. Art issu du quotidien, ne requérant pas de geste technique spécifique, ignorant le « métier », l’art de l’objet se porte tout naturellement à la critique. Nous avons choisi de nous arrêter sur cette période car elle nous semble particulièrement pertinente pour saisir l’art de ce siècle. Proche de nous, c’est une période charnière, celle où butent et s’échouent toutes les utopies de l’art et de la société, en même temps que se dessine une nouvelle esthétique et que l’art doit être pensé différemment. Les avant-gardes successives ont épuisé les voies dans lesquelles elles s’étaient engagées. La liberté de l’artiste est totale ; la création à venir ouvre sur une infinité de possibles mais demande à être pratiquée, formulée et envisagée autrement. Nous affronterons deux courants de pensée radicalement opposés, d’un côté ceux pour qui l’art a perdu toute transcendance, et ceux pour qui, l’art est toujours cet espace d’une richesse à nulle autre pareille et qui, plutôt que de considérer l’objet responsable de tous les maux, lui font la part belle. De 1913 aux années quatre-vingt dix, malgré ses différences formelles et conceptuelles, l’art de l’objet, et l’art dans son ensemble, suivent un chemin qui, de nouveauté en transgression, se déroule. Fin des années quatre-vingt début des années quatre vingt dix, un changement s’amorce qui se concrétise dans ce qu’il convient communément d’appeler crise de l’art, pour laquelle l’objet serait la boîte de Pandore, par excellence. Il faut dès lors imaginer d’autres voies et s’y frayer un chemin.

Jean Clair représente ce courant de pensée critique. Après des études de lettres, histoire de l’art et philosophie, il est chroniqueur d’art de la Nouvelle Revue Française. Il devient conservateur des Musées de France (1966), du Musée national d’art moderne pendant dix ans et du cabinet d’art graphique du Centre Pompidou (1980-1989). Nommé Conservateur général du patrimoine en 1989, il dirige le Musée Picasso jusqu’en 2005. Il est également commissaire d’importantes expositions nationales telles que Duchamp (1977), L’âme au corps (1983), Mélancolie (2005) et dirige la Biennale de Venise du centenaire. Rédacteur en chef des Chroniques de l’art vivant entre 1970 et 1975, il est à l’initiative des Cahiers du Musée d’Art Moderne qu’il dirige de 1978 à 1986. Observateur et acteur de l’art actuel, Jean Clair est au fait de l’avant-garde.

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Table des matières

TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
L’OBJET, BUTEE DE LA COMMUNICATION, OBJET DE CONTROVERSE : EVOLUTION DU REVOLUTION DU REGARD ESTHETIQUE
I.1 DE QUEL OBJET S’AGIT-IL ?
I.2 CONTROVERSE : DU GRAND N’IMPORTE QUOI … OU PAS
I.3 L’OBJET, UN PAVE DANS LA MARE
L’OBJET, INTERFACE ENTRE SOI ET LES AUTRES : EVOLUTION DE L’OBJET DANS LA SOCIETE CONTEMPORAINE.
II.1 DES EXPOSITIONS UNIVERSELLES A L’OBJET EN SERIE
II.2 DE L’OBJET EN SERIE AU DESIGN
II.3 DU COLLECTIF A LA SPHERE PRIVEE. LA QUESTION DU CORPS
L’OBJET : LE CADRE ET LE TERRITOIRE. EVOLUTION DES STRUCTURES QUI LEGITIMENT L’OBJET PROFANE DANS L’ESPACE PUBLIC.
III.1 LE CADRE
III.2 LE HORS CADRE
III.3 OBJET PROFANE/OBJET SACRE
BIBLIOGRAPHIE
ŒUVRES CITEES

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