La dimension anthropologique de la morale de Kant

La dimension anthropologique dans la philosophie morale de Kant

Il s’agit dans cette partie de mettre en exergue l’importance de l’anthropologie dans la pensée morale de Kant. Ce n’est surtout pas un hasard car toute la pensée kantienne part du sujet : c’est ce qui fait d’ailleurs son originalité, puisque par le biais de sa théorie de la connaissance et de sa conception morale, le philosophe de Königsberg a eu l’idée non moins audacieuse que pertinente de recentrer toute l’activité philosophique sur le sujet pensant. L’anthropologie est d’autant plus importante qu’elle sous-tend en quelque sorte l’idée de la nécessité d’une morale pour le « ξοου πολικου » ou « animal politique », explique et par là justifie les propos kantiens relatifs à l’originalité dont il fait montre en établissant un parallélisme entre sa théorie sur les individus et celle sur les Etats. A cet effet, Lefebvre rappelle que, selon Kant, les peuples en tant qu’Etats peuvent être assimilés à des individus qui, dans leur état de nature, entretenaient des relations conflictuelles qui, parce que pouvant parfois se solder par la mort, les amènent à contracter en vue de la paix et la sécurité des uns et des autres .

La nécessité d’une morale dans la vie de l’ « animal politique »

Pour une meilleure compréhension du rôle que la morale est censée jouer dans la vie de l’être humain, il serait intéressant, voire indispensable, de prendre les réflexions kantiennes sur l’homme en considération, car de ces réflexions dépend toute l’importance que la morale aura pour ce dernier non pas seulement dans son rapport à soi-même, mais aussi et surtout dans son rapport aux autres. Or, il s e trouve que pour une connaissance plus ou moins avancée sur la race humaine, l’ouvrage qui nous promet le plus d’informations est et demeure l’Anthropologie du point de vue pragmatique de Kant. Kant y expose une doctrine de la connaissance de l’homme, « systématiquement traitée ou A nthropologie », une doctrine qui peut être, du point de vue kantien bien sûr, exposée « du point de vue physiologique, ou du point de vue pragmatique » . Cette « anthropologie, comme connaissance du monde »  doit, selon le philosophe allemand, recevoir le sobriquet ou l’appellation pragmatique pour la bonne et simple raison qu’elle comporte, en dehors d’une connaissance plus ou moins étendue sur les choses, une connaissance de l’homme en tant que citoyen du monde, en tant qu’être vivant dans une société dans laquelle il entretient, avec ceux qui y vi vent, des rapports tels qu’une étude qu’il transcenderait ces rapports serait, à n otre avis, vouée d’emblée à l’échec. Kant y compare l’homme aux abeilles ; car, pour lui, ce dernier « n’était pas destiné à f aire partie d’un troupeau comme un animal domestique, mais d’une ruche comme les abeilles. − Nécessité d’être membre d’une société civile quelconque […] » . Ceci suppose la nécessité d’un maître ou d’un guide afin d’assurer l’harmonie et la cohésion sociales. « Il lui faut donc, affirme Kant, un maître qui batte en brèche sa volonté particulière et le force à obéir à une volonté universellement valable, grâce à laquelle chacun puisse être libre. Mais où va-t-il trouver ce maître ? Nulle part ailleurs, martèle Kant, que dans l’espèce humaine. Or ce maître, à son tour, est tout comme lui un animal qui a besoin d’un maître » . Si Kant insiste sur la nécessité de l’éducation, c’est parce que l’homme est animé d’un certain nombre de désirs, de pulsions et de passions qui l’amènent quelques fois à faire du mal.

Mais il faut noter aussi que cette entreprise de connaître l’homme a aussi été celle des philosophes comme Rousseau, Hobbes et Spinoza pour ne citer que ceux-là. Ils ont remonté à un état, dont ils disent eux-mêmes qu’il n’a jamais existé, pour mieux étudier et, par conséquent, mieux rendre compte de l’individu. Revenant sur cela, Kant estime, dans La Religion dans les limites de la simple raison, que même si certains philosophes voient dans l’état de nature un é tat bon , il faudrait voir « les scènes de cruauté non provoquée qu’offrent les drames sanglants de Tofoa, de la Nouvelle-Zélande, des Iles des Navigateurs et ceux qui n’ont jamais de cesse dans les vastes déserts de l’Amérique du Nord-Ouest […] dont personne ne retire le moindre avantage » . Donc on lit dans la pensée kantienne bien sûr une certaine conscience qu’a l’homme du bien et de la loi morale dont, pense Kant, ce dernier se serait démarqué par sa propre faute ; « il a cependant admis dans sa maxime de s’en écarter (à l’occasion) » . Ce constat aura tout de même des conséquences dans sa pensée morale et constituera l’une des bases de ce qu’il convient d’appeler, faute de mieux, le rigorisme kantien. Il conçoit l’homme, d’une part, comme sujet sensible, c’est-à-dire en tant qu’il appartient au monde phénoménal et animé du désir de tendre vers une fin quelconque ayant forcément quelque chose à voir avec le sensible et tout ce qu’il contient ; et, d’autre part, comme un être raisonnable qui se distingue alors des animaux par cette raison que lui seul a. Ferdinand Alquié, dans La morale de Kant, affirme, toujours dans la même perspective que Kant, la chose suivante : « L’homme peut donc se considérer lui-même de deux points de vues différents. En tant qu’il appartient au monde sensible, il obéit aux lois de la nature. En tant qu’il appartient au monde intelligible, en tant qu’il est noumène comme le dira plus tard Kant, il obéit aux lois de la raison et de la moralité ». Et Kant lui-même ne dira pas autre chose lorsqu’il affirme dans la Critique de la raison pure : « En effet si les actions de l’homme, en tant qu’elles appartiennent à des déterminations dans le temps, n’étaient pas de simples déterminations de l’homme comme phénomène, mais des déterminations de l’homme comme chose en soi, la liberté ne pourrait être sauvée. L’homme serait une marionnette ou un a utomate de Vaucanson, façonné et mis en mouvement par le maître suprême de toutes œuvres d’art » .

Philonenko de dire à son tour qu’il « n’est ni absolument contingent comme l’animal, puisqu’il pense, en tant qu’être raisonnable, et envisage l’avenir, ni absolument nécessaire comme bien, puisque de par sa sensibilité il participe à l’animalité » . L’homme serait alors dans l’entre-deux de ces extrêmes. L’accent est mis sur le côté intelligible de l’homme. Mais il ne faudrait surtout pas perdre de vue l’importance de son aspect sensible. Si ce d ernier n’était que raison, on n’aurait point besoin de la morale encore moins de l’éducation. Car dans ce cas, l’homme n’obéirait qu’à la raison et à la raison seulement. Mais il se trouve, et Kant en est bien conscient, que l’homme a aussi un ordre sensible dont nous avons souligné l’importance ; et c’est celui-ci d’ailleurs qui nécessite une éducation et, par conséquent, une morale dont la loi est, du point de vue de Kant, sainte, inviolable. Cette morale permet donc au sujet d’avoir une certaine paix avec lui-même, c’est-à-dire dans son rapport à son propre moi ; elle lui permet également, comme nous allons le montrer tout à l’heure, d’entretenir de bons rapports avec ses semblables en tant que ces derniers sont porteurs d’une raison législatrice de la loi morale à laquelle on doit du respect : « […] le respect pour la loi morale est un sentiment qui est produit par un principe intellectuel, et ce sentiment est le seul que nous connaissons parfaitement a priori, et dont nous pouvons apercevoir la nécessité » . On n’éprouve du respect que pour les êtres humains, dont la volonté a toujours des fins. Et Alquié de préciser que : «seules les personnes, c’est-à-dire les être raisonnables, en l’espèce les hommes, peuvent être des fins en soi » . De ce fait, il faut donc traiter les autres personnes non pas comme des moyens dont on s e servirait pour atteindre une fin quelconque escomptée, mais plutôt comme des fins en tant qu’elles sont, au même titre que nous, porteuses d’une loi morale ; ce qui n’est pas du tout contraire à la deuxième formule de l’impératif catégorique . La morale, à travers le respect, nous conduit, d’une façon ou d’ une autre, à une certaine connaissance de nous-mêmes. Selon Philonenko, il nous dit « ce que nous sommes, ce que nous devrions être. S’il nous humilie c’est précisément parce que nous ne sommes pas nous-mêmes, mais que nous devons, le devenir. Mais supposé que l’homme soit d’une pure droiture, le respect, loin de l’humilier, l’élève » .

Les réflexions kantiennes sur l’homme comme « fondement » de la théorie des rapports inter Etats

La philosophie de l’histoire de Kant a, selon Lefebvre, une base anthropologique dans le sens où la cause de l’histoire n’est nullement extérieure à l’homme , celui-ci en est le moteur même ; ce qui rend nécessaire une connaissance plus ample de la nature humaine. Ainsi, à la suite de Rousseau et Hobbes, Kant va se proposer de penser la nature humaine, sur laquelle il va développer une conception non m oins originale que celle de ses prédécesseurs. Pour lui, l’homme ne sera ni naturellement bon comme les pensait Rousseau, ni naturellement mauvais comme l’estimait Hobbes, mais à la fois les deux. Il a un penchant naturel au bien et un penchant naturel au mal. Kant lui-même reconnaît que si l’on soutient que l’homme est mauvais par nature c’est parce qu’il est conscient du bien qu’il se doit d’accomplir et qu’il a délibérément choisi de faire entrer un mauvais principe dans la maxime qui sous-tend certaines de ses actions puisque « le fondement du m al ne peut pas se situer dans un objet déterminant l’arbitre par inclination ni dans un instinct naturel, mais seulement dans une règle que l’arbitre se donne à lui-même afin d’user de sa liberté, c’est-à-dire dans une maxime » .

C’est justement l’antagonisme de ces d eux tendances  de l’homme qui sera à l’origine de toute création humaine et qui, par conséquent, constitue le socle de l’histoire en tant que porteuse de l’empreinte de l’humaine nature. Dans la «Septième proposition » de l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Kant se proposa de montrer que la nature parie plutôt sur cette insociable sociabilité de l’homme afin de l’amener à d évelopper ses tendances naturelles et le conduire ainsi à la paix perpétuelle. Car « toutes les dispositions naturelles d’une créature sont, souligne Kant, déterminées de façon à se développer un jour complètement et conformément à un but » .

Or la paix perpétuelle concerne non seulement les rapports humains mais aussi et surtout les relations inter Etats dont la bonne prise en charge en constitue le gage. C’est pour cette raison que ces relations ne peuvent en aucune manière trouver leur véritable fondement nulle part ailleurs que dans l’idée selon laquelle l’homme est d’une certaine façon contraint par la nature mère à r ésoudre un certain nombre de problèmes. C’est également pour cette raison que nous avons décidé de nous appesantir un peu sur l’anthropologie kantienne, car elle constitue non seulement la base de sa philosophie de l’histoire mais aussi la toile de fond de cette idée qui nous occupe dans ce présent travail et qui est exposée aussi bien dans l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique que dans le Projet de paix perpétuelle et qui a trait aux relations inter Etats : ces relations sont analysées sous le même angle que celles qui existent entre les hommes vivant à l’état de nature pour des raisons que nous comptons bien élucider. Selon Kant les peuples en tant qu’Etats peuvent être assimilés à des individus qui, dans leur état de nature, entretenaient des relations conflictuelles qui, pouvant parfois se solder par la mort, les amènent à contracter en vue de la paix et la sécurité des uns et des autres. De même, les peuples « ont tendance à s’isoler et à défendre leurs intérêts particuliers dans une lutte permanente contre leurs voisions : c’est la guerre. Mais les ravages qu’elle cause et l’intérêt bien compris poussent finalement les Etats à mettre fin à cet te situation d’anarchie et à accepter des lois communes qui réglementent leurs rapports : alors naît le droit international, qui doit être aménagé en une « alliance des peuples » » .

Druet dit à ce propos que « l’insociabilité qui est tempérée dans la société civile par des lois existe aussi au niveau des relations internationales, où elle dégénère souvent en guerre » . « Pour des Etats entretenant des relations réciproques, il n’est d’autre moyen rationnel de sortir de l’état anarchique, qui ne renferme que la guerre, que de renoncer, tout comme les individus, à leur liberté    sauvage (sans lois), de s’accommoder de lois publiques contraignantes et de former aussi un Etat des peuples (civitas gentium) qui, s’accroissant sans cesse, finirait par englober tous les peuples de la terre » .

Donc c’est à p eu près les mêmes types de rapports que les Etats entretiennent entre eux. Ils peuvent êtres très bien structurés du point de vue interne, mais les relations externes qui les lient avec les autres Etats portent la marque des mêmes tensions qui régissent les relations entre les hommes à l’état de nature. C’et pourquoi Kant estime qu’il faut nécessairement une extension des relations juridiques internes aux relations internationales ; « mondialisation, en quelque sorte, dira Lefebvre, de la constitution politique la meilleure possible, qui instaurera un « Etat cosmopolitique universel » assurant la fin de l’état de nature, c’est-à-dire la paix» .

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Table des matières

Introduction
Première partie
Chapitre I : La dimension anthropologique de la morale de Kant
I. La nécessité d’une morale dans la vie de l’ « animal politique »
II. Les réflexions kantiennes sur l’homme comme « fondement » de la théorie des rapports inter Etats
Chapitre II : De la responsabilité humaine dans le fonctionnement du monde
I. Responsabilité humaine et ruse de la nature : la question du mal et de la providence
II. Du rapport entre morale et politique : le politique moraliste et le moraliste politique
Deuxième partie
Chapitre I : Sur la voie de l’intersubjectivité morale
I. Entre la théorie de Rousseau et celle de Hobbes : le point de vue kantien
II. L’intersubjectivité morale comme socle des relations inter individuelles
Chapitre II : Le cosmopolitisme kantien comme « réponse » aux maux qui frappent notre humanité
I. Le choix du type de gouvernement
II. Les relations inter Etats : l’alliance
Conclusion
Bibliographie

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