La détection des interactions médicamenteuses

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L’évaluation de l’observance thérapeutique

L’utilisation des TC dans le mélanome est contraignante : prises à distance des repas, intervalles fixes à respecter entre chaque prise. Elle rend parfois difficile l’adhésion du patient au traitement, c’est-à-dire son degré d’acceptation de sa thérapeutique. Ces plans de prises complexes augmentent le risque de mauvaise observance, pouvant aboutir à une inefficacité ou à une toxicité de la TC.
Afin d’évaluer l’observance des patients, les pharmaciens utilisent deux scores standardisés :
– Le score Morisky (8) qui évalue de manière subjective l’observance thérapeutique des patients atteints de maladies chroniques à l’aide d’un questionnaire (Annexe 1),
– Le score MPR (9) qui évalue de manière objective l’observance thérapeutique des patients atteints de maladies chroniques. Il s’agit du rapport du nombre d’unités de traitement délivrées au patient sur un temps donné (généralement 1 an), sur le nombre d’unités de traitement prescrites sur cette même période (Annexe 1).

L’évaluation de la tolérance du traitement

Les anticancéreux oraux sont parfois considérés à tort comme moins toxiques que les injectables. Les EI sont un risque d’arrêt prématuré du traitement par le patient. Ils peuvent apparaître à dose thérapeutique, et dans des conditions normales d’utilisation des TC. Ils peuvent également résulter d’un mésusage : surdosage, ou encore intervalle de prise non respecté, souvent lié à un défaut de compréhension de la prescription du médecin par le patient.
La gestion des EI repose sur la prescription concomitante de traitements préventifs et/ou symptomatiques, eux-mêmes parfois à l’origine d’interactions médicamenteuses avec les TC.

La détection des interactions médicamenteuses

Les interactions médicamenteuses (IM) méconnues sont également pourvoyeuses d’EI souvent imputables à tort, à une toxicité intrinsèque de la TC, d’où l’intérêt d’une étude pharmacologique minutieuse. Elles peuvent survenir :
– avec les autres médicaments : traitements des comorbidités, traitements symptomatiques des effets indésirables (protecteurs gastriques, pansements gastriques…)
– avec les supplémentations : prise de toxiques (alcool, tabac, cannabis…), alimentation et phytothérapie (plantes à usage médicinal).
Ces IM peuvent être à l’origine d’une toxicité accrue de la TC, ou de son inefficacité, favorisant ainsi la progression de la maladie considérée à tort comme résistante à la TC, supprimant alors une arme thérapeutique efficace dans le mélanome métastatique avec mutation BRAF V600. Les interactions médicamenteuses sont divisées en deux catégories : pharmacocinétiques ou pharmacodynamiques.
Les interactions pharmacocinétiques modifient le devenir d’un des médicaments dans l’organisme en affectant son absorption, sa distribution, son métabolisme ou son excrétion.
Les interactions pharmacodynamiques, quant à elles, se produisent lorsque deux médicaments ont pour cible le même site d’action, et entrent en compétition.
La majorité des interactions pharmacocinétiques (les plus nombreuses) est le résultat d’une action sur les cytochromes P450, système enzymatique hépatique central dans le métabolisme médicamenteux. En cas d’inhibition des CYP450, les médicaments pris en charge par ce système s’accumulent dans l’organisme, et cela peut aboutir à leur toxicité. En cas d’induction des CYP450, les médicaments pris en charge par ce système sont éliminés plus rapidement de l’organisme, et cela peut aboutir à leur inefficacité.

Critères d’inclusion-exclusion

Les critères d’inclusion étaient :
– Patient traité par thérapie ciblée (DC, VC, EB).
– Ayant eu au moins une consultation pharmaceutique au cours du suivi.
– Pour un mélanome en traitement adjuvant ou métastatique.
– Inclus ou non dans un essai clinique.
Le seul critère d’exclusion était :
– Traitement par thérapie ciblée dont l’indication n’était pas un mélanome.

Stratégie d’analyse des données

L’exploitation statistique n’a été commencée qu’après vérification de la validité de la base de données (contrôles de cohérence). La base de données a alors été gelée. Les données consolidées ont ensuite été traitées par le statisticien. L’analyse des données a été réalisée à l’aide des logiciels SPSS software version 17.0. Le seuil de significativité a été fixé à 0,05. Une analyse de corrélation uni variée a été réalisée, avec détermination du coefficient de Pearson, afin d’étudier les corrélations entre : observance et âge, arrêt des TC pour toxicité et IM à risque de toxicité, arrêt des TC pour progression et IM à risque d’inefficacité.

Caractéristiques de la consultation pharmaceutique

Durant le suivi, 1033 consultations ont été comptabilisées, soit une médiane de 4 consultations par patient [min : 1 ; max : 26]. Un plan de prise médicamenteux détaillé, avec les horaires correspondants, a été co-construit avec 38 patients (21 % des patients). La médiane de suivi était de 6 mois [min : 1 ; max: 59]. Le suivi était assuré par le même pharmacien dans seulement 26 % des cas.

OBSERVANCE DES TRAITEMENTS

Le score Morisky a été mesuré chez 107 patients (60 %). Parmi les patients ayant bénéficié d’un score Morisky, la médiane du score était de 1, ce qui correspond à une observance moyenne selon l’échelle utilisée.
Le score Medication Possession Ratio (MPR) a été mesuré chez 81 patients (44%) :
– 90 % ont eu un score cohérent avec le score Morisky, en faveur d’une observance correcte,
– 10 % ont eu un score non cohérent, en faveur d’une observance médiocre.
Parallèlement, l’appréciation globale du pharmacien au cours des consultations de suivi a montré une observance satisfaisante du traitement chez 84 % des patients. A contrario, une mauvaise observance a été relevée chez 16 % des patients.
Une analyse a montré qu’il existait une corrélation, statistiquement significative, entre l’âge des patients de cette étude, et l’observance au traitement par TC évaluée par les pharmaciens : plus les patients sont âgés, et moins ils sont observants (p=0,018). Cependant il n’existe pas d’association statistiquement significative entre l’observance médicamenteuse, et d’autres facteurs comme le sexe ou la polymédication.
Un mauvais plan de prise a été détecté par le pharmacien chez 27 patients (15 %). Les médicaments les plus à risque de prise incorrecte étaient :
– La thérapie ciblée : 8 patients (5 %) ne prenaient pas la thérapie ciblée correctement, (intervalles de prises non respectés en cas de prise biquotidienne, et/ou prise sans être à jeun). Les patients concernés étaient traités par DT (n=6) et VC (n=2) ;
– Les IPP : 17 patients (10 %) ne prenaient pas les IPP 2 heures avant, ou 2 heures après la thérapie ciblée ;
– Les traitements personnels des patients en rapport avec leurs comorbidités : 1 patient pour le levothyrox, 1 patient pour les antidépresseurs.

Corrélation entre interactions et toxicité/progression

Parmi les 220 prescriptions de TC étudiées dans notre étude :
– 22% (n=48) étaient toujours en cours en juin 2020,
– 26% (n=58) ont été stoppées pour cause de toxicité,
– 52% (n=114) ont été stoppées pour cause de progression du mélanome.

ARRET DES TC POUR TOXICITE

Des interactions pouvant augmenter la toxicité des TC (inhibitions enzymatiques et interactions pharmacodynamiques) ont été retrouvées dans 34/220 prescriptions (15%) : parmi ces 34 interactions, 12 interactions appartenaient au groupe des TC arrêtées pour cause de toxicité. Dans ce dernier groupe, une corrélation significative (coeff Spearman=0,50, p<0,001) a été retrouvée, entre la présence de ce type d’interactions, et l’arrêt des TC pour toxicité.
Lors des 58 arrêts de la TC pour toxicité, des co-médications/supplémentations ont été retrouvées dans 23 prescriptions (40% des arrêts). Ces prescriptions avec co- médications/supplémentations ont été à l’origine de 12 interactions (52%) :
o 2 interactions (17%) étaient liées à des médicaments,
o 10 interactions (83%) étaient liées à des plantes ou aliments.
Parmi ces 12 interactions, 10 (83%) étaient liées à une inhibition du métabolisme des TC, impliquant le potentiel toxique des plantes et aliments.

ARRET DES TC POUR PROGRESSION

Des interactions pouvant réduire l’efficacité des TC (induction enzymatique et réduction d’absorption) ont été retrouvées dans 54/220 prescriptions (25%) : parmi ces 54 interactions, 29 interactions appartenaient au groupe des TC arrêtées pour progression. Dans ce dernier groupe, une corrélation significative (coeff Spearman=0,21, p=0,015) a été retrouvée, entre la présence de ce type d’interactions, et l’arrêt des TC pour progression. Lors des 114 arrêts de TC pour progression, des co-médications/supplémentations ont été retrouvées dans 63 prescriptions, (60% des arrêts). Ces prescriptions avec co- médications/supplémentations ont été à l’origine de 29 interactions (46%) :
o 15 interactions (52%) étaient liées à des médicaments ;
o 12 interactions (41%) étaient liées à des plantes ou aliments ;
o 2 interactions (7%) étaient liées aux médicaments ET aux plantes/aliments.
Parmi les 29 interactions, 17 (59%) étaient liées à un défaut d’absorption de la TC, provenant d’associations problématiques avec des protecteurs gastriques.

Discussion des résultats sur l’observance

Du fait de la gravité des cancers, les patients sont a priori considérés par les médecins comme adhérents au traitement (10). Dans notre étude, l’observance est bonne pour seulement la moitié des patients (score Morisky = 0), comme rapporté par l’OMS en 2003 (50%) lors du traitement de maladies chroniques graves (11). Plusieurs études, évaluant l’observance de patients atteints d’un cancer (11)(12)(13) , ont montré que l’âge élevé, le sexe masculin, et l’accumulation des traitements sont autant de risques de défaut d’observance. Cependant, dans notre étude, seul l’âge présente un facteur de risque significatif de mauvaise observance, en raison d’un manque de puissance des tests réalisés (effectifs trop faibles des patients de notre analyse).
Dans notre étude, l’observance a été évaluée grâce à 3 paramètres : un score subjectif (Morisky) qui apporte une dimension cognitive et comportementale de l’adhésion du patient au traitement;  un score objectif d’observance (MPR) ; et enfin l’évaluation globale par le pharmacien intégrant les scores suscités, les plans de prises, et le ressenti sur l’observance du patient. Celui-ci met en évidence un plus fort taux d’inobservance (16% versus 11% pour le Morisky et 10% pour le MPR) grâce une analyse plus fine et plus complète par rapport à des scores standardisés plus restrictifs. Ces résultats sont en adéquation avec ceux de l’étude menée par Simons et al., qui a montré un meilleur taux d’observance médicamenteuse chez les patients traités par capécitabine, lorsqu’ils recevaient une information écrite et orale sur leur traitement par un pharmacien (83% versus 48%), avec un allongement significatif de la durée du traitement comparativement au groupe témoin (14). Le faible niveau d’observance des traitements anticancéreux, pourtant nécessaires à la survie, démontre la nécessité d’un meilleur suivi des patients traités par voie orale dans les centres hospitaliers, et l’intérêt des consultations pharmaceutiques pour s’assurer de la bonne observance du patient.

Discussion des résultats sur la tolérance

Les EI rapportés par les pharmaciens durant l’étude ont été nombreux et source d’hospitalisations, de réductions de dose ou d’interruption définitive de la TC.
Dans une étude menée par Robert C. et al (15) sur 699 patients, 33% des EI conduisaient à une réduction de dose de DT contre 21% dans notre étude. Ces meilleurs résultats pourraient résulter d’une meilleure gestion des EI par les pharmaciens, en plus des médecins, lors des consultations de suivi, et ce, dès les grades de sévérité les plus faibles.
Nous avons observé des effets indésirables inattendus sous dabrafenib/trametinib. Une dysfonction éjaculatoire transitoire pourrait être imputable au dabrafenib. Lors des essais pré- cliniques, il est rapporté comme pouvant altérer la spermatogénèse de manière irréversible et les organes reproducteurs masculins chez l’animal (16). Un syndrome neuro-musculaire rare à type de « dropped-head syndrome » réversible à l’arrêt du traitement, pourrait résulter d’une myopathie iatrogène sous anti-MEK, comme rapporté dans un case report (17).
Concernant la toxicité cutanée du vemurafenib, les EI ont entraîné 31% d’arrêt définitif du traitement chez nos patients, contre 14% dans l’étude menée par Robert C. et al (15). Cette différence peut s’expliquer par la photosensibilité accrue du vemurafenib, qui pose davantage de difficultés de gestion et d’accompagnement dans la région ensoleillée du Sud-Est de la France, comparée à la population générale.
Le faible échantillon de patients traités par encorafenib/cobimetinib, (commercialisation plus tardive, en 2019), rend délicate l’interprétation de nos résultats sur leurs effets indésirables.

Discussion des résultats sur les interactions médicamenteuses/ supplémentations

Il s’agit de la première étude s’intéressant spécifiquement aux IM des TC du mélanome, mettant en évidence que 49% de nos patients présentaient des IM, dont 90% imputables aux TC. Une étude de Van Leeuween et al. (18) a révélé que 46% des patients présentaient des IM avec leurs anticancéreux oraux, dont 16% étaient majeures, pouvant être responsables d’EI. Dans notre étude, les IM ont été corrélées à l’inefficacité (progression tumorale) et à la toxicité des TC, ce qui pourrait entraîner un arrêt injustifié de la TC. Le dosage plasmatique des TC ne permet pas de monitorer l’impact de ces IM en l’absence de valeurs cibles établies dans la littérature, et du fait de leur réalisation fastidieuse en pratique clinique,(peu de laboratoires ayant validé des  méthodes de dosage, long délai de rendu des résultats)(19).
Les médicaments les plus fréquemment incriminés dans les IM avec les chimiothérapies conventionnelles sont les antiémétiques, les antidépresseurs, les anticoagulants et les antihypertenseurs (20). Les antiémétiques étaient peu incriminés dans notre cohorte de patients sous TC, car ces dernières sont peu émétisantes, contrairement aux autres chimiothérapies. Ces résultats sont concordants avec notre étude où les traitements des comorbidités tels que les antidépresseurs/anxiolytiques, les antihypertenseurs, les anticoagulants et les hypolipidémiants ont engendré de nombreuses IM. Ces IM sont expliquées par le rôle de substrat et d’inducteur enzymatique des TC avec le CYP450 (21). Elles étaient fréquentes dans notre population de patients dans laquelle 44% souffraient de maladies cardiovasculaires. La fréquence des IM dans notre population souligne le rôle primordial des pharmaciens, à la fois dans la détection des IM, mais surtout dans leur gestion. En effet, 31 IM ont nécessité l’arrêt définitif du traitement, et 12 ont entraîné un switch thérapeutique. L’enquête menée par les pharmaciens a donc abouti à une action médicale, soulignant l’intérêt d’une approche multidisciplinaire associant oncologue et pharmacien, afin d’optimiser le traitement anticancéreux des patients.
Le rôle prépondérant des IPP dans les IM de notre étude, non retrouvé dans les travaux précédemment cités qui étudient les chimiothérapies intraveineuses, peut s’expliquer par la pharmacocinétique différente des TC qui sont des chimiothérapies par voie orale. Les IPP inhibent la sécrétion d’acide gastrique, empêchant l’absorption correcte des TC orales.
Des travaux de recherche réalisés en 2014, et étudiant les IM possibles des chimiothérapies orales, ont montré que la co-prescription d’antiacides diminuait le taux d’absorption de 9 chimiothérapies orales différentes, incluant le dabrafenib (22). La modification d’absorption des TC, à marge thérapeutique étroite, peut avoir des conséquences importantes sur l’efficacité du traitement. Raison pour laquelle ont été délivrés aux patients des plans de prise adaptés, afin de limiter l’impact négatif des antiacides (Annexe 4).

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Table des matières

I. INTRODUCTION
A. Les thérapies ciblées dans le mélanome
B. Le plan cancer 2014-2019
C. L’évaluation de l’observance thérapeutique
D. L’évaluation de la tolérance du traitement
E. La détection des interactions médicamenteuses
F. Les objectifs de l’étude
II. Matériel et méthodes
A. Critères d’inclusion-exclusion
B. Critères d’évaluation
C. Nature de l’intervention
D. Stratégie d’analyse des données
III. RESULTATS
A. Caractéristiques de la population
B. Caractéristiques de la consultation pharmaceutique
1. OBSERVANCE DES TRAITEMENTS
2. TOLERANCE DU TRAITEMENT
3. INTERACTIONS MEDICAMENTEUSES
4. INTERACTIONS AVEC DES SUPPLEMENTATIONS
C. Corrélation entre interactions et toxicité/progression
1. ARRET DES TC POUR TOXICITE
2. ARRET DES TC POUR PROGRESSION
IV. DISCUSSION
A. Discussion des résultats sur l’observance
B. Discussion des résultats sur la tolérance
C. Discussion des résultats sur les interactions médicamenteuses / supplémentations
D. Limites et points forts de l’étude
V. CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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