LA DÉSHUMANISATION COMME DÉCLENCHEUR  D’UN PROCESSUS DE CRÉATION

LADÉSHUMANISATION COMME DÉCLENCHEUR D’UN PROCESSUS DE CRÉATION 

Porter un pays en soi 

L’idée de mon sujet de recherche est venue à la suite d’un voyage en Pologne, effectué en 2003. C’est une passion pour l’art qui m’a amenée là-bas. Avec les années, j’avais développé une fascination pour le réalisme-social , pour les icônes religieuses et les affiches de théâtre, mais ce que j’y ai vu et ce que j’y ai trouvé m’habite depuis plus d’une décennie. Peut-être parce que ce pays est hanté : hanté par son histoire, hanté par les fantômes de son passé. Et c’est peut-être pourquoi l’iconographie polonaise est si particulière, si facilement identifiable entre toutes.

La mort est encore très présente en Pologne, du moins son passage; chaque ville ou village possède un monument commémoratif à la mémoire de la population juive exterminée. Il n’est pas rare de croiser un ancien lieu de culte, transformé en salle de loisir, seule une petite plaque accrochée en façade souligne l’origine de l’édifice . Des rues ont été pavées sur des cimetières, après quelques pas, un panneau nous informe que nous marchons sur des morts : « S’il vous plaît, veuillez utiliser l’autre côté de la rue. » Des demeures magnifiques de décrépitude  parsèment les rues de la Pologne, propriété de familles juives disparues; personne ne veut les restaurer au cas où un parent éloigné des morts viendrait réclamer la résidence. Il y a aussi ces camps funestes…

Au centre de la Pologne, à la frontière biélorusse, se trouve Lublin et son Konzentrationslager Majdanek, si facilement accessible par le transport en commun; on s’y rend comme on se rend au jardin public ou à la plage municipale. Le bus se prend en face de La place du château. Ce n’est pas une navette touristique qui vous mène là-bas, il n’y a pas d’indications spécifiques, vous montez à bord, vous vous assoyez et l’autobus traverse tranquillement le faubourg résidentiel Majdan Tatarski, jusqu’à ce qu’apparaissent les miradors du camp, alors vous sonnez et descendez au prochain arrêt. Si vous arrivez de la gare Centrale, vous devrez traverser la rue Droga Mçczennikôw Majdanka pour y entrer. Je n’ai pas utilisé le portail principal, je suis entrée par le milieu, il n’y avait pas de bureau d’accueil, pas de brochure éducative, pas de cartes postales souvenir, juste une vaste étendue brûlée vive par le soleil, des baraques de bois alignées méthodiquement et des miradors désertés. Au loin, deux énormes coupoles oscillaient dans la chaleur, on aurait dit le mirage d’une soucoupe volante sortie d’un film des années 60.

Ce qu’il reste d’Auschwitz

Dans son essai, le philosophe italien, Giorgio Agamben a tenté d’expliquer pourquoi encore aujourd’hui, on ne s’est toujours pas consolé d’Auschwitz. Selon lui, un des problèmes serait relié aux recours judiciaires de l’après-guerre, Agamben croit qu’ils sont en partie responsables de la confusion au sujet d’Auschwitz.

S’il en est ainsi, alors il se pourrait que les procès eux-mêmes (les douze procès Nuremberg) soient en partie responsables de cette confusion des esprits qui pendant plusieurs décennies empêcha de penser Auschwitz. Aussi nécessaires qu’ils fussent, et malgré leur insuffisance patente (puisqu’au total ils auront concerné seulement quelques centaines de personnes), ils ont accrédité l’idée que le problème était réglé. (Agamben, 2003, p. 20)

Oui, on a cru le problème réglé, alors que de toute évidence, il ne l’est pas, le souvenir est toujours aussi pregnant, et cela malgré les appels à l’oubli de certains. L’affaire perdure, car selon Agamben les procès bien qu’indispensables n’ont jamais servi à rendre justice, ce n’est pas le propre du système judiciaire, des jugements ont été rendus, des peines et des sanctions ont été prononcées, mais est-ce que justice a été faite aux victimes et aux familles des victimes? Agamben n’en croit rien.

L’une des méprises les plus courantes – non seulement au sujet des camps – provient d’une confusion tacite entre catégories éthiques et juridiques (ou, pire encore, entre catégories juridiques et théologiques : la nouvelle théodicée). La plupart des catégories qui ont cours en matière de morale et de religion sont plus ou moins contaminées par le droit : faute, responsabilité, jugement, condamnation… On ne peut donc s’en servir sans précautions expresses. Car le fait est – les juristes le savent bien – que le but ultime du droit n’ est pas de garantir la justice. Et encore moins la vérité. Il a pour seul but le jugement, indépendamment de la vérité ou de la justice. La preuve en est, irréfutable, que Y autorité de la chose jugée concerne aussi bien les sentences injustes. La production d’une res judicata — où la sentence tient lieu du vrai, du juste, et vaut comme vérité quand même elle est d’une injustice et d’une fausseté patentes -, telle est la fin dernière du droit. Dans cette créature hybride, à la fois fait et norme, le droit trouve son accomplissement; au-delà, il est muet. (Agamben, 2003, p. 18) .

Selon l’auteur, il y aurait également un problème au niveau de la sémantique utilisée pour décrire Auschwitz.

Dans le cas du terme « holocauste », en revanche, le rapprochement, fut-il vague, entre Auschwitz et le ôlah biblique, entre la mort dans les chambres à gaz et l’« abandon total à des motifs supérieurs et sacrés », sonne fatalement comme un affront. Non seulement ce terme suppose une équation inacceptable entre fours crématoires et autels, mais il recueille un héritage sémantique qui a dès l’origine une coloration anti judaïque. (Agamben, 2003, p. 29) .

L’ère du soi

Par déshumanisation, j’entends dépersonnalisation, celle qui réduit les individus à des fonctions, cette inclusion des individus dans une catégorie plus abstraite qui contribue à les dépersonnaliser. (Todorov, 1994, p. 19) .

Naturellement, comme il fallait s’y attendre, dès que le mot déshumanisation est utilisé, on pense instantanément aux stratégies employées par les régimes totalitaires, mais je crois qu’il est encore possible aujourd’hui de vivre des situations déshumanisantes. Je pense aux immigrants qui se réfugient dans un pays dont ils ne maîtrisent pas la langue : privé de parole, l’être ne perd-t-il pas une grande part de son humanité? Et que dire de l’ère du virtuel dans lequel nous vivons; avons-nous encore une identité propre ou sommes-nous un codebarres, un code permanent ou un numéro d’identification à cinq chiffres? Ne plus avoir de nom n’est-il pas là une dépersonnalisation de notre individualité?

L’aliénation que nous ressentons tous aujourd’hui, le mal-être qui semble être le lot d’une majorité de citoyens prend racine dans le fait qu’il n’y a plus de condition humaine, que l’idée même de cette condition s’efface et disparaît à chaque nouvelle découverte scientifique, à chaque amélioration informatique, à chaque transformation socio-économique. (Dyens, 2008, p. 221) .

En 1983, le philosophe Gilles Lipovetsky écrivait L’ère du vide. Dans cet essai, il décrit qu’à la mort de Dieu, nous sommes entrés dans l’ère du «soi», l’ère de rhyperpersonnalisation qui nous a menés à un individualisme isolant, solitaire, à une démobilisation de masse. Dieu est mort, nous avons tenté tant bien que mal de combler ce vide par des idéaux laïques pour certains, par une boulimie de sensations fortes pour d’autres, mais ces excès ne cachent rien, ne compensent rien, surtout pas l’abîme de sens ouvert par la mort de Dieu.

Le besoin de commémorer

La commémoration est présente dans mon travail depuis plusieurs années. Le livre d’artiste Vestige (Marcil, 2001) est l’exemple le plus probant de cette démarche. Il s’agit d’un livre illustré, à la mémoire de ma grand-mère disparue et même si les dessins ne la personnifient pas, ces images montrent des fragments d’un corps âgé et des objets banals du quotidien  qui tristement représentent la somme de toute une vie.

Pour la série de dessins Faits Divers, je me suis inspirée d’anecdotes glanées dans mon entourage et dans l’actualité. Par exemple, le dessin That’s it John  montre un homme âgé regardant vers le haut comme s’il entendait ou voyait quelque chose. En fait, j’ai créé ce dessin à la suite du décès accidentel de mon voisin; alors que tout le monde croyait qu’il survivrait à sa femme malade depuis plusieurs années, il est mort après avoir fait une chute dans sa maison. J’ai pensé à sa femme très malade qui désormais serait seule, j’ai pensé à l’absurdité de la vie, à sa fragilité. J’ai donc fait le dessin d’un homme âgé et digne, les yeux levés au ciel comme s’il était interpellé par Dieu qui lui disait tout simplement That’s it John, ta vie est terminée .

 

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Table des matières

INTRODUCTION 
CHAPITRE I
LA DÉSHUMANISATION COMME DÉCLENCHEUR 
D’UN PROCESSUS DE CRÉATION
1.1 Porter un pays en soi
1.2 Ce qu’il reste d’Auschwitz
1.3 L’ère du soi
CHAPITRE II
L’IMPORTANCE DU DEVOIR DE MÉMOIRE 
2.1 Le besoin de commémorer
2.2 Le glissement vers l’installation
2.3 Laisser les morts
2.4 Christian, Ed et Jochen
CHAPITRE III
LA RÉHUMANISATION 
3.1 La méthodologie
3.2 Le projet
3.2.1 Les Servantes du Très Saint-Sacrement
3.2.2 La première rencontre
3.3 L’analyse de phénoménologie
3.3.1 Les lieux
3.3.2 Les thèmes
3.4 La communication des résultats de la recherche ou l’œuvre finale
CONCLUSION

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