La démarche des orthographes approchées et ses références conceptuelles

La démarche des orthographes approchées et ses références conceptuelles

Dyades symétriques ou asymétriques ?

Afin de déterminer le caractère symétrique d’un groupe, son effectif ne vient pas en ligne de compte. Il rend, toutefois, plus complexe son analyse, c’est pourquoi la dyade semble être la composition la plus facile à maîtriser du point de vue du partenariat entre élève, d’une part ; des variables à disposition de l’enseignant d’autre part. Cet aspect simplificateur de la dyade par rapport au travail en plus grand groupe explicité par Winnykamen (1990) a initié notre choix : faire interagir les élèves par duo. Mais comment composer les duos ? Quels sont les avantages des duos symétriques par rapport aux duos asymétriques en situation d’apprentissage ?
L’aspect symétrique dans une dyade n’est presque pas réalisable selon Winnykamen (1990). Les membres doivent être du même âge, du même niveau de développement du point de vue général mais aussi concernant les savoir-faire spécifiques face à une notion. Au plan de la relation entre les partenaires, il doit y avoir une réciprocité des intérêts qu’ils se portent l’un sur l’autre et des valeurs qu’ils s’attribuent. Les contraintes liées au contexte social jouent aussi un rôle : statut du bon ou mauvais élève, popularité…. Elles modifient la symétrie de la dyade. D’autre part, l’interaction en situation d’acquisition est souvent alternée de périodes de travail isolé avec des temps de travail conjoint rendant la symétrie presque impossible.
Winnykamen (1990) suggère de considérer des situations proches de la symétrie lorsqu’il y a une alternance des situations dissymétriques « à condition que chacun des partenaires accèdent à laposition la plus avancée. Dans le cas où le décalage joue en faveur de l’un des deux, et ne s’inverse pas, la situation est identifiable à une situation dissymétrique » (p. 110). Comme le présuppose le processus spiralaire de l’interaction qui se construit et construit le savoir au sein du duo, il est difficile de préjuger de la nature plutôt symétrique ou dissymétrique de l’interaction d’un duo avant qu’elle ait lieu, même en prenant soin préalablement de vérifier la ZPD, le marquage social, la coordination des actions… L’appui des recherches portées sur le mécanisme du conflit sociocognitif indiquent que la symétrie entre les partenaires favorise un débat de réponses entre les sujets (Astolfi, 2008) mais que l’interaction par dyades dissymétriques entre pairs suscite des mécanismes différents mais également constructifs au niveau des acquisitions (Roux, 2003).
L’épreuve concerne des enfants de 5 et 6 ans à propos de la construction de formes géométriques à partir de cubes. Roux (2003) relate l’expérience de deux dyades dont les mécanismes interactifs diffèrent totalement mais dont les performances aux post-test des experts comme des novices dépassent largement à la fin de l’expérience les normes d’acquisition pour les enfants de leur âge.
Un des mécanismes relève de l’effet du tutorat où l’experte joue un rôle didactique et la novice consciente de l’expertise de sa partenaire, l’interroge et prend conscience de l’efficacité de certaines stratégies. L’autre duo marqué par la désobligeance de l’expert à l’égard du novice est constructif par la régulation appaisante du novice qui a pu dépasser les conflits ouverts pour s’imprégner des stratégies de l’expert : « ainsi, on peut expliquer les progrès des deux garçons par l’effet somme toute structurant des déstabilisations de leur système cognitif lors des conflits sociaux » (Roux, 2003, p. 490).
Dans ma perspective de recherche, consciente que l’aspect le plus symétrique possible entre les partenaires accentue la possibilité de produire un conflit sociocognitif, je vise la plus grande symétrie possible. Je constitue des duos situés dans la même ZPD, en respectant le marquage social et en favoriasant la coordination des actions dans la tâche (chacun écrit une syllabe, un mot…) Mais sans négliger la possibilité d’un effet tuteur, je choisis de faire interagir des élèves dont le niveau d’acquisition est asymétrique (du type expert-novice) : les novices étant considérés comme des élèves en risque d’échec en lecture, les experts sont des élèves un peu plus avancés que les novices.
Reste la question du transfert des connaissances du social à l’individuel au regard de la mise en œuvre des orthographes approchées et de l’alternance des phases interactionnelles : comment intensifier les interactions dans la phase dyadique pour que les novices en bénéficient le plus individuellement ?
D Apprentissage du social à l’individuel : comment conjuguer les interactions? Tartas (2004) traite du transfert de connaissances en lien avec le contexte social dans lequel il a été appris : « dans quelles conditions ce qui a été appris se mobilise-t-il dans un nouveau contexte ? » ( p.111). Cette recherche fait écho à notre perspective de travail visant à faire progresser des élèves en difficulté (novices) en leur permettant une interaction la plus constructive possible avec leurs pairs : comment leur permettre de donner leurs points de vue, de douter, de rentrer activement dans l’échange avec leur partenaire ? La phase de retour collectif étayée par l’adulte a-t-elle un rôle à y jouer ? Cette phase étayée par l’adulte peut-elle renforcer les échanges entre pairs en la précédant ?
La recherche de Tartas (2004) repose sur la reproduction de figures géométriques à l’aide des cubes de Kohs. Après avoir dégagé un groupe d’expert spontané et un groupe de novice, une partie du groupe de novice est formé par des adultes donnant ainsi le groupe d’experts formés. Selon le paradigme expérimental classique du pré-test/phase d’interaction dyadique/post-test, l’évolution des performances des enfants est analysée selon le niveau d’expertise et le type d’interaction entre le pré-test et le post-test. Les résultats indiquent globalement que tous les groupes avaient bénéficié de l’expérience notamment les experts spontanés qui avaient le plus progressé parmi tous les groupes.
Les experts formés étaient ceux, au contraire, qui avait le moins progressé, ils avaient même régressé : « les experts formés ayant acquis leur expertise dans l’interaction avec l’adulte qui avait pour but de leur transmettre une compétence, progressent moins que les experts spontanés » (Tartas, 2004, p. 113). En revanche, parmi les novices, ceux qui avaient interagi avec les experts formés avaient plus progressé que ceux qui avaient interagi avec les experts spontanés : « les experts formés durant la phase de formation dans une relation asymétrique tendrait à reproduire ce modèle de relation dans la phase d’interaction avec leurs pairs. […] L’analyse qualitative montre qu’ils ont reçu des bribes de stratégies et l’espace nécessaire pour se l’approprier» (Tartas, 2004, p.
113 ).
Dans notre perspective, cette recherche nous permet de comprendre que les experts formés bien que plus à même de faire progresser les novices, ne se sont pas pour autant appropriés les stratégies individuellement dans l’interaction avec l’adulte. Comment orchestrer cet étayage de l’adulte pour que le bénéfice de l’interaction entre pairs subsiste individuellement pour ces novices ?
Les résultats de Rossi, Pontecorvo et Arcidiacono (2017) complètent la première recherche de Tartas dans un domaine proche des orthographes approchées puisque les élèves sont censés écrire des mots en petits groupes. Parmi les deux expériences menées la seconde nous semble pertinente dans notre perspective puisqu’elle traite du transfert de connaissances à travers des interactions entre pairs :
• Expérience 1 : observer la dynamique interactionnelle dans deux groupes A et B de 4 enfants au stade pré-syllabique dont le niveau de conceptualisation, discursif et argumentatif n’est pas aussi développé dans les deux groupes. Tâche : écrire le mot elfe puis pâte. La question de recherche : y-a-t-il un changement conceptuel autour de l’écriture chez les enfants qui se réalise par la transition vers un niveau syllabique ?
• Expérience 2 : observer l’attitude d’un enfant (Damiano) participant successivement à ces deux groupes de discussion avec des compétences différenciées.
La première expérience indique dans les deux groupes qu’un lien est établit entre la lecture et la production d’écrit bien que selon le niveau de conceptualisation et d’argumentation des groupes les questions émergeantes sont plus ou moins pertinentes.
Dans la seconde expérience, l’élève (Damiano) s’approprie par la controverse les stratégies éprouvées par un autre (Filippo) durant la première interaction et les transmet au second groupe : « Damiano ne réutilise pas seulement de manière autonome une hypothèse syllabique pour écrire le mot pasta (pâtes), mais il soutient aussi la position de Filippo, en verbalisant son accord » (Rossi,
Pontecorvo & Arcidiacono, 2017, p. 184).
Cette recherche nous montre qu’un élève peut bénéficier de l’interaction entre pairs en transférant les connaissances éprouvées dans un premier groupe d’interaction vers un second groupe d’interaction entre pairs. L’enseignante joue dans ces expériences l’unique rôle de modératrice de façon à recentrer l’activité des élèves sur la tâche.
E Pourquoi cette démarche est un plus pour les élèves en difficultés ? La recherche d’Hannouz (2013) portée sur les remédiations des difficultés d’apprentissage à partir d’orthographes approchées nous révèle les raisons de leurs progrès par une analyse qualitative de quatre élèves dits « à risque ».
En favorisant leur réflexion sur la langue et en modifiant le rapport qu’ils ont sur l’erreur, la démarche des orthographes approchées les aide à s’imprégner progressivement de toutes les composantes de notre système alphabétique. Hannouz (2013) nous transmet quelques étapes de ces élèves à titre d’exemple :
« On remarque dans les premiers écrits de Ily, Rya, Var et Cha qu’ils établissent tous, dès le début de leur CP, un lien entre l’oral et l’écrit. La relation oral-écrit établie, les enfants évoluent en approfondissant et en examinant les différentes correspondances phonographiques, en explorant les possibilités avant de fournir un codage exhaustif. Outre la capacité à représenter avant la fin du second trimestre la quasi-totalité́ des phonèmes par des graphèmes, les quatre élèves débutent leur CP en prenant en compte la séquentialité des graphèmes. Les résultats de cette étude font ressortir que les élèves parviennent tous en fin d’année à bâtir les sous-principes, cependant leurs préoccupations orthographiques émergent » (Hannouz, 2013, p. 76).
Hannouz (2013) précise que cette démarche procède d’une dynamique permettant d’adapter les interventions de l’enseignant en fonction des représentations et du rythme de chaque enfant: « Les connaissances que les enfants élaborent sont le résultat d’une comparaison de leurs écrits et de leur mise en mots. Grâce à une justification, une argumentation et une confrontation les élèves acquièrent de nouvelles connaissances et/ou les réorganisent » (Hannouz, 2013, p. 76).
En favorisant une approche individualisée des différents principes qui régissent notre code écrit, cette démarche ancrée dans une dynamique interactionnelle enseignant-élève montre de bons résultats dans les recherches actuelles.
Il reste à élargir la perspective de recherche d’Hannouz (2013) vers une analyse plus portée sur les dynamiques interactionnelles des élèves entre-eux au sein de cette démarche:
« De manière plus générale, il serait intéressant de mettre en relation tous les commentaires métagraphiques [des élèves entre-eux] afin d’étudier les dynamiques du groupe qui provoquent la modification des représentations et des changements dans les productions écrites» (Hannouz, 2013, p. 76).

Problématique

A partir de l’étude des bienfaits du dispositif des orthographes approchées et de la connaissance des conditions de l’interaction pour qu’un duo d’élèves pairs progressent au niveau cognitif, nous parvenons à notre question de recherche : À quelle condition l’interaction sociale favorise un transfert individuel des connaissances des novices dans la démarche des orthographes approchées ?

Objectif de cette recherche

Ma recherche se penche sur l’identification et la mise en place, par l’enseignant, de conditions optimales d’interaction pour que des duos d’élèves (novice/expert) progressent dans le cadre de la démarche des orthographes approchées.
Mon questionnement part du constat d’un problème de fonctionnement dans ma façon de mener la démarche des orthographes approchées dans ma classe les années précédentes : alors qu’elle est encouragée par les recherches actuelles, sa pratique régulière n’a pas permis aux élèves en difficulté de progresser individuellement contrairement à ce qui était attendu.
Auparavant mon dispositif hebdomadaire reposait sur quatre temps distincts :
• mise en contexte collectif et oral : les élèves anticipent oralement la suite de l’histoire à partir des illustrations de notre livre de lecture ;
• interaction en binôme (expert-novice): écriture d’une phrase et comparaison dans chaque duos de leur production et de leur phrase corrigée par l’enseignante avec la consigne suivante. «Comparez votre écriture avec la mienne cherchez une différence avec ce que vous avez écrit et ma production, inscrivez les deux propositions au tableau et tentez d’expliquer votre erreur à deux » ;
• retour collectif (un autre jour de la semaine) : à partir des traces écrites laissées au tableau, les duos venaient expliquer leurs erreurs au reste de la classe en indiquant le type de confusion commise (au niveau des sons, des graphèmes, de l’ordre des phonèmes, oubli d’une lettre muette …) ;
• copie individuelle et sans erreur de toute la phrase inventée par duo grâce à la réécriture de l’enseignant.

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Table des matières
Remerciements 
Résumé et mots clés 
Liste des signes particuliers 
Liste des annexes 
Table des matières 
Introduction 
Cadre Théorique
I La démarche des orthographes approchées et ses références conceptuelles
A Une conception socioconstructiviste de l’apprentissage
B La médiation de l’adulte et l’interaction entre pairs dans notre dispositif
C L’interaction maître-élève dans la démarche :une interaction de tutelle
D L’interaction entre pairs :un échange réciproque
E Deux modes interactionnelles en alternance, une approche pluridimensionnelle
II Du conflit cognitif au conflit socio-cognitif 
A Le conflit cognitif
B Le socio-constructivisme
C Le conflit socio-cognitif
D Les raisons d’un progrès cognitif
E La notion de conflit socio-cognitif et l’élève apprenti scripteur
F Le conflit socio-cognitif un levier majeur pour les enseignants ?
III Interactions et contexte scolaire
A Interaction en contexte d’apprentissage :un processus spiralaire
B Les quatre activités interactionnelles
C Dyades symétriques ou asymétriques ?
D Apprentissage du social à l’individuel :comment conjuguer les interactions ?
E Pourquoi cette démarche est un plus pour les élèves en difficultés ?
Problématique 
I Objectif de cette recherche 
II Hypothèses de recherche
Méthodologie 
I Nature et population cible de cette recherche
A Fondements généraux de recherche
B Population
C Processus d’évaluation des élèves intervenant dans la recherche
Elèves à risque en lecture
Processus d’évaluation des élèves
D Synthèse des élèves participant à la recherche
Elèves experts et novices de cette classe
Classification des procédures d’écriture
Résultats des novices
La compositions des duos
II Dispositif de recherche
A Dispositif pédagogique adapté à mon contexte
Les orthographes approchées et mon adaptation en classe bilingue
Les raisons de mes adaptations en classe bilingue
B Constitution des groupes et organisation temporelle
C Cadre expérimental
Condition A et B
Phase d’interaction entre pairs
Phase d’étayage collectif
D Protocole de recherche
E Synthèse du dispositif avec les duos
F Moyen technique et calendrier des collectes de données
III Outils d’analyse des données par questions de recherche
A Tendance générale
Y-a-t-il une différence en termes de progrès des élèves en général, des novices en
particulier entre la condition A et la condition B ?
B Perspective qualitative
Y-a-t-il plus d’interactions de natures collaboratives dans la condition B que dans la
condition A ?
D’où proviennent les résultats aux post-tests des élèves novices ?
Analyse de données 
I Préambule 
II Tendance générale : les élèves progressent-ils plus en condition B qu’en condition A ?
A au sein de la classe
B Du coté des élèves novices
C Bilan des tendances en général
III Analyse qualitative
A Dimension A et B
Dimension A
Dimension B
B Récolte de données
Les diagrammes circulaires
Les diagrammes en ligne
C Analyse des duos en condition A et B
Duo Amar/Noan
Duo Juliette/Lina/Philippe
Duo Alan/Mario
Duo Laure/Anne
Duo Eline/Lina/Anne
D Bilan de l’analyse qualitative
Y-a-t-il plus d’interactions de natures collaboratives en condition B ?
D’où proviennent les réussites des résultats aux post-tests des novices ?
Faut-il pour autant oublier la démarche préconisée en condition B ?
IV Conclusion, discussion, ouverture et conséquences dans mon identité professionnelle
A Quelle découverte quant à la démarche des orthographes approchées ?
B Discussion : que faire des élèves dont les compétences sociales et affectivo-relationnelles
sont un obstacle à l’aspect constructif de l’interaction ?
C Ouvertures
D Mon identité professionnelle après ce travail de recherche
Bibliographie 
Annexes 
Annexe 1 :grille d’analyse des élèves novices et experts
Annexe 2 :récapitulatif des performances des élèves pour les tendances générales
Annexe 3 :récapitulatif des performances des novices pour les tendances générales
Annexe 4 :grille d’analyse des interactions en dimension A de Siatra (1995, pp. 11-15)
Annexe 5 :grille d’analyse des interactions en dimension B de Siatra (1995, pp. 13-15)
Annexe 6 :transcription des interactions du duo Laurent-Yann en condition A et B
Annexe 7 :transcription des interactions du duo Amar-Noan 
Annexe 8 :transcription des interactions du duo Juliette-Philippe/Juliette-Lina
Annexe 9 : transcription des interactions du duo Alan-Mario
Annexe 10 :transcription des interactions du duo Laure-Anne 
Annexe 11 :transcription des interactions du duo Eline-Anne/Eline-Lina
Annexe 12 : présentation des résultats du duo Laurent-Yann 
Annexe 13 : présentation des résultats du duo Amar-Noan
Annexe 14 :présentation des résultats du duo Juliette-Philippe/Juliette-Lina
Annexe 15 :présentation des résultats du duo Alan-Mario 
Annexe 16 :présentation des résultats du duo Laure-Anne
Annexe 17 :présentation des résultats du duo Eline-Lina/Eline-Anne
Annexe 18 :travaux de Laurent et transcription des entretiens
Annexe 19 :travaux d’Amar et transcription des entretiens
Annexe 20 :travaux de Juliette et transcription des entretiens
Annexe 21 :travaux d’Alan et transcription des entretiens
Annexe 22 :travaux de Laure et transcription des entretiens
Annexe 23 :travaux d’Eline et transcription des entretiens

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