La déformation et les taux de déformation dans les rifts

Dans les régions à tectonique active, l’évolution du relief est contrôlée par les interactions entre les processus tectonique (déformation crustale) et de surface (érosion, transport et sédimentation). Ces interactions complexes sont responsables de la formation d’objets morphologiques qui persistent sur le long terme car la topographie atteint un état d’équilibre. Ce sont les bassins versants, les lits des rivières, les versants et les cônes alluviaux. Depuis plusieurs décennies, la géomorphologie quantitative étudie ces objets, leur évolution et les processus de surface qui les forment dans le but de mieux comprendre l’évolution du relief et de mieux contraindre les interactions entre les processus tectonique et de surface. Pour cela, elle tire avantage de l’existence de marqueurs géomorphologiques qui ont enregistré l’histoire ou une partie de l’histoire de l’évolution du relief. La géomorphologie quantitative profite également du développement des modélisations numériques et analogiques qui permettent d’étudier l’intégralité de l’histoire du relief. Le sujet de cette thèse se situe dans ce cadre général.

L’évolution du relief est classiquement divisée en trois phases (e.g., Hack, 1957 ; Montgomery, 2001) : une phase de croissance où la vitesse de surrection est supérieure à la vitesse d’érosion, une phase dite d’équilibre ou d’état stationnaire où les vitesses de surrection et d’érosion se contrebalancent, et enfin une phase de relaxation où la vitesse d’érosion est supérieure à celle de la tectonique. Ellis et al. (1999) et Whipple (2001) démontrent que le temps nécessaire pour que le relief atteigne l’état stationnaire est de l’ordre de 1 Ma à l’aide de modélisations numériques et analytiques, respectivement. De la même manière, ces auteurs montrent que le temps caractéristique de réponse du relief à un forçage externe (e.g., climatique) est de l’ordre de 10 ans. Ces éléments conduisent à penser que l’étude de l’évolution du relief sur le long terme peut aider à estimer les vitesses de surrection long terme en contexte d’équilibre.

La géomorphologie quantitative est un outil qui permet d’estimer les vitesses d’érosion verticale (dénudation, incision) et, en supposant un état stationnaire, les vitesses de surrection. Elle est complémentaire de l’analyse structurale qui peut permettre d’estimer les vitesses de surrection via l’analyse de marqueurs structuraux déformés ou décalés. Son utilisation peut aider à mieux contraindre la vitesse de glissement des failles. En effet, cette dernière est estimée à l’aide de méthodes variées qui conduisent parfois à des estimations différentes. Ces différences peuvent être réelles en relation avec des variations temporelles de la vitesse de glissement qui sont dépendantes de l’échelle de temps. Par exemple, une vitesse de glissement court terme déterminée par la paléosismologie peut correspondre à un essaim de séismes (clusters), ce qui donnerait une vitesse plus élevée que la vitesse géologique long terme (e.g., Wallace, 1970 ; Weldon et Sieh, 1985 ; Wallace, 1987 ; Friedrich et al., 2003). Mais les différences d’estimation des taux de glissement pourraient aussi être attribuées à des problèmes méthodologiques (e.g., Meyer et Le Dortz, 2007). En effet, l’utilisation des marqueurs géologiques décalés peut conduire à de grandes incertitudes sur l’estimation de la vitesse de glissement des failles compte tenu des incertitudes associées à la datation de ces marqueurs. Utiliser la géomorphologie quantitative peut donc s’avérer utile en tant que méthode complémentaire afin de mieux estimer les taux de glissement long terme sur les failles.

Mieux contraindre les vitesses tectoniques, tout particulièrement la vitesse de glissement long terme des failles, est en effet crucial pour une meilleure détermination de l’aléa sismique d’une région. De plus, c’est un prérequis nécessaire pour avoir une meilleure connaissance de la cinématique régionale ainsi que pour mieux contraindre le rôle des failles dans l’accommodation de la déformation.

La déformation et les taux de déformation dans les rifts 

Les rifts s’expriment en surface par des paysages constitués de dépressions assez linéaires bordées par des reliefs. Ils sont contrôlés par les failles normales et sont marqués par de forts contrastes topographiques favorisant les processus de surface tels que l’érosion ou la sédimentation. Ces derniers peuvent ensuite avoir un effet sur la réponse isostatique de la lithosphère (subsidence au niveau du hanging-wall et surrection du foot-wall). Le contexte géodynamique, la vitesse d’extension et la sismicité récente diffèrent d’un rift à un autre. La vitesse d’extension des rifts est majoritairement déduite de mesures sur le court terme (GPS) alors que la vitesse de glissement des failles normales est estimée sur plusieurs échelles de temps.

Déformation crustale à court et long terme 

A l’échelle de la croûte supérieure, on distingue plusieurs types de structures extensives formant les rifts en fonction, principalement, de leur géométrie, de leur degré d’évolution et de leur contexte tectonique (e.g., rifts, grabens, demi-grabens, dominos). Le caractère commun à l’ensemble de ces structures est la présence de failles normales qui déforment la croûte supérieure. Dans ce travail, je me focalise sur la déformation long terme à l’échelle d’une faille normale ou d’un segment de faille normale. A court terme, cette déformation est reliée au mécanisme du cycle sismique. A long terme, la déformation plastique finie observée est celle induite par la succession de plusieurs cycles sismiques. C’est elle qui nous intéresse et qui se traduit par une faille normale séparant deux blocs qui sont déformés par une flexure : le foot-wall qui est soulevé et le hanging-wall qui subside (e.g., King et al., 1988 ; Stein et al., 1988 ; figure I.1). La déformation maximale se situe au niveau de la faille. De façon schématique, la croûte se déforme de façon élastique pendant la longue période intersismique (faille bloquée) puis elle se déforme brutalement de façon cassante (relaxation des contraintes sur le plan de faille) pendant la période co-sismique (e.g., Reid, 1910 ; figure I.1). Pendant la période post-sismique, il peut y avoir un rééquilibrage visqueux qui réduit l’amplitude de la subsidence du hanging-wall et augmente la surrection du footwall (King et al., 1988). Sur le long terme, l’érosion et la sédimentation provoquent un transfert des masses de surface entre le foot-wall et le hanging-wall. Ceci conduit à une déformation supplémentaire due à la réponse flexurale (élastique) de la lithosphère : la perte de matériau dans le foot-wall est compensée par un soulèvement et le gain de matériau dans le hanging-wall provoque un chargement induisant la subsidence du bassin.

Les rifts principaux et leur vitesse d’extension 

– Contextes géodynamiques
Les failles normales étudiées dans ce travail appartiennent à des grands systèmes extensifs continentaux qui peuvent être regroupés en deux catégories en fonction du style de déformation : les rifts localisés et les rifts diffus. Les principaux rifts localisés actifs ou récents sont (figure I.2) : le rift du Rio Grande (e.g., Olsen et al., 1979 ; Cordell, 1982 ; Allemand et Brun, 1991 ; Carter et Winter, 1995), le rift Ouest Européen (e.g., Elmohandes, 1981 ; Allemand et Brun, 1991 ; Echtler et al, 1994 ; Brun et al., 1999), le rift Est-Africain (e.g., Bonjer et al., 1970 ; Baker et al., 1972 ; Allemand et Brun, 1991 ; Brun et al., 1999), le rift Baïkal (e.g., Allemand et Brun, 1991 ; Brun et al., 1999 ; Petit et Déverchère, 2006), le rift de Corinthe (e.g., Armijo et al., 1996). Les principaux rifts diffus sont (figure I.2) : le Basin and Range (e.g., Lister et al., 1986 ; Lister et Davis, 1989), les Apennins (e.g., Storti, 1995 ; Jolivet et al., 1998), la région Egéenne (e.g., Jolivet et al., 1998 ; Jolivet, 2001) et la zone sud Tibet (e.g., Armijo et al., 1986 ; Brun et al., 1999). D’autres systèmes de failles normales étudiés dans ce travail de thèse sont de moins grande extension géographique car rencontrés dans des contextes particuliers (figure I.2) : par exemple, les failles normales à fort pendage de Mont Dore et Saint Louis (Nouvelle Calédonie) marquent la dernière étape d’extension post-obduction et recoupent des détachements plats associés à des metamorphic core complexes (e.g., Lagabrielle et Chauvet, 2008). La faille normale de la Têt dans les Pyrénées, active principalement pendant l’oligo-miocène (e.g., Carozza et Baize, 2004), est à relier avec la succession du rifting oligocène Ouest-Européen et de l’ouverture du Golfe du Lion au sud de la France au Miocène. Enfin, la faille normale de la Cordillère Blanche au Pérou est contemporaine de l’orogénèse andine et est donc un système extensif synconvergence (e.g., Bonnot et al., 1988). L’origine de l’extension demeure encore discutée : l’effondrement gravitaire (Dalmayrac et Molnar, 1981 ; Sébrier et al., 1988a), le partitionnement des contraintes pendant la convergence (McNulty et al., 1998), la subduction d’un slab plat (McNulty et Farber, 2002) et la mise en place du pluton granitique (Petford et Atherton, 1992) sont les principales hypothèses avancées. Giovanni et al. (2010) suggèrent que cette faille est un détachement similaire à ceux observés dans les metamorphic core complexes.

– Sismicité et vitesse d’extension
Les séismes crustaux (Mw > 5) dont le mécanisme au foyer correspond à une rupture sur un plan de faille normale (figure I.2) montrent que certaines zones sont plus actives que d’autres en termes de sismicité récente associée à l’extension. On distingue en premier lieu une absence de mécanismes en faille normale dans le rift ouest-européen. Ceci est en accord avec les mouvements tectoniques très lents dans cette région et éventuellement à une déformation actuelle essentiellement en décrochement (e.g., Tesauro et al., 2006). De même, nous ne constatons aucune activité récente des failles de Mont Dore et de Saint Louis (Nouvelle-Calédonie), comme démontré par Lagabrielle et al. (2005) par une analyse structurale. Il est plus difficile de trancher sur l’activité actuelle de la faille de la Cordillère Blanche (Pérou) et de la faille de la Têt (France) car les séismes sur ces failles peuvent s’être produits hors de l’intervalle de temps court du catalogue de sismicité. Siame et al. (2006) démontrent l’activité tectonique récente (holocène) de la faille de la Cordillère Blanche à partir d’une analyse détaillée de l’escarpement. Alors que certains auteurs (Briais et al., 1990) utilisent la géomorphologie pour en déduire une activité actuelle de la faille de la Têt, Carozza et Baize (2004) suggèrent, sur la base d’une étude combinant géologie et géomorphologie que cette faille n’est plus active depuis le Pléistocène. A l’opposé, on constate que des domaines extensifs relativement grands tels que le Basin and Range, les Apennins, la région Egéenne, le rift Est Africain, le plateau du Tibet, et le rift Baïkal présentent des preuves relativement indiscutables d’une activité sismique récente. Mais certains de ces domaines semblent plus sismogènes que d’autres car ils montrent une densité de séismes (Mw > 5) plus importante. C’est le cas du rift Est-Africain, de la région Egéenne, des Apennins et de la région sud-Tibet. La sismicité récente semble ne pas être corrélée avec le style de déformation extensive (localisée ou diffuse) ni avec la vitesse d’extension (Figure I.2 et Tableau I.1). En conclusion, la sismicité récente n’est pas forcément un marqueur indiscutable de l’activité (et surtout de la non-activité) d’une faille.

La vitesse d’extension des rifts est estimée principalement sur le court terme (GPS ; Tableau I.1). Elle est comprise entre 2,5 mm/a et 23 mm/a tous rifts confondus, ce qui est dans la partie inférieure de la borne des vitesses de déplacement absolues des plaques tectoniques, qui est de environ 5 mm/a à 110 mm/a (e.g., Gripp et Gordon, 1990). Les rifts étant des zones de déformation intracontinentale, ils s’ouvrent plus lentement que les dorsales océaniques qui subissent l’effet de forces motrices supplémentaires (poussée gravitaire à la ride, traction du panneau plongeant…). A l’exception du rift de Corinthe, les rifts diffus (Basin and Range, région égéenne, région sud-Tibet) semblent s’ouvrir plus rapidement que les rifts localisés (rift est-africain, rift Baikal). Ce constat est difficile à expliquer en se basant uniquement sur les mouvements relatifs des plaques tectoniques et une étude géodynamique détaillée n’est pas le propos de ce travail de thèse.

L’étude des vitesses de déformation à l’intérieur des rifts, plus particulièrement focalisée sur la vitesse de glissement des failles normales, pourrait permettre de mieux contraindre la cinématique des rifts. De plus, contraindre la vitesse de glissement des failles normales est un enjeu majeur compte tenu du risque que leurs séismes représente. En effet, les séismes se produisant sur les failles normales peuvent être de forte magnitude et potentiellement destructeurs. En Europe, les populations sont particulièrement exposées, avec de nombreuses failles normales actives en région égéenne et dans les Apennins. Pour ne citer que quatre exemples, la faille de Sparte (Péloponnèse) est responsable d’un séisme de magnitude Ms estimée de 7,2 qui détruisit quasiment entièrement la ville de Sparte en 464 av. J. -C. (e.g., Armijo et al., 1991). La faille de Krupnik (Bulgarie) a produit deux séismes en 1904 dont un de magnitude Ms estimée entre 6,9 et 7,8 (e.g., Meyer et al., 2002). La faille de Messine (Sicile) est à l’origine d’un séisme de magnitude Ms estimée de 7,5 (e.g., Valensise et Pantosti, 1992) qui se produisit en 1908 et qui fit environ 95 000 morts. Enfin, pour l’un des plus récent, la faille de L’Aquila (Apennins) a produit un séisme de magnitude Mw de 6,3 le 6 avril 2009 (e.g., Pondrelli et al., 2010). Ce séisme fit au moins 280 victimes.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I. Contraindre la vitesse de glissement long terme des failles normales par l’analyse morphologique de leur relief : état des connaissances et problématique
I.1. La déformation et les taux de déformation dans les rifts
I.1.1. Déformation crustale à court et long terme
I.1.2. Les rifts principaux et leur vitesse d’extension
I.1.3. La vitesse long terme des failles normales
I.2. Notions générales sur l’évolution du relief
I.2.1. La croissance du relief, les notions d’état stationnaire et d’équilibre dynamique
I.2.2. Les processus de surface en jeu et leur formulation
I.2.2.1. L’érosion
I.2.2.2. Le transport
I.2.2.3. La sédimentation
I.2.2.4. Le rôle du niveau de base
I.2.3. L’influence des paramètres climat et lithologie sur l’évolution du relief
I.3. Relief caractéristique associé aux failles normales actives
I.3.1. Les facettes triangulaires
I.3.2. Le réseau de drainage et les bassins versants
I.3.3. Les cônes alluviaux
I.4. Les outils permettant l’étude de la dynamique du relief
I.4.1. Les indicateurs morphométriques
I.4.2. La dynamique des figures géomorphologiques et des marqueurs morphotectoniques
I.4.3. La quantification des vitesses d’érosion et des vitesses tectoniques par l’analyse géomorphologique
I.4.3.1. La mesure des taux d’érosion
I.4.3.2. Exemples de détermination des taux d’érosion moyens
I.4.3.3. La relation entre la morphométrie des facettes triangulaires et les signaux érosion et tectonique
I.5. Conclusion et objectifs de l’étude
CHAPITRE II. Approche expérimental e : modélisation de l’évolution du relief associé au jeu d’une faille normale et effet de la vitesse de glissement
II.1. Méthodologie
II.1.1. Appareillage expérimental
II.1.1.1. Table à déformation
II.1.1.2. Système de brumisation pour simuler l’érosion
II.1.1.3. Système d’acquisition des données (images, films et MNT)
II.1.2. Matériau analogue
II.1.2.1. Rhéologie de la croûte supérieure à modéliser
II.1.2.2. Modéliser l’érosion
II.1.2.3. Propriétés physiques du matériau analogue utilisé dans ce travail
II.1.2.4. Le problème spécifique du dimensionnement de l’érosion
II.1.3. Conditions initiales et aux limites
II.2. Expériences avec subsidence uniforme du hanging-wall
II.2.1. Similitudes et non-similitudes entre morphologies des modèles et morphologies naturelles
II.2.2. Ajustement des conditions aux limites et initiales
II.2.2.1. Taux de précipitations et vitesse de glissement de la faille
II.2.2.2. Topographie initiale : effet d’une topographie préexistante
II.3. Expériences avec déformation flexural e du hanging-wall : effet de la vitesse de glissement de la faille normale sur l’évolution du relief
Article publié chez Tectonophysics : « Interaction between normal fault slip and erosion on relief evolution : Insights from experimental modelling »
II.4. Discussion et Conclusions
CHAPITRE III. Approche numérique
III.1. Modélisation numérique de l’évolution du relief : état de l’art
III.1.1. Le principe des modèles numériques d’évolution de la topographie
III.1.2. Exemples d’applications à différentes échelles d’espace et de temps
III.1.3. Discussion et conclusions
III.2. Description du modèle numérique utilisé dans ce travail
III.2.1. Modélisation de la tectonique
III.2.2. Modélisation des processus de surface
III.2.3. Les paramètres érosifs et tectoniques en jeu
III.2.4. Conditions initiales et aux limites
III.3. Effet de la vitesse de glissement de la faille normale sur l’évolution du relief
III.3.1. Evolution topographique et sédimentaire
III.3.2. Description de la topographie au stade final
III.3.3. Evolution des taux d’incision fluviatile et d’érosion des lignes de crête
III.3.4. Relation entre dénudation et uplift relatif
III.3.5. Relations entre taux d’incision fluviatile, pente locale des rivières, aire drainée en amont et vitesse de glissement de la faille
III.4. Synthèse et discussion
CONCLUSIONS

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