LA DECLARATION DES DROITS DE 1789 ET LE PROBLEME DE L’ESCLAVAGE DES NOIRS

LA SERVITUDE NATURELLE

   Ce concept nous permet d’étudier précisément ce qui est convenu d’appeler l’anthropologie de l’esclavage chez Aristote. Au début du premier livre de la Politique, Aristote consacre une étude systématique au problème de l’esclavage. Mais il faut signaler que cette étude est sousjacente à celle consacrée à l’élaboration d’une institution fondamentale pour le fonctionnement de la société. Donc il nous faut suivre pas à pas le raisonnement d’Aristote si nous voulons comprendre ce qu’il entend par servitude naturelle L’esclavage étant un élément constitutif de la société grecque dans laquelle vivait Aristote, il était nécessaire pour notre auteur d’en étudier le fondement et son rapport avec la société. Et sa thèse ici consiste à dire que la citée ou « Etat » qui est la finalité même de toute association politique, est naturelle car ayant toujours existé. Pour démontrer son point de vue il s’appuie sur le principe logique de la décomposition qui consiste à « réduire le composé à ses éléments indécomposables, c’est-à-dire, aux parties les plus petites de l’ensemble ». Il analyse d’abord la structure fondamentale de la société, à savoir la famille qui est la première forme d’association à partir de laquelle découlent toutes les autres structures sociales. Or chez les grecs anciens, « ces deux premières associations, du maître et de l’esclave, de l’époux et de la femme, sont les bases de la famille ». Autrement dit le couple maître/esclave et époux/épouse sont les structures sociales qui composent la famille. Reste maintenant à démontrer, avec Aristote que ces deux structures de la famille ne sont pas arbitraires mais nécessaires naturellement. Le couple homme/femme qui est le fondement de la famille a pour « cause efficiente » d’après Aristote, « l’attirance des sexes » c’est-à-dire le processus naturel permettant à la femme d’aller vers l’homme en vue de la procréation. Et cette attirance peut s’expliquer de deux manières : le désir naturel de perfectibilité qui est un principe universel et l’instinct de conservation qui est également une disposition innée en l’homme. Dans le livre I de la physique Aristote explique la première cause de l’attirance des sexes que nous venons de citer, en comparant l’attirance du couple homme/femme au désir de l’objet sensible, naturellement imparfait et attiré par le premier moteur. Tout se passerait comme si le premier moteur (le creuset séminal de tous les êtres qui existent) était la finalité de tous les « étant », les êtres qui émanent de lui. En réalité, Aristote a ici une conception vitaliste qui est au fondement du dynamisme naturel : les êtres qui ont une forme imparfaite « désirent » c’est-à-dire tendent vers le Désirable, le premier moteur, qui est à la fois l’être le plus parfait et le plus pur. Cela se comprend quand on sait que tous les êtres qui revêtent une forme imparfaite et qui sont en » mouvement », pour reprendre le terme d’Aristote, comportent un « nisus », une certaine perfectibilité. C’est en vertu de ce principe que la femme est attirée vers l’homme ; la finalité de cette union étant une mutuelle complémentarité pour une ascension conjointe vers l’être parfait. En deuxième lieu, l’attirance des sexes est liée au principe de la procréation. Cette dernière renvoie proprement à ce qu’Aristote appelle la « genesis », la génération naturelle qui se fait toujours à partir du « semblable », c’est à dire d’un être prédisposé à accueillir le germe séminal et à reproduire un être de la même espèce. En termes plus clairs on peut dire par exemple qu’un être humain ne peut engendrer une plante car d’un homme, il ne peut naître qu’un homme. Mais ce qui anime cette attirance vers le semblable est surtout lié à l’instinct de conservation. C’est pourquoi : « Il est nécessaire d’abord que s’unissent par couples ceux qui ne peuvent exister l’un sans l’autre, comme mâle et femelle en vue de la génération (et cela ne vient pas d’un choix réfléchi, mais, comme chez les autres animaux et chez les plantes, naturel est le désir de laisser après soi un autre qui soit tel que l’on est soi-même) ». Cette seconde cause de l’attirance des sexes peut, également, être comprise à partir de ce principe doctrinal qu’Aristote nous donne dans le livre I de la physique, à savoir que « n’importe quoi ne vient pas de n’importe quoi » car, comme nous l’avons dit plus haut, le semblable sort du semblable en vertu de la génération naturelle. Et ce désir de procréer est moins une pulsion rationnelle qu’une inclinaison naturelle. Tout se passerait donc comme si la relation homme/ femme est la résultante d’une nécessité naturelle de conservation de l’espèce humaine. Dans cette même optique, le couple maître/esclave qui est l’autre élément constitutif de la famille est non seulement nécessaire pour répondre à cette exigence de conservation naturelle mais il est également vital pour le bon fonctionnement de la société, selon Aristote. C’est dans ce sens qu’il introduit, à travers l’étude de cette seconde structure familiale, l’idée d’une institution de l’esclavage avantageuse aussi bien pour le maître que pour l’esclave. Cette affirmation semble paradoxale car on peut il est vrai comprendre qu’un maître trouve des avantages à être servi par un esclave mais quel peut être l’intérêt de l’esclave qui est totalement asservi à un maître ? Mais nous pouvons expliquer ce paradoxe en analysant par une exégèse interne le point de vue d’Aristote. Sa thèse générale sur cette question consiste à dire que la nature est ordonnée à tel enseigne qu’elle a crée d’une part des êtres que leur intelligence destine à commander et d’autres que leur seule force corporelle voue à l’obéissance. Au commencement donc était la nature qui créa tous les êtres selon un certain ordre. Et tous ces êtres contribuent à la même finalité, à savoir la conservation de l’ordre naturel. C’est dans ce sens qu’Aristote affirme que: « la nature, en effet, ne fait rien comme les forgerons font le couteau de Delphes avec parcimonie, mais plutôt en rapportant chaque fois une chose à une autre chose ; c’est ainsi que chacun des instruments sera amené à la plus grande perfection, en servant, non pas à de nombreux usages, mais à un seul ». Les couteliers de Delphes et la nature n’ont pas la même finalité ; à la différence de la nature qui crée chaque objet pour un usage spécifique, les couteliers de Delphes fournissaient un couteau « tous usages », permettant des opérations qui requéraient d’ordinaire des instruments différents. La nature opère de manière ordonnée et pour une finalité précise inhérente à sa nécessaire conservation car : « impossible, sans le nécessaire de vivre et de vivre bien ». Partant de ce principe, Aristote affirme que c’est pour répondre à une nécessité naturelle que « s’unissent, en vue de leur conservation, des gens qui gouvernent par nature et des gens qui sont gouvernés ». Cette dichotomie sera la conséquence d’une anthropologie dualiste chez Aristote puisqu’il affirme qu’il y’a d’une part des hommes naturellement destinés ou à gouverner ou à être maîtres et d’autre part des êtres naturellement faits pour obéir et être esclaves. Cela se comprend en vertu d’un postulat simple : « Sont des gouvernants et des maîtres par nature ceux qui peuvent prévoir par la pensée, tandis que sont par nature gouvernés et esclaves ceux qui peuvent faire des travaux corporels » .Et la conclusion qu’il tire de son postulat est que l’esclavage est « avantageux pour le maître et pour l’esclave ». Pour mieux éclaircir son point de vue, Aristote nous invite à l’observation de « la réalité effective », c’est-à-dire à corroborer la théorie à ce qui existe de manière tangible et pratique. Cette méthode nous permettra de faire ce premier constat : le maître est le propriétaire légal de son esclave. L’esclave en effet est la propriété de son maître selon les conventions sociales grecque. Mais il est ici important de signaler qu’Aristote ne cherche pas à établir le fondement légal de l’esclavage ; ce qui l’intéresse c’est la légitimité de cette pratique. La légitimité, nous le savons est fondée sur le droit compris dans son sens premier et étymologique, c’est-à-dire ce qui est en ligne droite d’abord avec la raison et avec ce que Kant nomme « l’exigence morale ». La légalité renvoie, quant à elle, à la loi aux normes et aux conventions. Or l’esclavage qui est fondée sur la légalité est toujours conventionnel mais sa légitimité peut être contestée. Pour preuve, nous pouvons donner l’exemple de prisonniers de guerre qui ont été réduits en esclavages pour aucune raison sinon celle d’être citoyens du pays vaincu, ou, comme il était de coutume dans la société romaine, l’exemple d’une fille vendue par son père pour rembourser les dettes de ce dernier. C’est précisément à cause de ce qui vient d’être dit qu’Aristote à voulu voir si l’esclavage peut être légitime. Sur quoi doit être fondée l’autorité du maître ? Est-ce sur la violence c’est à-dire la force ou est-ce sur une certaine » science » pour reprendre le terme d’Aristote ? L’observation des faits à laquelle nous invite Aristote nous donne de comparer l’esclave à un » objet animé », un « instrument destiné à l’action », qui commande aux autres instruments tel un « timonier » manœuvrant un gouvernail au service du pilote. Mais à la différence du timonier qui peut être un serviteur libre et rémunéré, l’esclave lui est exclusivement la propriété de son maître : « On voit donc bien par là quelle est la nature et quelle est la condition de l’esclave : celui qui, par nature, tout en étant un homme, ne s’appartient pas à lui-même mais appartient à un autre, celui-là est esclave par nature ». C’est la première définition qu’Aristote donne à l’esclave. Mais il est évident qu’elle ne démontre pas véritablement sa thèse développée plus haut. Une deuxième analyse est donc nécessaire. Et elle consiste à montrer que, dans les faits toujours, chez les êtres humains qui sont faits de corps et d’âme il y a « ce qui gouverne et ce qui est gouverné ». De cette dichotomie, on peut inférer que l’âme, chez un homme normal, est la substance qui gouverne et le corps, celle qui est gouvernée : « L’âme exerce sur le corps un gouvernement de maître, tandis que l’intellect exerce sur l’appétit un gouvernement de chef de cité ou de roi : par quoi l’on voit bien qu’il est conforme à la nature et avantageux pour le corps d’être gouverné par l’âme, et, pour la partie affective, d’être gouvernée par l’intellect, par la partie qui possède la raison, tandis que l’égalité ou le renversement des rôles est nuisible à toutes les parties ». Il en va de même pour l’esclavage. Les hommes étant naturellement distinct, comme l’âme l’est du corps, ceux qui sont les plus nobles de naissance et d’âme sont destinés par l’ordre nécessaire de la nature à dominer sur « ceux chez qui l’emploi des forces corporelles est le seul et le meilleur parti à tirer de leur être ». Ces derniers sont appelés à être esclaves parce qu’ils sont non seulement rendus aptes, par la nature, à faire des travaux pénibles mais ils sont également dénués de la Raison. Ce dénuement n’est tout de même pas extrême car l’esclave peut « percevoir » c’est-à-dire qu’il peut entendre raison sans pour autant la posséder. « La nature tend donc à rendre différents les corps des hommes libres et ceux des esclaves, à rendre les uns robustes pour l’usage auquel ils servent nécessairement, les autres droits et impropres à cette sorte de travaux, mais propres à la vie du citoyen. » Au terme de cette démarche circulaire nous voyons que chez Aristote l’esclavage est conforme à une ordonnance générale, bénéfique et juste de la nature. Celle-ci destine à cet usage l’être capable de percevoir la raison sans pour autant la posséder en propre, et doté d’une vigueur corporelle singulière. Le maître, quant à lui, est par nature doté d’intelligence et d’aptitude à la vie civique. On admettra toutefois que, dans cette sélection intellectuelle et corporelle, la nature n’est pas à l’abri d’erreurs ; le maître doit avoir les qualités du maître et l’esclave, celles de l’esclave, néanmoins « le contraire se produit souvent » : (1254b22). Mais ce qui est évident c’est que « il y a avantage pour l’esclave et pour le maître, amitié même entre eux, lorsque c’est par nature qu’ils sont voués à cet état, tandis que, pour ceux qui n’y sont point voués de cette façon-là mais à cause de la loi et de la force subie, c’est le contraire qui se passe. » L’esclavage des noirs tel qu’il était pratiqué par la France au XVIII siècle ne renvoie pas véritablement à la forme de servitude naturelle théorisée ici par Aristote. Le travail d’analyse que nous venons de faire nous permet de dire que l’esclavage des noirs ne peut être considéré comme une forme de servitude naturelle car il ne répond pas au principe de perfectibilité et encore moins à l’instinct de conservation qui doivent être les fondements légitimes de l’esclavage naturel. La traite négrière consiste à capturer des noirs dans le continent africain pour les réduire en servitude dans le continent américain. Elle n’a pas pour finalité la conservation et le perfectionnement de l’homme mais simplement l’exploitation et le dépouillement de ce dernier. Mais si l’esclave noir n’est pas voué à l’état de servitude par la nature, ne le devient-il pas par consentement comme on pouvait le voir dans les sociétés antiques romaines, où un père de famille par exemple pouvait se vendre pour payer une dette familiale ?

LA SERVITUDE VOLONTAIRE OU CONSENTIE

   Peut-on parler de servitude volontaire ? Si on considère les choses de manière non pas spéculative, mais pratique, peut-on trouver, en effet, un homme qui accepte consciemment et selon son libre arbitre de soumettre sa vie et sa liberté à la volonté et aux caprices d’un maître cruel qui le voue à un travail servile ? La réponse que De La Boétie donne à notre question ne souffre d’aucune ambiguïté : « c’est l’homme qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse. » C’est là une thèse formelle qu’il soutient au long de son Discours et que nous allons essayer de suivre par une analyse exégétique. L’auteur de ce Discours sur la servitude volontaire part d’abord d’un constat paradoxal : des hommes, en millier parfois, ploient, dans un gouvernement tyrannique ou dans le cadre de l’esclavage, sous le joug d’un seul, « qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’il n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. » Pour notre auteur, le gouvernement tyrannique d’un seul homme sur des milliers, n’a vraisemblablement aucune explication psychologique, car comment comprendre qu’un grand nombre d’individus consentent à « souffrir les rapines, les brigandages, les cruautés, non d’une armée, non d’une horde de barbares, contre lesquels chacun devrait défendre sa vie au prix de son sang, mais d’un seul, non d’un Hercule ou d’un Samson, mais d’un vrai hommeau (mirmidon) souvent le plus lâche et femelin (efféminé) de la nation ». La liberté est plus précieuse que la vie de servitude ; tout homme devrait la défendre naturellement au prix de sa vie si nécessaire. Comment comprendre que plusieurs hommes qui ont la force du nombre à leur avantage, vivent sous le joug d’un seul maître? Ce qu’on peut observer chez ceux que consentent au joug d’autrui c’est à la fois la fascination et le pouvoir de consentement que le maître exerce sur l’esclave : Fascination, car la domination du maître ou du tyran est souvent fardée d’illusionnisme et de mysticisme. Et consentement, parce que le pouvoir d’un maître repose sur l’obéissance et l’abdication par le serf de sa liberté. La preuve qui montre le bien fondé de ceci c’est que pour détruire le pouvoir du maître il suffit que tous ceux qui sont à son service cessent tout simplement d’obéir. Le feu d’une seule étincelle devient grand à force d’entretient, mais se consume et s’atteint de lui même dès qu’on cesse de l’alimenter. Pareillement, il suffit de ne plus consentir à servir pour que le maître soit défait de toute autorité. Cette assertion est tellement forte chez De La Boétie, qu’il prétend que ceux qui sont asservis sont responsables et complices des crimes que le maître portent sur leurs personnes : « ? Que vous pourrait-il faire, si vous n’étiez receleurs du larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue et traîtres à vous-même ? […] vous rompez à la peine vos personnes, afin qu’il se puisse mignarder en ses délices et se vautrer dans les sales et vilains plaisirs […] ; et de tant d’indignités, vous pouvez vous en délivrer, si vous l’essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire. » Qu’est ce qui explique que des hommes acceptent d’être maintenus dans les mailles de la servitude ? C’est là le problème fondamental que pose De la Boétie. Pour lui la nature a créé les hommes libres et raisonnables. Il faut noter qu’il donne ici une conception avant-gardiste, compte tenu du contexte socioculturel dans lequel s’inscrit son ouvrage. En effet il affirme sans ambages qu’il est « hors de doute que, si nous vivions avec les droits que la nature nous a donnés et avec les enseignements qu’elle nous apprend, nous serions naturellement obéissants aux parents, sujets à la raison, et serfs de personne » La nature qui est à la fois « le ministre de Dieu » et « la gouvernante des hommes » œuvre toujours selon un principe d’équilibre et un ordre inhérent et nécessaire, à telle enseigne que les disparités et les déséquilibres apparents servent uniquement à préserver cette nécessité. Et même en créant par exemple des hommes plus forts que d’autres, la nature ne déroge pas à ce principe d’équilibre, car il faut croire que « faisant ainsi les parts aux uns plus grandes, aux autres plus petites, elle voulait faire place à la fraternelle affection, afin qu’elle eût où s’employer, ayant les uns puissance de donner aide, les autres besoin d’en recevoir. » Cette idéale naturelle de communion et de fraternité sous-tend la liberté individuelle qui est un principe universel chez notre auteur. La liberté est innée à chaque homme, sa nécessaire préservation l’est encore plus car « nous ne sommes pas nés seulement en possession de notre franchise, mais aussi avec affectation de la défendre. » S’il en est ainsi comment expliquer le fait que certains hommes se laissent asservir ? Quelle est la cause de cette dénaturation ? La thèse d’Etienne De la Boétie qui consiste à dire que la servitude est volontaire ou consentie ne signifie pas que l’homme décide volontier de se rendre esclave. Il s’agit ici de faire la distinction entre « être fait esclave » et « vivre esclave ». De La Boétie ne nie pas que l’homme peut être fait esclave par la contrainte : « il est vrai qu’au commencement on sert contraint et vaincu par la force », mais c’est volontairement que les hommes se maintiennent dans la servitude : nous avons vu plus haut que les serfs peuvent se défaire du joug de la servitude en acceptant simplement de ne pas servir le maître. Il y a deux faits qui expliquent que certains se maintiennent en esclavage. Il s’agit d’abord de l’abdication, le renoncement à toute tentative de recouvrement de la liberté et ensuite l’accoutumance fatale à la servitude. La résignation, nous le savons, nous fait tomber dans la désespérance de toute perspective contraire à la situation dans la quelle on se trouve. La résignation est l’antichambre du fatalisme ; l’homme qui l’entretient n’aime pas le progrès. C’est dans ce sens que De La Boétie affirme que : « Il n’est pas croyable comme le peuple, dès lors qu’il est assujetti, tombe si soudain en un tel et si profond oubli de la franchise, qu’il n’est pas possible qu’il se réveille pour la ravoir, servant si franchement et tant volontiers qu’on dirait, à le voir, qu’il a non pas perdu sa liberté, mais gagné sa servitude. » Le désir de liberté, il est vrai, est un principe naturel. L’accoutumance pareillement est inhérente à l’homme car comme l’adage le dit si bien : l’habitude est une seconde nature. Cependant De La Boétie va plus loin car il considère que « la nature a en nous moins de pouvoir que la coutume : pour ce que le naturel, pour bon qu’il soit, se perd s’il n’est entretenu. » Le naturel peut être affecté par le culturel à tel enseigne qu’on peut perdre une qualité naturelle à force de s’habituer à une pratique contraire. Cette habitude ou disons cette résignation à demeurer dans la servitude s’explique par deux raisons essentiellement. D’abord l’ignorance des effets induits de la liberté. De la Boétie nous invite à méditer, pour comprendre cela, la situation d’un peuple qui est habitué à avoir, respectivement, et le soleil et les ténèbres pendant six mois. Si une génération naissait au cours des six mois de ténèbres sans être informée de l’existence de la lumière, elle sera incapable de soupirer après cette lumière, puisque « on ne plaint jamais ce que l’on n’a jamais eu, et le regret ne vient point sinon qu’après le plaisir, et toujours est, avec la connaissance du mal, la souvenance de la joie passée.  De même les héritiers de la servitude qui n’ont jamais goûté aux délices de la liberté ne peuvent languir après cette dernière, quand bien même la liberté reste un principe naturel en tout homme. Cependant De la Boétie précise que l’accoutumance est plus déterminante et a plus de pouvoir que ce qui est simplement naturel, à telle enseigne que l’habitude peut dénaturer parfois l’individu. L’oubli produit par l’habitude est le premier facteur de la résignation à la servitude volontaire. Ceci fait que ceux qui héritent de la servitude se « disent qu’ils ont été toujours sujets, que leurs pères ont ainsi vécu ; ils pensent qu’ils sont tenus d’endurer le mal et se font accroire par exemple, et fondent eux-mêmes sous la longueur du temps la possession de ceux qui les tyrannisent » Le désir de liberté est ici englouti sous le chai de l’ignorance. On ne peut être nostalgique de ce qu’on n’a jamais expérimenté. La génération qui est née sous le joug de l’esclavage sera la moins prompte à désirer la liberté.

CONTEXTE HISTORIQUE DE L’ESCLAVAGE DES NOIRS

   L’exploration côtière de l’Afrique, l’invasion de l’Amérique du Nord et du Sud par les Européens au XVe siècle, et l’exploitation des nouvelles terres aux Amériques durant trois siècles sont entre autres les facteurs déterminants qui conduisirent au phénomène de la traite des esclaves noirs. La première puissance coloniale connue qui inaugura cette pratique fut incontestablement le Portugal. Ce pays qui manquait ardemment de main-d’œuvre agricole, après quelques années d’exploitation, initia cette pratique, en 1444, en important annuellement, dès 1460, plus de sept cent esclaves en provenance des comptoirs commerciaux ou des forts établis sur la côte africaine. L’Espagne suivra immédiatement après dans la même voie. Mais, pendant plus d’un siècle, le Portugal monopolisa littéralement ce trafic d’esclaves africains. Ce commerce intéressait, à ses débuts, uniquement l’Afrique et l’Europe ; il n’était pas encore triangulaire ou tricontinental car les noirs capturés et réduits en esclavage étaient transportés vers les marchés d’Arabie, d’Iran, d’Inde et même parfois en Europe. C’est au du XVI siècle que s’ouvrit avec les Espagnoles l’exportation de ces esclaves noirs vers le nouveau monde pour des raisons particulières que nous voulons d’abord expliquer. Dans l’Amérique latine tropicale du XVIe siècle, les colons espagnols obligeaient tout au début, les populations indigènes à cultiver les terres nouvellement conquises. Mais ces populations indigènes survécurent à peine à cette terrible condition de esclavage, les maladies européennes qu’ils ne connaissaient pas jusque là, la nourriture dérisoire et le travail harassant les décimaient petit à petit. Face ce constat affreux, l’évêque Bartolomé De Las Casas épris de compassion pour ces indiens asservis, incita ses compatriotes Espagnols à libérer ces indigènes et à importer, en contre partie, des esclaves noirs, parce qu’ils étaient réputés plus forts et à même de supporter le travail forcé dans le climat éprouvant des Caraïbes et de l’Amérique latine. Le bonheur des uns, nous le savons, fait souvent le malheur des autres ; cela se vérifie particulièrement dans ce cas de figure. La situation éprouvante et émouvante des amérindiens asservis poussa De Las Casas à défendre leur cause en invitant leurs propriétaires à se tourner vers les Noirs. John Hope Franklin montre bien la simultanéité entre cette décision de l’évêque et le début de la traite des noirs : « ce fut en 1517, lorsque l’évêque Bartolomé De Las Casas incita les Espagnols à émigrer vers le Nouveau Monde en les autorisant à y amener des esclaves africains, que s’ouvrit officiellement la traite des hommes noirs dans le Nouveau Monde. » L’Espagne était, à cette époque, la seule puissance coloniale qui faisait travailler des esclaves noirs dans le continent Américain. Mais l’Espagne dépendait pour son approvisionnement en esclave des autres pays, notamment le Portugal, parce qu’elle n’avait pas encore d’implantation coloniale en Afrique et le Portugal avait, à cette même période, le monopole du trafic des Noirs. A mesure que grandissaient les intérêts espagnols dans le continent Américain, d’autres puissances Européennes s’impliquèrent plus amplement dans ce trafic, nous pouvons citer notamment l’Angleterre qui se lança dans le commerce des esclaves à la fin du XVIe siècle, et qui réussit même à contester au Portugal le monopole du ravitaillement en esclaves des colonies espagnoles. Très vite après, la France, la Hollande, le Danemark et les colonies américaines elles-mêmes entrèrent dans la concurrence marquant ainsi le début de ce qu’on peut considérer aujourd’hui comme le plus important trafic d’être humain de tous les temps : le commerce triangulaire nommément. Ce trafic est ainsi nommé à cause du périple total qu’il décrivait à travers l’Océan Atlantique. En effet trois points géographiques de l’Atlantique étaient concernés. Il s’agit d’abord du port Européen, qui constituait le point de départ à partir duquel étaient entreposées les marchandises qui devaient servir de monnaie d’échange, puisque, comme nous le savons, c’est le troc qui prévalait encore à cette époque à certains endroits. Ensuite ce trafic prenait la direction des côtes africaines où se trouvaient des esclaves noirs vendus contre la pacotille venue d’Europe, à savoir de la verroterie, de l’eau-de-vie, des fusils de traite etc. Et enfin cet itinéraire commercial s’achevait aux îles de la mer des Caraïbes en particulier où on échangeait contre ces Noirs des denrées nécessaires à toute une série d’industries de transformation. Le nombre d’esclaves importés n’étant pas très important au début, il n’apparut pas nécessaire de définir leur statut légal. Avec le développement du système de plantations dans les colonies du Sud au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, le nombre d’Africains importés pour servir d’ouvriers agricoles augmenta considérablement et plusieurs villes côtières du Nord devinrent de grands ports négriers. Dans l’ensemble, nous pouvons constater que dans les colonies du Nord, les esclaves étaient utilisés à des tâches domestiques et dans le commerce, dans les colonies du centre ils étaient davantage utilisés dans l’agriculture, mais la majorité des esclaves travaillaient dans les colonies du Sud où dominait l’agriculture de plantations. Toutefois, il est ici important de signaler que nous voulons restreindre nos investigations sur le peuple qui est à l’origine de la Déclaration des Droits de 1789. C’est pourquoi nous nous intéresserons en particulier au rôle et à l’impact de la France dans le commerce et l’esclavage des noirs. Nous suivrons pour cela les recherches pertinentes de Martin Gaston, professeur d’histoire contemporaine à l’institut de Bordeaux. Au début du XVI siècle, nous dit notre auteur, les français étaient déjà établis prés des estuaires des fleuves soudanais et dans les îles proches de la côte africaine telles que Gorée. Ils y avaient d’abord tissé uniquement des liens commerciaux avec les africains. Et c’est seulement « au milieu du XVII siècle, qu’est établie avec certitude la présence à Gorée d’un entrepôt de captifs noirs, destinés à la remonte de la chiourme royale. C’est à la même période qu’une ordonnance de la Marine fait une obligation aux capitaines marchands, traitant aux côtes d’Afrique, de rapporter quelques indigènes pour les besoins des galères. » En cette même époque aussi, la coopération franco- hispanique, vielle de longue date, incite les armateurs français à vendre aux espagnols des noirs faits esclaves, car l’Espagne n’avait pas encore de colonies en Afrique et, d’un autre coté, la France n’était pas encore établie en Terre Neuve. C’est seulement en 1625 que d’aventureux marins français débarquèrent pour la première fois dans le continent américain et s’établirent à Saint Christophe. Il s’en suivra d’autres débarquements, notamment celui de 1627, par lequel un contingent important d’émigrants normands arriva sur l’île. Ce fut le début d’une massification du peuple français dans le Nouveau continent, et cela durera jusqu’à la fin du XVIII siècle. Ces émigrants étaient des « engagés » c’est-à-dire des marins en rupture de bord, des fils de famille désargentés et d’autres désœuvrés. Il faut signaler que ceux sont d’abord ces « engagés » qui étaient utilisés par les propriétaires terriens pour cultiver leurs plantations. Ces travailleurs étaient liés par un contrat de trois ans, avec comme prime un lopin de terre au terme du contrat. Cependant, on s’est rendu compte très vite que ces engagés étaient loin d’avoir les qualités et les aptitudes nécessaires pour endurer la rudesse de ce climat tropical et assurer un rendement profitable aux employeurs. Cette situation compromit naturellement les intérêts de la France qui voyait sa principale compagnie, celle de Saint Christophe nommément, allé au bord de la faillite. C’est pourquoi en 1635, le roi intimât, à ses représentants dans le continent, l’ordre de renforcer les capacités logistiques et économiques de la principale compagnie sur place. Mais ces mesures s’avérèrent insuffisantes. Il s’y ajoute un autre facteur qui compromettait encore plus les intérêts coloniaux de la France. En effet, en 1640, Jean Aubert introduisit la culture de la canne à sucre aux Antilles puisqu’on avait constaté que son sol était favorable à la croissance de ce roseau qui était connu dès l’antiquité, mais dont l’Inde était le seul fournisseur européen en cette période. Ainsi la chute du prix du tabac en 1674 occasionna une ruée vers la culture de la canne à sucre beaucoup plus rentable. Or la canne, nous le savons, demande pour sa culture une main d’œuvre abondante, surtout à cette époque où les techniques et les matériels agricoles étaient assez rudimentaires. Car le sirop en tant que produit brut de la canne, exigeait un travail rapide et sur place pour éviter toute détérioration du produit. C’est surtout ce travail qui demandait une main d’œuvre nombreuse capable de supporter un dur labeur sous un climat rigoureux. Et vue le nombre important de travailleurs qu’il exigeait, ce travail ne devait guère coûter aux employeurs d’avantage que la nourriture des travailleurs, s’ils voulaient que leurs entreprises soient véritablement lucratives et rentables.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : LA TRAITE ET L’ESCLAVAGE DES NOIRS : ESSAI DEFINITIONNEL
I. CHAPITRE PREMIER : THEORIES SUR LA SERVITUDE
A. LA SERVITUDE NATURELLE
B. LA SERVITUDE CONSENTIE OU VOLONTAIRE
II. CHAPITRE DEUXIEME : L’ESCLAVAGE DES NOIRS : CONTEXTE HISTORIQUE
ET FONDEMENTS IDEOLOGIQUES
A. CONTEXTE HISTORIQUE
B. FONDEMENTS IDEOLOGIQUE
DEUXIEME PARTIE : LE PROBLEME DE L’ESCLAVAGE DES NOIRS SOUS L’ANGLE DE LA DECLARATION DES DROITS DE 1789
III. CHAPITRE PREMIER : LA DECLARATION DES DROITS DE 1789
A. LA REVOLUTION FRANCAISE DE 1789 ET PORTEE UNIVERSELLE DE LA DECLARATION DES DROITS
B. L’ESCLAVAGE DES NOIRS A L’OMBRE DU SIECLE DES LUMIERES
IV. CHAPITRE DEUXIEME : POSITION DU PROBLEME
A. LE CODE NOIR ET LA DECLARATION DES DROITS DE 1789
B. LA QUESTION DE LA REPARATION.
CONCLUSION GENERALE

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